Accueil
Sommaire
Édition courante
Autres éditions
Projet éditorial
Partenaires
Éditions et formats
Contacts
Première série
depuis 1996
Seconde série
depuis 2018
Comité éditorial
Comité de lecture
Dossiers thématiques
Appel permanent
Conditions
Proposer...
Un article de recherche
Un point de vue
Une réponse
Une recension
Un dossier
Normes et instructions
Commander
Reproduire
Traduire
Comment ne pas
citer les Cahiers

Parutions et AAC
Nouvelle série, n°10

2nd semestre 2023

RECHERCHES

TÉLÉCHARGER
LA SECTION

SOMMAIRE

TÉLÉCHARGER
CET ARTICLE






NOTE DE LECTURE

Florence Le Cam et Fábio H. Pereira
Un journalisme en ligne mondialisé : socio-histoire comparative

Myriam Labbé, Université Laval

L

e livre pèse lourd avec ses 263 pages densément remplies et ficelées serrées. Le journalisme en ligne mondialisé de Le Cam et Pereira n’est pas à recommander comme lecture de chevet, de salle de bain ou de vacances, à moins de craindre de s’ennuyer de la recherche académique. Derrière sa question pertinente et bien analysée, c’est presque le sujet caché du livre : les réflexions qui occupent les auteurs de recherches sociologiques et ethnographiques. Ces réflexions et les conclusions que les auteurs présentent, bien que ciblées sur les journalistes en ligne, sont pertinentes pour plusieurs autres sphères du journalisme contemporain qui est de plus en plus « en ligne » et « mondialisé ». Si les biologistes se surprennent encore – parfois – à lire L’origine des espèces, peut-être, dans quelques décennies, les historiens des médias se trouveront à lire Un journalisme en ligne mondialisé.

Dans ce livre, Le Cam et Pereira se penchent sur le processus de construction d’une identité commune chez les journalistes en ligne de part et d’autre de l’Atlantique. S’étant intéressés indépendamment à l’identité journalistique dans leurs pays respectifs (Belgique, France, Québec et Brésil), les auteurs arrivent à une conclusion – simplifiée – que l’origine et le lieu d’emploi n’ont que peu d’impact sur l’identité que ces professionnels forment pour eux-mêmes et leurs collègues. En fait, les auteurs relèvent de similitudes généralisées entre les descriptions identitaires des journalistes en ligne de ces pays. Cette première conclusion les mène alors à explorer les sources possibles de ces définitions étonnamment semblables.

L’ouvrage se lit comme une rétrospective d’une vingtaine d’années de recherches sur l’identité journalistique plutôt qu’une dissertation ou un rapport de recherche. Les auteurs expliquent en détail non seulement leur(s) démarche(s) de recherche, mais aussi comment les questions qui les animaient ont évolué avec le temps. On n’a donc pas entre les mains le résultat d’une recherche sociologique sur l’identité des journalistes en ligne, mais plutôt un aperçu des réflexions des auteurs depuis le début des années 2000 sur le sujet, presque un journal de bord.

La principale force du livre tient dans ses auteurs qui sont certainement parmi les chercheurs les mieux placés pour discuter d’identité journalistique. Florence Le Cam, tout particulièrement, s’intéresse depuis des années aux enjeux qui affectent les journalistes au quotidien. Maintenant professeure et titulaire de la Chaire en journalisme à l’Université libre de Bruxelles, elle a composé sa thèse de doctorat autour de l’identité des journalistes du Québec alors que la nécessité de s’implanter sur le web grandissait. Certaines données présentées dans cet ouvrage et utilisées dans les réflexions des auteurs proviennent directement de sa thèse. De son côté, Fábio H. Pereira s’est aussi intéressé aux valeurs et à la déontologie journalistique, mais ses publications sont plutôt orientées sur l’adaptation à la crise médiatique et à l’innovation. Il est actuellement professeur à l’Université Laval où il détient une chaire en journalisme scientifique.

Les auteurs sont tous les deux coéditeurs du journal Sur le journalisme et membres du laboratoire Arènes de l’Université de Rennes (anciennement, le Centre de recherches sur l’action politique en Europe), un centre de recherche qui s’intéresse notamment aux méthodes utilisées dans les études de sciences sociales. En somme, l’ouvrage analysé ici apparaît comme l’œuvre inévitable de deux chercheurs passionnés par des questions d’identité et d’adaptation professionnelles, de changements socio-politiques et de méthodologie (voire, ici, d’épistémologie).

L’ouvrage est divisé en deux questions de recherche asynchrones, l’une cherchant des explications à l’autre. Les auteurs le répètent plusieurs fois : la résolution de l’hypothèse initiale – découlant elle-même de leurs recherches individuelles préalables – a donné lieu à une foule d’autres questions qu’ils ont décidé de limiter à pourquoi ?

La première partie s’intéresse donc à la confirmation d’une observation commune : les journalistes en ligne semblent avoir des valeurs et des visions identitaires très similaires dans plusieurs pays et qui les distinguent d’autres professionnels de l’information, notamment les journalistes se disant traditionnels. Cette section est basée sur des entretiens et questionnaires standardisés avec des journalistes par phases temporelles, soit, dans les années 2001-2003, 2011-2015, puis 2017-2019. Dans un premier temps, les auteurs observent qu’entre journalistes brésiliens et français, « les références à une idéologie professionnelle, qu’elles soient directes ou sous-entendues, influencent considérablement les narrations biographiques » de leurs sujets (p. 100). Dans un deuxième temps, ils se sont intéressés à l’identité de ces journalistes par rapport à d’autres segments des milieux médiatiques et à d’autres professions. Les auteurs notent alors que les similitudes dans la perception d’eux-mêmes des journalistes en ligne est d’une similarité frappante :

Prises dans leur ensemble, les données révèlent un ensemble considérable de traits identitaires communs des journalistes en ligne des deux pays, qui vont des modalités de justification de leurs pratiques à des manières semblables de gérer les relations avec les pairs, les sources, les publics et les autres acteurs qui participent à la production d’information en ligne (p. 142).

La deuxième partie de la recherche s’est penchée sur les phénomènes qui sculptent l’identité des journalistes. Particulièrement, ce sont les discours sur l’innovation qui ont attiré l’attention des auteurs puisque ces discours circulent en boucle entre les pays, fréquemment recyclés et paraphrasés. D’abord, et principalement, les instances internationales encouragent les échanges entre journalistes et encadrent souvent la formation des professionnels médiatiques, se créant un très large bassin de dissémination pour leurs discours. Ces discours promeuvent la convergence médiatique et la production multiplateforme. Outre l’efficacité de la dissémination des messages, les auteurs se sont aussi intéressés à la permanence de certains de ces discours dans la mentalité des journalistes. Ce qui ressort de cette dernière analyse – réalisée bien après les premières, mais dont la résonance est indéniable – est que « la stabilité de certaines pratiques permet aux journalistes de développer des stratégies plus ou moins conservatrices pour l’appropriation des innovations et, surtout, de faire face au sentiment d’incertitude qui marque l’histoire récente du journalisme en ligne » (p. 229).

Les résultats présentés par les auteurs sont certes pertinents, mais un peu prévisibles. Une partie des données appuyant leurs réflexions datant déjà d’une dizaine d’années, leurs conclusions reflètent de façon articulée ce que plusieurs professionnels savent maintenant intrinsèquement. Certaines des réalités présentées dans ce livre sont maintenant tellement courantes dans la profession qu’elles sont annoncées dans la formation même des futurs journalistes. En cela, l’ouvrage est particulièrement pertinent pour les journalistes en début de carrière, puisqu’il nomme des sentiments qui sont sous-entendus un peu partout dans la profession journalistique.

L’autre intérêt principal de l’ouvrage est d’avoir établi une méthodologie d’analyse comparative à partir de questionnaires standardisés, d’un nombre intéressant de sources et d’une approche de recherche inspirée de la rapid ethnography. Selon leurs mots, les auteurs ont « cherché à dépasser la simple description des similitudes et des différences dans les différents contextes nationaux [et] à mettre en évidence la dimension qualitative [des] résultats, en décrivant avec précision les différents cas de négociation des identités et des pratiques » (p. 228).

L’ouvrage relate les démarches d’une recherche de longue haleine, extensive et mouvante, portée solidement par les auteurs. Si l’on n’y retrouve pas tout à fait la rigueur et le ton d’une recherche sociologique, on y trouve certainement une curiosité contagieuse et même une introspection pour ceux dont le métier les rapproche des médias. On ne peut que respecter la passion qui a animé les auteurs dans leur recherche et l’exercice de communication qu’a dû être la rédaction de ce livre.

Si l’information manque un peu d’organisation pour pouvoir servir de référence, elle y est enrichie grâce à un style plus narratif. Heureusement, les sept conclusions et sous-conclusions parviennent à synthétiser et à préciser les réflexions des auteurs de façon accessible. Le lecteur intéressé par la méthodologie et l’épistémologie de ces recherches sera probablement satisfait en se limitant à l’introduction du livre qui détaille de façon explicite les méthodologies relatées dans les chapitres subséquents.

Bref, dans le livre Un journalisme en ligne mondialisé, Le Cam et Pereira parviennent à démontrer une forte convergence des valeurs et des discours professionnels entre des pays assez distincts d’un point de vue socio-politique. Ils esquissent un portrait évocateur des sources de ces similarités, notamment dans les discours promouvant la mondialisation du journalisme. Plusieurs des éléments soulevés ici comme formateurs ou perturbateurs d’une identité journalistique ne s’appliquent d’ailleurs pas qu’au journalisme en ligne, mais pourraient facilement s’étendre à la profession entière depuis les dix dernières années. 

Florence Le Cam et Fábio H. Pereira (2022). Un journalisme en ligne mondialisé : socio-histoire comparative. Presses universitaires de Rennes, 263 p.

Myriam Labbé, journaliste au Quebec Chronicle-Telegraph, vient
d’achever un doctorat à l’Université Laval.




Référence de publication (ISO 690) : MYRIAM, Labbé. Florence Le Cam et Fábio H. Pereira – Un journalisme en ligne mondialisé : socio-histoire comparative. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2023, vol. 2, n°10, p. R159-R161.
DOI:10.31188/CaJsm.2(10).2023.R159


Proposer un commentaire