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NOTE DE LECTURE

Romy Sauvayre – Le journaliste,
le scientifique et le citoyen : sociologie de la diffusion de
la défiance vaccinale

Jordan Proust, Université Laval

DOI : 10.31188/CaJsm.2(11).2024.R201





L

’ouvrage Le journaliste, le scientifique et le citoyen : sociologie de la diffusion de la défiance vaccinale, de la sociologue des sciences et des croyances à l’Université Clermont Auvergne, Romy Sauvayre, investigue la question de la méfiance vis-à-vis de la vaccination durant la pandémie de la COVID-19. L’autrice analyse le scepticisme, les interrogations et même, pour certains, le conspirationnisme relatifs à cette pratique sanitaire pourtant depuis longtemps entrée dans les mœurs et le quotidien de la population.

Cet ouvrage propose ainsi une réflexion sur ce que l’auteure qualifie de défiance vaccinale, à savoir une remise en question par une frange de la population de l’utilité même de la vaccination. Cette rupture de confiance entre le monde médical et certains citoyens, une tendance qui peut apparaître préoccupante au sein du débat public, amène des effets quantifiables dans le monde réel, à savoir des problématiques de santé publique. Dans ce travail, l’auteure ne se base pas exclusivement sur les éléments récents de la crise sanitaire de la COVID-19, mais remonte dans un passé plus éloigné afin de débuter sa recherche sur le phénomène de défiance vaccinale. L’élaboration de son étude s’appuie ainsi sur la controverse Wakefield de 1998 : Andrew Wakefield accuse, dans le cadre d’une étude publiée cette année-là en Grande-Bretagne, le vaccin ROR (contre la rougeole, les oreillons et la rubéole) de provoquer l’inflammation et l’autisme chez les personnes vaccinées. Les médias britanniques, en lui fournissant une importante visibilité, vont devenir le relai de cette défiance vaccinale, qui va se répercuter dans la population.

Sauvayre introduit, après une pertinente approche historique, trois visions de cette affaire Wakefield : celle du monde scientifique, de la sphère médiatique et de l’opinion publique (via le positionnement d’un scientifique, d’un journaliste et d’un citoyen). Il est ainsi possible de saisir la grande complexité du rôle de chacun de ces acteurs mais également celle des enjeux qui traversent cette première grande controverse vaccinale. L’ouvrage est divisé en cinq chapitres, complémentaires et adéquatement composés. Le premier installe le contexte général et les premiers éléments de l’affaire Wakefield. Le deuxième, troisième et quatrième chapitre sont consacrés aux trois acteurs susmentionnés, qui sont présentés avec une contextualisation et une vision globale du rôle et des intentions de chacun. Enfin, le dernier et cinquième chapitre propose une avancée dans le temps, afin de ramener le lecteur dans une vision contemporaine de la défiance vaccinale, au travers de la pandémie de COVID-19. Dans cette dernière partie, des rapprochements et des analogies entre la crise sanitaire et la controverse déclenchée par Wakefield sont judicieusement amenés.

Le premier chapitre est consacré à la personnalité et au parcours d’Andrew Wakefield. Méconnu du grand public, ce chercheur britannique, alors maître de conférence à la Royal Free Hospital School of Medicine, va publier en 1998, dans la prestigieuse revue médicale The Lancet, un article scientifique qui va déclencher une grande controverse. Wakefield, gastroentérologue confirmé, reconnu par la communauté médicale, propose un postulat dans son travail de recherche qui vient contredire les différentes déclarations de la santé publique britannique : il existerait un lien entre le vaccin ROR et la malade de l’autisme chez les enfants vaccinés. Wakefield, qui s’appuie sur une équipe de recherche, a travaillé sur un échantillonnage de douze patients (des enfants autistes) en 1996. La publication de cet article va être précédée d’une conférence de presse. Les deux événements vont avoir un très fort écho : le Dr Wakefield est une sommité dans son domaine, a été récompensé de nombreux prix et a déjà publié de nombreux articles dans les revues les plus sérieuses de la profession. Sauvayre propose à son lecteur une réalité : à ce moment-là, il est presque impossible de douter du chercheur ou de ses conclusions scientifiques !

Le chapitre second est une incursion dans le monde scientifique : la controverse Wakefield y est développée depuis le point de vue de chercheurs, qui prennent connaissance de la publication du Dr Wakefield. Dès lors, l’auteure déroule la chronologie de ces spécialistes : nouvelles études, nouvelles recherches, critique du rapport Wakefield et autres vérifications de la méthodologie utilisée pour l’étude de 1998. Rien n’est laissé de côté et très vite, Sauvayre nous plonge dans le processus d’invalidation progressive du rapport Wakefield. La communauté scientifique rejette rapidement les travaux, estimant que l’hypothèse proposée est fausse, parlant même d’une fraude. L’auteure rappelle ainsi qu’en 2004, 6 ans après la publication initiale de l’équipe Wakefield, l’Institute of Medicine, l’Académie nationale de médecine américaine, propose une compilation de toutes les données issues de la littérature scientifique, qui réfutent toutes un possible lien de cause à effet entre le vaccin ROR et l’autisme.

Quand les médias donnent l’impression d’un débat

Le troisième chapitre est la pierre angulaire de l’ouvrage. Il vient confronter la responsabilité des médias et le rôle des journalistes dans la mise en lumière du rapport Wakefield (et de la controverse) dans la sphère publique, et ce malgré les alertes du monde scientifique, qui va démontrer le peu de fiabilité du travail de recherche de l’équipe du Dr Wakefield. Sauvayre revient notamment sur la place de la conférence de presse qui se déroule à l’initiative du Dr Wakefield deux jours avant la publication de son article. Cette médiatisation sans limite et sans place laissée à une opinion contraire est ainsi pointée du doigt, les journalistes n’ayant pas présenté une vision impartiale et équilibrée. Mettant de l’avant la complexité de la couverture médiatique du monde scientifique, l’auteure prend comme symbole ce cas Wakefield : avec les années, devant la controverse, les médias ont tenté de donner la parole aux critiques du rapport initial, tout en conservant la vision du Dr Wakefield. Ce faisant, Sauvayre formule la question suivante : malgré un consensus scientifique massif qui critique les conclusions et l’étude, et prouve la fraude, cette pratique journalistique qui veut que la voix de Wakefield et de son équipe soit équivalente à celle du reste du monde scientifique est-elle juste ? Surtout, le chapitre démontre que la controverse ne s’est pas stoppée : les médias n’ont pas hésité à donner l’impression qu’un débat traversait toujours la communauté scientifique, donnant une importance à une fraude manifeste et entretenant une certaine confusion dans l’imaginaire collectif.

Dans le quatrième chapitre, l’auteure travaille sur la vision qu’ont les citoyens de cette controverse Wakefield. Les prémisses de la défiance vaccinale à la suite de la publication et la médiatisation du rapport sont rapidement démontrées : diverses études sont présentées dans ce chapitre, prouvant que la baisse de la couverture vaccinale en Grande-Bretagne est directement liée à la puissante couverture médiatique autour de l’étude de l’équipe de Wakefield. L’idée d’un risque indu à la vaccination est inscrite en fil rouge : le citoyen développe un sentiment de danger vis-à-vis du vaccin, notamment expliqué par le manque d’informations scientifiques, la perte de confiance envers le monde scientifique (par manque de compréhension et de lecture des travaux de cette communauté) et politique (notamment sur des controverses et des erreurs déjà passées, qui ont marqué l’opinion publique) ou encore la peur de tomber malade. Ces craintes sont encouragées par le travail journalistique dans le traitement des événements : chaque cas grave, chaque défaillance du vaccin sont mis en lumière et commentés, même si les complications sont rares. Ainsi, le citoyen est confronté à ses peurs et ses craintes, dans un réflexe naturel mais qui peut être injustifié. Les médias, dans leur travail inégal, sont un catalyseur de cette nouvelle réalité qu’est le nouveau rapport au danger et à la mort. Mais l’auteure rappelle une vérité immuable : ne pas se faire vacciner par crainte du vaccin et estimer que la maladie est préférable au remède entraînent une baisse de la couverture vaccinale. Cela devient donc un enjeu national de santé publique. Les médias, plus aisés à comprendre pour le citoyen, ont ainsi remplacé la parole scientifique : le produit médiatique vulgarisé est plus à même d’être compris par le citoyen qu’une production ou des données scientifiques liées à la santé publique.

Le dernier chapitre est le plus contemporain, il constitue un trait d’union entre la controverse Wakefield et le présent, entre la fraude passée et la question de la vaccination pendant la pandémie de COVID-19. Sauvayre propose une comparaison entre le Dr Andrew Wakefield et le Dr Didier Raoult, qui avait avancé que l’hydroxychloroquine était meilleure que le vaccin. Cette évocation double revient ainsi en détail sur le protocole Raoult, qui voulait, en 2020, que l’hydroxychloroquine soit bénéfique dans le traitement contre la pandémie, la COVID-19. Comme pour Wakefield, son protocole va être publié dans la revue The Lancet. Comme en 1998, les médias vont se saisir de cette étude et la mettre en lumière. La qualification même par la sphère médiatique de l’administration d’hydroxychloroquine comme moyen de lutte contre la COVID-19 va entraîner une réaction populaire : le citoyen désire bénéficier de ce traitement, qui va finalement être scientifiquement contesté par le monde scientifique, notamment via de nouvelles études indépendantes (et plus rigoureuses). Comme en 2004, un consensus se forme pour contester le protocole Raoult, dont l’étude est jugée peu fiable et réfutée. La méthodologie, comme pour Wakefield, est rejetée. Les mêmes schémas, les mêmes réflexions – que l’auteure présente admirablement – au sein des médias transparaissent entre 1998 et 2020 : cette médiatisation à l’extrême de Didier Raoult ne sera jamais contestée, amenant des répercussions en tous points comparables à la situation de 1998. Cela aura entraîné jusqu’à une défiance vis-à-vis des recommandations gouvernementales et des preuves scientifiques bien plus sérieuses, amenant de facto une nouvelle défiance vis-à-vis du vaccin.

Cet ouvrage ouvre la porte à une réflexion générale qui s’articule autour d’une triade, un regroupement de trois structures informelles, chacune ayant un rôle, des objectifs et des responsabilités dans la diffusion de la production scientifique. Le premier acteur est la communauté scientifique elle-même, qui doit produire des études de qualité, non biaisées et exemptes de tout reproche (notamment sur la méthodologie et la présentation des résultats aux autres acteurs), tout en faisant preuve de transparence dans les limites de cette production et des résultats qui en découlent. Le second acteur, le journaliste, doit respecter certaines caractéristiques de sa pratique professionnelle : ainsi, s’il choisit de traiter un certain sujet scientifique, et qu’il est certain qu’il ne pourra pas en aborder tous les aspects, il doit néanmoins présenter l’ensemble des points de vue, un équilibre entre les différents courants de pensée qui circulent sur le sujet. Cependant, il doit également faire attention à ne pas accentuer certains points de vue quand la majorité, ici des chercheurs issus du monde scientifique, penche pour un compromis certain. Le travail n’est pas que présenter les différents points de vue, mais combien soutiennent chacune des visions ! Enfin, l’opinion publique, via le citoyen, est le dernier acteur : l’auteure rappelle qu’il n’est pas que passif à la consommation de l’information, mais qu’il peut également rechercher des sources fiables et s’interroger sur la finalité des données et informations présentées.

Au travers de cet ouvrage, Sauvayre développe tout autant une mise en garde qu’une proposition réflexive : celle de la mise en place d’une relation nouvelle entre les trois acteurs, un nouveau pacte médiatico-scientifique qui apparaîtrait plus responsable et plus déontologique. Et ce, afin de ne pas répéter, une nouvelle fois, les deux exemples développés dans l’ouvrage. 

Sauvayre, Romy (2023). Le journaliste, le scientifique et le citoyen : sociologie de la diffusion de la défiance vaccinale. Hermann, 192 p.

Jordan Proust est doctorant à l’Université Laval.




Référence de publication (ISO 690) : PROUST, Jordan. Romy Sauvayre – Le journaliste, le scientifique et le citoyen : sociologie de la diffusion de la défiance vaccinale. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2024, vol. 2, n°11, p. R201-R204.
DOI:10.31188/CaJsm.2(11).2024.R201


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