Nouvelle série, n°11
2nd semestre 2024 |
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Du régional au national : saisir la diversité des médiatisations de l’éolien en mer
Catherine Quiroga Cortés, Université Toulouse III Paul Sabatier
Jules Dilé-Toustou, Université Toulouse III Paul Sabatier
Résumé
Cet article propose d’étudier la diversité des médiatisations portant sur la transition énergétique et plus précisément sur les problématiques liées au déploiement de l’éolien en mer en France, source d’énergie convoitée et controversée. À travers une démarche méthodologique hybride qui combine des analyses textométriques d’articles journalistiques et des entretiens semi-directifs menés auprès de journalistes, cette étude dresse une analyse comparative des cadrages médiatiques opérés par deux catégories de médias : les médias indépendants à la couverture nationale (MIN) et la presse quotidienne régionale (PQR). Les cadres médiatiques sont étudiées à la lumière de deux variables : l’identité journalistique revendiquée et l’échelle territoriale de couverture du média. L’étude met en lumière l’important degré d’incidence des deux variables dans la construction des cadres portant sur l’éolien en mer. Or, elle souligne le besoin de mobiliser d’autres variables notamment liées à la structure organisationnelle des rédactions, aux routines journalistiques en place ou encore au modèle de revenus pour une compréhension plus approfondie des opérations de cadrage médiatique de problématiques environnementales.
Abstract
This paper addresses the diversity of media coverage relating to the energy transition and more precisely to the issues linked to the deployment of offshore wind power in France, a coveted and controversial energy source. Through a hybrid methodological approach which combines textometric analyzes of journalistic articles and semi-structured interviews conducted with journalists, this study draws up a comparative analysis of the media framing operated by two categories of media: independent media with national coverage (MIN) and the regional daily press (PQR). Media frames are studied in the light of two variables: the claimed journalistic identity and the territorial scale of media coverage. The study highlights the significant degree of impact of the two variables in the construction of frameworks relating to offshore wind power. However, it underlines the need to mobilize other variables, particularly linked to the organizational structure of editorial offices, to the journalistic routines in place or even to the revenue model for a deeper understanding of media framing in the context of environmental challenges.
DOI : 10.31188/CaJsm.2(11).2024.R133
A
lors que les rapports produits par les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne cessent de pointer l’urgence d’agir face au réchauffement climatique, la question de la transition énergétique devient centrale sur la scène politique nationale française et internationale. En France, le débat public autour de la décarbonisation de la production énergétique se penche dernièrement sur les énergies marines renouvelables (EMR), et plus particulièrement sur l’éolien en mer.
Bien que le déploiement des parcs éoliens marins réponde à une stratégie politique d’ampleur nationale, les impacts sont d’abord ressentis à l’échelle locale. En effet, leur installation passe par un aménagement territorial qui est souvent source de débats ou objet de contestations, notamment dans les territoires directement concernés. Des controverses émergent, dont les spécificités sont intimement liées à chaque contexte territorial. À la fois objet d’une politique nationale et acteur territorial, l’éolien en mer se meut donc entre deux échelles territoriales : nationale et régionale.
En parallèle de cette montée en puissance du développement des EMR dans le discours politique, on constate que l’éolien marin est désormais l’objet d’un nombre croissant de médiatisations (Lafon, 2019) au sein de l’espace médiatique français. En effet, la production éditoriale traitant de cet objet a connu une forte augmentation d’une année à l’autre sur la période comprise entre mai 2020 et mai 2022 dans la presse écrite et web. Il semble alors pertinent de comprendre comment une source d’énergie renouvelable, à la fois convoitée et controversée, est traitée dans le discours médiatique. Nous proposons d’interroger ce traitement à travers l’étude des cadres médiatiques (Entman, 1993) dont nous souhaitons saisir la diversité.
Nous postulons que les différences entre cadres peuvent être corrélées à deux variables. D’abord, l’échelle territoriale, nationale ou régionale, au sein de laquelle évolue le média qui en est à la source. Ensuite, l’identité journalistique définie ici comme l’ensemble des valeurs et idéaux servant à la légitimation et définition du rôle professionnel que les journalistes revendiquent (Mellado, 2015), celle-ci étant variable d’un journaliste à l’autre et pouvant agir sur la conception du cadre médiatique (Shoemaker and Reese, 1996).
Dans cet article nous tenterons de répondre à la problématique suivante : dans quelle mesure l’échelle territoriale de couverture et les identités journalistiques revendiquées par les professionnels du journalisme peuvent influencer les cadres médiatiques qu’ils produisent dans le traitement de sujets liés à la transition énergétique ?
Afin d’opérationnaliser la variable échelle territoriale, nous nous focaliserons sur deux catégories de médias : les médias indépendants nationaux (MIN) et la presse quotidienne régionale (PQR). Notre échantillon se compose de quatre MIN et trois titres de PQR. Nous ferons ensuite apparaître les cadres médiatiques produits par les différents médias de notre échantillon à travers une analyse textométrique des contenus éditoriaux publiés sur leurs sites web entre janvier 2021 et mars 2022. Enfin, nous étudierons la variable identité journalistique à travers l’analyse du métadiscours produit par des professionnels du journalisme ayant participé au traitement de l’éolien en mer.
Identité journalistique et cadres médiatiques
Appréhender les médiatisations à travers la notion de cadre médiatique
Nous considérons que les médiatisations du déploiement de l’éolien en mer sont produites par le biais d’opérations de cadrage des faits et des événements qui se produisent autour des différents parcs éoliens marins en cours de déploiement ou en prospection. Cette opération de cadrage médiatique peut être assimilée à un processus de sélection et de mise en exergue de certains éléments des événements traités (Entman, 1993). Dès lors, ces éléments rendus saillants ne constituent qu’une partie de la réalité, telle une vision spécifique déployée par un média, ou un recadrage (Esquenazi, 2002) d’une expérience initialement cadrée par les acteurs des événements eux-mêmes. Ces recadrages peuvent être épisodiques, s’ils relèvent davantage d’un traitement concret d’évènements spécifiques, voire de micro-événements, ou thématiques, s’ils développent d’une vision englobant les aspects plus généraux de ces mêmes faits, notamment politiques (Iyengar, 1991). Enfin, les cadres médiatiques sont tributaires des normes et routines professionnelles qui se déploient dans les rédactions (Neveu, 1999). Ainsi, des choix portant sur le rubriquage ou le genre journalistique d’un article contribuent à la construction du cadre médiatique (Pailliart, 2019).
Saisir l’incidence des identités journalistiques sur la variabilité des cadres médiatiques
La notion d’identité journalistique est intimement liée à celles des frontières du journalisme. Ces dernières sont établies par le biais de pratiques et normes professionnelles (Singer, 2015) telles que le croisement des sources, ou encore la vérification de l’information. Les frontières apparaissent ainsi comme des marqueurs d’identité (Tandoc Jr. et Jenkins, 2018). Elles peuvent être considérées comme des lieux de dispute (Schapals, Maares et al., 2019) autour de ce qui constitue le journalisme en tant que profession. À l’image de ces frontières mouvantes, car sans cesse contestées par des « nouveaux venus » qui souhaitent faire partie du groupe (Le Cam, 2005), l’identité journalistique serait en constante reconstruction (Ringoot et Ruellan, 2007). Ainsi, revendiquer une identité journalistique revient d’abord à affirmer son appartenance au groupe professionnel journalistique.
Pourtant, l’enjeu n’est pas seulement de définir qui fait du journalisme, mais surtout qui est légitime d’être reconnu comme le pratiquant (Carlson, 2016). La question de la légitimité soulève à son tour celle de la hiérarchisation du journalisme, réalisée en fonction des valeurs défendues par chaque acteur (Eldridge, 2016). Constituée sur la base de valeurs et idéaux que les journalistes mobilisent pour définir leur rôle professionnel (Mellado, 2015), l’identité journalistique est aussi plurielle.
Dès lors, l’articulation entre les notions de cadre médiatique et d’identité journalistique apparaît clairement : si les cadres sont teintés par la subjectivité du producteur, les valeurs et idéaux défendus par les journalistes ont une incidence sur l’opération de cadrage qu’ils réalisent (Shoemaker et Reese, 1996).
Il devient ainsi tout à fait pertinent d’interroger les variabilités qui peuvent exister entre les cadres médiatiques de l’éolien en mer en France au regard des identités journalistiques revendiquées par des journalistes évoluant au sein d’entreprises médiatiques distinctes, notamment par l’échelle territoriale de leur couverture.
Une démarche méthodologique hybride : comparaison des discours médiatisés et des discours réflexifs produits par des journalistes
PQR et MIN : mise en regard de deux catégories de médias
Notre démarche méthodologique est hybride. Sa première composante est une approche comparative. Ici, la comparaison est à comprendre telle que Vigour (2005) l’envisage, à savoir « la mise en regard systématique, la confrontation d’au moins deux cas sous un angle particulier » (p. 10). Dans cette étude, l’angle choisi est celui d’articulation entre médiatisation, que nous étudions par le biais des cadres médiatiques, échelles territoriales et identités journalistiques.
Nous avons choisi d’étudier sept cas, répartis en deux catégories : nationale et régionale. La première catégorie est composée de ce que nous appellerons médias indépendants nationaux (MIN). D’abord assimilables à des webzines (Marty, 2010), ces médias s’appuient entièrement sur le numérique et proposent « un projet éditorial alternatif et indépendant, se voulant l’héritage d’un journalisme d’opinion en déshérence, revendiquant une liberté d’idées et de ton et encourageant la participation active du plus grand nombre possible de lecteurs » (Marty, 2010 : 146).
Les MIN sont aussi assimilables à des « peripheral actors » (Schapals, Maares et al., 2019), des nouveaux médias supportés par le web qui revendiquent un grand degré d’indépendance vis-à-vis de la presse traditionnelle. Or, nombreux sont les journalistes évoluant au sein de médias de type MIN dont le parcours professionnel a débuté au sein d’entreprises de presse dites traditionnelles. La nouveauté de ces médias résiderait, mis à part leur indépendance et leur nativité numérique, dans le transfert d’un savoir-faire issu des formes plus traditionnelles.
Les MIN se caractériseraient donc par un modèle de financement autonome et une ligne éditoriale favorisant le traitement de thématiques sociales et environnementales. Ils auraient également tendance à proposer un type de journalisme dit « d’investigation » et à se définir eux-mêmes en tant que médias alternatifs. Ainsi, ils exprimeraient une volonté de proposer un « autre type d’information » que les médias traditionnels. En suivant cette définition, nous postulons que l’identité professionnelle revendiquée par les journalistes qui évoluent au sein des MIN est corrélée à celle de leur organisation médiatique. Nous avons étudié quatre MIN qui incarnent la diversité de l’offre disponible : Mediapart, Basta !, Reporterre et La Relève et La Peste.
La catégorie régionale se compose de trois titres de presse quotidienne régionale (PQR) : Presse Océan, Ouest France et Le Télégramme. Les titres ont été choisis en fonction de leur territoire de diffusion : ensemble ils couvrent une grande partie du littoral Nord et Ouest de la France métropolitaine, et donc la majorité des zones désignées ou prospectées pour l’installation de parcs éoliens en mer. De plus, il s’agit des trois titres les plus largement diffusés dans ce territoire.
Deux caractéristiques principales singularisent cette catégorie. D’une part, la périodicité quotidienne, qui se traduit sur le web par un flux d’information constant. D’autre part, la PQR est profondément attachée au territoire qu’elle couvre, elle y retrouve ses sources, entretient des rapports de longue date avec les institutions administratives territoriales ou encore participe à la dynamique économique territoriale (Nielsen, 2015). La proximité, basée sur un important maillage territorial assuré par des correspondants et des rédactions locales, donnerait aux titres de PQR une connaissance profonde de celui-ci et des acteurs qui le composent (Hess et Waller, 2016). Au-delà d’informer la population, le média de proximité permet aux lecteurs de vivre une expérience partagée et d’entretenir un sentiment d’appartenance à la communauté (Gerbaud, 1996). Bien que les modèles économiques des titres de PQR diffèrent dans les détails, des caractéristiques transversales existent : ces titres comptent principalement sur les ventes des journaux imprimés, la vente d’espaces publicitaires (aussi en ligne), la diversification d’activités (événementiel, emploi, etc.), l’information-service et les subventions d’État (Amiel et Bousquet, 2022).
Identification des cadrages médiatiques par la méthode textométrique : analyse des discours médiatisés
Nous menons ensuite une analyse textométrique des productions médiatiques de notre échantillon via le logiciel IRaMuTeQ (Ratinaud, 2014).
Plus précisément nous réalisons des classifications hiérarchiques descendantes (CHD) de type Reinert (Reinert, 1983). Les textes sont d’abord soumis à des opérations de lemmatisation (les verbes conjugués ont été ramenés à l’infinitif, les noms ont été mis sous les formes masculin et singulier) et de suppression de la ponctuation. Ensuite, les textes sont découpés en segments, chacun composé par défaut d’une quarantaine de « formes » ou mots. Ces segments de texte, ainsi que les formes pleines ou actives (noms, adjectifs, verbes et adverbes) qu’ils contiennent, servent d’unité d’analyse. Les segments sont en effet regroupés dans des « classes lexicales » ou « classes thématiques » en fonction de la proximité du lexique qu’ils contiennent. Autrement dit, le logiciel regroupe les segments qui ont tendance à contenir les mêmes mots. La classification résultant de la CHD est présentée sous la forme d’un dendrogramme qui nous livre trois informations. La première se situe au niveau des branches du dendrogramme : celles-ci renvoient à la proximité ou l’éloignement entre deux classes lexicales. La deuxième apparaît sous forme de pourcentage qui renvoie à la part de segments du corpus contenus dans chaque classe. Enfin, la troisième information nous est donnée par les formes ou les mots qui sont listés par ordre de fréquence décroissante dans chaque classe. Cette liste rend compte des formes significativement surreprésentées dans chaque classe par rapport aux autres.
Ainsi, la CHD permet de dégager les principales thématiques abordées dans chaque corpus. Emmanuel Marty considère en effet cette approche lexicométrique « particulièrement adaptée à l’identification des cadres médiatiques dans le langage, par le repérage et le regroupement d’éléments dont les liens revêtent une fonction sémantique » (Marty, 2015 : 42). Enfin, afin d’interpréter ces classes lexicales et d’en dégager les cadres ou les narratives de l’actualité, un travail de remise en contexte des différents segments classés est nécessaire.
Dans un deuxième temps, nous réalisons des analyses de type Chi2 qui nous permettent d’établir statistiquement la représentativité d’une variable, ici la variable source a été mobilisée (correspondant au titre du média) dans les classes thématiques. Autrement dit, nous pouvons ainsi établir un lien entre les médias de notre corpus et les classes thématiques résultant de l’analyse CHD : le média avec la plus forte représentativité dans une classe lexicale pourra être considéré comme celui portant principalement la thématique en question.
Cette approche nécessite dans un premier temps de constituer un corpus de textes analysables et comparables. Pour ce faire, nous avons commencé par définir un intervalle de temps, travaillant sur des publications parues entre le 1er janvier 2021 et le 30 mars 2022, période comprenant l’installation du premier parc éolien en mer français (Saint-Nazaire) et le lancement des travaux du deuxième (baie de Saint-Brieuc). Nous avons ensuite récupéré des articles issus des titres de PQR sélectionnés via la base de données Europresse en utilisant les mots clés éolien, éolien offshore, éolien marin, éolien flottant, éoliennes. Enfin, nous avons constitué un deuxième corpus à partir des articles issus des MIN définis. Nous les avons téléchargés manuellement depuis leurs sites web, à l’aide des mots clés précités. Au total, notre corpus PQR se compose de 617 articles, et celui issu des MIN de 49 articles. La différence du nombre d’articles entre les deux types de presse n’impacte pas la pertinence des analyses étant donné qu’elles mesurent la représentativité des occurrences lexicales dans chaque corpus, une opération qui ne dépend pas de la quantité de textes analysés.
Analyse qualitative des discours réflexifs des journalistes
Enfin, la conduite d’entretiens semi-directifs constitue le troisième volet de notre démarche méthodologique. L’objectif de ces entretiens était d’identifier les identités revendiquées par les journalistes de chaque média de l’échantillon ayant participé au traitement de l’éolien en mer. Et ce, en faisant émerger le métadiscours porté par des journalistes (3 MIN et 1 PQR) et des chefs de rédaction (2 PQR) autour de leurs pratiques professionnelles, leurs idéaux journalistiques et la légitimité de leur position au sein du champ journalistique. Les entretiens ont été menés au cours de l’été 2021 et du printemps 2022. Ils ont ensuite été retranscrits avant d’être analysés qualitativement par le biais d’un codage thématique.
Écologie, économie et société : objets centraux de la production éditoriale des MIN
Le choix du cadrage thématique : l’éolien offshore, une question globale de société
Après une première opération CHD appliquée au corpus MIN, nous obtenons un total de 7 classes, divisées en 2 catégories (Figure 1). Un premier groupe composé de 4 classes est visible à gauche de l’image et un deuxième composé de 3 classes est situé à droite.
Figure 1. Dendrogramme, résultat de la CHD, corpus MIN (IRaMuTeQ).
Chaque classe renvoie à une thématique
La première catégorie regroupe les classes qui se composent des formes lexicales relevant de l’énergie, dont l’énergie nucléaire (classe 2), les énergies fossiles (classe 6), de l’énergie dite renouvelable (classe 4) et d’aspects institutionnels et environnementaux (classe 3).
La classe 2 incarne la critique de l’énergie nucléaire, la remise en question de la dépendance à l’électricité et avance notamment le scénario alternatif présenté par l’association négaWatt, tandis que la classe 6 ouvre une critique des énergies fossiles et de la gouvernance de l’entreprise Total dans ce domaine. La classe 4 incarne le traitement de projets éoliens citoyens, notamment en tant qu’alternative aux projets éoliens industriels. La classe 3 soulève des questions environnementales et de gouvernance.
La deuxième catégorie regroupe, quant à elle, des formes lexicales relatives à la lutte anti-éolienne (classe 7), à la contestation du parc éolien en cours d’installation en baie de Saint-Brieuc (classe 1) et aux impacts environnementaux des projets éoliens sur la biodiversité (classe 5). Enfin, la classe 7 fait ressortir les actions juridiques intentées contre le projet de Saint-Brieuc, tandis que la classe 1 illustre un traitement des thématiques écologiques (« baie », « forage », « pollution ») et socio-économiques (« pêcheurs », « travail »). On retrouve à nouveau une tendance environnementaliste en classe 5, qui concerne la défense de la biodiversité, mettant l’accent sur les diverses espèces potentiellement victimes des projets d’éoliens marins (« oiseaux », « dauphins », « [saint-] jacques », « mammifères marins »).
Nous remarquons que le cadrage opéré par les MIN semble correspondre à un traitement thématique (Iyengar, 1991) qui met en avant des arguments d’ampleur nationale, telles que les problématiques liées au mix énergétique, à la biodiversité ou à la protection du littoral. Lorsque les MIN s’intéressent à un cas local particulier, c’est pour illustrer ou bien faire émerger une thématique générale. Les cadrages effectués s’ancrent de manière générale dans une double optique politique et environnementaliste. Les thèmes abordés sont à la fois consacrés à des modes de gouvernance institutionnels, tant locaux que nationaux (« citoyen », « collectivité », « région », « loi », « député », « convention », « territoire ») et à des aspects environnementaux (« biodiversité », « littoral », « énergies fossiles »).
Différents cadrages selon les titres de presse
Figure 2. Répartition des médias MIN en tant que variables illustratives
dans les différentes classes (IRaMuTeQ)
La surreprésentation de chaque média dans certaines classes révèle une appropriation spécifique de certaines thématiques. Mediapart est, par exemple, surreprésenté dans la classe 7 portant principalement sur la contestation menée contre le parc éolien en baie de Saint-Brieuc. La Relève et La Peste (« La » sur la Figure 2) l’est à son tour sur la classe 1 et dans une moindre mesure sur la classe 5, des classes relevant de la contestation en baie de Saint-Brieuc et des arguments environnementaux avancés par les opposants. Basta ! est largement surreprésenté dans la classe 4 composée de formes lexicales qui concernent les projets d’éoliens promus par les citoyens. Reporterre est, de son côté, surreprésenté dans les classes 2 et 6 au sein desquelles se dégagent les thématiques relatives au mix énergétique et aux critiques de l’énergie nucléaire ou des énergies fossiles.
Les MIN, ou le renouveau du journalisme d’investigation
Les entretiens menés auprès de trois journalistes issus de différentes rédactions révèlent la revendication de valeurs similaires. Mais des variations existent, notamment dans les pratiques à travers lesquelles s’expriment leurs visions d’un journalisme proche de l’idéal du chien de garde, ou watchdog (Shoemaker et Riccio, 2016).
L’indépendance est la caractéristique identitaire revendiquée par l’ensemble de notre échantillon. Pour deux interlocuteurs (E2 et E3), l’indépendance passe par l’affranchissement de financeurs auxquels il faudrait rendre compte, voire du milieu financier dans sa globalité. Elle est synonyme de « liberté de couverture » (E2) et permet aux journalistes d’éviter « l’auto-censure » (E2). L’indépendance permettrait même d’assumer un certain engagement. Une personne enquêtée nous confie ainsi : « Je signe parfois du parti pris. La gravité des faits m’autorise à porter des jugements. » (E3) Pour une de nos interlocutrices (E1), l’indépendance peut aussi exister chez des médias traditionnels. Ce qui fait la différence, selon elle, c’est le support numérique qui permet à de nouvelles formes de structures médiatiques d’émerger.
En effet, l’ensemble de nos interlocuteurs s’accorde à affirmer la centralité et l’importance que le numérique occupe dans leur identité, bien que tous les médias de notre échantillon partagent un héritage de l’imprimé (journalistes issus de rédactions de presse écrite traditionnelles, ancienne publication imprimée désormais 100 % web, publications périodiques imprimées en complément, etc.). Le numérique permettrait d’acquérir un nouveau mode d’indépendance dès lors que les médias seraient en mesure de se libérer des structures socio-économiques bâties autour d’un produit éditorial imprimé (par exemple, comme le suggèrent nos personnes enquêtées, en comptant sur les abonnements numériques pour se passer de la vente d’espaces publicitaires). Il est également cité comme un atout dans la présentation des faits dans la mesure où il permet de « documenter » ou « d’enrichir » (E3) les articles.
Par ailleurs, tous nos interlocuteurs ne revendiquent pas le titre de médias d’investigation. Cependant, leur discours nous permet de relever que l’enquête en tant que format et les pratiques qui lui sont associées semblent être au cœur de leur métier. Par exemple, l’ensemble des journalistes précise disposer du temps nécessaire pour mener un travail d’enquête, se rendre sur le terrain, consulter des sources diverses, etc. Pour certains (E3), l’investigation est le propre du journalisme. Il s’agit donc de transposer un idéal journalistique (le journaliste enquêteur) en terrain numérique.
Le lien avec le terrain est une pratique souvent mentionnée dans les entretiens. Comme nous le dit un interlocuteur « on n’est pas des Parisiens entièrement détachés des enjeux locaux [en dehors de la capitale] » (E1). Il nous explique également que son média s’appuie sur des journalistes détachés de la rédaction centrale, notamment des pigistes. Un autre (E2) souligne l’importance de cette pratique « c’est bien de se déplacer sur place, chaque projet a sa spécificité ». Or, il reste impératif de coupler ce rapprochement du terrain avec d’autres sources plus globales (rapports par des ONG ou institutions, sources scientifiques, statistiques, etc.) afin de développer ce qu’un journaliste nomme « une vision surplombante » (E2).
La part occupée par l’écologie au sein des rédactions des MIN sélectionnés diffère selon les titres. Alors qu’un de nos interlocuteurs dit traiter « exclusivement des sujets en lien avec l’écologie », dont il veut « faire […] une question centrale » (E2), un autre (E3) confirme que leur intérêt pour l’éolien en mer passe davantage par des questions économiques. Un troisième interlocuteur offre une autre vision des choses : dans son média, nous dit-il, l’écologie est abordée à travers le prisme de ce qu’il qualifie de « luttes sociales » (E1).
Nos interlocuteurs nous font part du regard qu’ils portent aux titres de presse quotidienne régionale. On constate que les points de vue sont contrastés. La position d’un interlocuteur est très critique : il souligne l’absence de travail d’enquête (E3). Pour un autre de nos interlocuteurs, cette critique est à mitiger. Il affirme que, si le traitement fait par les titres de PQR sur l’éolien marin peut parfois « manquer de lien avec des questions plus générales » (E1), ces titres sont souvent « les seuls à aborder certains sujets ». Un autre interlocuteur considère que la PQR fait « un travail remarquable qui sert à tous les journalistes » (E2). La PQR nous dit-il « est une référence pour la compréhension du contexte local ». Ces deux personnes enquêtées reconnaissent la complémentarité des deux types de presse. « Je travaille dans un deuxième temps ; j’arrive après. » (E2) nous dit le premier. Le deuxième affirme regretter qu’il existe « deux flux d’information parallèles qui ne se croisent pas toujours » (E1).
Enfin, les entretiens nous révèlent que le travail des journalistes issus des MIN consisterait à veiller sur ce qui se passe dans la sphère politique, à la fois à « sonner l’alarme » (E3) sur certaines problématiques, tout autant qu’à « rendre accessible » (E3) l’information à travers un travail de « scénarisation » (E3). Concernant l’éolien en mer spécifiquement, les journalistes disent aborder davantage les aspects politiques que techniques étant donné qu’ils « ne maîtrisent pas tout » (E1), ils traitent donc des sujets qu’ils sont en « état de comprendre » (E2).
Globalement, la ligne éditoriale des MIN peut être résumée par la recherche d’angles alternatifs, peu traités par les médias traditionnels, ce qui serait rendu possible grâce à leur indépendance financière. Les MIN cherchent à privilégier principalement des problématiques écologiques, économiques et sociales. L’identité revendiquée par les journalistes évoluant au sein de ces médias résiderait dans la prise de recul vis-à-vis d’événements localisés, afin de synthétiser les faits et de faire ressortir les problématiques d’ordre général. Ce serait eux les nouveaux watchdogs de la démocratie, surveillant l’adéquation entre intérêts socio-économiques et écologiques.
Les cas locaux, principaux objets du traitement médiatique de la PQR
L’émergence des aspects globaux à travers un cadrage local et épisodique
La CHD opérée sur le corpus de PQR (Figure 3) nous permet de distinguer sept classes lexicales divisées en deux catégories (une première à deux classes situées à gauche du dendrogramme, une deuxième contentant 4 classes à droite de la figure). Ceci après exclusion de l’une des classes (classe 7), étant donné que les formes lexicales qu’elle contient font en fait référence aux métadonnées web associées à chaque article et donc n’est pas porteuse d’une thématique spécifique.
La première catégorie comprend quatre classes lexicales. La classe 6 comprend des formes relevant des échanges ou discussions entre des personnalités issues de la classe politique locale ou régionale (à l’exception du « président » « Emmanuel » « Macron »). La classe 4 regroupe des formes propres à la question de l’impact écologique et socio-économique sur les territoires concernés. Enfin, la classe 3 s’articule autour de la thématique du débat portant sur différents projets, qu’ils soient à un stade avancé (« chantier ») ou initial (lancement des « appels d’offres »).
La dernière classe appartenant à cette première catégorie (classe 1), légèrement écartée des trois précédentes, relève de formes associées au parc en baie de Saint-Brieuc (deuxième parc éolien marin implanté), et principalement relative à l’opposition menée par les pêcheurs, avec des formes qui font référence à la mobilisation (« action », « manifester ») ainsi qu’au cadre temporel des événements menés par les opposants au parc (« mai », « lundi », « vendredi »).
Cette première catégorie nous laisse deviner une couverture des micro-événements menés par la mouvance anti-éolienne. On constate, par exemple, que des formes lexicales relevant de l’avancée des chantiers sont présentes, toujours associées à des formes relatives à la contestation. L’éolien offshore est ici traité sous la perspective du débat, qu’il soit fait dans la sphère politique ou citoyenne. On voit apparaître les enjeux qui sont au cœur de ces débats ou affrontements : les impacts socio-économiques et environnementaux. La focale régionale ou locale est évidente : les thématiques sont associées à des projets de parc spécifiques ou bien à des figures citoyennes ou politiques des territoires concernés.
Figure 3. Dendrogramme, résultat de la CHD, corpus PQR (IRaMuTeQ)
La deuxième catégorie thématique se compose de deux classes. La première classe (classe 2) est composée de formes lexicales relevant de la transition énergétique et du mix énergétique français. La seconde (classe 3) est presque entièrement articulée autour du parc en cours de construction à Saint-Nazaire (premier parc éolien en mer sur le territoire métropolitain), les formes lexicales qu’elle comprend portant principalement sur les avancées du chantier (« fondation », « assemblage », « poser »).
Au sein de cette deuxième catégorie, l’éolien en mer est principalement représenté à travers un discours politique (national comme territorial) et économique (porté par des acteurs industriels) axé sur le développement du secteur de l’éolien en mer. Le chantier de Saint-Nazaire, le premier parc éolien en mer installé sur le littoral français métropolitain, illustre notamment ceci et semble s’ériger en exemple. Rentrent aussi en jeu les questions de rentabilité et de capacité de production, souvent sous forme de comparaison avec d’autres sources d’énergie. L’éolien en mer est à la fois traité à partir d’un cas spécifique et placé dans un contexte plus large.
Dans la PQR, la répartition thématique est territorialisée
Le titre Ouest France est équitablement représenté dans l’ensemble des classes (Figure 4). Il est légèrement dominant dans la classe 5, qui traite du débat autour des nouveaux projets. Presse Océan est très largement surreprésenté en classe 3 (chantier de Saint-Nazaire) et dans une moindre mesure en classe 2 (discours politique et économique portant sur le développement de l’éolien marin). Le titre est sous représenté dans le reste des classes. Le Télégramme est quant à lui surreprésenté en classe 6, relative au débat politique régional, notamment autour du parc de Saint-Brieuc.
Figure 4. Répartition des médias PQR en tant que variables illustratives
dans les différentes classes (IRaMuTeQ)
Chaque titre reste focalisé sur les événements survenant ou concernant une zone de couverture et de diffusion spécifique. Ouest France couvre un territoire plus large que les deux autres titres, ce qui explique sa représentativité équitable à travers toutes les classes. Le Télégramme et Presse Océan sont quant à eux principalement représentés dans les classes relatives aux parcs en cours de déploiement au sein de leurs territoires d’action : Saint-Brieuc en Bretagne pour Le Télégramme et Saint-Nazaire en Loire-Atlantique pour Presse Océan.
Le cadrage médiatique fait par les titres de PQR étudiés semble proche de ce que Shanto Iyengar (1991) qualifie d’« épisodique ». La production éditoriale des titres fait le suivi des différents chantiers en cours dans le moindre détail. C’est également le cas pour les actions menées par les opposants aux différents parcs ou projets ainsi que pour le discours politique. Il semblerait donc que les cadrages médiatiques de la PQR soient articulés sur des cas particuliers et que c’est à travers ces cas que l’on voit émerger des questions d’ordre plus général telles que l’impact environnemental ou la volonté politique d’aller vers des énergies dites « vertes ». Les cadrages révèlent également un traitement généraliste de l’éolien en mer dans la mesure où l’éventail des thématiques abordées est large, allant du discours politique pro-éolien en mer aux revendications des opposants, en passant par les impacts sur la biodiversité.
La PQR, un acteur journalistique qui se veut neutre et proche du territoire
Les interlocuteurs de presse quotidienne régionale (3) revendiquent une neutralité dans le traitement médiatique. Pour eux, ceci est gage de légitimité, ce qui se traduit par une confiance de la part du lectorat. Cette neutralité revendiquée passe par un certain nombre de pratiques, parmi lesquelles les interlocuteurs citent la multiplication des sources, il faudrait ainsi « donner la parole à tout le monde » (E4).
La vérification de l’information est également citée ainsi que la sélection de ce qui est pertinent. Un de nos interlocuteurs témoigne de cette opération de tri : « Je tiens à mon indépendance, je me permets donc de refuser de relayer des communiqués de presse si je trouve qu’ils n’ont aucun intérêt du point de vue de l’actualité. » (E6) Pour un des chefs de rédaction interrogés (E5), ce sont ces pratiques qui garantissent « le travail de professionnel » qu’il y a derrière la production éditoriale du quotidien régional et qui le distinguent d’un « blog ». Enfin, l’appui sur l’expertise de certaines sources, notamment issues de l’univers scientifique est également cité à de nombreuses reprises comme un gage d’objectivité.
Les interlocuteurs que nous avons pu rencontrer s’appuient sur la proximité pour se caractériser, et notamment pour se différencier des médias nationaux. Cette proximité au territoire est perçue comme un atout, comme le décrit un des chefs de rédaction : « Parfois on peut être au courant d’informations qui font peut-être les petits détails, mais qui nourrissent notre connaissance du dossier. » (E4) Il insiste également sur le fait que les « rédactions parisiennes » n’ont pas accès à ce niveau de détail. La proximité apparaît ainsi comme un gage de légitimité dans le traitement d’événements locaux. Les deux chefs de service que nous avons rencontrés s’accordent à dire que la proximité permet de gagner et de maintenir la confiance de leur lectorat. Mais la proximité semble également poser des limites comme en témoignent les propos d’un autre chef de service : « Un média national peut dire n’importe quoi. Mais nous on peut croiser les gens du territoire dans le café du coin… donc on fait plus attention à ce que l’on écrit. » (E5) Entretenir des relations avec les acteurs du territoire est donc un enjeu qui peut influencer la pratique journalistique d’un quotidien régional (Frisque, 2010) et potentiellement les cadrages médiatiques produits.
Le journal quotidien régional est perçu par nos interlocuteurs comme un acteur du débat local. En donnant la parole aux acteurs du territoire dans leurs articles les journalistes localiers pensent contribuer à faire vivre le débat public. Cela permettrait également « d’éclairer les lecteurs » (E4), même ceux qui de base n’étaient pas intéressés par le développement de l’éolien en mer (E6) et donc de les faire participer au débat. Pour un chef de rédaction, le journal régional se rend acteur du débat public en faisant « œuvre de pédagogie » (E4). Toujours dans la même perspective, un des journalistes fait référence à « l’utilité de la presse quotidienne régionale dans la société » (E6). Concernant spécifiquement le débat autour de l’éolien en mer, un des interlocuteurs est catégorique : « Bien sûr que [le journal] a un rôle à jouer : si on ne s’intéresse pas à ce débat de société, autant arrêter. » (E4)
Nos trois interlocuteurs sont critiques (à différents degrés) des médias nationaux. Ceux-ci ne se seraient intéressés à la controverse autour du parc en cours d’installation en baie de Saint-Brieuc qu’une fois les travaux entamés et la contestation accentuée, selon un chef de service (E4). Plus précisément, la légitimité journalistique des médias indépendants nationaux est remise en question par l’un des interlocuteurs qui pointe un certain manque d’objectivité dans leur traitement médiatique (E4). Enfin, c’est le manque de connaissance du territoire et de ses subtilités qui est remis en question. Or, l’un de nos interlocuteurs précise que les relations avec les médias nationaux ne sont, généralement, pas tendues. Des mises en relation avec des acteurs du territoire peuvent avoir lieu « si c’est demandé gentiment » (E5).
L’identité journalistique que se construisent les journalistes localiers est principalement basée sur trois éléments : la neutralité, la proximité et le travail d’éclairage fait auprès des lecteurs. Ces valeurs leur permettent de se considérer acteurs légitimes du débat public autour des retentissements locaux et régionaux des parcs éoliens. C’est ainsi qu’ils se distinguent des médias nationaux, qui ne sont pas perçus comme des concurrents : ils sont vus comme moins légitimes pour aborder des questions locales.
Conclusion
Dans cet article nous avons étudié les cadres médiatiques à travers lesquels l’éolien en mer est abordé par des médias indépendants nationaux (MIN) et des titres de presse quotidienne régionale (PQR). Nous avons cherché à mesurer l’incidence de deux variables sur la construction de ces cadres : l’échelle territoriale de couverture propre à chaque média (nationale ou régionale) et l’identité journalistique revendiquée par des journalistes évoluant dans des titres de chaque catégorie.
De manière générale l’éolien en mer est l’objet de médiatisations diverses qui traduisent la dualité d’un objet convoité et controversé. Ainsi, les deux catégories de médias étudiés font apparaître à la fois le discours politique favorable au déploiement d’énergies dites « vertes » et les arguments de ceux qui s’opposent localement à l’installation de parcs éoliens. Or, les cadrages opérés varient d’une catégorie de média à l’autre.
Les MIN opèrent principalement un cadrage dit thématique (Iyengar, 1991) à travers lequel sont abordées des questions d’ordre global telles que les problématiques relatives au mix énergétique. On voit pourtant apparaître des cadrages liés à des cas particuliers, notamment le parc en baie de Saint-Brieuc. Ces cas locaux semblent la plupart du temps servir d’exemples à des propos globaux et sont remis dans un contexte plus large. Les MIN proposent des médiatisations portées sur des enjeux environnementaux : l’on voit apparaître des cadres portant sur la critique des énergies fossiles jugées polluantes, les scénarios énergétiques alternatifs ou encore des exemples d’initiatives de production non industrielles. L’éolien en mer est ainsi placé dans un contexte plus large lié au besoin de développer des modes de production énergétique plus verts que ceux actuellement prédominants. Enfin, les MIN pointent du doigt des impacts socio-économiques et, dans une moindre mesure, environnementaux des parcs éoliens en mer. Ils s’inscrivent ainsi dans la continuité de leur ligne éditoriale fortement axée sur ces deux thématiques.
Les MIN se distinguent par leur indépendance économique, leur goût pour l’enquête et l’intérêt éditorial pour des faits et événements peu abordés par les médias dits traditionnels. Les journalistes issus de cette catégorie (3) assument tous un certain engagement dans leur pratique qui prend des formes distinctes d’un média à l’autre : certains insistent sur des préoccupations écologiques, d’autres sont davantage focalisés sur des questions sociales. Diverses représentations du journalisme indépendant d’ampleur nationale apparaissent donc dans les entretiens. Dans le corpus MIN, cette diversité se traduit par une différence fortement marquée entre les thématiques que chaque média aborde. Cela pourrait indiquer une influence entre l’identité journalistique revendiquée et les cadres produits.
Les titres de PQR opèrent principalement des cadrages dits épisodiques (Iyengar, 1991). Ils font le suivi détaillé des événements liés au déploiement de parcs éoliens en mer, principalement ceux dont les chantiers sont les plus avancés : Saint-Brieuc et Saint-Nazaire. Ils rapportent également de façon épisodique les actions menées par les mouvements anti-éoliens, dont principalement celui mobilisé contre le parc en baie de Saint-Brieuc, et les prises de parole des figures politiques locales ainsi que celle des acteurs de l’industrie des énergies marines renouvelables. C’est en se focalisant sur des cas particuliers que les titres de PQR font émerger les problématiques d’ordre global, par exemple l’impact environnemental des chantiers éoliens en mer ou la volonté politique d’aller vers des énergies dites « vertes ». Or, ces problématiques plus globales sont diluées dans les récits du quotidien, et restent donc superficielles. L’échelle régionale au sein de laquelle évoluent les médias de cette catégorie semble alors jouer un rôle dans les cadrages opérés.
La proximité, un des éléments constitutifs de l’identité journalistique revendiquée par nos interlocuteurs issus de la PQR (3), influence donc clairement le choix des cadrages opérés. Et ce de manière directe (en se focalisant sur des cas précis) ou indirecte. Par exemple, les journalistes disent chercher à entretenir les relations avec les acteurs et sources locaux ce qui peut les emmener à écarter certaines thématiques. À travers cette couverture épisodique, les titres de PQR étudiés font preuve d’un traitement généraliste, abordant un éventail assez large de thèmes liés à l’éolien en mer. Les journalistes issus de cette catégorie se qualifient d’ailleurs de « généralistes ». Pour eux, ce type de traitement fait également preuve de neutralité : il leur permet de donner la parole à tous les interlocuteurs concernés par les différents parcs éoliens. Chose que nous avons relevée dans le choix des cadrages. Enfin, nous identifions une uniformité dans les représentations que les journalistes de PQR se font de leur métier. Cela semble expliquer la relative homogénéité dans la représentativité de chaque titre dans les thématiques identifiées dans le corpus PQR, les divergences s’expliquant par la répartition territoriale des titres.
Nous remarquons que l’identité journalistique et l’échelle territoriale influencent la construction des cadres médiatique des évènements traités. Pourtant, un ensemble de valeurs est partagé par les journalistes issus des deux catégories de médias. En effet, les journalistes MIN et PQR se revendiquent tous comme étant acteurs du débat public. Ils se donnent pour mission d’éclairer les lecteurs à propos de l’éolien en mer, une question qui devient de plus en plus centrale dans la stratégie énergétique française. Pourtant, les cadrages diffèrent. Il nous semble que l’identité revendiquée ne suffit pas à elle seule à expliquer le choix des cadrages opérés. Des éléments structurels, tels que les moyens financiers et humains de chaque rédaction ou encore le mode de gouvernance du média, devraient être pris en considération dans de futures études s’intéressant aux médiatisations des questions liées à la transition énergétique.
Enfin, précisons que la taille réduite de nos échantillons (médias et personnes enquêtées) limite la généralisation des résultats. Or, elle offre d’ores et déjà des pistes interprétatives prometteuses qu’il conviendrait d’explorer dans de nouvelles études intéressées à la construction de cadres médiatiques portant sur des sujets liés à la transition écologique.
Catherine Quiroga Cortés est doctorante à l’Université Toulouse III Paul Sabatier,
Jules Dilé-Toustou est doctorant à l’Université Toulouse III Paul Sabatier.
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Référence de publication (ISO 690) : QUIROGA CORTÉS, Catherine, et DILÉ-TOUSTOU, Jules. Du régional au national : saisir la diversité des médiatisations de l’éolien en mer. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2024, vol. 2, n°11, p. R133-R147.