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Nouvelle série, n°11

2nd semestre 2024

RECHERCHES

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Présence des sciences humaines dans un magazine de vulgarisation scientifique au Canada : une analyse diachronique (1979-2023)

Jean-Marc Fleury, Université Laval
Fábio Henrique Pereira, Université Laval.

Résumé

Cette note de recherche examine la place occupée par les sciences humaines dans Québec Science, un magazine de vulgarisation scientifique canadien. Nous avons entraîné un algorithme d’apprentissage automatique à catégoriser soit en sciences humaines, soit en sciences naturelles, les articles publiés dans Québec Science, entre 1979 et 2023. Au cours des 43 dernières années, les sciences humaines et sociales ont occupé une place de plus en plus importante dans les pages du magazine. Ce constat s’explique essentiellement par la décroissance du nombre d’articles en sciences de la nature, tandis que les sciences humaines et sociales se maintenaient. Nous mentionnons différentes hypothèses susceptibles d’expliquer cette transformation, d’une évolution des choix éditoriaux traduisant une activité scientifique de plus en plus multidisciplinaire et transdisciplinaire jusqu’à une transformation de l’idée de ce qu’est la science.

Abstract

This paper examines how the social sciences and humanities fare in a popular Canadian science magazine, Québec Science. We trained an algorithm to classify as “natural sciences” or “social sciences” articles published by Québec Science from 1979 to 2023. The results show that over the last 43 years, the social sciences and humanities have been given an ever-increasing share of space in the pages of Québec Science. These findings seem to be more related to the reduction in the amount of natural science articles in the magazine while the social science coverage remained stable. Different hypotheses were proposed to explain these changes: from the evolution of the magazine’s editorial choices concerning scientific activity which became more and more multidisciplinary and transdisciplinary to a transformation of the idea of science itself.

DOI : 10.31188/CaJsm.2(11).2024.R185





L

a plupart des études (publiées en anglais) concluent que le journalisme scientifique banalise et discrédite les sciences humaines et sociales (Dunwoody, 1980 ; Evans, 1995 ; Huber, Wetzstein et al., 2019 ; Lewis, Bartlett et al., 2023). Knudsen (2017 : 908) écrit : « If newspapers constitute the only source of information concerning the humanities, newsreaders may not be much wiser in understanding what the humanities might be—but they will know that whatever the humanities is, it is broken and useless. »

Il y a bien quelques études qui constatent une augmentation du nombre d’articles en sciences humaines dans le journalisme scientifique (voir Bauer, Durant et al., 1995 ; Evans, 1995), mais la qualité de ces articles ne rendrait pas justice aux humanités. Alors que les articles en sciences de la nature apparaissent dans des cahiers et sections consacrés aux sciences (Evans, 1995), les humanités trouvent leur place dans des suppléments, features et commentaires (Cassidy, 2021). La plupart du temps, on les invoque pour commenter et évaluer des problématiques de société (Summ et Volpers, 2016). En plus, les médias présentent souvent les spécialistes des sciences sociales comme des experts et non comme des scientifiques ou des chercheurs (Savignac, 2015).

Il se peut que cette triste représentation des humanités soit plus accentuée aux États-Unis. Dans les médias de pays comme l’Allemagne (Peters, 2015), les Pays-Bas (Hijmans, Pleijter et al., 2003) ou le Danemark (Albæk, Christiansen et al., 2003), il y aurait plus d’échanges entre journalistes et universitaires des facultés de sciences humaines et sociales.

Notre domaine étant le journalisme scientifique, nous avons décidé de réexaminer comment les journalistes scientifiques traitent les sciences dites molles. Nous avons choisi le magazine Québec Science, publié depuis plus de 60 ans et, de fait, la seule publication grand public à couvrir régulièrement les sciences en français au Canada. Notre recherche a été énormément facilitée par les outils des humanités numériques.

Avec cette analyse diachronique du contenu de Québec Science, nous apportons deux contributions : d’abord, des pistes pour une meilleure connaissance du journalisme scientifique et de l’idée que le public se fait de la science ; ensuite, une méthodologie permettant l’exploitation des banques de données hôtes des publications en français depuis de nombreuses années. Il serait relativement facile d’appliquer ces outils à d’autres recherches sur les médias.

Un meilleur sort fait aux sciences humaines en vulgarisation scientifique

Depuis plus de soixante ans, le magazine Québec Science (QS) popularise les sciences, en particulier les sciences naturelles.

La naissance du magazine, en 1962, a coïncidé avec l’entrée dans la modernité de la province de Québec, une nation francophone, isolée dans le nord-est de l’Amérique du Nord. Et l’ère moderne incluait la science. « Pendant un demi-siècle, Québec Science aura donc été à la fois témoin et acteur de la conquête scientifique des Québécois. » (Lemieux, 2012 : 2)

Les Clercs de Saint-Viateur, une communauté religieuse, ont été les premiers éditeurs de QS, d’ailleurs initialement baptisé Le Viateur scientifique. Ensuite, l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS) en hérite pour en faire Le jeune scientifique. Bien que ses éditeurs aient souhaité rejoindre le grand public, et tout particulièrement les jeunes, les enseignants et professeurs responsables du contenu éditorial ne pouvaient faire autrement que de produire une sorte de complément du cursus scolaire.

Finalement, il revint à la nouvelle Université du Québec (fondée en 1968), devenue propriétaire du magazine, de faire le grand saut et d’en confier la rédaction à une toute jeune et émergente génération de journalistes scientifiques québécois.

Rebaptisé Québec Science, et après une brève et décisive escarmouche avec les autorités universitaires, enclines à utiliser le magazine pour des fins d’affaires publiques, l’Université du Québec donna carte blanche aux journalistes.

Depuis 1972, et après une éventuelle privatisation du magazine, le style et le contenu éditorial du magazine QS relèvent toujours du journalisme scientifique. Enfin, plus récemment, Services documentaires multimédias, une société publique québécoise, numérise le magazine et le rend accessible via sa banque de données Repère1.

Question de recherche :

Comment a évolué la place occupée par les sciences humaines et sociales dans les pages du magazine de vulgarisation scientifique Québec Science au cours des dernières décennies ?

Méthodologie

Cette recherche s’appuie sur les méthodes des humanités numériques, où les mots sont transformés en nombres et leurs relations en équations mathématiques « que l’on peut ensuite manipuler avec des algorithmes » (Berry, 2012 : 2). En pratique, nous avons entraîné un algorithme à étiqueter « sciences naturelles » ou « sciences humaines » les articles publiés par Québec Science, de 1979 à 2023. Nous avons utilisé l’algorithme randomForest2 à cause de sa performance, de son caractère intuitif et de la facilité avec laquelle on peut en visualiser le fonctionnement.

La banque de données Repère des Services documentaires multimédias n’accueille l’intégralité des articles publiés par Québec Science que depuis 2013. Au moment où notre collecte de données a été effectuée (juillet 2023), elle comprenait cependant les titres, dates de publication et descriptions par mot clé des articles remontant jusqu’à mai 1979.

Les Services documentaires ont aimablement fourni un tableau Excel de 4598 lignes, chacune contenant le titre, la date de publication et la description par mot clé de 4555 articles et de 43 encarts ou contenus commandités.

Nous n’avons conservé que les 4555 articles. À partir de ce matériau de base non étiqueté, – chaque article était indexé de mots clés mais aucun n’était déjà classé dans l’une ou l’autre des deux grandes catégories d’intérêt. Afin d’entraîner l’algorithme, nous avons commencé par étiqueter un corpus d’articles sélectionnés de façon aléatoire.

Pour cet étiquetage initial, nous avons comparé les mots clés attribués aux articles par le service d’indexation analytique Repère aux mots d’un lexique créé à partir des sept grandes catégories de la version française de la Classification décimale universelle (accessible en ligne à udcsummary.info) attribuées aux sciences sociales, aux sciences humaines et aux arts :

0 : Sciences et connaissance. Organisation. Informatique. (sauf la branche informatique)

1 : Philosophie, Psychologie

2 : Religion. Théologie

3 : Sciences sociales

7 : Arts. Divertissement. Sport

8 : Langue. Linguistique. Littérature

9 : Géographie. Biographie. Histoire

Ce lexique ad hoc de seulement 734 mots3 a ensuite été utilisé comme filtre afin de discriminer les articles « sciences humaines » de l’échantillonnage d’entraînement.

Un très court programme en langage de programmation Python comparait successivement chaque mot clé de chacun des articles au vocabulaire « sciences humaines et sociales » obtenu de la CDU. Aussitôt qu’un mot clé se retrouvait dans le lexique inspiré de la CDU, l’article était étiqueté « humaines ».

Après quelques essais, nous avons ajouté une quarantaine de mots, ces derniers étant essentiellement des déclinaisons de mots déjà présents dans le lexique CDU, entre autres, psychologique et psychologue au mot psychologie déjà présent, économique à économie, préhistorique à historique, humanité à humain, etc.

Ce simple procédé, classer un article dans la catégorie « humaines » uniquement sur la présence d’un de ses mots clés parmi les mots sciences humaines inspirés de la CDU – tous les autres articles étant par défaut étiquetés « naturelles » – a classé 135 des 456 articles d’entraînement dans la catégorie « humaines » et, par défaut, 321 dans la catégorie « naturelles ».

En pratique, seulement 65 mots du vocabulaire sciences humaines CDU ont suffi à classer les 135 articles sciences humaines : histoire utilisé 24 fois, lutte (11), scientifiques (7) et scientifique (4), construction (6), protection (6), psychologique (6), social (6), moral (5), politique (5), enseignement (4), etc.

Les nombreux articles de Québec Science relatant des recherches en éthologie, une branche de la biologie (science de la nature) qui utilise un vocabulaire de sciences humaines pour décrire les comportements des animaux, présentait un défi a priori insoluble. Heureusement, les indexeures des Services documentaires multimédias utilisent l’expression « mœurs et comportement » pour les articles en éthologie et réservent l’expression « mœurs et coutume » aux humains. Nous avons donc exclu comportement du vocabulaire sciences humaines mais nous nous sommes assurés qu’il comporte le mot coutume.

Ultimement, dans le script principal, rédigé en langage Python, utilisant la bibliothèque logicielle Scikit-learn (Pedregosa, Varoquaux et al., 2011), nous avons réalisé un entraînement supervisé de randomForest avec les 456 articles étiquetés. Cela a permis, toujours à l’aide de Scikit-learn, une classification algorithmique des 4055 autres articles avec une précision (selon l’auto-évaluation algorithmique) de 80 % pour les humanités et de 81 % pour les sciences naturelles (voir la partie sur les limites inhérentes à la méthodologie).

En examinant quelques-uns des arbres de décision de l’algorithme randomForest, nous avons constaté que l’algorithme utilisait à peu près les mêmes mots que ceux utilisés pour l’étiquetage des articles d’entraînement. Par exemple, le mot histoire est aussi le mot utilisé le plus fréquemment dans les embranchements décisionnels de l’algorithme. L’algorithme utilise surtout des mots appartenant au vocabulaire sciences humaines pour assigner un article à la branche « humaines » ou « naturelles »4.

Nous avons donc eu la surprise de constater que l’algorithme, dans sa recherche des mots les plus performants pour ses arbres de décision, adoptait une démarche miroir de la nôtre : étiqueter en utilisant presque exclusivement les mots du vocabulaire des sciences humaines. Une petite expérience qui laisse songeur sur l’éventuel rôle de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle dans nos vies.

Une fois les 4555 articles étiquetés « humaines » ou « naturelles », notre script a enfin calculé, pour chacun des 431 numéros de QS, publiés entre mai 1979 et juillet 2023, le nombre respectif d’articles des deux catégories. Créés à l’aide de la bibliothèque logicielle Matplotlib (Hunter, 2007), les graphiques de l’évolution de notre classification sur 43 ans donnent une image de l’évolution de la place relative des sciences humaines et des sciences naturelles pendant la majeure partie de l’existence du magazine Québec Science.

Résultats

Les deux figures suivantes présentent nos résultats : au cours des 43 dernières années, les sciences humaines et sociales ont occupé une part croissante des pages du magazine de vulgarisation scientifique Québec Science (figure 1) ; on ne comptait initialement qu’environ deux articles en sciences humaines pour chaque dizaine d’articles en sciences de la nature ; on trouve maintenant environ huit articles sur les humanités pour chaque dizaine d’articles sur les sciences de la nature, biomédicales et les technologies (figure 2).

Figure 1. Évolution de la couverture de l’actualité scientifique par
Québec Science entre 1979 et 2023


Figure 2. Réduction de l’écart entre sciences naturelles et sciences humaines
et sociales dans
Québec Science entre 1979 et 2023


Comme la plupart des médias depuis l’avènement de l’ère numérique, un magazine imprimé comme QS affronte un environnement de plus en plus difficile. Alors que le nombre de numéros était de 12 par année lorsque l’Université du Québec en est devenue l’éditeur, il n’est plus que de 8 par année depuis 2010 (9 à partir de 2004 et 10 après l’an 2000), ce qui a fatalement entraîné une diminution du nombre d’articles publiés.

Ce qui est remarquable, et que souligne notre recherche : les responsables de QS ont choisi de réduire le nombre d’articles en sciences de la nature tout en augmentant, même si ce n’est que légèrement, le nombre d’articles en sciences humaines. Dans les pages du magazine de vulgarisation scientifique Québec Science, sciences humaines et sociales et sciences de la nature se trouvent désormais à peu près à parité.

Discussion et conclusions

Cette note de recherche s’appuie sur les méthodes des humanités numériques pour analyser la place des sciences humaines dans le magazine Québec Science au cours des 43 dernières années.

Elle révèle une diminution presque complète de l’écart séparant le nombre d’articles en sciences humaines du nombre d’articles en sciences naturelles. Mais l’écart ne rétrécit pas à cause d’un accroissement du nombre d’articles en sciences humaines. Le magazine publie plutôt de moins en moins d’articles en sciences de la nature mais toujours autant d’articles en sciences humaines.

Ces résultats soulignent peut-être une évolution de la couverture du domaine scientifique par les journalistes scientifiques. Il faudrait des études plus poussées afin d’expliquer ce changement.

Parmi les pistes à explorer, on pourrait examiner une reconfiguration du marché du travail du journalisme scientifique québécois. Or, les enquêtes sociodémographiques menées il y a une dizaine d’années suggèrent une proportion assez restreinte des professionnels formés en communication et journalisme (cf. Rochon, 2008) lorsque comparée au nombre des journalistes ayant une formation en « sciences pures » (Cireau, Lacroix et al, 2012)5. Ainsi, même si, comme pour la plupart des médias, des personnes formées en sciences humaines en assumaient la direction, ces dernières laissaient les coudées franches aux journalistes et collaborateurs de Québec Science formés en sciences dures. Or, les changements dans l’offre universitaire au Québec, particulièrement avec la création en 2017 d’un microprogramme en communication et journalisme scientifique à l’Université Laval, semble affecter la configuration du marché du travail, avec une augmentation des effectifs ayant une formation spécifique dans le domaine du journalisme scientifique (cf. Daoust-Boisvert, 2021). Il se pourrait donc que ces journalistes accordent plus de crédit, même une crédibilité équivalente, aux sciences humaines et sociales.

Une autre explication tiendrait à l’arrivée de vulgarisateurs des sciences dures maîtrisant les techniques des médias sociaux, de la production de balados à celle de vidéos sur YouTube (voir Allgaier, 2020). Occupant le segment « vulgarisation » des sciences naturelles, ces « influenceurs » pousseraient les journalistes scientifiques à se distinguer de la concurrence en couvrant aussi bien les sciences humaines que naturelles.

Des changements dans la couverture journalistique des sciences suggèrent aussi une transition dans la façon de percevoir la science dans la société (Summ et Volper, 2016). Les gouvernements font de plus en plus appel aux scientifiques des sciences humaines afin d’affronter les défis auxquels sont soumises les sociétés occidentales : l’immigration, la désinformation, les inégalités sociales, l’acceptation sociale de nouvelles technologies et des politiques publiques. Par ailleurs, ces scientifiques travaillent de concert avec leurs collègues des sciences de la nature sur les aspects sociaux de problèmes extrêmement complexes comme la place accordée à l’intelligence artificielle et aux mesures de mitigation du réchauffement de la planète. En effet :

[W]hile contemporary society’s growing dependence on expert knowledge for problem solving may help explain a general rise in the use of experts in the mass media, it cannot explain the dramatic increase during the 1990s. This increase seems to be related, instead, to a growing dependence on expert knowledge for “reflexivity” – that is, to interpret modem society (Albæk, Christiansen et al., 2003 : 945).

Relié à l’hypothèse précédente, ce changement serait une manifestation de l’importance croissante accordée aux sciences humaines par les conseils finançant la recherche via l’exigence de multi- et transdisciplinarité, ainsi qu’une offre gouvernementale de financements conditionnels à des contenus en sciences humaines.

Dans l’avenir, on peut envisager qu’une couverture plus équilibrée des sciences molles et dures modifie l’idée que le public se fait de la science avec des effets potentiels sur le financement de la recherche en sciences humaines par la société canadienne.

Enfin, cette étude prétend contribuer une méthodologie aux études sur le journalisme scientifique. Les études sur les médias utilisent encore très peu les techniques des humanités numériques. Ainsi, le protocole que nous avons créé pour analyser le contenu de Québec Science pourrait inspirer des recherches approfondies, diachroniques et transnationales sur les façons de couvrir les sciences par les journalistes scientifiques. Nous invitons les collègues à s’approprier ces méthodes afin de réaliser des recherches semblables dans leur contexte.

On peut aussi envisager de futurs travaux utilisant un corpus des versions intégrales des articles et mettant en valeur d’autres variables tels que la longueur des articles, leurs auteurs, et les fréquences relatives de différents types de sources mobilisés par les journalistes. D’autres publications, du Canada ou d’ailleurs, pourraient faire l’objet de travaux similaires. Une telle approche permettrait des analyses comparatives sur les façons de couvrir les sciences sociales dans les médias francophones et anglophones, ou dans les médias spécialisés et les mass médias.

Limites de cette méthodologie

Une première réserve à l’endroit de nos conclusions pourrait invoquer le fait que nous n’avons étudié que la production imprimée de Québec Science alors que le magazine a été le premier média québécois à publier sur le web. Mais, il demeure que le contenu qu’un média se donne la peine de publier sur papier représente celui auquel il accorde le plus d’importance et auquel il s’associe le plus.

Dans l’échantillonnage d’entraînement, il se trouve inévitablement de nombreux articles à cheval sur les sciences humaines et naturelles. Beaucoup d’articles sur des domaines de l’ingénierie, de la technologie et des sciences de l’information mettent parfois l’accent sur leurs aspects sociaux, économiques, et politiques. QS publie aussi beaucoup d’articles sur l’environnement, la grande majorité sur les aspects physiques et techniques, mais inévitablement avec un volet économique, politique ou social plus ou moins important. Ces articles pourraient souvent être classés aussi bien « sciences humaines » que « sciences naturelles ».

Mais ces articles « multidisciplinaires » ne forment qu’une partie relativement petite de la totalité des articles nettement identifiables aux sciences humaines ou naturelles grâce aux mots clés des indexeurs des Services documentaires multimédias. Au final, les classer dans l’une ou l’autre catégorie n’a qu’un effet marginal.

Les spécialistes de l’apprentissage automatique vous diront aussi que 4555 items est un bien trop petit nombre ; seulement pour l’entraînement d’un algorithme, on utilise de préférence des dizaines et des centaines de milliers d’items. Heureusement, intrinsèquement le thésaurus des Services documentaires multimédias traduit bien la différence entre sciences molles et dures… même si spécialistes des univers durs et mous travaillent de plus en plus de concert et que la distinction molles/dures devient de moins en moins pertinente (Shapin, 2022). 

Jean-Marc Fleury est professeur associé à l’Université Laval,
Fábio Henrique Pereira est professeur agrégé à l’Université Laval.

Accès au script et aux données

Le script très simple intitulé Les humanités dans Québec Science est accessible à l’adresse github.com/jmfleury/QSMollesDures. Le code est publié en accès libre sous licence GNU General Public License, version 3. Il est inclus dans un carnet Jupyter et son exécution se termine par la production des graphiques reproduits dans cet article. Le script en Python peut facilement utiliser d’autres données ou être facilement modifié. Il utilise aussi la bibliothèque logicielle Sci-kit learn (Pedregosa, Varoquaux et al., 2011) en s’appuyant notamment sur l’algorithme randomForest (Ho, 1995).

Pour le tableau Excel des données originales, s’adresser aux Services documentaires multimédias, www.sdm.qc.ca.




Notes

1

Repère est un index analytique produit par Services documentaires multimédias, une société privée à but non lucratif de Montréal aux services des bibliothèques. Repère dépouille les articles diffusés dans 668 périodiques spécialisés ou d’intérêt général de la francophonie (2023).



2

La forêt d’arbres décisionnels, ou randomForest, est un algorithme de classification s’appuyant sur les meilleurs résultats d’un grand nombre d’arbres de décision. Dans notre exercice, l’algorithme s’entraîne initialement avec un vocabulaire de plusieurs centaines des motsles plus fréquents parmi les mots clés. Pour les transformer en nombres, l’algorithme calcule leur fréquence relative en sein du vocabulaire. Chaque paquet de mots clés décrivant un article devient une série de nombres. L’algorithme examine ensuite ces paquets de nombres, agençant de façon de plus en plus efficace les cheminements qui mènent aux meilleurs choix. Voir l’article de Leo Breiman (2001), Random Forests, Machine Learning, 45, 5-32 ou, pour une introduction, l’excellent Grokking Machine Learning de Luis G. Serrano, 2021, Manning Publications, New York.



3

Tous les lexiques créés pour cet exercice peuvent être reproduits à l’identique à partir du script déposé sur le site GitHub (précisions et adresse internet en fin d’article).



4

Le script disponible sur GitHub donne cette liste.



5

L’enquête menée par Julien Rochon (2012) auprès des journalistes et communicateurs scientifiques souligne que 41,5 % des répondants ont obtenu un diplôme en sciences humaines ou sociales, 23,4 % en arts et lettres, 19,8 % en sciences pures, de la nature ou de la vie et seulement 6,9 % en journalisme. À son tour, la version 2012 du Portrait des journalistes scientifiques québécois divise cette population entre les professionnels éduqués en sciences pures (48 %) et sciences humaines (52 %) (Cireau, Lacroix et al., 2012).






Références

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Référence de publication (ISO 690) : FLEURY, Jean-Marc, et PEREIRA, Fábio Henrique. Présence des sciences humaines dans un magazine de vulgarisation scientifique au Canada : une analyse diachronique (1979-2023). Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2024, vol. 2, n°11, p. R185-R195.
DOI:10.31188/CaJsm.2(11).2024.R185


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