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NOTE DE LECTURE

Aurélie Aubert – Une information brute ? journalisme, vidéos et réseaux sociaux

Thi Huong Dang, Université Laval

DOI : 10.31188/CaJsm.2(11).2024.R197





A

u cours de ces dernières années, le paysage médiatique s’est enrichi d’un nouveau type de média : des producteurs de courtes vidéos informatives, diffusées via les plateformes des réseaux sociaux numériques (RSN) et destinées principalement aux jeunes générations. Dans cet ouvrage, Aurélie Aubert s’intéresse à ces nouveaux acteurs, en interrogeant les transformations qu’ils entraînent vis-à-vis du traitement de l’information, des pratiques journalistiques et du rôle des plateformes numériques dans la diffusion de l’information.

Contrairement aux médias traditionnels, ces nouveaux joueurs médiatiques se distinguent par deux principales caractéristiques :

[Les] choix éditoriaux de rédactions constituées de jeunes journalistes déterminés à traiter de sujets correspondant à leur vision du journalisme en démocratie, d’une part ; et les stratégies de développement de ces nouveaux acteurs médiatiques qui réfléchissent aujourd’hui uniquement en fonction d’une diffusion sur les réseaux sociaux, d’autre part (p. 10).

Cet ouvrage présente les résultats d’une enquête menée entre 2018 et 2022 sur ce genre médiatique émergent. Il se concentre sur les contenus, les modes de diffusion, les processus de création, le travail des journalistes et le mode de traitement des sujets (p. 12). Pour ce faire, l’autrice s’appuie principalement sur l’étude des contenus des capsules vidéo et des métriques de consultation du média Brut. Dans le cadre de son étude, elle a également conduit des entretiens semi-directifs avec divers acteurs et actrices des médias vidéo, ainsi que l’analyse de documents (interviews radio, articles de presse, informations sur le site) afin d’obtenir une compréhension fine du fonctionnement de ces médias.

Dépendance aux plateformes numériques

Au point de départ de son analyse, l’autrice met en lumière une ingérence éditoriale croissante des plateformes sociales dans le journalisme, avec une préférence pour les contenus viraux et les formats vidéo. Ces plateformes ont intégré leurs logiques économiques au fonctionnement des médias, devenant ainsi des acteurs essentiels dans la distribution, la présentation et la monétisation de l’information. Dans ce contexte, elle souligne que des médias natifs comme Brut et Loopsider, ont été créés en tenant compte des contraintes et des exigences propres aux grandes plateformes numériques comme Facebook, YouTube, Snapchat, Instagram et TikTok. Plus concrètement, ces plateformes ont « une incidence sur le modèle journalistique lui-même en offrant aux médias des incitations à faire évoluer leurs contenus en fonction de leurs standards et de leurs attentes » (p. 17).

En mettant en avant le rôle des nouvelles technologies, notamment la prolifération des algorithmes dans les médias sociaux, Aubert démontre que les plateformes élaborent des profils détaillés des utilisateurs avec leurs données personnelles pour ensuite calculer un taux d’engagement, ce qui permet aux éditeurs de presse de construire des stratégies éditoriales. L’autrice répète à plusieurs reprises que ces médias vidéo ont été spécifiquement conçus pour s’intégrer aux plateformes et ne peuvent pas survivre sans elles. Cela soulève la question de savoir si ce type de médias possède des principes directeurs et induit des transformations sur le modèle journalistique.

De nouvelles stratégies de ligne éditoriale

En analysant un corpus de 828 vidéos réalisées par le média Brut entre novembre 2016 et mai 2019, l’autrice démontre dans le chapitre 2 que ce média accorde une attention particulière à de « sujets très centrés sur l’environnement, la question des discriminations, des violences faites aux femmes, ou plus largement des sujets que l’on appelle traditionnellement “de société”, regroupant des sujets portant sur la pauvreté, l’injustice, la situation de migrants » (p. 34). Ces capsules vidéo adoptent souvent un angle mettant en lumière des initiatives ou des histoires personnelles, soulignant les injustices subies tout en explorant comment ces situations ont été surmontées. L’autrice met en évidence que le média Brut a délaissé au fil du temps les sujets légers liés à la politique pour se concentrer davantage sur les enjeux sociaux et environnementaux, ce qui reflète une évolution constante de sa ligne éditoriale. Contrairement aux médias traditionnels, les expertes et experts sont moins visibles que des personnes militantes (p. 54). Aubert qualifie ce média de « média d’interface », qui favorise « l’échange entre deux sphères : la sphère de l’espace public numérique incarné par certains comptes de RSN et la sphère des publics médiatiques, plus classiques » (p. 60).

À partir d’entretiens avec des journalistes, le chapitre 3 aborde les évolutions rapides des choix des productions et des angles effectués par les rédactions de ces médias vidéo, notamment en fonction des métriques de consultation des réseaux sociaux. Afin de favoriser l’interactivité et la circulation de l’information, ces médias « vont chercher à s’adresser à une communauté particulière partageant des émotions, des coups de cœur, des questionnements spécifiques » (p. 61). Les contenus sont adaptés aux usages des jeunes générations, les titrages sont rédigés sous la forme de questions simples, ils adoptent un format carré pour une consultation sur téléphone portable. Aubert affirme la stratégie de certains médias, tels que Brut, qui assument ouvertement leur collaboration avec les plateformes et adaptent leur contenu aux codes et aux algorithmes de celles-ci.

L’autrice met également en avant l’utilisation des outils de veille sociale des médias vidéo pour observer les tendances et les performances des contenus. Elle indique par exemple que les médias Brut et Loopsider ont mis en place des équipes spécialisées appelées « pôle data » afin de surveiller les polémiques sur les réseaux sociaux, permettant de « repérer des thématiques qui pourraient faire agir l’audience » (p. 87). Ces équipes effectuent également des études d’audience pour comprendre les modes de consommation du média « afin d’établir des stratégies de programmation et de postage plus fines » (p. 89).

S’inquiétant des transformations induites par ces innovations médiatiques, Aubert souligne l’importance de « bien connaître les données dont se nourrissent ces programmes informatiques destinés à proposer des contenus médiatiques », notamment en se demandant : « Que faire avec ce critère émotionnel comme juge de paix de l’innovation médiatique ? » (p. 93). Elle soulève également la question de savoir de quoi vont se nourrir ces innovations, sachant que « cela pourrait conditionner les messages que ces médias vont choisir de faire passer à leur public ». Enfin, l’autrice interroge : « [L]es jeunes journalistes de ces médias vidéo assujettis aux plateformes pourront-ils s’abstraire de ce type de fonctionnement ? » (p. 94).

Pratiques journalistiques

Dans le chapitre 4, l’autrice examine le profil des journalistes travaillant pour les médias vidéo numériques. Ceux-là ont une moyenne d’âge de moins de 30 ans et sont diplômés, mais ont peu d’expérience dans les médias traditionnels. Une de leurs tâches centrales est d’identifier des sujets pertinents qui doivent « pouvoir être illustré, soit par des images récentes, soit par des images d’archives (dans le cas des sujets anniversaires), soit par des extraits d’interviews percutants » (p. 110). L’autrice met en lumière différents aspects du journalisme vidéo, soulignant la tendance des journalistes de ces médias à mettre en avant la « parole-témoignage » plutôt que leur propre voix. Pour ce faire, « [le] journaliste du média social n’a pas vocation à proposer une vision « objective » ou neutre d’un fait social ou d’un sujet politique, il doit l’incarner et en cela il est impératif de recueillir un témoignage qui va devenir, en soi, une information » (p. 112). Au fil des pages, on perçoit que les vidéos capables de provoquer des débats en ligne sont conservées et exploitées pour leur potentiel conversationnel.

Par ailleurs, Aubert évoque l’émergence du journalisme brand content, où les médias vidéo intègrent des contenus sponsorisés pour valoriser l’image de grandes marques (p. 129), entraînant parfois des conflits d’intérêts entre les exigences des marques et la mission journalistique des équipes rédactionnelles. Elle exprime sa surprise face à l’absence de sujets d’actualité controversés comme les polémiques liées à la religion ou à la laïcité sur les médias vidéo (p. 139).

L’autrice met également en valeur les utilisateurs des réseaux sociaux, qui jouent un rôle de « leader d’opinion » et exercent une influence en raison de leur autorité morale ou de leur position centrale dans les réseaux sociaux (p. 135).

Dans cet ouvrage, Aubert met en exergue l’idée selon laquelle le visionnage et l’interaction avec les contenus vidéo sur les réseaux sociaux vont au-delà de la simple réception passive d’informations. Elle remet en question la notion traditionnelle de réception médiatique en se demandant s’il est encore pertinent de parler de simple réception, étant donné que le public visé par ces médias cherche activement à agir, à convaincre et à alerter son entourage. Ainsi, l’autrice souligne l’évolution des pratiques médiatiques vers une forme d’interaction plus engagée et influente, où les publics deviennent des « agents de propagation » des idées et des problèmes sociaux (p. 149).

Ces nouveaux acteurs médiatiques représentent une évolution significative du paysage médiatique et offrent de nouvelles opportunités pour s’informer. Toutefois, des questions persistent quant à leur conformité aux normes journalistiques, ainsi que quant à leurs impacts et leurs défis qu’ils posent pour les jeunes. Ce type de journalisme oriente les publics vers des tendances de l’information, sans pour autant diversifier les sources d’information. Quelles en sont les conséquences potentielles sur la société démocratique ? 

Aubert, Aurélie (2023). Une information brute : journalisme, vidéos et réseaux sociaux. INA, 164 p.

Thi Huong Dang est doctorant à l’Université Laval.




Référence de publication (ISO 690) : DANG, Thi Huong. Aurélie Aubert – Une information brute ? journalisme, vidéos et réseaux sociaux. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2024, vol. 2, n°11, p. R197-R199.
DOI:10.31188/CaJsm.2(11).2024.R197


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