Accueil
Sommaire
Édition courante
Autres éditions
Projet éditorial
Partenaires
Éditions et formats
Contacts
Première série
depuis 1996
Seconde série
depuis 2018
Comité éditorial
Comité de lecture
Dossiers thématiques
Appel permanent
Conditions
Proposer...
Un article de recherche
Un point de vue
Une réponse
Une recension
Un dossier
Normes et instructions
Commander
Reproduire
Traduire
Comment ne pas
citer les Cahiers

Parutions et AAC
Nouvelle série, n°1

1er trimestre 2018

DÉBATS

TÉLÉCHARGER
LA REVUE

TÉLÉCHARGER
CET ARTICLE







POINT DE VUE

Politiques et médias :
confusion destructrice

En accueillant des politiciens parmi leurs collaborateurs, les médias français,en particulier audiovisuels, estompent la fragile démarcation entre l’engagement politique et le journalisme d’information. Ils dégradent surtout leur crédibilité à une époque
où ils en auraient grand besoin.

Par Pierre Savary



La porosité entre les médias et la politique est régulièrement évoquée et souvent dénoncée en France. Mais, si elle ne date pas d’hier, elle a profondément changé de nature et de forme.

Les députés qui ont voté la loi créant un statut des journalistes en 1935 étaient, pour beaucoup d’entre eux, députés et… journalistes. Émile Brachard, rapporteur de cette loi à l’Assemblée nationale, combinait le mandat de député de l’Aube et la fonction de rédacteur en chef d’un quotidien de son département. De longue date, des personnalités politiques françaises ont passé une part importante de leur vie en journalisme et en politique.

Georges Clemenceau est probablement l’une des plus illustres de ces personnalités à avoir jonglé entre les fonctions politiques et journalistiques. Député, sénateur, Président du conseil (1906-1909) et ministre de l’Intérieur (1917-1920), il fut aussi, en même temps qu’une des figures de l’État, un brillant éditorialiste à la plume acérée, au verbe élégant et un créateur de titres de presse. Étudiant en médecine, il monte en 1861 sa première publication Le Travail avant, jeune député, de s’endetter pour fonder le quotidien La Justice, en 1880. Il fera partie du groupe des fondateurs de L’Aurore en 1897, où il trouvera le titre de l’article d’Émile Zola du 13 janvier 1898 : « J’accuse ». Il fondera ensuite L’Homme libre en 1913 (devenu L’Homme enchaîné) où il publiera de nombreuses chroniques et billets.

Georges Clemenceau incarne ainsi que Jean Jaurès, fondateur et directeur de L’Humanité en 1904, ou encore Léon Blum, éditorialiste au Populaire, ces personnalités politiques et journalistiques qui ont marqué leur temps.

Avec la disparition des grands journaux d’opinion, ces leaders intellectuels et politiques qui tenaient la plume ont disparu et les relations entre journalistes et politiques ont fortement évolué. Des décennies plus tard, les journalistes-politiques ou politiques-journalistes se retrouvent sur les bancs de l’Assemblée nationale. Robert Hersant, député durant un quart de siècle, a favorisé l’élection des responsables de son groupe de presse, de ses rédacteurs en chef et de ses éditorialistes, comme on pose ses pions sur un échiquier. Non loin d’eux siégeaient d’autres patrons de groupes de presse, dont les Baylet, le père Jean, puis le fils Jean-Michel, dirigeant du groupe La Dépêche.

Le politique-journaliste, patron de presse et président du conseil, haut dirigeant, s’est depuis effacé au profit du « journaliste » occasionnel, député ou secrétaire d’État. Pour trouver un nouveau souffle et une nouvelle audience, plusieurs médias français , principalement audiovisuels, ont décidé d’accueillir en leur sein des recalés du suffrage universel dont – et ce n’est pas leur faire injure – la notoriété et la carrure intellectuelle ne peuvent être comparées à celles de Clemenceau, Blum ou Jaurès.

Le politique-journaliste revient sur le devant de la scène mais – autre temps autres mœurs – dans une position de « produit d’appel » souvent dans des émissions dites de divertissement où leur nom sert « d’attrape-mouche ».

À l’heure de la starisation, des titres de presse se sont persuadés que les nouvelles forces vives du journalisme pouvaient être les « ex ». Ex-ministre, Premier ministre, députés, etc., libérés de leur fonction après un échec aux élections ou une mise au placard de leur officine politique. En un tour de main, ces médias ont réussi à faire un coup double.

D’abord, ils ont tendu la joue aux critiques de collusion entre les représentants des médias et la classe politique. Ils partagent souvent les mêmes formations, fréquentent les mêmes grandes écoles, leurs univers et leurs repères sont souvent les mêmes… au point d’en devenir interchangeables et de partager la même défiance du grand public. La méfiance a accompagné les nouvelles relations entre journalistes et politiques. Comment les premiers pourraient-ils dénoncer les actions des seconds s’ils se mélangent jusqu’à se confondre ?

Ensuite, au nom d’un potentiel effet médiatique, d’une mousse éphémère, ils ont participé à la décrédibilisation de la profession en faisant croire que n’importe qui peut devenir journaliste, que cela peut s’improviser, se décréter. Cette confusion des genres pourrait devenir grave et difficile à comprendre pour le public.

Être journaliste aujourd’hui est complexe. Le contexte dans lequel évoluent les journalistes change, rendant l’exercice de la profession de plus en plus compliqué. La suspicion des lecteurs s’est renforcée, la puissance des communicants s’est accrue. Chercher, vérifier, mettre en forme l’information nécessite aujourd’hui un savoir-faire qui ne s’acquiert pas d’un claquement de doigts. Écrire quelques lignes, quel que soit le support, n’est pas faire du journalisme. Comme changer une ampoule n’est pas devenir électricien. Comme changer la roue de sa voiture n’est pas devenir réparateur automobile. Conseiller un médicament à un proche n’est pas se transformer en Hippocrate.

Le combat à mener n’est pas contre les « nouveaux amateurs journalistes » du moment (même si leur incohérence et leur capacité à travailler coté pile pour des médias, et à les dénigrer coté face peut largement interpeller). Le combat à mener est celui de la reconquête d’une crédibilité perdue auprès du public. La profession aurait probablement grand intérêt à clarifier, expliquer, défendre son action et non la brouiller à l’extrême. Bien qu’elle ait toujours accueilli des conceptions différentes de son rapport à l’opinion – question beaucoup plus vaste que celle soulevée ici – du moins est-elle attendue vis-à-vis des politiques dans la différenciation des deux fonctions.

Elle est attendue pour revendiquer le droit du journaliste à poser des questions. Cette évidence mérite d’être rappelée au moment où, en France, un président de la République tend à réduire les occasions de le questionner et à leur préférer des entretiens plus conciliants.

Elle est attendue pour expliquer le danger de voir les politiques adopter leurs propres canaux de communication loin de toute contradiction, où ils peuvent aménager la vérité à leur convenance sans risque d’être démentis ou même questionnés.

Elle est attendue dans le respect des fondamentaux, dans la séparation des faits et des commentaires et dans sa lutte pour être exemplaire et inattaquable sur la présentation des premiers.

La profession, rétive dans son ensemble à la mise en place d’un conseil de presse, ne fait aujourd’hui pas bloc. Elle semble préférer se taire sur ces sujets, faire le dos rond, en attendant d’hypothétiques jours meilleurs qu’elle se refuse à provoquer.

Pierre Savary est directeur de l’ESJ Lille.




Référence de publication (ISO 690) : SAVARY, Pierre. Politiques et médias : confusion destructrice. Les Cahiers du journalisme - Débats, 2018, vol. 2, no 1, p. D27-D28.
DOI:10.31188/CaJsm.2(1).2018.D027


Proposer un commentaire