Nouvelle série, n°2
2nd semestre 2018 |
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L’actualité culturelle au Québec
Marie-Claude Lapointe, Université du Québec à Trois-Rivières
Olivier Champagne-Poirier, Université du Québec à Trois-Rivières
Jason Luckerhoff, Université du Québec à Trois-Rivières
Résumé
Cette contribution présente un portrait statistique de la couverture journalistique de la culture au Québec en 2008, année caractérisée par plusieurs manifestations touristiques et culturelles d’envergure. Le corpus de 12 330 articles traitant de culture publiés dans 16 journaux québécois a permis de recueillir des informations sur les journaux qui traitent de culture, le discours des journalistes lorsqu’ils écrivent à propos de la culture, la couverture journalistique selon le territoire, les moments de la publication, les intentions des journalistes et la valorisation de la culture par des critères culturels ou de marché. Nos résultats montrent notamment que cinq journaux ont publié à eux seuls 68,1 % des articles et que les villes dont il est le plus souvent question sont Montréal et Québec.
Abstract
This contribution presents a statistical portrait of the press coverage of culture in Quebec in 2008, a year characterized by several major touristic and cultural events. The 12,330 articles dealing with culture published in 16 Quebec newspapers allowed us to gather information on newspapers dealing with culture, journalists’ discourses when they write about culture, journalistic coverage by territory, moments of publication, the intentions of journalists and the promotion of culture by cultural or market criteria. Our results show that five newspapers alone published 68.1% of the articles and that the cities most often mentioned are Montreal and Quebec.
DOI: 10.31188/CaJsm.2(2).2018.R069
L
e 400e anniversaire de Québec a fait de 2008 une année intéressante à étudier en raison des manifestations touristiques et culturelles majeures organisées. Le lock-out du Journal de Montréal, le chantier du Quartier des Spectacles de Montréal, la sortie du clip Culture en péril1 et les compressions budgétaires du gouvernement fédéral dans certains programmes culturels se sont ajoutés à l’effervescence d’une année exceptionnelle sur le plan culturel.
Le caractère exceptionnel de cette année a déjà donné lieu à des analyses, notamment du traitement journalistique de l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie qui a été présentée au Musée national des Beaux-Arts du Québec en collaboration avec le Musée du Louvre dans le cadre du 400e anniversaire de la ville de Québec. Luckerhoff (2012) avait comme objectif « d’étudier et de qualifier le discours journalistique portant sur une exposition vedette » (p. 197) en analysant tous les articles traitant de l’exposition et publiés entre le 30 novembre 2005 et le 6 janvier 2009, afin d’inclure les articles portant sur la préparation de cette exposition majeure ainsi que les analyses, bilans et critiques après l’évènement.
Luckerhoff (2012) a analysé les articles pour déterminer si l’intention journalistique principale était d’informer, de juger ou de persuader, de louer ou de vanter, ou encore de divertir ou d’amuser : « La majorité des articles qui composent le corpus avaient pour fonction […] d’informer (61,8 %), près du cinquième (19,6 %) visaient à louer / vanter, 13,7 % voulaient juger / persuader et 4,9 % se situaient dans la perspective d’amuse / divertir » (p. 208).
Il a aussi analysé la valorisation par les critères culturels qui s’oppose habituellement à la valorisation par des critères de marché (le contenu symbolique qui s’oppose, par exemple, aux retombées économiques). Son étude montre que
les reproches sont inexistants lorsque vient le temps d’évaluer l’exposition, c’est-à-dire après la fin de celle-ci. Avant l’exposition, les critères mis de l’avant dans les articles sont uniquement culturels dans la majorité des cas, alors qu’après l’exposition, ce sont des critères uniquement de marché qui sont mis de l’avant. Après l’exposition, les journalistes mentionnent aussi de manière plus significative le nombre de personnes ayant visité l’exposition dans le titre et le corps de l’article. Après l’exposition, l’intention des journalistes est principalement d’informer, et ils utilisent surtout un ton factuel. Ils vont davantage juger et persuader avant l’exposition et louer et vanter pendant l’exposition. (p. 235).
Luckerhoff (2012) considère que ses résultats de recherche semblent donner raison à Mairesse et Deloche (2010) :
Le point de vue qui s’élabore progressivement, au fur et à mesure du développement du spectaculaire muséal et, à partir du XXIe siècle, des "musées superstars" (Frey et Meier, 2006), semble moins fondé sur celui des publics, tels qu’on les étudie par le biais d’enquêtes de visiteurs, dans une optique éducative, que sur celui du succès populaire selon des critères proches de l’audimat, de même que sur les recettes potentielles des entreprises. (p. 41).
Luckerhoff (2012) concluait son étude en affirmant qu’il « importerait aussi d’analyser d’autres types de produits culturels, ce qui déboucherait sur la production d’un espace public culturel plus ou moins démocratique, critique ou commercial » (p. 235). En effet, son étude portait sur une exposition donnée. Mais qu’en est-il de l’actualité culturelle à propos des autres institutions ? Qu’en est-il sur une année complète ? Dans tous les médias écrits principaux de la province ? À notre connaissance, aucun chercheur n’a analysé un corpus aussi volumineux pour répondre à des questions simples pour lesquelles un corpus exhaustif s’avère nécessaire. Le présent article vise d’abord à répondre à la question suivante : sur quoi porte le discours des journalistes lorsqu’ils écrivent à propos de la culture ? Autrement dit, qu’est-ce qui compose l’actualité culturelle ? Il s’agit d’une étude quantitative qui vise à dresser un portrait, à partir de statistiques descriptives. À notre connaissance, un tel portrait de la couverture de presse complète au Québec sur une année n’a pas été réalisé jusqu’à maintenant.
Plus précisément, nous avons voulu savoir quels journaux traitent de culture, de quoi et de quelles villes il est question dans les articles et quand les articles ont été publiés. Nous avons aussi analysé de quels domaines culturels il est davantage question. Ensuite, nous avons voulu comparer les analyses de Luckerhoff (2012) portant sur la valorisation par des critères culturels ou par des critères de marché (mettre l’accent sur les processus créatifs ou sur les retombées économiques et le succès commercial) et sur les intentions dans les articles journalistiques (informer, juger ou persuader, louer ou vanter, amuser et divertir) pour savoir ce qu’il en est à propos de la couverture médiatique complète sur une année au Québec.
Il va de soi que d’analyser un corpus aussi imposant comporte des limites liées à la capacité d’analyse. Ainsi, les chercheurs ont-ils dû se limiter à un petit nombre de variables et les statistiques sont essentiellement descriptives. Mais l’intérêt de ces résultats est de disposer d’un portrait complet de l’actualité culturelle au Québec, sur une année. L’apport de cette contribution descriptive réside notamment dans l’ampleur et le caractère exhaustif du corpus traité.
Méthode
Cette recherche a été financée en partie par une subvention du Fonds de recherche Société et culture (FRQSC) portant sur le discours de la presse écrite à propos de la culture dirigée par Jason Luckerhoff. La revue de presse exhaustive a été fournie, dans le cadre de ce projet, par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Elle a été réalisée par la firme Cision pour le compte du Ministère. Entre le 1e janvier et le 31 décembre 2008, 25 000 articles ont été publiés.
Nous avons eu accès à l’ensemble de ces articles. De ces 25 000 articles, nous avons retiré ceux publiés dans une autre province canadienne que le Québec et avons conservé ceux qui ont été publiés dans les 16 quotidiens québécois suivants : Le Soleil, Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec, The Globe and Mail, Le Devoir, The Gazette, Le Droit, Le Nouvelliste, La Presse, La Voix de l’Est, 24 heures, Média Matin Québec, Le Quotidien, The Record, La Tribune et Métro.
Ensuite, nous avons retiré les articles qui étaient liés à la communication ou à la condition féminine, qui font aussi partie du mandat du Ministère, mais qui n’étaient pas en lien avec le sujet de notre étude. Finalement, nous nous sommes référés au Système de classification des activités de la culture et des communications du Québec (SCACCQ) produit par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ) pour sélectionner seulement les articles portant sur un ou plusieurs des 11 domaines suivants : 1. Arts visuels, métiers d’art et arts médiatiques 2. Arts de la scène 3. Patrimoine, institutions muséales et archives 4. Bibliothèques 5. Livre 6. Périodique 7. Enregistrement sonore 8. Cinéma et audiovisuel 9. Radio et télévision 10. Multimédia 11. Architecture et design2. Cela nous a permis de conserver les 12 330 articles traitant de culture publiés dans les 16 journaux mentionnés précédemment durant l’année 2008.
Nous avons identifié plusieurs éléments d’analyse dans le corpus. Certains sont liés au contexte de publication de l’article (la date de publication et le nom du journal) et d’autres sont liés à son contenu (le domaine culturel dont il est question, la ville dans laquelle sont proposés l’offre culturelle, l’intention journalistique et les critères de valorisation). Nous avons créé une grille de codage à partir de ces éléments. Trois codeurs ont travaillé sur une période de cinq mois. Parmi les 12 330 articles, 400 ont été codés à trois et le taux d’accord a été de 100 % en utilisant la grille de codage.
Quels journaux traitent de culture ?
Les 12 330 articles ont été publiés dans 16 quotidiens différents. Certains ont le même propriétaire (par exemple Le Soleil, La Presse, Le Nouvelliste, La Tribune, Le Quotidien, Le Droit et La Voix de l’Est sont des propriétés de Gesca) et certains sont publiés dans la même ville (par exemple, Le Soleil, Le Journal de Québec et Média Matin Québec sont tous publiés à Québec).
Leurs tirages hebdomadaires sont variables : à titre d’exemple, alors que The Record à Sherbrooke a un tirage de 24 635 exemplaires, celui du Journal de Montréal, à Montréal, est de 1 841 322 exemplaires. La table 1 présente la liste des journaux ayant publié des articles sur la culture au cours de l’année 2008, leur propriétaire, leur tirage hebdomadaire et leur ville d’attache (en date de 2008). Y est aussi indiqué le nombre d’articles du corpus provenant de chaque journal ainsi que la proportion du corpus que cela représente.
Les cinq journaux ayant le plus publié d’articles traitant de culture sont, dans l’ordre, Le Soleil (2 132 articles), La Presse (1 820 articles), Le Devoir (1 662 articles), le Journal de Québec (1 550 articles) et Le Journal de Montréal (1 100 articles). À eux cinq, ces journaux ont publié 68,1 % des articles du corpus d’étude. Leur ville d’attache est soit Québec ou Montréal et cela semble avoir un impact sur la densité du traitement culturel. En effet, les journaux établis dans la ville de Montréal en ont publié 5 939 (48,4 %), ceux établis dans la ville de Québec ont publié 4 106 articles, soit 33,1 % des articles de 2008 traitant de culture et ceux établis dans la ville de Trois-Rivières (qui est la troisième ville dont les journaux ont le plus traité de culture) ont publié 610 articles (5,0 %).
Il y a ainsi eu près de 10 fois plus d’articles publiés dans un journal de la ville de Montréal, qui est la ville ayant eu le plus de publications, que dans un journal de Trois-Rivières, qui est la troisième ville d’importance en termes de nombre de publications. Le nombre de journaux publiés dans une ville va généralement de pair avec le nombre d’habitants. Au 1e juillet 2016, Montréal était, de loin, la ville la plus populeuse de la province, avec 1 767 753 habitants et elle est la ville d’attache de sept journaux du corpus. La Ville de Québec suit, avec 538 918 habitants et trois journaux faisant partie du corpus.
Table 1. Liste des journaux, de leur propriétaire, de leur tirage hebdomadaire3, de leur ville de publication et du nombre et pourcentage d’articles contenus dans le corpus4
En 1995, Harvey et Fortin ont proposé une typologie des espaces culturels régionaux qui s’appuie sur l’offre culturelle au Québec et au Canada français. Selon ces auteurs, c’est autour de deux pôles urbains, Montréal et Québec, que s’organise la vie culturelle au Québec. L’offre culturelle institutionnalisée y est plus grande et diversifiée qu’ailleurs dans la province. Considérant leurs importants bassins de populations, le nombre de journaux qui y sont publiés et leur vitalité culturelle, il est peu surprenant qu’y soient publiés un grand nombre d’articles sur la culture.
La population nombreuse de la Ville de Québec et sa vitalité culturelle ne sont pas les seuls facteurs qui peuvent expliquer ce résultat car à cet égard, Montréal, considérée comme la métropole culturelle du Québec, la surpasse. Puisque le 400e anniversaire de la Ville de Québec était souligné en 2008, plusieurs évènements culturels d’importance y ont été tenus (pensons notamment à l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie présentée au Musée des Beaux-Arts du Québec et à plusieurs spectacles dont le Spectacle commémoratif tenu les 3, 4 et 5 juillet 2008), lesquelles s’ajoutaient à une programmation d’activités culturelles régulières (par exemple le Festival d’été de Québec). Les évènements culturels à couvrir étaient donc plus nombreux et d’envergure qu’à l’habitude.
Si la ville de publication du journal et son contexte peuvent contribuer à expliquer le nombre d’articles sur la culture qui y sont publiés, le tirage semble avoir moins d’importance. En effet, les cinq journaux ayant publié le plus d’articles sur la culture en 2008 ont parfois un tirage important (Le Journal de Montréal et La Presse), intermédiaire (Le Journal de Québec et Le Soleil) ou moins grand (Le Devoir).
De quoi est-il question ?
Nous nous sommes référés au Système de classification des activités de la culture et des communications du Québec (SCACCQ) de l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ) pour catégoriser les articles selon le domaine culturel dont ils traitent. Dans la plupart des cas (79,8 %), les articles traitent de l’un ou l’autre de ces domaines; dans 20,2 % des cas, les articles ne portent pas sur un domaine culturel en particulier, mais sur plusieurs à la fois.
La figure 1 présente l’importance de chacun des domaines, lorsque les articles en traitent d’un seul à la fois (les articles qui traitent de plus d’un domaine ne sont pas inclus).
Lorsqu’un seul domaine culturel est mentionné dans les articles, c’est des arts de la scène dont il est généralement question (23,1 %), puis de radio et de télévision (21,9 %) et de cinéma et d’audiovisuel (17,7 %). Vient ensuite le domaine du patrimoine, des institutions muséales et des archives (14,7 %).
Il est question des autres domaines dans une moindre mesure (moins de 10 % des articles pour chaque domaine restant celui dont il est le moins question est Multimédia 0,4 % des articles en traitent). Les spectacles ont en effet occupé une place de choix dans la programmation des activités du 400e anniversaire de la Ville :
La direction de la Société du 400e anniversaire souhaitait offrir une programmation équilibrée entre la chanson québécoise, la chanson française, la musique symphonique et la musique classique présenter des spectacles variés de calibre international et faire une place aux Premières Nations et aux deux peuples fondateurs, la France et le Royaume-Uni » (Société du 400e, 2011, p.109).
C’est d’ailleurs avec un spectacle intitulé Coup d’envoi que les festivités ont été lancées, le 31 décembre 2007 à 23 heures, à la place d’Youville: « Il s’agit d’un spectacle d’envergure, de musique traditionnelle et contemporaine, qui s’inspire à la fois du passé et de l’avenir pour donner une image globale du présent et de la place de la ville de Québec dans le monde » (p. 109). Se sont aussi tenus plusieurs évènements et spectacles de grande envergure comme Rencontres : le spectacle commémoratif, le Festival d’été de Québec qui a accueilli plusieurs artistes de renommée internationale (pensons à Van Halen, NoFX, Charles Aznavour, Stone Temple Pilots), le spectacle Jorane et l’OSQ, le Spectacle pyromusical Les quatre saisons de Québec, le Concert de Paul McCarteney et Céline sur les Plaines, pour ne nommer que ceux-là. Plusieurs spectacles ont été télédiffusés. Par exemple, le spectacle Paris/Québec - À travers la chanson a réuni approximativement 80 000 personnes sur les Plaines d’Abraham et réuni 738 000 personnes devant leur petit écran au Canada (télédiffuseurs : Radio-Canada et ARTV) et 3 618 000 téléspectateurs de France 2 (p. 171).
Figure 1. Domaines culturels dont il est question dans les articles (en % N= 9 846)
Tous les journaux ne traitent pas nécessairement de tous les domaines culturels ni dans les mêmes proportions, mais on remarque tout de même des similitudes5. Aucun des journaux à l’étude ne présente d’équilibre dans le nombre d’articles publiés se rattachant à chaque domaine; il y a beaucoup de variation. Le Quotidien, par exemple, n’a publié aucun article dans les domaines de l’architecture et du multimédia, pratiquement aucun dans les domaines de l’enregistrement sonore et du périodique, mais plus du quart sont consacrés aux arts de la scène, environ le sixième sont liés au patrimoine, aux institutions muséales et aux archives et presqu’un autre sixième concerne la radio et la télévision.
Table 2. Proportion d’articles publiés dans chaque domaine par chaque journal (en %)
Une bonne proportion d’articles (16,4 %) traite de plus d’un domaine à la fois. Aucun des journaux n’a consacré beaucoup d’articles aux domaines de l’architecture, de l’enregistrement sonore et du multimédia. Lorsqu’une grande proportion des articles est liée à un seul domaine, c’est généralement celui des arts de la scène, du cinéma et de l’audiovisuel, du patrimoine, des institutions muséales et des archives, et de la radio et de la télévision. Aussi, tous les journaux ont publié bon nombre d’articles traitant de plus d’un domaine culturel à la fois : les proportions varient entre 12,7 et 25,7 %.
Ces répartitions inégales dressent un portrait plutôt diversifié de la couverture journalistique culturelle. Il se peut que cela soit lié à l’offre, mais il se peut également que les journaux soient moins enclins à effectuer un journalisme culturel spécialisé, par exemple en arts visuels ou en cinéma.
Certains éléments sembleraient ne pas présenter un intérêt médiatique suffisant pour faire l’objet d’un traitement individuel. En effet, une bonne proportion d’articles porte sur plus d’un domaine (N=2 484). Il importe toutefois de nuancer en rappelant que 2008 était l’année du 400e anniversaire de la ville de Québec et que des journaux dont la ville d’attache est Québec (p.ex. Le Soleil et Le Journal de Québec) ont publié plusieurs articles qui avaient notamment pour but d’identifier les diverses activités culturelles proposées dans le cadre du 400e. En outre, ces activités se retrouvent bien souvent sous plusieurs domaines.
La couverture journalistique selon le territoire
La plupart des villes du Québec ont une programmation culturelle. En 2008, la commémoration du 400e anniversaire de la Ville de Québec a-t-elle fait en sorte que l’on ait parlé des activités culturelles de cette ville plus que de celles des autres dans les journaux? Oui et beaucoup plus qu’ailleurs. Si l’on retire du corpus les articles dans lesquels il n’était question d’aucune ville (N=5 278), ceux dans lesquels il était question de plus d’une ville (N=518) et ceux dont il était question de villes situées à l’extérieur de la province de Québec (N=365), 40,3 % des articles ont parlé d’activités culturelles tenues dans la Ville de Québec ou de culture en lien avec la Ville (N=2485). Vient ensuite Montréal (1 726 articles; 28,0 %), suivie de loin par Trois-Rivières (323 articles; 5,2 %), Gatineau (183 articles; 3,0 %) et Sherbrooke (N=161; 2,6 %). La balance des articles (20,9 %) mentionne l’une ou l’autre des quelque 200 villes dont il est question dans le corpus.
Toutes les régions administratives du Québec ont vu mentionné au moins une des villes situées sur leur territoire dans un article traitant de culture en 2008, à l’exception du Nord-du-Québec. Le fait qu’il soit davantage question des activités culturelles tenues dans la Ville de Québec qu’ailleurs paraît clairement découler de la programmation culturelle exceptionnelle des festivités du 400e anniversaire et de la programmation associée.
Il n’est cependant pas question des mêmes sujets dans les mêmes proportions. Considérant le nombre important de villes mentionnées dans le corpus, nous les avons regroupées selon les 17 régions administratives du Québec. Nous avons vérifié si certaines régions sont davantage liées par les journalistes à un domaine culturel qu’à un autre.
Sans surprise, c’est dans les régions de la Capitale-Nationale et de Montréal que l’on retrouve le plus grand nombre de domaines majoritairement couverts. Par exemple, 41,2 % des articles sur les arts de la scène, 51,6 % de ceux sur les arts visuels, les métiers d’art et les arts médiatiques, 36,8 % de ceux sur le livre, 46,8 % de ceux sur le patrimoine et les institutions muséales, 30,0 % de ceux portant sur les archives, 38,2 % de ceux sur la radio et la télévision et 54,8 % de ceux sur les périodiques sont liés à la région de la Capitale-Nationale.
C’est aussi lorsqu’il est question de la Capitale-Nationale que l’on retrouve la plus grande proportion d’articles portant sur plus d’un domaine (49,2 %). Montréal est la région à laquelle sont majoritairement liés les domaines de l’architecture et du design (75,2 %), du cinéma et de l’audiovisuel (54,6 %), de l’enregistrement sonore (56,0 %) et elle est la seule que les journalistes associent au multimédia. Le chantier du Quartier des spectacles, qui était en cours en 2008, n’est peut-être pas étranger à ces résultats : « C’est le cœur culturel de la métropole. C’est l’endroit en Amérique du Nord où l’on retrouve la plus forte concentration et la plus grande diversité de lieux culturels.
En toute saison, de jour comme de nuit, « Montréalais et visiteurs y affluent, séduits et fascinés par ses 80 lieux de diffusion, ses 8 places publiques animées et pas moins de 40 festivals »6. Le Quartier est mis en lumière (signature lumineuse commune), « un éclairage architectural individualisé illumine la façade de plus de 20 édifices et lieux de diffusion et met en valeur leurs spécificités architecturales », et le soir, « six façades d’édifices deviennent des surfaces de projection de vidéos artistiques ». Montréal fait ainsi figure de « chef de file international en arts numériques »7.
Le domaine dont les journalistes traitent sur l’ensemble du territoire, quoique dans des proportions très variables, est les arts de la scène (16 régions). Il est suivi du patrimoine et des institutions muséales (15 régions le même nombre de régions ont traité de plus d’un domaine), du cinéma et de l’audiovisuel (14 régions) puis de la radio et de la télévision (13 régions). Les sujets dont l’étendue territoriale est moindre sont les archives (6 régions) et le multimédia seule la région de Montréal est associée à ce domaine. Selon Investissement Québec, « Montréal est le cinquième pôle du jeu vidéo après Tokyo, Londres, San Francisco et Austin »7. Eidos et Ubisoft Montréal, deux studios de développement de jeux vidéo, pour ne nommer que ces entreprises du multimédia, ont leur siège social à Montréal.
Les moments de publication
Lors du processus de codification, nous nous sommes intéressés aux dates de publication des articles mentionnant ou portant sur la culture. La répartition par jour est jonctuée par de multiples pointes qui se situent généralement le samedi : 2 566 sur les 12 330 articles ont été publiés un des 52 samedis de 2008. Cette proportion représente un nombre moyen d’articles de 49,3 par samedi à l’échelle de la province. C’est lors des 313 autres jours de 2008 que les 9 768 autres articles ont été publiés (33,2 articles par jour en moyenne). Cette différence importante peut être expliquée par le fait que la plupart des quotidiens québécois diffusent des cahiers culturels le samedi.
Nous avons aussi voulu voir si certains mois avaient été plus importants que d’autres, en termes de nombre d’articles publiés sur la culture. La figure 2 présente la proportion d’articles publiés chaque mois de l’année 2008.
Le mois au cours duquel le plus grand nombre d’articles traitant de culture ont été publiés est avril (1 480 articles 12 %), suivi de septembre (1 406 articles 11,4 %). Le mois où la densité de la couverture a été la plus faible est décembre (560 articles 4,5 %). On constate également que trois des quatre mois les plus importants en termes de nombre d’articles publiés se succèdent. En effet, au printemps 2008, soit en avril, mai et juin, 32,2 % des articles ont été publiés (3 970 articles). Toutefois, lors des mois d’automne, soit octobre, novembre et décembre, on remarque les moins grandes proportions d’articles (6,6 % en novembre et 4,5 % en décembre) et cette saison compte pour seulement 18,6 % du corpus (2 295 articles).
Figure 2. Proportion d’articles publiés chaque mois de l’année 2008
Si le printemps est la période médiatique la plus dense en raison de l’approche de l’été qui est la saison touristique québécoise, le mois de septembre représente la fin de la saison touristique et donc la période de médiatisation des résultats des différents milieux culturels, ce qui contribue peut-être à expliquer cette répartition. De surcroit, en 2008, les élections générales provinciales ont eu lieu en septembre, ce qui a soulevé plusieurs enjeux culturels, notamment au sujet du financement.
Valorisation selon les critères culturels et les critères de marché
En 2012, Luckerhoff a « voulu mesurer le discours journalistique qui valorisait l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie. selon des critères culturels et selon des critères de marché » (p. 212). Par valorisation selon des critères de marché, Luckerhoff entend un traitement journalistique qui « concerne davantage les retombées économiques, le nombre de visiteurs et le succès commercial » (p. 212). La valorisation selon des critères culturels est caractérisée par un traitement mettant l’accent sur les processus créatifs à l’origine de l’exposition ou encore sur la valeur symbolique de celle-ci (Luckerhoff, 2012). La valorisation peut aussi être mixte, mais avec une dominante (p.ex. les critères peuvent être majoritairement de marché ou majoritairement culturels).
Cette dominante se détermine par le calcul du nombre de lignes dans l’article traitant de chaque type de valorisation. Par exemple, si, dans un même article, un paragraphe de quatre lignes vise à valoriser la valeur esthétique de l’exposition, mais qu’un paragraphe de huit lignes vise à mettre en valeur le succès de fréquentation de l’exposition, l’article est codifié comme présentant une valorisation selon des critères majoritairement de marché. Lors des rares cas où un même nombre de lignes traitent des deux critères, la dominance était accordée au critère ayant été énoncé en premier dans l’article.
En codifiant selon ces indications les 204 articles qui constituent le corpus d’analyse sur la couverture journalistique de l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie, Luckerhoff (2012) a constaté cette répartition : 30,4 % traitent de culture selon des critères uniquement de marché, 7,9 % selon des critères majoritairement de marché, 17,6 % selon des critères majoritairement culturels et 44,1 % selon des critères uniquement culturels.
En animant des entretiens avec des journalistes, Luckerhoff (2012) avait interprété ces résultats en considérant que « lors de la présentation d’une exposition qui s’insère dans un système commercial et touristique, il [le journaliste] comprend clairement que son rôle est de faire la promotion de ce pour quoi plusieurs partenaires ont travaillé très fort » (Luckerhoff, 2012, p. 220).
Dans le cadre de notre étude, nous avons réalisé la même analyse. Toutefois, les articles traitent de plusieurs domaines culturels et non d’une seule exposition muséale, ce qui permet de voir si la tendance à la valorisation de la culture selon des critères de marché est comparable (lors d’une année donnée) quand on étudie tous les domaines culturels, et pas seulement une exposition. La figure 3 présente la proportion des articles selon les critères de valorisation qu’on y retrouve. Ils sont comparés aux résultats de Luckerhoff (2012).
Figure 3. Comparaison des critères de valorisation avec ceux de Luckerhoff 2012 (en %)
Dans le cadre de notre étude, nous voyons que les critères uniquement culturels et uniquement de marché sont utilisés dans des proportions très similaires dans les articles (respectivement 27,2 % et 29,0 %), ce qui n’était pas le cas dans l’étude de Luckerhoff (2012 30,4 % et 44,1 %). Il semble que les critères de valorisation culturelle aient été nettement plus présents pour l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie. (61,7 %) que pour l’ensemble des articles portant sur la culture en 2008 (46,3 %).
Nous supposons que le fait qu’une institution de renommée mondiale comme le Louvre accepte de prêter des œuvres au Québec, combinée au fait que des journalistes québécois puissent se rendre gratuitement en France pour le visiter a engendré un traitement journalistique différent (on voulait peut-être assurer le succès de l’exposition dans un premier temps les articles publiés après l’exposition présentaient davantage des critères de marché, comme le nombre de visiteurs). Aussi, le battage médiatique autour de cette exposition s’est fait de longue haleine. Par exemple, les journalistes ont été invités lors de l’arrivée des œuvres au Musée, ils ont eu droit à une visite guidée privée en primeur, etc. : ce genre de traitement n’est pas possible pour un spectacle à diffusion unique.
Nous avons aussi voulu voir quels critères de valorisation utilisent les journaux (Figure 4).
Figure 4. Proportion d’articles dont les critères de valorisation sont uniquement ou majoritairement de marché, ou uniquement ou majoritairement culturels, selon les journaux
Plusieurs journaux ont recours à des critères culturels ou de marché dans des proportions du même ordre (autour de 45 % à 55 % pour chaque type de critères). C’est par exemple le cas du Devoir et de Métro, mais aussi du Droit, de La Voix de l’Est, du Journal de Québec, du Nouvelliste, de The Gazette, etc. Par ailleurs, d’autres semblent avoir une tendance plus marquée. Le 24 Heures a plus souvent recours aux critères de valorisation culturels (58,5 % des articles qui y sont publiés), tandis que d’autres recourent davantage aux critères de marché : The Record (66,7 %), Le Journal de Montréal (66,9 %) et The Globe and Mail (80,8 %). A priori, ces tendances ne nous semblent pas de facto liées aux propriétaires des journaux car, à titre d’exemple, Quebecor est à la fois propriétaire du 24 Heures qui a plus souvent recours aux critères culturels, et du Journal de Montréal qui utilise davantage des critères de marché. Il se pourrait que des journaux aient des orientations et des lectorats différents, ce qui amènerait un traitement différent. Une analyse du discours des articles d’une année typique apporterait un éclairage supplémentaire sur cette question.
Les intentions des journalistes
Dans son étude de 2012, Luckerhoff a également cherché à identifier les intentions des articles traitant de l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie. Il s’est référé à Guay (2005) et à Grosse et Seibold (1994) pour analyser les intentions journalistiques selon qu’ils visent à Informer, à Juger/Persuader, à Louer/Vanter ou à Amuser/Divertir. Ce modèle « décrit les pratiques journalistiques dans une démarche plus empirique que théorique, plus réaliste qu’idéaliste » (Luckerhoff, 2012 : 205). Se retrouvent dans la catégorie « Informer » les articles visant à diffuser de façon factuelle des informations relatives à une offre culturelle, par exemple une programmation, un calendrier ou une annonce de financement.
Il s’agit, de loin, de la principale intention repérée dans les articles de notre corpus : 76,9 % des articles visent d’abord à informer les lecteurs. La catégorie « Juger/Persuader » regroupe les articles dans lesquels les journalistes cherchent à diffuser des opinions par rapport aux offres culturelles, par exemple par une critique, par le courrier du lecteur ou par une chronique. Il s’agit de la seconde intention la plus importante dans notre corpus (20,8 %). La catégorie « Louer/Vanter » contient les articles visant à faire une valorisation uniquement positive d’une offre culturelle et qui ont une tendance promotionnelle forte, tels les encadrés publicitaires, les brèves publicitaires ou certains bilans. Cette intention est assez marginale dans notre corpus : 1,8 % des articles visent à louer/vanter. Finalement, la catégorie « Amuser/Divertir » regroupe les articles ayant un caractère anecdotique ou encore les caricatures liées à des offres culturelles. Seulement 0,4 % des articles de notre corpus visaient d’abord à amuser/divertir.
Nos résultats donnent également du poids à une observation de Luckerhoff (2012), soit celle d’un traitement résolument favorable de l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie. dans la presse écrite. En effet, les articles sur l’exposition présentée au MNBAQ ont pour intention de Louer/Vanter près de onze fois plus souvent (19,6 % vs 1,8 %) que les articles traitant de tous domaines culturels. On peut donc penser, à l’instar de Luckerhoff, que l’envergure de la campagne publicitaire, de même que les activités de communication du MNBAQ (p. ex. offrir un voyage payé à des journalistes pour aller visiter le Musée du Louvre à Paris), auraient entraîné un traitement particulièrement favorable de l’exposition.
Nos résultats révèlent que l’intention d’informer est nettement la plus forte pour tous les journaux du corpus, suivie de celle de juger/persuader. On remarque toutefois des différences de proportions des intentions selon les journaux. Par exemple, plus de 80 % des articles publiés dans Le Journal de Québec, Le Quotidien, Métro, La Tribune, Le Journal de Montréal, 24 heures et Média Matin Québec ont pour intention d’informer. Les journaux dont les plus grandes proportions d’articles visent à juger et persuader sont Le Devoir (30,5 %), La Presse (30 %) et The Gazette (28,3 %). Cela laisse penser que les journaux adoptent peut-être des positionnements différents lorsqu’il est question de culture. Cela pourrait aussi être lié aux journalistes eux-mêmes : les articles ont-ils été écrits par des « journalistes culturels » ou par des pigistes assignés à cette couverture parmi d’autres ?
Les proportions importantes d’articles visant à informer et à juger/persuader permettent de situer les journaux face à deux ensembles de critères journalistiques : ceux du journalisme d’information et ceux de la critique culturelle. Le journaliste d’information doit rendre compte d’enjeux et d’évènements de la manière la plus objective possible. Inversement, le critique culturel doit mettre de l’avant sa subjectivité face à son évaluation de l’esthétique, par exemple, d’une exposition (Habermas, 1992 Béra, 2003). Le discours journalistique du critique est donc lié à l’opinion ou au jugement du journaliste.
Table 3. Intentions selon les journaux
Dans cette logique, le Média Matin Québec, 24 heures et Le Journal de Montréal seraient les trois journaux qui assurent le traitement de la culture le plus en lien avec les exigences associées à la fonction générale du journalisme d’information. En outre, Le Devoir et La Presse semblent plus enclins, bien que la grande majorité de leurs articles visent également à informer, à effectuer un traitement orienté par le jugement de leurs journalistes culturels. Ces résultats montrent qu’en 2008 les journalistes qui ont signé des articles sur la culture avaient des pratiques plus proches de la définition du journalisme d’information (Charron et de Bonville, 1996) que de celle du critique culturel (Béra, 2003). Un autre volet à cette recherche serait toutefois nécessaire pour savoir si les journalistes qui ont signé les articles sur la culture en 2008 sont spécialisés en culture ou pas et, conséquemment, si les journalistes culturels optent effectivement davantage pour un journalisme d’information.
Résumé des principaux résultats
Notre étude montre que les journaux ayant publié le plus d’articles traitant de culture sont, dans l’ordre, Le Soleil, La Presse, Le Devoir, Le Journal de Québec et Le Journal de Montréal. À eux cinq, ces journaux ont publié 68,1 % des articles du corpus étudié. Les villes où l’on retrouve les journaux qui publient le plus d’actualité culturelle sont Montréal, Québec et Trois-Rivières. Il y a donc 10 fois plus d’articles portant sur la culture publiés à Montréal qu’à Trois-Rivières, même si cette dernière est la troisième après Québec. Dans 79,8 % des cas, les articles traitent d’un domaine culturel en particulier alors que dans 20,2 % des cas, ils portent sur plusieurs à la fois. Lorsqu’un seul domaine culturel est mentionné dans les articles, c’est des arts de la scène dont il est généralement question, puis de la radio et de la télévision et du cinéma et de l’audiovisuel.
Vient ensuite le domaine du patrimoine, des institutions muséales et des archives. C’est dans les régions de la Capitale-Nationale et de Montréal que l’on retrouve le plus grand nombre de domaines couverts. Le domaine dont il a été question sur presque l’ensemble du territoire, quoique dans des proportions très variables, est les arts de la scène (16 régions). Il est suivi du patrimoine et des institutions muséales (15 régions) du cinéma et de l’audiovisuel (14 régions) puis de la radio et de la télévision (13 régions).
En ce qui concerne le moment de la publication, 2 566 des 12 330 articles ont été publiés un samedi. Le mois au cours duquel le plus grand nombre d’articles traitant de culture a été publié est avril suivi de septembre alors que le mois où la couverture a été la plus faible est décembre. 32,2 % des articles ont été publiés en avril, mai et juin. Le recours à des critères de valorisation culturels ou de marché se fait dans des proportions similaires, mais on note des différences selon les journaux. En ce qui concerne le contenu des articles, 76,9 % visent à informer les lecteurs. La seconde intention la plus importante dans le corpus est celle de juger et persuader (20,8 %).
Discussion
Les médias agissent sur la notoriété des institutions culturelles, sur les représentations préalables que les gens se font de l’offre culturelle et sur les attentes des publics (Luckerhoff, 2012 Montpetit, 2003). Comme en témoignent les politiques culturelles, l’État fait appel aux médias afin qu’ils jouent un rôle dans le processus de démocratisation de la culture.
Selon Harries et Wahl-Jorgensen (2007), les journalistes affectés à la culture se sentent investis d’une mission :
Alors que plusieurs journalistes culturels considèrent qu’ils font partie de la catégorie plus large des "journalistes", ils adoptent aussi la spécificité du journalisme culturel et avancent que : 1) le journaliste culturel idéal est meilleur et beaucoup plus qualifié qu’un reporter de nouvelles 2) le journalisme culturel est qualitativement différent du journalisme des nouvelles 3) le journalisme culturel a la responsabilité de communiquer la transformation inhérente à la nature des arts. Toujours selon ces auteurs, forts de ce discours, les journalistes culturels adoptent un rôle de croisade en définissant leur travail comme étant le résultat d’une passion, ce qui est habituellement dénigré en journalisme. Alors que les journalistes culturels partagent certains aspects de leur culture professionnelle avec d’autres journalistes, leur travail est directement lié à l’amélioration de l’appréciation des arts chez les différents publics. (Luckerhoff, 2012, p. 219).
Or, Béra (2003) considère que la critique est menacée par la logique commerciale qui traverse le champ journalistique. L’autopromotion aurait remplacé le discours critique et externe sur les productions culturelles. La « logique des médias y rejoint celle des institutions : vendre et faire vendre, par des techniques de consécration croisée, avec tous les problèmes que cela peut poser au plan de la capacité à critiquer les évènements » (Béra, 2003, p. 168).
C’est ce que nous avons constaté dans la présente étude et dans celle portant spécifiquement sur l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie dans le cadre de laquelle nous avions analysé le corpus de presse et animé des entretiens avec les sources et avec les journalistes (Luckerhoff, 2012). Bien que des journalistes se réclament de la mission décrite par Harries et Wahl-Jorgensen (2007), la critique culturelle est peu présente dans les corpus étudiés. Nous retrouvons davantage des articles qui correspondent au journalisme d’information, ou à la nouvelle, et, en deuxième, des articles qui contribuent à juger/persuader et qui sont très proches de la promotion. Par ailleurs, la couverture est très concentrée sur Montréal et Québec et sur les évènements et attraits importants.
Marie-Claude Lapointe est professeure au département d’études en loisir,
culture et tourisme à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Olivier Champagne-Poirier est doctorant en communication
sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Jason Luckerhoff est professeur titulaire au département de lettres
et communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Notes
1Il s’agit d’une vidéo parodique, mettant en vedette plusieurs artistes francophones, qui traite de l’intervention du gouvernement fédéral en culture francophone. La vidéo peut être visionnée à l’adresse : youtube.com/watch?v=n3HVFsIQ5M4
2Pour consulter les définitions des domaines, se référer au Système de classification des activités de la culture et des communications du Québec (OCCQ, 2004).
3Statistiques concernant le tirage hebdomadaire des quotidiens tirées du rapport du Centre d’Études sur les Médias (2008).
4Puisque ce tableau vise à présenter des informations sur les journaux, nous n’y avons pas inclus les 222 articles qui ont été publiés dans plus d’un journal. C’est la raison pour laquelle le total des articles est de 12 108 et non de 12 330.
5La table 2 présente la proportion d’articles publiés dans chaque domaine par chaque journal.
6Quartier des spectacles (s.d.). Découvrir le quartier. [En ligne] quartierdesspectacles.com.
7Investissement Québec (s.d.). L’explosion de l’univers du jeu vidéo. [En ligne] investquebec.com.
Références
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DOI:10.31188/CaJsm.2(2).2018.R069