Nouvelle série, n°1
1er trimestre 2018 |
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Les médias, un allié du terrorisme ?
Lassané Yaméogo, Université Libre de Bruxelles
Résumé
Cet article questionne, à partir d’entretiens qualitatifs et d’une analyse de corpus de presse, les rapports des quotidiens burkinabè au terrorisme. Il révèle que le discours journalistique produit sur le phénomène terroriste s’insère dans une logique de publicisation du terrorisme. Dramatisation, spectacularisation et exposition iconographique de l’horreur sont les traits caractéristiques de ce discours. Le traitement médiatique met également en évidence des postures journalistiques où s’entremêlent journalisme de combat, journalisme patriotique et journalisme de non-violence. Entre passion et émotions, la presse quotidienne privée et publique burkinabè ne se distancie pas des faits qu’elle relaie, mais s’incruste dans la production d’une rhétorique militante mettant en lumière la mobilisation d’un « Nous » collectif et consensuel contre l’ennemi : le terrorisme.
Abstract
This article questions the relation between Burkinabe daily newspapers and terrorism, through qualitative interviews and press corpora analysis. It displays that the journalistic discourse produced on the terrorist phenomenon is part of a logic of publicizing terrorism. Dramatization, spectacularization and iconographic exhibition of horror are the characteristic features of this discourse. Media coverage also highlights journalistic postures that combine combat journalism, patriotic journalism and non-violent journalism. Between passion and emotions, the private and public daily Burkinabe press doesn’t distance itself from the facts it relays, but is immersed in the production of a militant rhetoric highlighting the mobilization of a collective and consensual "We" against the enemy: terrorism.
Terrorisme et médias entretiennent des relations aussi complexes, ambiguës que consubstantielles. Ils entretiennent entre eux un lien organique et fonctionnel (Mannoni et Bonardi, 2003). En effet, affirme Josse (2015, p. 2) « sans média, le terrorisme moderne ne survivrait pas. À l’ère de l’information, dans notre société mondialisée, les médias offrent la caisse de résonance indispensable aux terroristes pour diffuser leur message et répandre la terreur. Sans eux, ces actes n’auraient qu’une portée très limitée. En relayant un attentat, une prise d’otage ou une mise à mort, les médias offrent une emphase et un écho international à ces actions. »
Les groupes terroristes cherchent avant tout à créer la panique, la terreur, la psychose au sein de l’opinion publique. Les médias, dans leur rôle traditionnel d’information du public, couvrent les actes terroristes et se retrouvent parfois dans une posture embarrassante : comment informer sans servir la cause des terroristes ou sans glisser dans l’émotion en servant de relais du discours officiel ? Hacker (1976) souligne que les médias diffusent une culture de la violence qui nourrit le terrorisme. Pour Wolton et Wieviorka (1987, p. 125-126), les médias adoptent trois types de réactions face aux terroristes : la fascination/répulsion, qui peut faire le jeu des terroristes, l’attachement à la vérité en se distanciant aussi bien vis-à-vis des pouvoirs publics que des terroristes et la solidarité démocratique, avec l’idée que l’adversaire principal reste quand même le terrorisme en ce qu’il menace la démocratie et la liberté d’expression.
Partant de ces postulats, nous nous proposons d’interroger la couverture, par les médias burkinabè, des attaques terroristes perpétrées contre Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, le 15 janvier 2016. Les attaques ont été d’une ampleur telle que les médias s’en étaient faits largement l’écho. Elles ont causé la mort de 30 personnes et fait une cinquantaine de blessés. Au-delà d’une probable couverture quantitative de l’évènement se pose la question de sa couverture qualitative, de sa (co)-construction ou des rapports des médias à l’évènement. Quels contenus et quelles représentations les médias burkinabè ont-ils véhiculé sur les attaques terroristes et en quoi ces médias ont-ils marqué une distance dans la relation des faits ? En quoi se sont-ils gardés de verser dans la propagande terroriste et dans le discours émotionnel ? Dans cette situation d’urgence, quelles postures journalistiques ont-ils adopté lors des attaques de Ouagadougou et comment leur statut privé ou public se manifeste-t-il dans le traitement de l’information ? Nous formulons l’hypothèse que les médias ont servi de véhicule de la propagande terroriste en versant, d’une part, dans la spectacularisation, la surenchère, la dramatisation du terrorisme et, d’autre part, dans la pratique d’un journalisme de combat qui tranche avec les principes sacro-saints du journalisme. Il s’agit, dans cette recherche, de montrer comment les rapports entre les médias et le terrorisme s’articulent, s’imbriquent ou se distancient. Délibérément, l‘article n’analyse pas le phénomène terroriste au prisme de la réception, mais celui de la production du discours journalistique.
Contexte et déroulement des faits
Le 15 janvier 2016, une série d’attentats terroristes frappent le Burkina Faso. À Tin-Akoff, dans le Nord du pays, un convoi de gendarmes en mission subit des attaques d’individus non identifiés causant deux blessés et la mort de deux personnes dont un gendarme et un civil. Le même jour, aux environs de 19h30, un commando de trois individus lourdement armés fait irruption dans un café dénommé Capuccino en plein Ouagadougou et assassine froidement des dizaines de personnes avant de se diriger dans un hôtel, le Splendid Hôtel, situé non loin du Capuccino où, là encore, ils tuent plusieurs personnes. Les deux attaques enregistrent un bilan très lourd : 30 morts dont huit burkinabè et 22 expatriés de 18 nationalités ainsi qu’une cinquantaine de blessés.
Les forces de sécurité et de défense se déploient aussitôt sur les lieux et se lancent à la recherche des terroristes. Les fugitifs sont repérés, au petit matin, dans un bar-restaurant appelé Taxi Brousse situé à proximité du Splendid Hôtel. Un assaut est lancé par les forces de sécurité burkinabè appuyés par des soldats français et américains. Dans la foulée, les trois terroristes sont tués. Les attaques sont immédiatement revendiquées par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) qui, dans un communiqué, décline l’identité des terroristes.
Dans cette même nuit du 16 au 17 janvier, un couple de médecins australiens vivant à Djibo au nord du Burkina depuis 1972 est enlevé par des individus non identifiés.
Ces évènements qui plongent le Burkina Faso dans la psychose et le désarroi interviennent dans un contexte sociopolitique particulier : ils se produisent au lendemain d’une insurrection populaire ayant entraîné la chute du régime de Blaise Compaoré, le président au pouvoir depuis 1987 et avec qui des groupes terroristes étaient en collusion. Compaoré avait participé à la libération de plusieurs otages des mains de terroristes. Le chef de l’État, au moment des attaques de janvier 2016, est Roch Marc Christian Kaboré. Il est élu démocratiquement le 29 novembre 2015 au sortir d’une période de Transition perturbée par un coup d’État militaire perpétré par le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), l’ancienne garde (prétorienne) de Blaise Compaoré. Le putsch est immédiatement mis en déroute par une résistance civilo-militaire. Il entraîne la dissolution du RSP qui constitue, par ailleurs, la force spéciale anti-terroriste.
Cadre théorique et méthodologique
L’analyse des représentations du terrorisme par la presse quotidienne burkinabè s’appuie sur la théorie des « cadres » et du « cadrage ». Goffman (1974, p. 21) définit le cadre comme « un schéma d’interprétation permettant aux individus de repérer, percevoir, identifier et nommer des occurrences au sein de l’espace dans lequel ils vivent et dans le monde en général ». Pour Gitlin (1980, p. 6), les cadres sont « des principes de sélection, de mise en exergue et de présentation, composés de petites théories tacites concernant ce qui existe, ce qui se passe et ce qui compte ». L’auteur, dans une recherche empirique sur des manifestations contestataires des années 1960 aux États-Unis, ajoute que « les cadres médiatiques sont des schémas [paterns] durables de connaissance, d’interprétation et de présentation ainsi que de sélection, d’accentuation et d’exclusion par lesquels les producteurs de symboles mettent en forme leur discours, qu’il soit verbal ou visuel » (Gitlin, 1980, p. 6-7). Reese (2003, p. 11) les appréhende comme « des principes d’organisation qui sont socialement partagés, qui perdurent dans le temps et qui fonctionnent symboliquement pour donner du sens et structurer le monde social ».
En journalisme, le cadrage (framing) renvoie au choix d’un angle pour traiter d’un article ou le fait de présenter tel ou tel aspect d’un problème. Dans la perspective goffmanienne, il peut désigner le fonctionnement de ce que Juhem (2001, p. 110) appelle les cadres cognitifs des journalistes qu’il définit comme « les schèmes de perception et de jugement qu’ils mettent en œuvre pour présenter ou pour mettre en forme l’information ou pour la commenter ». Pour Entman (1993, p. 52), le processus de cadrage consiste « à sélectionner quelques aspects d’une réalité perçue et à les rendre plus saillants, de manière à promouvoir une définition spécifique du problème [par-là formulé], une interprétation causale, une qualification morale et/ou une proposition de traitement ».
En recourant à cette théorie, ce travail vise à saisir les cadres retenus par la presse quotidienne burkinabè pour (se) représenter le phénomène terroriste. Il s’agit de voir comment les trois plus anciens journaux, les quotidiens privés L’Observateur Paalga et Le Pays et le quotidien public Sidwaya perçoivent et décrivent le fait terroriste. Chacun des trois journaux édite en moyenne entre 4 000 et 5 000 exemplaires par jour.
L’investigation repose, pour ce faire, sur un double dispositif méthodologique : une analyse de contenu et une analyse d’entretiens semi-directifs réalisés auprès des responsables et des journalistes des médias étudiés. Le recours aux entretiens vise à saisir les conditions et les logiques de production de l’information en contexte d’attaques terroristes. Le corpus de presse comprend tous les éléments traitant de cet évènement inattendu, diffusés dans les journaux étudiés pendant la période du 15 au 31 janvier 2016. Cette période est choisie en raison du fait qu’elle est supposée correspondre à une surabondance de production journalistique sur les attaques du 15 janvier. Elle est aussi choisie pour voir comment, à chaud, le phénomène terroriste est abordé par la presse burkinabè.
L’analyse révèle, d’une part, l’existence de rapports étroits entre médias et terrorisme se traduisant par une forme de connivence implicite et de dramatisation du fait terroriste, et, d’autre part, de postures journalistiques mêlant patriotisme et responsabilité sociale.
Des rapports étroits entre médias et terrorisme
Les attaques terroristes du 15 janvier 2016 ont été l’objet d’une médiation exceptionnelle. Les médias en ont fait leurs choux gras. Les trois quotidiens ont édité, pour la période du 16 au 31 janvier, dix journaux chacun (il n’y a pas de parution les samedis et dimanches). Tous les numéros publiés par les trois quotidiens ont traité de l’événement. Sidwaya, L’Observateur Paalga et Le Pays ont consacré respectivement 39, 49 et 51 articles tous genres confondus aux attaques terroristes. Les trois journaux ont publié au moins 4 articles par parution, s’illustrant dans une surmédiatisation du phénomène terroriste, comme en France où Banzeu (2012, p. 12-13) avait montré jusqu’où les médias français avaient entretenu des rapports étroits avec le terrorisme à travers l’emploi excessif du vocable « AQMI ».
Par cette surproduction, les médias révèlent le lien organique qu’ils entretiennent avec le terrorisme comme le soulignent Mannoni et Bonardi : « Aucun attentat n’est sérieusement envisagé, semble-t-il, sans que les auteurs de cette action ne se soient au préalable demandé ce qu’en feront les organes de presse, puisque son exécution a lieu dans la perspective des échos qu’il va produire dans l’opinion publique, et que là se trouve la principale raison de son existence » (2003, p. 56). Les deux auteurs concluent qu’« on peut […] bien considérer qu’il existe un lien organique entre le terrorisme et les médias en ce sens que l’un est déjà dans l’autre » (Mannoni et Bonardi, 2003, p. 58). Le terrorisme n’existe et ne prospère que parce qu’il est reproduit ou relayé dans et par les médias.
Excepté le dernier numéro de Sidwaya, toutes les parutions des trois quotidiens ont consacré les attaques terroristes à la Une, confirmant la nature de la relation consubstantielle entre médias et terrorisme. Cette relation fusionnelle tient au fait que journalistes et terroristes agissent sur le même terrain : celui de l’opinion publique. Les deux univers jouent sur le registre des émotions. Les terroristes, par leur « philosophie de la bombe » (Laqueur, 1979), créent la peur, la panique et la psychose au sein de l’opinion publique. Les journalistes, à la recherche du scoop et dans leur rôle d’information des citoyens, se trouvent dans l’obligation de rendre compte du fait terroriste et, ce faisant, agissent eux aussi sur l’opinion publique. Le terrorisme qui se mondialise de jour en jour devient dès lors un drame qui ne peut se passer d’être « monté » et « montré » (Mannoni, 1992, p. 127). Si McLuhan préconise la censure totale des actes terroristes par le principe du « black-out », ce postulat semble de toute évidence relever de l’utopie parce que « les attentats allument sans doute la mèche, mais ce sont les médias qui font exploser la bombe » (Mannoni, 2008, p. 18).
La surmédiatisation des attaques de Ouagadougou de janvier 2016 et leur valorisation à la Une montrent qu’on ne peut penser le terrorisme sans les médias. La presse se positionne (involontairement ?) comme un adjuvant du terrorisme en comblant le besoin vital de publicité des terroristes. Laqueur (1979, p. 69) qualifie ce phénomène de réverbération et d’amplification du fait terroriste par les médias d’« effet-écho » en précisant que « le succès d’une opération terroriste dépend presque entièrement de l’importance de la publicité qu’elle obtient » (1979, p. 120). Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis et ceux perpétrés contre Charlie Hebdo et le Bataclan respectivement le 7 janvier et le 13 novembre 2015 en France n’auraient pas créé une onde de choc quasi planétaire s’ils n’avaient pas été simultanément relayés par les médias.
Lors de ces attentats, les télévisions et radios publiques et privées ont vite basculé en éditions spéciales malgré les pertes énormes en recettes que peut occasionner la modification des programmes. Pour avoir viré en édition spéciale pour informer minute après minute les populations des tueries alors en cours au Bataclan, la chaîne de télévision privée française TF1 a perdu « pas moins de 7,3 millions d’euros bruts de chiffre d'affaires, soit 3,3 millions d’euros net » (Lecœuvre, p. 2015b). Elle a, a contrario, été suivie par environ 3,7 millions de téléspectateurs entre 22h50 et 3h00 du matin le vendredi 13 novembre (Lecœuvre, p. 2015a). Le couple médias et terrorisme demeurera ainsi, aussi longtemps qu’il existera, indissociable comme l’entrevoit Augé (2016, p. 216) : « Terrorisme et médias forment un couple produit d’un mariage forcé, ni l’un ni l’autre ne veut de ce "destin commun", mais ni l’un ni l’autre ne peut s’en libérer. »
La propagande terroriste par la dramatisation
Sommier (2000, p. 21) écrit que la violence terroriste est mise en scène dans les canons du genre médiatique et qu’il en découle une sorte d’« esthétique de la violence ». L’auteure soumet l’idée que les médias prennent une part active dans le jeu des terroristes. Ils relaient le fait terroriste en le présentant sous le prisme des émotions. Ils adoptent la posture de ce que Wolton et Wieviorka (1987) appellent « la fascination/répulsion » définie comme étant le fait pour les médias de faire le jeu des terroristes. Dans la presse burkinabè, le terrorisme est reproduit sous un angle qui laisse place à l’inflation, à la surenchère, à la dramatisation. La violence est spectacularisée ou insérée dans des cadres qui répondent aux attentes et objectifs des terroristes. En effet, précisent Mannoni et Bonardi (2003, p. 58), « un attentat se déploie sur la scène sociale selon deux dimensions essentielles : une dimension événementielle, à travers laquelle se décrit le fait terroriste dans les termes de sa réalisation pratique et technique, avec les différents caractères que l’on est en mesure de prêter à cet événement là – désignation des auteurs éventuels, rattachement à un contexte politique particulier, modalités de réalisation, étendue des dégâts, nombre des victimes, réactions des autorités, etc. et une dimension imaginaire/symbolique qui inscrit l’attentat dans un discours médiatique exerçant sur le public une action de type psychologique, notamment sur sa manière d’appréhender l’événement ».
Les mécanismes déployés par les journaux burkinabè pour décrire le terrorisme tendent à exacerber la peur et l’inquiétude au sein de la population. Sidwaya, L’Observateur Paalga et Le Pays ont quelquefois adopté un discours alarmiste et hyperbolique, donnant l’impression qu’ils proclamaient l’aveu d’impuissance de l’État. Sidwaya, dans son éditorial du 18 janvier, qualifie les attaques du Capuccino et de Splendid Hôtel de « guerre déclenchée par AQMI contre le Burkina » (3). Le Pays titre successivement : « La machine de guerre s’est mise en branle » (Le Pays , 22/01/16, p. 7)1 « Le Burkina doit se considérer comme un pays en guerre » (Le Pays , 25/01/16, p. 5) Le même ton est employé par L’Observateur Paalga qui affiche à sa Une du 18 janvier : « Attaques terroristes Tin-Ouaga-Djibo : Conseil de guerre à Kosyam ». Le journal ajoute que « le difficile combat ne fait que commencer » (L’Observateur Paalga, 22/01/16, p. 5). Cette représentation du terrorisme sous le prisme de la guerre donne lieu à une construction cognitive qui fait du terrorisme un monstre implacable et cruel dont le pouvoir de nuisance surpasse les compétentes de l’État. Les médias participent ainsi à la mise en œuvre d’un cadre centré sur le structurel et non le conjoncturel. Le recours simultané à la rhétorique de « guerre » aboutit à une exceptionnalisation du terrorisme, à sa surestimation mais aussi à sa représentation comme une donnée permanente avec laquelle doit désormais vivre le Burkina Faso.
À propos de la focalisation sur un aspect de l’événement par particulièrement la télévision, Bourdieu (1996, p. 18) souligne que « les journalistes ont des "lunettes" particulières à partir desquelles ils voient certaines choses et pas d’autres et voient d’une certaine manière les choses qu’ils voient. Ils opèrent une sélection et une construction de ce qui est sélectionné. Le principe de sélection, c’est la recherche du sensationnel, du spectaculaire. La télévision appelle à la dramatisation, au double sens : elle met en scène, en images, un événement et elle en exagère l’importance, la gravité, et le caractère dramatique tragique. »
Les terroristes massacrent les populations par une guerre physique et les médias les accompagnent par une guerre psychologique. L’horreur est théâtralisée ou présentée sur un ton compassionnel brisant la frontière entre le journaliste et l’Homme émotionné. La mort est mise en scène ou montée en spectacle, mêlant émotions et horreur. Filiu (2015) parle de « terreur médiatique » pour illustrer la voracité des médias pour le fait terroriste. La recherche d’information choc les conduit souvent à servir de véhicule de la propagande terroriste. Les médias deviennent ainsi les complices involontaires des terroristes dont ils font connaître l’existence et les actions.
La propagande terroriste par les images des cadavres
L’Observateur Paalga a successivement publié une photo de Mokhtar Belmokhtar qu’il présente comme « le cerveau présumé des attaques de Ouagadougou » (L’Observateur Paalga, 18/01/16, p. 31), les cadavres des terroristes (L’Observateur Paalga, 20/01/16, p. 4 L’Observateur Paalga, 28/01/16, p. 2) et le cadavre d’une victime (L’Observateur Paalga, 19/01/16, p. 21). Le Pays , citant un communiqué d’AQMI dévoilant l’identité des trois terroristes, affiche, dans sa parution du 19 janvier, les photos de ces derniers. Sans faire le lien entre les terroristes tués à Ouagadougou et les photos circulant dans le communiqué d’AQMI ni donner des précisions sur leur nationalité, le journal rapporte que « les trois terroristes ont pour noms de guerre Al-Battar Al-Ansari, Abu Muhammas ai-Buqali et Ahmad al-Fulani et que l’objectif des attaques était de détruire des endroits où s’organiseraient "la guerre contre l’Islam et la spoliation des richesses de l’Afrique" » (Le Pays , 19/01/16, p. 16). Dans le même numéro et dans celui du 26 janvier, Le Pays a publié les photos de toutes les victimes, donnant l’occasion aux organisations terroristes commanditaires de se faire une idée du physique de ces dernières.
L’horreur est, en outre, reprise à la Une et dans les colonnes des trois quotidiens à travers la monstration des images des destructions matérielles. La description du chao est une récurrence qui structure le discours journalistique. L’ampleur des dégâts contribue, sans aucun doute, au-delà du fait qu’elle attise et nourrit la psychose, à véhiculer l’idée d’un terrorisme militairement plus fort que les forces militaires établies. Les terroristes sont présentés par les trois quotidiens comme des « êtres anormaux », des « fous d’Allah », « des criminels impies qui ne croient ni à Dieu ni au Diable ». On assiste à une mise en lumière d’un cadre qui nie leur religiosité alors même que l’emploi du vocable « djihadistes » pour les désigner revient fréquemment.
La monstration des images des cadavres, des dégâts matériels ainsi que la diffusion des communiqués des terroristes participent à l’apologie du terrorisme. Non seulement elles alimentent et entretiennent la peur, la psychose, le traumatisme, les émotions chez les familles des victimes et la population en général, mais encore elles constituent, au prisme de l’éthique et de la morale, une atteinte à la dignité humaine. Pour des raisons évidentes de sauvegarde du moral du public, il aurait été commode pour L’Observateur Paalga de faire sienne la doctrine états-unienne de guerre « sans victimes ». Lors des attentats du 11 septembre, « le phénomène de la "mort en masse", pourtant bien réel devant l’ampleur des deux événements, n’était pas relevé par les journalistes, qu’ils fussent cadreurs ou simplement photographes » (Arboit, 2003, p. 830). Les États-Unis ne voulaient pas paraître faibles en exposant leurs morts. Ils ont minimisé l’ampleur des frappes malgré les 3 000 morts qu’elles ont causés. Les journaux privés ont tendance, contrairement à cette politique de voilement de l’horreur, à désacraliser la mort bien qu’elle soit atroce et violente et bien qu’elle s’entoure, dans le contexte africain, de rituels ésotériques et sacrificiels. Ils adhèrent (inconsciemment peut-être) à l’idéologie terroriste qui voit en la mort quelque chose de banal, les terroristes eux-mêmes considérant leur propre mort sur le terrain des opérations comme relevant d’une obligation divine ou d’un salut paradisiaque.
Dans tous les cas, la médiatisation ou la monstration des images des cadavres profite plus aux bourreaux qu’aux victimes. Elle s’insère plus dans une démarche de propagande que d’information des citoyens. Dans le cas de l’attentat du 15 janvier, c’est à la fois la mort de l’ennemi et la mort causée par l’ennemi qui sont montrées par L’Observateur Paalga. Ces images desservent plus, a priori, le camp des victimes que celui de l’ennemi dans la mesure où ce dernier s’engage expressément à ne pas sortir vivant de son projet funeste, sa mort étant vue comme un acte héroïque et salutaire. La propagation médiatique des images des victimes est autant profitable aux terroristes que « la stratégie du terrorisme, c’est moins le meurtre que la visibilité du meurtre. Il cherche moins à tuer qu’à tuer abominablement il vise moins à tuer en masse qu’à propager l’effroi. Son but est d’inspirer l’horreur, l’indignation, la répulsion et la terreur dans l’opinion publique en infligeant aux victimes une mort horrible qui remet en question l’ordre social et la morale » (Josse, 2015, p. 1).
En relayant l’effroi, l’horreur et la terreur à travers les images des cadavres et les dégâts matériels, les médias contribuent ainsi à véhiculer la fonction principale de l’acte terroriste : la publicité. Ils deviennent dès lors un adjuvent indirect ou inconscient du terrorisme, car « la mise en scène d’événements sanglants de l’actualité, par une habile médiatisation des images de cadavres, ne saurait être dissociée de la propagande » (Laprevote, cité par Arboit, 2003, p. 839). Les médias entretiennent et nourrissent l’émotion et l’horreur causées par le terrorisme, défini comme la « violence politique frappant des innocents non combattants, et perpétrée avec l’intention de lui donner un impact publicitaire, et d’attirer ainsi l’attention tant du public que des gouvernants » (Nacos, 2005, p. 21).
Contrairement aux quotidiens privés, peu d’information sur l’identité des terroristes a circulé dans les colonnes du quotidien public Sidwaya. Ce journal n’a ni publié les photos des trois présumés terroristes tués, ni présenté leur cadavre. De même, aucune photo des 30 victimes n’a été l’objet de monstration. Cette autocensure, le directeur des rédactions l’explique par le respect pour le journal des valeurs éthiques et déontologiques. « Nous ne pouvons pas faire comme certains journaux qui aiment le sensationnel, qui publient à tout vent les images choquantes », affirmait-il le 15 novembre 2016.
L’utilisation des images des actes terroristes dans la presse privée est à mettre en lien avec la recherche de profit. Elle répondrait à un souci économique. Dans un contexte où les organes de presse sont, pour la plupart, peu viables économiquement2, la vente au numéro, bien que ne constituant pas une source importante de recettes, n’est pas négligeable. Afficher à sa Une la photo de terroristes ou de corps sans vie dans un contexte de psychose généralisée peut rehausser les recettes liées à la vente des numéros, comme explique le rédacteur en chef de L’Observateur Paalga : « Ce sont ces genres d’évènements malheureux qui font vendre les journaux. Étant un journal privé, à ces circonstances, on fera tout pour avoir une Une qui attire, qui frappe le lecteur, qui est vendable » (20/11/16).
Le journaliste qui a couvert les attentats du 15 janvier au journal Le Pays affirme, lui aussi, qu’entre la recherche du gain et les exigences éthiques, le premier l’emporte parfois. « Le journaliste peut vouloir être moins sensationnel dans le traitement des faits, mais le patron peut décider autrement s’il se rend compte qu’une réorientation de la Une peut lui procurer de l’argent » (17/11/16). Sidwaya, en tant que quotidien public, bénéficie presque systématiquement de l’abonnement des structures étatiques et de la manne publicitaire, ce qui le place dans une position relativement plus confortable que les médias privés. Le discours journalistique privé émerge dans un contexte de tension entre ce que Charaudeau (2005, p. 70) a appelé la visée de faire savoir ou la visée d’information qui reste guidée par l’éthique, et la visée de captation qui tend à faire de l’information un objet de consommation marchande selon une logique commerciale.
La rançon d’un terrorisme d’affaires
La presse quotidienne est unanime sur les causes profondes des agressions « djihadistes » du Burkina Faso. Elle présente d’abord le terrorisme sous un angle déterritorialisé ou comme un phénomène transnational touchant l’ensemble de l’espace sahélo-saharien. Elle lie, comme Banzeu, l’émergence du terrorisme à la chute, en 2011, du régime du guide libyen, Mouammar Kadhafi. « L’insurrection libyenne a favorisé le pillage des casernes du régime de Kadhafi par les insurgés et entraîné la circulation d’armes et de munitions au Sahel » (Banzeu, 2012, p. 8). La chute de Kadhafi serait ainsi à l’origine, selon les journaux, de la dérive sécuritaire du Sahel. Elle serait la cause principale de l’expansion de l’islamisme politique violent en Afrique sahélienne.
Le terrorisme est ensuite ramené dans le giron de l’État burkinabè où il est présenté comme une donnée induisant des transactions et des retombées financières importantes. Le Burkina Faso sous Compaoré est vu, par les journaux, comme l’épicentre d’un terrorisme d’affaires. « Le régime déchu, on ne le sait que trop, qui excellait dans la libération d’otages pris dans le septentrion malien avait en effet tissé des liens étroits sur fond de connexions mafieuses avec les seigneurs du salafisme dans le Sahelistan : une sorte d’"accord de non-agression et de défense mutuelle" certes problématique mais qui nous mettait à l’abri de leurs exactions », note L’Observateur Paalga (18/01/16, p. 5). Le Pays écrit que Compaoré avait fait du terrorisme son business [en offrant] gîte et couvert à bien des terroristes dans son pays. De 2008 à 2014, le Burkina Faso a participé, sous la médiation de Compaoré, à la libération d’une dizaine d’otages européens enlevés par Aqmi (Ouattara, 2014, p. 220).
Quand on sait que l’Espagne a dû verser entre 8 et 9 millions d’euros pour obtenir la libération de deux de ses ressortissants, l’Autriche entre 2 et 3,5 millions d’euros pour deux des siens, l’Italie 3 millions d’euros pour plusieurs Italiens, l’Allemagne 5 millions d’euros pour plusieurs Européens (Daniel, 2012), on ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce que gagnait Compaoré dans le business. Goudé (2016) rapporte à ce propos, dans les geôles de la Haye, le témoignage de son voisin de cellule, Mohamed Abu Mustapha, djihadiste affilié à Al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar dont il fut l’homme à tout faire à Ouagadougou : « Blaise Compaoré était notre maître, notre démarcheur. Il gagnait, nous aussi nous gagnions. Il avait l’exclusivité de négocier avec les Occidentaux chaque fois que nous prenions en otage un de leurs ressortissants. Le deal avec lui était que nous acceptions que les fonds exigés soient réceptionnés par lui. Nous avions aussi convenu de ne pas faire de prise d’otage au Burkina Faso [...] Dès que nous prenons un otage, on avertit tout de suite Blaise et il se charge d’informer les autorités du pays dont est originaire l’otage. Quand nous exigeons par exemple 1 000 000 d’euros pour la libération d’un otage, Blaise dira aux autorités concernées que nous demandons 3 000 000 d’euros comme rançon. Une fois l’argent disponible, les autorités burkinabè nous facilitaient le transport pour retourner à notre base au nord Mali. On répartissait la rançon en deux parties. Un tiers nous revenait et Blaise gardait les deux tiers restants. »
Les attaques du 15 janvier sont enfin perçues, par les quotidiens privés, comme une réponse à l’impérialisme français et au néocolonialisme. Elles résultent de la présence « des forces spéciales françaises sur le territoire burkinabè et de leurs opérations anti-terroristes dans l’espace sahélo-saharien » (Le Pays , 18/01/16, p. 5). L’Observateur Paalga renchérit que c’est à la « France que les nacro-djihadistes ont voulu s’en prendre » et que le Burkina Faso n’était qu’une « victime collatérale » dans ce dossier (18/01/16, p. 5). Cette thèse paraît aussi plausible que celle du terrorisme d’affaires, au regard du nombre d’expatriés tués : une vingtaine sur les 30 victimes.
Les journaux privés sont ainsi restés critiques vis-à-vis du régime déchu dont ils accusent d’avoir enfanté le terrorisme. Pendant ce temps, le quotidien public esquive ce débat et tient une rhétorique qui ne se distancie pas du discours officiel. Dans ses éditoriaux, Sidwaya se réfère au discours du président Roch Marc Christian Kaboré pour étayer ses analyses et s’illustre comme un média-messager, mettant en lumière sa proximité avec le gouvernement.
Cette posture n’est cependant pas restée constante : Sidwaya s’émancipe lors des futures attaques au Nord du Burkina dont celle de Nasssoumbou de décembre 2016 où, dans son éditorial du 18 décembre, il s’attaque à l’immobilisme et à la naïveté dont fait preuve le gouvernement dans la riposte et la gestion du phénomène terroriste. C’est à partir de cette attaque qui a causé la mort de 12 militaires que l’on se rendra compte que l’islamisme politique violent dont le Burkina est victime n’est pas seulement le fait de l’extension du conflit malien, lui-même la résultante de la crise libyenne, mais aussi le fait d’un groupe terroriste burkinabè dénommé Ansarul Islam dont le leader s’appelle Malam Ibrahim Dicko.
La posture ambivalente de Sidwaya est caractéristique du flou qui entoure sa ligne éditoriale. Celle-ci n’est pas clairement définie si bien que le journal échappe, par moment, à la culture journalistique communément partagée. Certains éditorialistes ou chroniqueurs parviennent à imposer parfois une vision des évènements qui s’éloigne des grilles de lecture politiquement correctes et des règles de conduite journalistiques tacitement promues (Yaméogo, 2016, p. 300).
Le discours journalistique sur les attaques du 15 janvier tend à montrer un changement de paradigme, tributaire du changement brutal de conjoncture intervenu au sommet de l’État. Le départ de Compaoré semble avoir eu pour conséquences immédiates la métamorphose du monstre. Le terrorisme d’affaires s’est mué en terrorisme d’État. Le terrorisme d’État désigne « tout État, tout pouvoir qui a pu à "l’occasion" organiser en sous-main des actions terroristes pour déstabiliser son adversaire » (Mongin, 1984, p. 145). Les adversaires qui sont les nouvelles autorités élues démocratiquement en novembre 2015 se trouvent avoir été des collaborateurs directs de Compaoré pendant ses 27 années au pouvoir. Ils ont contribué, aux côtés de l’opposition, à sa chute quelques mois seulement après leur démission du parti. Ils étaient devenus depuis lors pour Compaoré, en exil en Côte d’Ivoire, des ennemis jurés si bien que « l’hypothèse d’une action longtemps préparée, de déstabilisation du nouveau régime via des djihadistes du célèbre exilé de la lagune Ebrié [...] n’est pas à écarter » (Le Pays , 18/01/2016, p. 5). Le parti au pouvoir a lui-même, dans un communiqué, accusé le camp Compaoré d’être responsable des attaques du 15 janvier3.
Les postures journalistiques
L’analyse du phénomène terroriste a également permis de mettre en lumière des questions liées à l’éthique et à la déontologie du journalisme en situation d’urgence. La presse quotidienne s’est inscrite dans des formes discursives mettant en évidence, d’une part, son engagement au combat à travers un journalisme patriotique et militant et, d’autre part, sa responsabilité sociale à travers un journalisme de paix. Il émerge également de cette actualité brûlante et urgente un journalisme sous escorte policière et diplomatique.
Un journalisme pacifiste et non violent. « Le Burkina Faso est une exception parmi les pays sahéliens, en raison de sa grande diversité religieuse et de la tolérance qui y règne [...] Il n’a jamais connu de conflit civil ni de tensions liées à l’appartenance religieuse » (Crisis group, 2016). Dans ce pays, « la coexistence de plusieurs religions ne semble pas se traduire par des relations conflictuelles entre fidèles de confessions différentes » (Fancello, 2007, p. 30-31). Au sein d’une même famille vivent, très souvent, des fidèles de confessions religieuses différentes : musulmans, chrétiens, animistes, etc. Mais les attentats du 15 janvier ont failli mettre à mal cette coexistence pacifique ou cette « religiosité tranquille » (Otayek, 1999, p. 35). Ces attaques ont servi de véhicule de propagation à un discours discriminatoire, indexant des individus arborant des signes islamiques spécifiques pour des suspects sérieux. L’on a pu entendre dans des « bars et maquis, ainsi que dans des émissions radiophoniques en direct de Ouagadougou [des propos du genre] : "il faudrait verbaliser tous les barbus qui refuseront de se raser" ou encore "il faudrait décoiffer les femmes voilées" » (Tamboura, 2016, p. 7).
Des incidents de cette nature ont été constatés à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso (L’Observateur Paalga, 22/01/16, p. 6). Des individus ont également soutenu l’idée que les terroristes avaient été aperçus dans la grande mosquée sunnite située à proximité du Spendid Hôtel et du restaurant Cappuccino et qu’ils auraient même prié dans ladite mosquée avant de perpétrer l’attentat (Le Pays , 20/01/16, p. 17). Cette rumeur avait amené les forces de sécurité à perquisitionner la mosquée et à auditionner ses responsables. Ces informations et/ou croyances ont aussi été relayées sur les réseaux sociaux numériques tels que Facebook et Twitter. Le gouvernement lui-même faisait le constat, dans un communiqué, que des citoyens « mus par une colère compréhensible s’en prennent à des personnes porteuses de barbes fournies, enturbannées ou voilées, de peau claire ou noire » et appelle ces « populations courageuses du Burkina Faso au calme et à la retenue » (Le Pays , 19/01/16, p. 6). Ces dérapages et amalgames entretenus par une certaine opinion publique ont pu être contenus, mais les attentats ont permis de mettre en lumière la fragilité de la tolérance religieuse quoique qualifiée de légendaire.
Contrairement à ce discours populaire belliciste et ségrégationniste, tendant à établir une relation causale entre signe religieux, couleur de la peau et terrorisme, le discours journalistique s’est voulu nuancé, tempéré, non xénophobe et non islamophobe. La presse quotidienne a fait montre d’une certaine responsabilité sociale en prenant de la distance vis-à-vis du discours accusateur porté par l’homme de la rue. Elle s’est inscrite dans une posture journalistique qui décrie et dénonce l’amalgame et la stigmatisation. L’Observateur Paalga, Le Pays et Sidwaya ont ainsi appelé les Burkinabè à « se garder de tomber dans la stigmatisation systématique d’un groupe ethnique ou d’une religion » (L’Observateur Paalga, 22/01/16, p. 6), à éviter les « dérapages interreligieux et la xénophobie » (Le Pays , 19/01/16, p. 6) ou à ne pas « tomber dans l’amalgame identitaire, politique ou religieux » (Sidwaya, 22/01/16, p. 3), ou encore à éviter de « propager des idées erronées que tout individu de peau blanche, voilé ou enturbanné est un terroriste » (Sidwaya, 18/01/16, p. 3).
Dans les trois quotidiens, on observe une même tendance à marquer la différence entre islam et islamisme, musulmans et terroristes. En relayant un discours pacifiste qui est également celui prôné par le gouvernement, ils confirment le postulat de Féron (2003, p. 145) selon lequel « le discours des journalistes à propos du terrorisme n’est que le reflet des discours des pouvoirs publics dont ils se font donc l’écho ». Au sujet de certaines préoccupations d’ordre national, comme celle du terrorisme, les frontières entre le politique et le médiatique deviennent perméables. Les deux univers partagent, à ces moments, une communauté de conscience et de destin.
Un journalisme patriotique ou « solidairement démocratique ». Devant les événements gravissimes comme les conflits et les attentats, les médias ne parviennent pas souvent à intérioriser leurs sentiments personnels. Ils les extériorisent, montrant de fort belle manière leur position d’acteurs partie prenante de l’événement. Passion, patriotisme, militantisme sont, dans ce cas de figure, les éléments structurant du discours journalistique. Les médias se solidarisent avec les tenants du pouvoir politique et privilégient une rhétorique moins critique à leur égard, comme l’a montré Dumont (2004, p. 28) dans le cas de la guerre du Golfe et des attentats 11 septembre 2001 aux États-Unis : « La presse écrite comme audiovisuelle n’a pas échappé non plus au mouvement d’adhésion globale à la cause de "son" camp. Dès lors que celui-ci était menacé dans ses valeurs fondatrices et, a fortiori, dans son intégrité physique, les médias abandonnent pour une part plus ou moins importante leurs réflexes de mise à distance qu’ils actionnent jalousement en temps de paix. Ils font corps dans un consensus qui se donne toutes les allures d’une évidence indiscutable. »
Le traitement médiatique du 15 janvier montre effectivement que les médias sortent parfois de la « sphère de controverse légitime » pour entrer dans la « sphère du consensus » propre à ces crises nationales (Hallin, 1986). La nature de l’évènement amène les journalistes à un recadrage de leur rôle, à une redéfinition de leur mission. Au nom d’un patriotisme passionné, ils insèrent l’évènement dans un cadre dépourvu de toute critique et de toute idée de contre-pouvoir. Les médias quittent leur rôle de dérangeurs de la société pour devenir les artisans d’une communauté nationale soudée contre l’ennemi. Le Pays écrit ainsi : « Tous les Burkinabè épris de paix et de démocratie et qui aiment véritablement leur pays doivent se lever, comme un seul homme, pour combattre la vermine djihadiste » (18/01/16, p. 5). Dans son éditorial du 18 janvier, Sidwaya (18/01/16, p. 3) martèle que l’appel du Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, à une "lutte patriotique" doit être entendue de tous, avant d’inviter les Burkinabè à « se montrer plus que jamais unis et soudés ». L’éditorialiste va plus loin en se fondant dans la masse en ces termes : « Burkinabè, sauvons notre pays, ne nous laissons pas déstabiliser. »
Le discours journalistique se mue en un discours de combat, un discours militant. Le journaliste ne marque plus de distance dans ses rapports à l’événement, mais entretient avec lui une certaine complicité mettant en évidence sa fibre patriotique. Le traitement médiatique des attaques du 15 janvier ne s’éloigne pas de la perspective du « journalisme de médiation » (Awad, 2010) et de « l’idéal-critique du journalisme » (Muhlmann, 2004). Ce journalisme, tout en publicisant les situations conflictuelles, cherche à rassembler, à dégager les conditions d’un consensus ou d’un vivre-ensemble. Il allie le commun et le conflit ou sert de cadre de « rassemblement conflictuel de la communauté démocratique » (Muhlmann, 2004, p. 274). Les actes terroristes sont insérés, par les trois quotidiens, dans un cadre qui se veut être un « Nous » collectif et consensuel.
Un journalisme à la remorque des forces de sécurité et des autorités politico-diplomatiques. Les attaques du 15 janvier ont aussi montré combien, en situation d’urgence comme les attentats terroristes, les médias sont à la remorque des forces de sécurité et des autorités politico-diplomatiques. Le travail journalistique a été contrarié, retardé et dérouté par ces deux sources tout au long de l’opération de neutralisation du commando terroriste. Dès l’annonce de la prise d’otages, une cacophonie gagne la communication gouvernementale. Le ministre chargé des Affaires étrangères s’attribue la parole et déclare en soirée sur les ondes de la Radio France Internationale que l’assaut était imminent pour libérer les otages. Il n’était pourtant pas habilité à livrer cette communication. Celle-ci devrait être donnée par le ministre de l’Intérieur ou, à défaut, le ministre porte-parole du gouvernement. Le lendemain 16 janvier, lorsque le ministre de l’Intérieur s’approprie la nouvelle, il est vite contredit par l’Ambassadeur de France à Ouagadougou, Gilles Thibault. Pendant que le gouvernement annonce que les terroristes étaient au nombre de trois, l’Ambassadeur affirme sur RFI qu’ils sont six dont trois toujours en cavale. Aussi, alors que les autorités burkinabè annoncent la présence de femmes parmi les terroristes, Gilles Thibault dément cette information dans un tweet. La vérité, après tout, était que le commando comptait trois terroristes tous de sexe masculin.
Ces contradictions ont eu des retentissements dans le discours médiatique. Devant l’urgence et l’instantanéité que requiert le traitement de l’information dans de pareilles circonstances, les médias n’ont pas eu le temps de recouper les sources, de vérifier leur fiabilité avant de procéder à la publicisation des nouvelles. Le ping-pong politico-diplomatique les a poussés à la déroute et à la désinformation.
De plus, les rapports étroits entre les journalistes et les forces de sécurité n’ont pas été que cordiaux pendant les attaques du 15 janvier, mais tumultueux et troublants. Si les premiers défendent la liberté d’informer et le droit des citoyens à l’information en temps réel, les seconds s’attachent à la confidentialité des données ou au secret de l’enquête, rendant ainsi le travail journalistique difficile, voire impossible. L’audiovisuel, particulièrement la télévision, a été le secteur autour duquel se sont focalisées les attentions du fait du pouvoir d’influence puissant qu’elle semble détenir. En Afrique, l’image fascine et est considérée comme « un facteur évident de vérité » (Ba, 1996, p. 47).
Pendant la prise d’otages, des policiers ont fait irruption dans le studio de la télévision publique burkinabè vers 22 heures et ont exigé l’arrêt du direct sur les attaques. La raison était que la diffusion de certaines informations pendant l’assaut pouvait entraver le plan de neutralisation des terroristes. Cette intrusion militarisée ne s’est pourtant pas étendue aux télévisions privées et étrangères, ce qui confirme le postulat que les médias à capitaux publics demeurent aujourd’hui encore des instruments aux ordres de l’ordre politique établi.
Conclusion
L’analyse des attaques terroristes du 15 janvier 2016 révèle, comme l’ont démontré Wolton et Wieviorka (1987), que médias et terrorisme entretiennent des liens organiques, voire fusionnels. Le phénomène terroriste requiert de la part des médias une très grande attention. Il est l’objet de focalisation et d’exceptionnalisation. Consciemment ou inconsciemment, les médias co-participent à la construction et à la propagation de l’idéologie terroriste.
Le discours journalistique véhiculé sur le terrorisme s’insère dans des cadres mettant en lumière la dramatisation, la spectacularisation et l’exposition iconographique de l’horreur. Le traitement médiatique met également en évidence des postures journalistiques où s’entremêlent journalisme de combat, journalisme patriotique et journalisme de non-violence. Les quotidiens burkinabè, qu’ils soient privés ou publics, n’ont pas marqué de distance vis-à-vis des faits qu’ils relayaient, mais sont par moment devenus des acteurs partie prenante de l’événement. Entre passion et émotions, ils ont mis en veilleuse la critique radicale au profit d’un journalisme de médiation centré sur la mobilisation d’un « Nous » collectif et consensuel contre un ennemi commun : le terrorisme.
Lassané Yaméogo est chercheur associé au Centre de Recherche en Information et Communication (ReSIC) de l’Université Libre de Bruxelles et enseignant à l’Université Aube Nouvelle de Ouagadougou.
Notes
1Le journal cite, dans cet article, des propos du ministre chargé de l’intérieur, Simon Compaoré.
241,66 % des titres de presse, toutes périodicités confondues, ont cessé de paraître entre 1998 et octobre 2017 (Yaméogo, Place et image des femmes dans les médias burkinabè, à paraître).
3Voir la déclaration dans http://www.rtb.bf/2016/01/declaration-du-mpp-sur-lattaque-terroriste-du-15-janvier-2015/.
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DOI:10.31188/CaJsm.2(1).2018.R007