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Nouvelle série, n°2

2nd semestre 2018

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POINT DE VUE

Fake news : une définition s’impose

Depuis les élections américaines de 2016, les fake news font constamment les nouvelles… mais personne ne s’entend sur leur définition. Pourtant, il est aujourd’hui essentiel de mieux caractériser cette « contamination de l’espace public » qui menacerait la démocratie.

Par Mathieu-Robert Sauvé




«Il y a beaucoup de fake news qui circulent à gauche et à droite », déplore le 28 mars 2018 le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, lors d’une allocution à Montréal. Il s’en prend aux détracteurs du projet de Réseau express métropolitain qu’il estime mal informés. « La vraie information est très loin, à l’opposé de ce qui circule », affirme-t-il devant la Presse canadienne qui rapporte ses propos dans plusieurs médias.

Dans les heures qui suivent, deux éditorialistes de La Presse, François Cardinal et Paul Journet, réagissent à l’intervention du ministre, non sur le fond mais sur la forme. « Il n’y a pas de fake news au Québec », affirme le premier sur Twitter le 29 mars 2018, ajoutant qu’il est « malheureux d’utiliser l’expression pour discréditer les médias ». Le second met le ministre en demeure de cesser d’utiliser le terme. « En politique québécoise, il peut y avoir des erreurs factuelles ou des opinions malhonnêtes. Mais il n’y a pas d’industrie de fake news », insiste-t-il.

« Je suis désolé M. Cardinal, mais il y a bel et bien des fake news au Québec. Pas mal même », peut-on lire sur Twitter. C’est Jeff Yates qui s’exprime ainsi. Depuis qu’il s’est spécialisé en « démystification de fausses nouvelles virales », ce diplômé de premier cycle en journalisme de l’Université Concordia est devenu un des rares employés à temps plein dont la mission est de traquer la désinformation. Il est à l’emploi de la société Radio-Canada.

Les fake news sont-elles, comme le laisse entendre Journet dans son éditorial, issues de « sites bidons qui hameçonnent les crédules avec des mensonges et des complots » ? Il y a certainement ici une partie de la réponse mais une partie seulement. Les fake news ne sont pas l’apanage des faussaires ; soupçonnés d’avoir fait dérailler la campagne électorale américaine de 2016 et d’avoir provoqué le Brexit, elles peuvent être une arme idéologique très puissante.

Et l’Assemblée nationale française a voté le 4 juillet 2018 une loi anti-fake news. Il s’agit, plus précisément, d’interdire « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable1 ». La loi s’appliquera en période électorale et pré-électorale, sous peine de sanction.

Pourtant, l’article 27 de la loi de juillet 1881 interdit déjà « la publication, la diffusion ou la reproduction […] de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées lorsque, faites de mauvaise foi, elles auront troublé la paix publique, ou auront été susceptibles de la troubler ». L’amende peut atteindre 45 000 euros.

Mais que veut interdire précisément le gouvernement français en 2018 ? « L’actualité électorale récente a démontré l’existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral par l’intermédiaire des services de communication en ligne », dit l’énoncé de la politique.

Dans les faits, cette nouvelle disposition règlementaire changera peu de choses en temps normal mais en période électorale et pré-électorale (trois mois avant le déclenchement des élections), elle permettra à une autorité gouvernementale (le Conseil supérieur de l’audiovisuel, ou CSA) de bloquer une nouvelle. « C’est donc la Justice qui tranchera quelle information est, ou non, une fake news, et quelle information nuit "aux intérêts fondamentaux de la Nation" ou "déstabilise les institutions" », note Salomé Vincendon dans L’Express du 6 juillet 2018. « Le juge aura le pouvoir de "faire cesser la diffusion de fausses informations", mais devra prendre sa décision "en urgence (48h)". » Le CSA pourrait intervenir sur des fake news provenant de l’étranger en bloquant le diffuseur.

Il est intéressant de noter que le terme fake news est inexistant dans la loi 799 adoptée en juillet dernier. Pourtant, il est utilisé 55 fois dans le texte qui a servi à sa rédaction : Les manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties2. On peut y lire l’extrait suivant : « Fake news est l’expression la plus communément employée, y compris en français, où elle est parfois traduite par "fausses informations" alors qu’il faudrait plutôt parler d’informations falsifiées, contrefaites ou forgées. »

Nouveau vin ou nouvelle bouteille ?

Plusieurs observateurs3 estiment que les fake news ne sont qu’un nouveau vin dans une vieille bouteille. Il est vrai que la tromperie a toujours fait partie de l’arsenal des belligérants. Mais abaisser les fake news au statut de simple « fausses nouvelles », c’est ignorer le caractère sans précédent des réseaux sociaux capables de contaminer l’espace public de façon continue et massive. En diffusant quotidiennement des millions de mensonges, y compris depuis les plus hauts niveaux des autorités politiques, les fake news affectent sérieusement l’exercice de la démocratie. Pour paraphraser René Lévesque, être informé n’est pas suffisant pour être libre; il faut être bien informé.

À l’évidence, le sens de l’expression fake news ne fait pas consensus. Et le dictionnaire n’est d’aucune utilité pour l’instant. Aucune entrée dans le Larousse illustré de 2018. Rien dans le Robert 2018. Ni dans Termium, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada. Comme si le terme était encore trop nouveau pour être acceptable. Ou qu’aucun vocable ne s’était imposé en langue française.

L’Académie française reconnaît en ces termes le problème dans la section « Dire, ne pas dire » de son site web : « Depuis plusieurs mois l’expression fake news s’est largement répandue en France. Celle-ci nous vient des États-Unis et nombre de commentateurs et de journalistes semblent avoir des difficultés pour lui trouver un équivalent français. Pourtant, ne serait-il pas possible d’user de termes comme bobard, boniments, contre-vérité, mensonge, ragot, tromperie, trucage ? » Il faut dire « la prolifération des fausses nouvelles » plutôt que « la prolifération des fake news ».

De son côté, l’Office québécois de la langue française (OQLF) déconseille explicitement le terme anglais et privilégie l’expression « fausse nouvelle » définie comme suit : « Publication qui imite la structure d’un article de presse, qui comprend à la fois des renseignements véridiques et des renseignements erronés. » Dans le Grand dictionnaire terminologique, l’OQLF précise : « L’emprunt intégral fake news est déconseillé parce qu’il a été emprunté à l’anglais depuis peu de temps et qu’il ne s’intègre pas au système linguistique du français. De plus, son emploi est caractérisé par une certaine réticence linguistique, notamment à l’écrit, où il est souvent marqué typographiquement, que ce soit par l’utilisation des guillemets ou de l’italique. En outre, le terme français "fausse nouvelle" est employé depuis de nombreuses années pour désigner un concept plus général ; l’extension de sens est naturelle, dans ce cas-ci. »

L’usage dans la francophonie n’obéit pas toujours, cependant, à ces consignes. Au Québec, l’expression anglaise s’impose plus que sa traduction dans les médias écrits et électroniques. Par exemple, lorsque la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, Diane Francoeur, accuse les médias d’avoir mal interprété un message envoyé à ses membres, le 24 février 2018, elle écrit que « les fake news deviennent la vérité de ceux qui nous accusent de nous être fait greffer un portefeuille à la place du cœur ».

Le journal français Le Monde a choisi son camp et emploie fake news. « On les traduit souvent à tort par "fausses informations" ou "faux articles", ratant [le fait] que la fake news n’est pas seulement erronée : elle est volontairement trompeuse. C’est un faux, une imitation, une contrefaçon. » Cette nouvelle « emprunte à la presse traditionnelle ses codes et sa présentation, pour se maquiller comme un exercice journalistique ». L’Agence France-Presse semble abonder dans ce sens : « L’expression anglaise fake news fleurit depuis quelques mois dans les médias, sans véritable traduction en français, pour désigner une information délibérément fausse circulant généralement sur Internet. »

Le réputé Collins en a fait son « word of the year » en 2017. La définition qu’on peut lire dans ce dictionnaire (« False, often sensational, information disseminated under the guise of news reporting ») peut-elle être traduite littéralement ? Cela donnerait : « Information fausse, souvent sensationnelle, diffusée sous l’apparence de reportage. »

Intéressant… mais incomplet. Cette définition fait fi du volet irrécupérable de la fausse nouvelle. De plus, une définition doit mentionner que les fake news se répandent à une vitesse extrêmement rapide à cause de leur moyen de diffusion, les réseaux sociaux. La « viralité » d’une fake news serait impossible au moyen des presses rotatives, car les médias d’information imprimés traditionnels vérifient les informations qu’ils diffusent. En cas d’erreur, ils publient des rectificatifs.

La loi française précise d’entrée de jeu dans ses motifs qu’elle s’attaquera aux « services de communication en ligne » et non aux médias traditionnels : « L’actualité électorale récente a démontré l’existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral par l’intermédiaire des services de communication en ligne. » Autre lacune de cette courte définition : les fake news peuvent être lancées par un seul individu de bonne foi sans aucune prétention journalistique. Le New York Times rapporte le cas de ce Texan, Eric Tucker, qui a tweeté la photo d’une file d’autobus remplis de « manifestants anti-Trump » dans la ville d’Austin.

Ce tweet laissait entendre que les Démocrates avaient engagé de faux manifestants. Avant que Tucker prenne conscience de son erreur et qu’il retire son message (les autobus transportaient des congressistes d’une entreprise d’informatique), les images avaient fait le tour des États-Unis. Même le candidat Trump les avait commentées : « Very unfair! ».

Dans le Cambridge Advanced Learner’s Dictionnary, la définition de fake news inclut le moyen de diffusion, l’aspect humoristique et la visée politique : « False stories that appear to be news, spread on the internet or using other media, usually created to influence political views or as a joke. There is concern about the power of fake news to affect election results. »

Les fake news peuvent-elles exister en anglais, mais pas en français ? Peu probable. Un poisson, une chaise ou un concept philosophique ont leur existence propre, peu importe les langues qui les désignent. Si les fake news n’existaient pas, le président français Emmanuel Macron aurait-il lancé un projet de loi pour les interdire ?

Interviewé par Télérama sur la question, le linguiste Louis-Jean Calvet admet que la confusion règne. « En général, on opte pour le terme "vérité alternative". Mais celui-ci implique qu’il y ait des vérités différentes et qu’on changerait de monde. On se rapproche d’Orwell ! Or, ce n’est pas ce que signifie "fake" en anglais. » Il précise que les mots bobard, contre-vérité, fallacieux et erroné se rapprochent du sens de « fake », mais sans convenir tout à fait. « Dans "fake", il y a la notion à la fois du langage courant et d’une histoire fabriquée, tel un faux tableau. Ce terme est désormais présent dans l’inconscient collectif. » Mais le laisser tel quel dans notre langue, comme corn flakes par exemple, signifierait qu’on en fait un concept essentiellement anglo-américain. « Mais ces fake news ne sont pas spécifiquement américaines », souligne-t-il.

La définition que nous avons utilisée dans notre travail de recherche portant sur les fake news au Québec4 est la suivante : « Ce qu’on appelle fake news est une information inexacte, irrécupérable, diffusée sans contrôle journalistique à un large public à partir des réseaux sociaux. Elle a pour but de tromper le public à des fins mercantiles ou idéologiques, ou d’amuser. »

Cette définition souligne l’absence du travail journalistique, une notion souvent absente des définitions courantes et essentielle car elle sous-entend un encadrement déontologique. Elle prend en considération le caractère irrécupérable de la nouvelle diffusée sur les réseaux sociaux, et l’objet de cette diffusion (le pastiche, la blague, autant que l’appât du gain ou la motivation idéologique).

Fiction et réalité, mensonge et vérité

S’il y a urgence d’une définition en français (et pourquoi pas d’un néologisme adéquat comme « infausse5 », le concept lui-même n’est pas encore consensuel dans l’anglophonie. Trois auteurs, Edson Tandoc, Sheng Wei Lim et Richard Ling, ont publié dans Digital Journalism une analyse de 34 articles scientifiques ayant utilisé les termes « fake news » entre 2003 et 2017. Ils en tirent dans « Defining ‘fake news’ » une typologie en six catégories : la parodie, la satire, la fabrication, la manipulation d’image, l’opération de relations publiques et la propagande.

Les auteurs rappellent que le public joue un rôle déterminant dans la dissémination des fake news. « Si les nouvelles sont construites par les journalistes, les fake news sont co-construites par le public ; leur fausseté dépend beaucoup de sa capacité à percevoir le faux comme réel. Sans ce processus de tromperie, les fake news demeurent dans le domaine de la fiction. C’est quand le public les confond avec de vraies nouvelles qu’elles entravent la légitimité du journalisme. »

En effet, les fake news soulèvent avant tout la question de la « vraie » nouvelle, basée sur un caractère inédit mais surtout sur la vérité. Depuis que Facebook est devenue la première source d’information d’un bon nombre de citoyens (44 % des Américains y tirent l’essentiel de leurs informations), il faut rappeler que son contenu n’est pas filtré par des reporters, chefs de pupitres et éditeurs ayant pour principale éthique professionnelle la recherche de la vérité. Même si on a beaucoup insisté sur les erreurs déontologiques (toujours trop nombreuses) et les entorses à l’objectivité des journalistes, ces derniers demeurent en principe guidés par un idéal commun : la recherche de la vérité.

Journaliste et auteur, Mathieu-Robert Sauvé mène une recherche
de second cycle à l’Université de Sherbrooke



1

« Toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable constituera désormais une "fausse information". »



2

J.-B. Jeangène Vilmer, A. Escorcia, M. Guillaume, J. Herrera, Les Manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties. Rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) du ministère des Armées, Paris, 2018.



3

Dont l’éditeur de cette revue.



4

En cours de rédaction, le projet de recherche est sous la direction de Marie-Ève Carignan, professeure de communication à l’Université de Sherbrooke.



5

L’auteur a proposé l’usage du terme « infausse » au congrès de l’ACFAS, le 8 mai 2018 à Saguenay.






Référence de publication (ISO 690) :
SAUVÉ, Mathieu-Robert. Fake news : une définition s’impose. Les Cahiers du journalisme - Débats, 2018, vol. 2, n°2, p. D31-D34.
DOI:10.31188/CaJsm.2(2).2018.D031


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