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Nouvelle série, n°2

2nd semestre 2018

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Les musées dans la presse écrite : entre l’évènement et le spectaculaire

Mélanie Guillemette, Université du Québec à Trois-Rivières
Olivier Champagne-Poirier, Université du Québec à Trois-Rivières

Résumé

Cette étude examine la couverture journalistique des musées dans la presse écrite de 2008. Cela nous permet simultanément d’étudier deux systèmes qui, de façons similaires, traversent des phases de mutations profondes depuis les années 1980. De nos analyses inductives de 571 articles de journaux, nous comprenons que les journalistes semblent effectuer la couverture de quatre grandes thématiques. Alors que certains articles présentent des chiffres liés à la fréquentation des musées et à leurs budgets, d’autres vont aborder des éléments de gestion organisationnelle ou vont réitérer la valeur symbolique et sociale des musées. Finalement, certains mettront en évidence le caractère extraordinaire des offres présentées dans les musées. Ces résultats nous permettent de conclure que l’inscription des musées à l’agenda médiatique dépend de leur capacité à générer des éléments d’actualité remarquables et spectaculaires, mais également que la couverture journalistique est davantage centrée sur le contenant que sur le contenu culturel.

Abstract

This study examines the journalistic coverage of museums in the print media of 2008, allowing us to simultaneously study two systems that, in similar ways, are going through phases of profound change since the 1980s. From our analysis of 571 newspaper articles, we understand that journalists covered four major themes. While some articles present figures related to museum attendance and budgets, others addressed elements of organizational management or reiterated the symbolic and social value of museums. Finally, some highlighted the extraordinary nature of offers presented in museums. These results allow us to conclude that the inclusion of museums in the media agenda depends on their ability to generate remarkable and spectacular news items, and that the journalistic coverage is centered more on container-content rather than cultural-content.

DOI: 10.31188/CaJsm.2(2).2018.R105





D

epuis les années 1980, les entreprises de presse traversent une phase de mutation. D’une part, la demande pour les journaux papier est en baisse, ce qui fait en sorte que « la presse écrite généraliste, au Québec comme ailleurs, connaît depuis 30 ans un lent et inexorable déclin, lequel semble d’ailleurs s’accélérer depuis les années 2000 » (Watine, 2006, p. 71). De façon symptomatique, ce déclin affecte la fonction journalistique et, plus spécifiquement, l’écriture de presse. L’intention de générer des communications adaptées et satisfaisantes (voire plaisantes) avec les publics influence les pratiques des journalistes. De fait, « la multiplication des procédés éditoriaux (évaluations, imputations, spéculations, allusions et prescriptions) témoigne bien de ce virage professionnel qui en dit long sur les ajustements – sinon les remises en question – auxquels le journalisme doit consentir » (Watine, 2006, p. 72).

D’autre part, « l’internationalisation et l’industrialisation du monde de la communication ont amplifié la concentration des entreprises, le rachat de certains journaux par quelques grands groupes ainsi que l’accélération des flux de communication » (Rieffel, 2006, p. 61). Il résulte de ces processus une lutte des entreprises de presse afin d’accroître leurs parts de marché. Une augmentation des publics implique une augmentation des revenus issus de la vente des journaux, mais aussi une augmentation des revenus de publicité (Sonnac, 2009). Le maintien du lectorat est donc crucial, mais se voit complexifié, notamment en raison des nouvelles habitudes que les publics développent en utilisant les nouvelles technologies (Smyrnaios, 2009). Si ce nouveau contexte revêt, sur le plan de la diversification, des apparences d’opportunité pour les médias, il n’en demeure pas moins que les entreprises de presse papier doivent opérer sous contraintes. De ces nouveaux impératifs commerciaux et promotionnels résultent une sorte de tyrannie de l’audience et une recherche effrénée de la primeur et du spectaculaire (Charron et de Bonville, 2004).

Les diverses études scientifiques réalisées dans les deux dernières décennies s’accordent généralement au sujet de l’impact de cette mutation sur le discours de presse et concluent, pour faire bref, que « le journalisme incorpore aujourd’hui davantage qu’hier des éléments de subjectivité et d’expression discursive » (Gauthier, 2010, p. 258). L’omniprésence du public dans les considérations des entreprises de presse pousse les journalistes à s’éloigner d’une pratique de transmission unidirectionnelle d’information et à plutôt valoriser une relation bidirectionnelle de communication, voire de conversation avec les publics (Brin, Charron et de Bonville, 2004 ; Grevisse, 2010). En effet, « la posture monologique longtemps dominante dans les médias généralistes a progressivement laissé place à une visée dialogique du discours » (Watine, 2006, p. 72). Les journalistes rendent le discours de presse plus digeste et plus attirant, toujours dans l’objectif d’accroître ou de fidéliser le lectorat.

Cette tendance ne doit toutefois pas être interprétée comme une rupture avec l’intention d’informer. Comme le mentionne Grevisse (2010), si les journalistes « subissent des contraintes de production importantes, ils n’en sont pas les jouets impuissants » (p. 43). En effet, il faut éviter une analyse polarisée : « [L]a dichotomie entre le puissant rôle sociopolitique des médias et leur complète instrumentalisation est […] intellectuellement insatisfaisante » (Gingras, 2012, p. 685). Ainsi, l’étude du journalisme contemporain implique de garder en tête que « transmission, opinion, information et communication sont des dimensions présentes à des degrés divers dans toutes les formes de journalisme ; c’est leur importance relative qui varie » (Brin, Charron et al., 2004, p. 7).

Mutations des musées : un tournant communicationnel

Non sans rappeler les transformations observées des entreprises de presse, la phase de mutation généralisée que vivent les institutions muséales depuis les années 1980 a été désignée par l’expression « tournant communicationnel » (Jacobi, 1997). Cette mutation est liée à deux objets principaux : les publics des musées et les expositions. D’une part, les priorités des musées ont changé. Si les collections étaient auparavant prioritaires, le nouveau contexte implique de « replacer le public au centre du musée pour l’attirer, le surprendre et le fidéliser » (Jacobi, 2012, p. 137). D’autre part, « la modification la plus spectaculaire et qui va bouleverser le monde des musées est l’apparition des expositions temporaires » (Jacobi, 2012, p. 137), l’exposition elle-même étant désormais abordée en tant que média (Davallon, 1999), dans la mesure où elle permet « de mettre des récepteurs et des objets en relation à l’intérieur d’un moyen de communication instauré par un dispositif à la fois technique et social » (Luckerhoff, 2012, p. 48). Les musées utilisent donc le média exposition comme « un dispositif producteur de signification à destination d’un public » (Davallon et Flon, 2013, p. 20).

Il importe par conséquent d’aborder les conditions sociopolitiques ayant présidé à l’instauration de ce tournant, marqué « par la montée en puissance de logiques communicationnelles, elles-mêmes directement liées à des phénomènes sociopolitiques et à des dynamiques socioéconomiques de grande ampleur » (Regourd, 2012, p. 9). Globalement, cette transformation du milieu muséal est liée au fait que les sociétés occidentales ont endossé la finalité de la démocratisation culturelle, démarche étatique consistant à « m[ettre] à disposition du plus grand nombre des formes consacrées de la culture savante » (Gombault, 2003, p. 189). Au Québec, les spécificités de cette volonté d’intervention peuvent être retracées à la première politique culturelle, intitulée Notre culture, notre avenir (MCCQ, 1992).

C’est d’ailleurs parce que le financement des musées est, en partie, assuré par des subventions gouvernementales que les musées doivent œuvrer à la démocratisation en rejoignant toujours plus de visiteurs ; en s’« engag[eant] dans un mouvement de démocratisation culturelle, soumis à d’importantes contraintes financières, les musées ont élargi leur public, intégré des objectifs éducatifs, et de ce fait sont entrés dans une ère gestionnaire faisant d’eux de véritables entreprises culturelles » (Gombault, 2003, p. 189). Le tournant communicationnel est d’ailleurs généralement associé à une visée de commercialisation (Davallon, 1997). En effet, si « l’intérêt porté au visiteur a crû au cours des dernières années, [c’est] principalement à cause du basculement des musées dans la zone d’attraction des industries culturelles et de l’arrivée massive du marketing muséal » (Schiele, 1992, p. 86).

Le traitement journalistique des musées : étude du point de rencontre entre deux dispositifs communicationnels en mouvement

C’est face à un tel contexte que l’étude de la couverture journalistique des institutions muséales gagne en pertinence. En effet, celle-ci constitue une porte d’accès sur les processus par le biais desquels deux systèmes communicationnels soucieux de leurs publics s’interinfluencent. Au Québec et ailleurs, des chercheurs se sont intéressés de façon globale à ce lieu névralgique : alors que certains ont abordé la question du traitement journalistique de la culture (Nguyên-Duy et Cotte, 2002) et des industries culturelles québécoises (Lemieux, Luckerhoff et al., 2010), d’autres se sont penchés sur le traitement général effectué par les critiques culturels en France (Rieffel, 2006) ou par des journalistes culturels au Royaume-Uni (Harries et Whal-Jorgensen, 2007).

Plus près de nos intérêts de recherche, Luckerhoff (2012) s’est intéressé au discours de presse portant sur une exposition internationale, temporaire et « vedette », présentée dans un musée québécois. En analysant les articles traitant de l’exposition, le chercheur a pu constater que « les journalistes et les sources [i.e. les musées] font partie d’un système et que celui-ci s’appuie davantage sur des critères de marché que sur des critères culturels » (p. 235). Il explique toutefois que son choix d’exposition (et c’est là tout l’intérêt de son projet) confère inévitablement à son corpus d’articles la « particularité de la couverture de presse des expositions blockbuster » (Luckerhoff, 2012, p. 198). Cela étant, si ce choix d’une exposition internationale importante a permis d’« étudier la double valorisation des formes et institutions culturelles par des critères culturels et par des critères de marché » (Luckerhoff, 2012, p. 198), il apparaît pertinent néanmoins d’interroger la couverture journalistique globale des musées au Québec.

Dans le cadre du projet de recherche dont cet article fait état, nous avons cherché à mieux comprendre la façon dont les journalistes traitent de tous les musées dans leurs articles. Il est de notre avis que cette perspective permet de mettre en relief, du moins en partie, le système complexe présidant à la consécration de thématiques stratégiques, tant pour les journaux que pour les institutions muséales.

Nous avons entrepris une démarche de recherche empirique qui a été financée en partie par une subvention du Fonds de Recherche du Québec - Société et Culture, accordée à un projet dirigé par Jason Luckerhoff (Université du Québec à Trois-Rivières), portant plus largement sur le discours sur la culture dans la presse écrite. La revue de presse exhaustive a été fournie, dans le cadre de ce projet, par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine (MCCCF) et a été réalisée par la firme Cision, pour le compte de ce ministère. Elle regroupe plus de 25 000 articles publiés en 2008 dans 16 journaux différents1 et portant sur les trois domaines d’intervention du MCCCF. L’accès gratuit à cette revue de presse, entreprise coûteuse et énergivore, constitue une opportunité non négligeable. Cela étant, afin de centrer notre intérêt sur la façon dont les thématiques muséales sont présentées au lectorat des journaux, nous avons lu et trié tous les articles afin de ne conserver que ceux qui traitent exclusivement d’un ou plusieurs musées.

C’est ainsi que nous avons retenu 571 articles publiés dans les journaux québécois2 en 2008 et que nous les avons analysés de façon inductive (Corbin et Strauss, 2015 ; Luckerhoff et Guillemette, 2012), c’est-à-dire que nous n’avons pas posé de cadre théorique sur nos données, préférant chercher activement à identifier les différents messages véhiculés par les articles. Notre attention a donc été entièrement portée sur le sens des articles. Afin de tirer une compréhension cohérente avec l’unicité de notre terrain, nous avons amorcé notre étude par une phase de codage ouvert, durant laquelle nous avons segmenté notre corpus en milliers d’unités de sens. Nous avons, par la suite et lors de multiples étapes, catégorisé ces unités. À chaque étape, les catégories s’enrichissaient, se nuançaient (Lejeune, 2014).

La couverture journalistique des musées : une tribune pour quatre thématiques

Nos analyses nous ont permis de comprendre que, si certains articles ont été écrits afin de diffuser des données sur la fréquentation des musées et sur les budgets dont les institutions muséales disposent, d’autres vont plutôt rendre publics des éléments de gestion organisationnelle tels que la nomination ou le congédiement de cadres. D’autres, encore, réitèrent la valeur sociale des musées et mettent au jour le fait que ceux-ci sont menacés par des incendies, des vols ou du vandalisme. Finalement, des articles décrivent le caractère spectaculaire de la culture présentée dans les musées, en traitant notamment des expositions temporaires et des évènements culturels ayant eu cours dans les musées. Ainsi, notre corpus nous a-t-il permis de constater que quatre grandes thématiques semblent justifier l’inscription de ces institutions culturelles à l’agenda médiatique.

Le succès des musées : mesuré par les statistiques de fréquentation et la gestion financière

Notre premier constat est qu’une part de la couverture journalistique des musées est axée sur les chiffres liés aux institutions muséales. Dans ces articles, des enjeux résolument commerciaux et économiques sont abordés. De fait, ces textes mettent à l’avant-plan le succès des expositions ou des musées en termes de nombre de visiteurs et de stratégies de gestion budgétaire.

Lorsque le succès des musées et des expositions est traité, force est de constater qu’il est le plus souvent illustré par des arguments quantitatifs tels que des statistiques de fréquentation, plutôt que par la valeur du contenu. Cette dynamique par exemple se manifeste dans le traitement journalistique dont a fait l’objet l’exposition vedette du Musée national des Beaux-Arts du Québec (MNBAQ) intitulée Le Louvre à Québec. Les arts et la vie. En effet, elle a été l’objet de nombreux articles strictement orientés sur sa fréquentation. Par exemple, l’article « Le Louvre à Québec : 400 000 visiteurs en quatre mois » présente l’argumentaire central suivant : « Déjà 400 000 visiteurs-personnes ont vu l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie, présentée par le Musée national des Beaux-Arts pour le 400e anniversaire de Québec. Le Musée a célébré hier le passage de son 400 000e visiteur, Hélène Lamoureux, de Saint-Pierre-les-Becquets, accompagnée de son conjoint, Guy Lemay » (Le Soleil, 3 octobre 2008, p. 31).

En abordant le sujet de la sorte, les journalistes culturels soutiennent que la caractéristique admirable et exceptionnelle d’une exposition temporaire réside dans son nombre de visiteurs. Cette logique de couverture domine d’ailleurs les articles publiés durant l’année de référence : des arguments établissant la valeur culturelle des expositions, lorsqu’ils sont présents dans les articles, sous-entendent un succès de fréquentation. Ce constat n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui émis par Luckerhoff (2012) voulant que « la quasi-nécessité de créer des évènements éphémères avec des moyens de plus en plus grands oblige les musées à se (re)présenter dans une logique commerciale » (p.230).

Cette valorisation articulée sur des critères commerciaux et économiques est également présente dans des articles portant sur l’institution muséale dans sa globalité. Il s’agit d’ailleurs d’une nuance intéressante que permet notre étude puisqu’elle n’est pas concentrée sur la couverture d’expositions temporaires. Effectivement, à la différence de pareille couverture, la valorisation ne se construit pas sur la mise en relation fréquentation et temporalité, alors que l’aspect temporel limité, caractéristique inhérente aux expositions temporaires, sert à mettre en exergue la popularité. Un nombre important de visiteurs dans un court laps de temps confère une nature extraordinaire à l’exposition.

En revanche, les articles qui abordent les institutions muséales dans leur globalité valorisent plutôt une fréquentation grandissante. À cet effet, l’article intitulé « Fréquentation des musées en hausse » met de l’avant le fait que, « pour les mois de juillet, d’août et de septembre [2008], le nombre de visiteurs dans les institutions muséales de toute nature a bondi de plus de 10 %, passant de 5,1 millions en 2007 à 5,6 millions de visiteurs en 2008 » (Le Devoir, 26 novembre 2008, p. B10). L’idée principale véhiculée par cet article est que les musées traversent une bonne saison estivale et que cet état s’explique par le nombre croissant de visiteurs. Il ne s’agit pas ici d’expliquer le succès des musées sur le plan de leurs fonctions identitaires, culturelles ou éducatives. Il s’agit plutôt de s’appuyer sur l’argument quantitatif voulant que les actions d’un musée soient valables si toujours plus de visiteurs en passent les portes. Ainsi, que ce soit pour exprimer le succès des initiatives temporaires ou permanentes des musées, l’argument de la fréquentation est couramment utilisé par les journalistes culturels.

Toujours sur le plan des arguments quantitatifs et financiers, des articles valorisent des musées selon leurs capacités à générer des revenus autonomes. Des articles abordent ainsi les activités-bénéfices organisées par les musées, le mécénat, les ventes ou les acquisitions d’artefacts par les musées ou les démarches visant à associer les institutions à des investisseurs privés. Par exemple, l’article intitulé « Les musées et sociétés achètent moins… » porte sur les stratégies financières mobilisées par le Musée des Beaux-Arts de Montréal afin d’ajuster sa gestion à des enjeux monétaires :

Malgré tout, en 2007-2008, le MBAM a atteint un record important qui lui a permis de parer à une baisse éventuelle des budgets d’acquisitions. L’institution de la rue Sherbrooke a reçu l’équivalent de 22 millions de dollars en dons d’œuvres d’art, soit le double du record précédent, 11 millions, il y a neuf ans. (Mario Cloutier, La Presse, 16 décembre 2008, p. AS3)

Certains articles ont comme sujet principal la gestion des musées au sein du contexte commercial et économique qui prévalait en 2008. Ils viennent souligner positivement des pratiques de gestion efficaces qui auraient permis de surmonter des difficultés économiques. Ou encore, ils présentent les difficultés qu’éprouvent les musées à fonctionner dans un contexte commercial. Dans ces articles, la domination des critères marchands permet de constater que les préoccupations journalistiques relèvent une prépondérance de l’économique sur l’artistique, l’esthétique ou le symbolique.

Nos analyses nous permettent en outre de constater que la couverture journalistique des musées confirme l’idée voulant que, si le musée appartient fondamentalement « au champ des organisations publiques et non marchandes, ainsi qu’au domaine artistique et culturel » (Amans et Tobelem, 2012, p. 174), le « tournant commercial » (Bayart et Benghozi, 1993) des dernières décennies l’a poussé à adopter un système de fonctionnement hybride (Mairesse, 2012). On assiste aujourd’hui à la conjugaison d’enjeux relevant de la conservation, de l’éducation, de la mise en valeur ou de la recherche et d’enjeux liés à l’accroissement des publics ou à la performance au sein des dynamiques de marché.

En effet, il est désormais attendu des musées qu’ils maintiennent leur mission culturelle, tout en œuvrant pour la démocratisation des publics de la culture et en développant des stratégies de financement les rendant plus autonomes. D’ailleurs, tel que nous l’avons observé, les sujets relatifs aux publics et au financement occupent une place dominante dans la couverture journalistique. Comme quoi, selon ce qui est présenté aux lectorats de presse, les actions muséales s’inscrivent d’abord dans une visée marchande et ensuite dans une visée culturelle.

La surveillance des enjeux organisationnels des musées

Le deuxième constat que nous faisons est que des articles ont pour objet différents éléments de gestion interne des musées. Cette volonté est exacerbée lorsqu’il est question des musées nationaux que sont le MNBAQ, le Musée d’Art contemporain et le Musée de la Civilisation. Lorsque des changements surviennent dans le fonctionnement et l’administration des musées, le journaliste culturel occupe une fonction d’intermédiaire entre les institutions et le public. Des évènements tels que l’élaboration de projets majeurs, la nomination ou le départ d’un cadre se verront inscrits à l’agenda médiatique.

Lorsque des projets majeurs tels que des acquisitions ou des ventes, des agrandissements ou des rénovations touchent les musées, plusieurs éléments de ces projets sont relayés par les journalistes culturels. Des articles portent ainsi sur les objectifs sociaux et culturels, les dépenses engendrées, les instances décisionnelles à l’origine des projets et les sources de financement. L’article intitulé « L’agrandissement du musée sera retardé » constitue un exemple représentatif :

La directrice rappelle que le Musée national des Beaux-Arts du Québec est un musée d’État, ce qui est pratiquement synonyme de budget minimum. Le musée doit financer ses expositions, ses acquisitions et ses activités éducatives à même ses revenus autogérés. Il faut trouver un équipement dans les expositions pour renouveler sans cesse l’intérêt de façon à assurer une certaine rentabilité à la billetterie. […] "Les deux paliers de gouvernement ont annoncé leurs intentions, mais comme la signature de l’entente a été retardée par les élections… au pluriel, rien ne peut être mis en marche », insiste celle qui a pris la relève de John Porter à la tête de l’établissement. (Denise Martel, Le Journal de Québec, 22 décembre 2008, p. 54)

À la lumière de cet extrait dans lequel le média prête la parole à une instance décisionnelle afin de se faire expliquer les retombées de son projet, sa gestion budgétaire et ses besoins en matière de financement gouvernemental, on constate que, tout en informant sur le projet dont il est question, la présentation d’enjeux résolument politiques témoigne d’une volonté de la journaliste de jouer le rôle de « chien de garde », mais cette fois-ci au bénéfice des musées. La dynamique de financement public des musées incite le journaliste culturel à se positionner entre les musées et les citoyens, mais elle l’incite aussi à se placer entre les musées et les gouvernements.

D’autres articles relatent des nominations d’individus à des postes importants au sein d’institutions muséales. Les postes qui ont attiré l’attention des journalistes en 2008 sont ceux de conservateur, de directeur général et de président du conseil d’administration. À titre d’exemple, un extrait de l’article intitulé « Nouvelle directrice du Musée maritime » :

Le président du conseil d’administration du Musée maritime de Charlevoix, Yvan Desgagnés, annonce la nomination de Louisiane Gauthier à la direction générale du Musée maritime de Charlevoix. Mme Gauthier a fait carrière à Montréal dans le domaine de l’enfance en détresse et a également été très impliquée dans plusieurs organismes culturels et institutionnels. Originaire de Saint-Irénée, elle revient dans son pays natal pour contribuer à son développement. (Pierre Champagne, Le Soleil, 29 mai 2008, p. A14)

Les articles traitant des nominations dans les musées n’ont pas pour seul objectif d’annoncer une nouvelle. En effet, dans l’extrait cité, le journaliste mentionne la nomination de la nouvelle directrice et il présente, de façon succincte, le curriculum vitæ de cette dernière. Il semble que, encore une fois, les auteurs tiennent à montrer qu’ils suivent de près les changements muséaux et qu’ils rendent publics les détails de décisions institutionnelles afin que le lectorat puisse se faire sa propre idée.

Certains textes analysés relatent aussi le départ d’individus clés et en expliquent les circonstances. Les journalistes, en inscrivant ces sujets dans leur couverture médiatique, sous-entendent que ce départ doit faire l’objet d’une justification. Les raisons invoquées sont diverses : congédiement, retraite ou changement de postes. Tenant un rôle de vigile, les journalistes informent la population de ces changements et des enjeux qui les accompagnent. Par exemple, une journaliste aborde ainsi le départ de John R. Porter du MNBAQ :

John R. Porter quittera ses fonctions avec la satisfaction du devoir accompli. Difficile de trouver mieux que l’exposition du Louvre à Québec pour clore le chapitre de ses 15 années de travail à la tête du Musée national des Beaux-Arts de la capitale. (Julie Lemieux, Le Soleil, 28 avril 2008, p. 6)

Lorsqu’un haut membre d’une organisation muséale quitte volontairement son poste ou est forcé de le faire, les journalistes culturels vont présenter la situation comme une transformation au sein du monde muséal. Ils vont expliquer les raisons du départ, l’apport qu’a représenté l’individu au sein du musée et les démarches que compte entreprendre l’institution en vue de son remplacement. Donc, s’il est de la responsabilité sociale du journaliste culturel de communiquer à son lectorat les diverses transformations inhérentes au milieu culturel (Harries et Wahl-Jorgensen, 2007), force est de constater qu’elles sont parfois de nature organisationnelle.

Nous interprétons cette inclination à la surveillance comme l’expression d’une volonté des journalistes culturels de maintenir leur rôle démocratique, soit de présenter les enjeux d’intérêt public aux citoyens afin que ceux-ci puissent « ensuite se faire une opinion éclairée sur ces enjeux » (Gingras, 2012, p. 687). Les journalistes endossent ainsi un rôle de « chien de garde de la démocratie » (Dagenais, 2004, p. 1), en ce qu’ils veulent surveiller l’évolution des institutions muséales. Cela n’est guère différent des journalistes qui couvrent d’autres domaines que la culture. Les musées présentant des structures de financement complexes qui, généralement et à différentes mesures, incluent du financement public (Paquette, 2010), les enjeux qui les concernent apparaissent de fait appartenir aux affaires publiques.

Les musées en tant que lieux de grande valeur menacés

Notre troisième constat est que, dans certains articles, des menaces à la valeur patrimoniale des œuvres et des monuments, de même que le besoin de les protéger et de les conserver, sont traités. Les menaces que nous avons identifiées sont le feu, les voleurs et les vandales.

Comme tous les bâtiments, les établissements muséaux sont généralement équipés de dispositifs anti-feu, mais il arrive qu’ils subissent néanmoins les ravages d’un incendie. Lorsqu’un tel évènement survient, la perte des œuvres patrimoniales et artistiques que ces lieux recèlent provoque un traitement journalistique axé sur la signification du témoin culturel perdu et sur le deuil qu’implique cette perte.

Le 4 avril 2008, l’incendie qui a ravagé le Manège militaire de Québec a généré une couverture particulièrement vaste et diversifiée en raison de son caractère important et inattendu. Ce sinistre a été largement couvert par la presse et a occupé une place centrale dans l’agenda médiatique. Dans les articles découlant directement de l’évènement, les journalistes se sont concentrés sur la valeur patrimoniale du monument et sur la perte que représente sa destruction. Cela dit, après avoir fait le point sur la valeur de ce qui a été perdu, les journalistes ont effectué une transition rapide vers la thématique de la reconstruction de ce monument de la Vieille Capitale, enjeu présenté comme urgent.

Dans un article publié trois jours après l’incendie et intitulé « C’est la police militaire qui enquêtera sur l’incendie du Manège militaire », il est effectivement déjà question de la remise sur pied du bâtiment :

Le mot reconstruction était sur les lèvres de plusieurs politiciens, hier. Le maire de Québec, Régis Labeaume, et le premier ministre du Québec, Jean Charest, ont tour à tour demandé à Ottawa de rebâtir le Manège militaire. (Presse Canadienne, Le Devoir, 7 avril 2008, p. A2)

On constate que, une fois la valeur culturelle du Manège militaire établie, celle-ci fait place aux sujets politiques. Si l’évènement est la cause de l’inscription de l’institution muséale à l’agenda médiatique, les journalistes ne se limitent pas à aborder l’incendie en soi, mais couvrent aussi ses conséquences culturelles et politiques.

Mentionnons également que la valorisation du lieu selon des critères historiques, artistiques et culturels semble liée aux discours qui suivent directement l’évènement. Plus la couverture médiatique s’éloigne de la date de l’incendie, plus le discours journalistique gravite autour de sujets tels les coûts de reconstruction, les interventions des différents paliers gouvernementaux ou les répercussions anticipées sur la saison touristique estivale.

Les vols dans les musées sont des évènements qui ont également pour effet la perte d’œuvres artistiques ou d’éléments patrimoniaux. Ainsi, lorsqu’un objet muséifié est dérobé, les journalistes vont couvrir l’évènement en tant que nouvelle culturelle. À titre d’exemple, un article intitulé « Une cloche de 1888 dérobée » traite du vol d’un bien appartenant au Musée-école Sainte-Sabine. Dans cet article, la journaliste explique, à travers le témoignage du président du comité du patrimoine de Sainte-Sabine, que la raison probable du vol est la valeur des métaux utilisés pour faire la cloche. La journaliste fait également état du caractère unique de l’objet dérobé :

Les membres du comité et lui sont prêts à remettre une récompense à la personne qui permettra de retrouver l’objet unique. […] Guy Sévigny est convaincu que les voleurs ont mis la main sur la cloche uniquement pour la valeur du métal. Faite de bronze ou de cuivre, elle valait entre 15 000 $ et 20 000 $. "On ne pourra plus jamais en refaire une pareille", dit M. Sévigny. (Karine Blanchard, La Voix de l’Est, 28 octobre 2008, p. 2)

En mettant l’accent tant sur la valeur financière que symbolique de l’objet dérobé, la journaliste trace l’ampleur du vol tout en présentant la valeur patrimoniale et culturelle de l’objet.

Il importe ici de mentionner que la couverture des vols n’a pas dépassé, en 2008, le stade de l’annonce. Ainsi, les journalistes vont diffuser l’évènement, généralement dans la journée qui suit, mais n’effectueront pas de suivi subséquent. Ainsi, nous n’avons pas été en mesure d’observer une évolution dans la couverture de ces sujets. Sans doute la taille de l’évènement, tant au plan symbolique que financier, joue-t-il un rôle sur le traitement journalistique qui lui est consacré. Par exemple, l’incendie du Manège militaire a eu des répercussions politiques et économiques substantielles et de longue durée. Les vols, pour leur part, semblent rarement interpeler d’autres instances que les musées eux-mêmes, et ce, peu importe la valeur symbolique de ce qui a été dérobé.

Également, toujours en ce qui concerne les articles ayant pour sujet des évènements perçus comme des atteintes à l’offre muséale, on retrouve la thématique du vandalisme. Contrairement aux cas de vol, il ne s’agit pas ici du traitement d’une perte malheureuse, mais plutôt de la dégradation de biens muséaux. Par exemple, dans l’article « Une toile retrouvée vandalisée », il est question d’un acte de vandalisme commis à l’égard d’une toile du peintre Théophile Hamel exposée à la Maison Hamel-Bruneau ; le journaliste y décrit l’acte et ses répercussions :

Le ou les cambrioleurs sont toujours recherchés, mais, au moins, ils ont laissé derrière eux une partie de leur butin. C’est une œuvre importante du peintre de renom Théophile Hamel. […] Les malfaiteurs ont cependant laissé un souvenir de leur larcin. Ils ont quelque peu modifié l’apparence de l’évêque en dessinant au feutre sur la toile des petites cornes de… démons et une barbichette. (Jean-Luc Lavallée, Le Journal de Québec, 12 septembre 2008, p. 5)

Encore une fois, par les mots « butin » et « œuvre importante », le journaliste effectue une mise en relation entre les actes commis et les valeurs économique et symbolique du bien vandalisé. Cela dit, si ces dernières semblent justifier un traitement journalistique des évènements, tout comme la thématique du vol, on constate aussi une absence de suivi concernant les actes de vandalisme. Comme quoi la responsabilité journalistique, dans ces cas, réside dans la présentation des crimes et des répercussions de ceux-ci en termes de valeurs, la question de la restauration s’en trouvant évacuée.

De façon générale, nous comprenons que si la conservation et la protection sont des champs d’intervention faisant partie de la mission des musées (ICOM, 2007), ceux-ci constituent également une thématique susceptible d’être reprise dans la presse écrite. On constate toutefois que le discours journalistique produit à cet effet est généralement construit autour d’une situation précaire qui menace l’intégrité des musées. Il ne s’agit donc pas d’un traitement de la valeur artistique, mais bien de la valeur patrimoniale, qui serait l’objet d’une menace imminente. On remarque effectivement que, lors d’évènements malheureux tels que des incendies, des vols ou des actes de vandalisme, l’importance de l’institution muséale touchée est mise de l’avant, dynamique qui n’est pas sans rappeler qu’« il arrive trop souvent qu’une société attende le déclin ou la disparition de quelque chose avant de prendre conscience de l’importance que cette dernière revêtait pour elle » (Groulx, 2009, p. 17).

Les musées : hôtes du temporaire et de l’extraordinaire

Notre dernier constat concernant les articles traitant des musées en 2008 est que, pour faire l’objet d’une couverture journalistique, l’offre des musées doit revêtir un caractère temporaire, spectaculaire et évènementiel. En effet, les journalistes traitent des expositions temporaires, mais très peu des expositions permanentes. Également, il est fait mention des musées sous prétexte que ceux-ci organisent des activités extraordinaires qui sortent du cadre normal des activités muséales.

Lorsqu’il est question des musées, les journalistes culturels accordent une place particulière aux expositions temporaires. En effet, que ce soit pour traiter, à titre d’exemple, des expositions C’est plein de sens du Musée de la Nature et des Sciences de Sherbrooke, Neurones en action du Musée de la Civilisation, Météores à bâbord du Musée minéralogique et minier de Thetford Mines ou Les années 1930. La fabrique de l’homme nouveau du Musée des Beaux-Arts du Canada, les journalistes culturels se font un point d’honneur d’offrir une intense couverture à ces initiatives. Ainsi, des journalistes qualifieront certaines de ces expositions temporaires d’« expositions vedettes ». S’ils sont variés, les articles portant sur les expositions temporaires sont toujours abordés sous l’angle de l’urgence posée par une temporalité limitée. Il y est fait mention de la valeur exceptionnelle des œuvres rendues disponibles aux publics des musées pour un court laps de temps ou des démarches créatives et administratives nécessaires à la tenue d’expositions à caractère unique et éphémère.

À la lecture de cette partie du corpus, nous remarquons un déséquilibre entre la couverture d’expositions dirigées vers un très grand public et celle d’expositions permanentes ou à l’attention de publics plus restreints. Les journalistes culturels apparaissent plus enclins à orienter leur couverture vers l’extraordinaire, le temporaire et le populaire. Tel que Luckerhoff (2012) l’a remarqué, « le nom d’une exposition et son branding ont beaucoup à voir avec l’intérêt que le large public y portera » (p. 231). Si ces critères influencent le public, force est de constater qu’ils semblent également avoir beaucoup d’influence sur l’intérêt que les journalistes porteront aux musées, montrant par-là que

la subjectivité du regard journalistique va [...] de pair avec la valorisation de la subjectivité du public lui-même, qu’on cherche à fidéliser à travers un rapport d’intersubjectivité, de “communication”, de reconnaissance mutuelle. (Brin, Charron et al., 2004, p. 27)

En outre, nous constatons que la couverture journalistique des musées n’est pas seulement centrée sur les expositions présentées. Elle a aussi pour sujet d’autres activités et évènements organisés ou accueillis par les institutions muséales, comme l’illustre l’article « Fête des récoltes au Musée de la Civilisation » :

Histoire de remercier le public de sa fidélité depuis 20 ans et de célébrer la générosité de la nature avec les dernières récoltes du Potager des Visionnaires, le Musée de la Civilisation propose une journée porte ouverte lundi, jour de l’Action de grâce. Exceptionnellement, pour cette journée toute spéciale, le musée sera ouvert de 10h à 21h. […] Pour profiter des dernières récoltes, le musée a eu l’idée d’inviter certains des plus grands chefs de Québec à y aller de leurs meilleures recettes de soupe aux légumes pour la partager avec le public sur l’heure du midi. (Denise Martel, Le Journal de Québec, 10 octobre 2008, p. 57)

On note que cet article ne fait aucunement référence aux activités régulières du musée, c’est-à-dire à celles qui permettent la réalisation de sa mission culturelle et sociale. Encore une fois, la couverture journalistique semble motivée par le caractère exceptionnel de l’activité. Lorsque les musées sont hôtes d’évènements tels que des fêtes, des marchés, des concerts, des colloques scientifiques, etc., ils deviennent plus que des musées, ils deviennent des lieux de rendez-vous.

Cette désacralisation des lieux muséaux, typique de la contemporanéité muséale (Gombault, 2003), constitue un autre prétexte pour traiter des musées dans la presse écrite. Mais est-ce bien des musées dont on traite ? De la même façon qu’un individu visitant seulement un musée lors d’évènements spéciaux, tels que la venue d’une exposition vedette, n’est pas nécessairement considéré comme appartenant au public de ce musée (Dufresne-Tassé, Lepage, Sauvé et al., 2003), le traitement exclusif des évènements spéciaux tenus dans ce musée ne saurait automatiquement être reconnu comme une couverture journalistique de l’institution.

Conclusion

Nous avons examiné la couverture journalistique des musées dans la presse écrite. Nos analyses permettent de comprendre que cette couverture consiste généralement, pour reprendre les mots de Mercier (2006), en une « lecture évènementielle des faits d’actualité » (p. 24) liés aux musées. Le traitement global de ces établissements dans la presse écrite s’apparente moins aux caractéristiques idéales de la critique culturelle, « entendue comme une prise de position subjective et esthétique sur des spectacles vivants, des écrits ou des œuvres, s’exposant elle-même au public » (Béra, 2003, p. 155) qu’à celles du journalisme d’actualité contemporain, contraint, en raison du climat de concurrence entre les nouvelles, de « faire passer le spectacle avant le contenu » (Sormany, 2000, p. 47).

Ainsi, les musées y sont abordés sous la tyrannie de l’évènement, ce dernier se définissant tel « un fait remarquable, inédit, insolite, méritant à ce titre un traitement spécial le mettant en valeur » (Mercier, 2006, p. 23). Qu’il s’agisse du 400 000e visiteur passant la porte d’une exposition vedette, de l’élaboration d’un projet d’agrandissement, du vol d’une œuvre d’art ou de la tenue d’une exposition temporaire grandiose, il semble que la presse écrite s’intéresse avant tout au caractère évènementiel de l’activité muséale. Les musées eux-mêmes sont rarement la raison d’être des articles, cédant le pas à la couverture des évènements et faisant acte de présence dans la presse en raison de leur capacité à générer des éléments d’actualité remarquables et spectaculaires – positifs ou négatifs.

De surcroît, tout comme Luckerhoff (2012), nous avons pu constater une tension sur le plan des critères de valorisation utilisés dans les articles ; ceux-ci apparaissent en effet liés à la nature des évènements traités. Lorsqu’il est question du succès ou de la gestion financière et organisationnelle des musées, la valorisation selon des critères marchands prime. Dans les articles ayant pour thème les menaces à l’intégrité des artefacts ou des lieux muséaux, une dualité semble exister : lors du constat des évènements, une valorisation articulée sur des critères culturels est généralement effectuée, alors que les conditions pour un retour à l’ordre sont présentées sous un angle marchand. Finalement, pour ce qui est de la couverture journalistique des activités extraordinaires des musées, une mise en valeur selon des critères culturels semble plutôt de mise.

Cette étude réitère ainsi toute la complexité accompagnant la pratique du journalisme culturel, en la positionnant au sein de systèmes en mutation (Brin, Charron et al., 2004 ; Regourd, 2012). Des pistes de recherche découlant de nos travaux pourraient en nuancer les constats en posant un regard sur les conditions de pratique des journalistes culturels. Ce type d’ouverture a par exemple permis à Luckerhoff (2012) de comprendre que

lors de la présentation d’une exposition qui s’insère dans un système commercial et touristique, [le journaliste culturel] comprend clairement que son rôle est de faire la promotion de ce pour quoi plusieurs partenaires ont travaillé très fort » (p. 220).

En allant à la rencontre des journalistes culturels pour mieux saisir les rouages de leur métier en mutation, nous pourrions avoir accès à ses coulisses.

Ainsi, en combinant l’analyse du discours des acteurs qui forment le métier et celle que nous avons effectuée sur un corpus d’articles traitant de culture dans la presse écrite, il serait possible de dresser un portrait plus complet de la pratique contemporaine du journalisme culturel. Nous croyons en outre qu’il serait pertinent de nous pencher sur les communiqués de presse émis par les institutions muséales à l’attention des journalistes. Ainsi, si notre étude a permis d’éclairer la couverture journalistique de la dynamique muséale actuelle, il serait particulièrement intéressant de prendre en considération le message que les musées tentent de transmettre au sujet de leur situation.

Mélanie Guillemette est étudiante à la maîtrise en philosophie
à l’Université Laval (Québec).

Olivier Champagne-Poirier est doctorant en communication sociale
à l’Université du Québec à Trois-Rivières.




Notes

1

Ces quotidiens sont 24 heures, Le Droit, Le Devoir, The Globe and Mail (Montréal), Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec, Média Matin Québec, Métro, The Montreal Gazette, Le Nouvelliste, Le Soleil, La Presse, Le Quotidien, La Voix de l’Est, The Record et La Tribune.



2

Bien que le journal Le Droit soit un journal francophone publié dans la région d’Ottawa (Ontario) - Gatineau (Québec), nous le considérons ici tel un journal québécois.






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Référence de publication (ISO 690) :
GUILLEMETTE, Mélanie, et CHAMPAGNE-POIRIER, Olivier. Les musées dans la presse écrite : entre l’événement et le spectaculaire. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2018, vol. 2, n°2, p. R105-R119.
DOI:10.31188/CaJsm.2(2).2018.R105


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