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Nouvelle série, n°2

2nd semestre 2018

RECHERCHES

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Les domaines du livre et des bibliothèques dans la presse écrite

Olivier Champagne-Poirier, Université du Québec à Trois-Rivières

Résumé

Cette contribution examine la couverture journalistique de l’année 2008 en ce qui a trait aux domaines du livre et des bibliothèques. En tenant compte du contexte québécois, où la presse contribue à la démocratisation culturelle, nous désirons comprendre la manière dont sont traités ces deux domaines dans les journaux. Les analyses qualitatives et quantitatives d’articles de presse permettent de constater que les thématiques traitées par les journalistes culturels sont généralement tributaires de l’actualité et qu’une réelle posture critique est rarement adoptée. Nous remarquons également une couverture journalistique contrastée entre les deux domaines étudiés sur le plan des intentions journalistiques et des critères de valorisation mis de l’avant. Aussi les articles contribuent-ils davantage au succès commercial de l’industrie du livre qu’au développement des pratiques citoyennes face au livre et aux bibliothèques.

Abstract

This contribution examines the journalistic coverage of 2008 in the fields of books and libraries. Taking into account the Quebec context, where the press contributes to cultural democratization, we want to understand how these two domains are treated in newspapers. Qualitative and quantitative analyzes of press articles reveal that the themes treated by cultural journalists are generally dependent on current events and that a real critical posture is rarely adopted. We also note a contrasting journalistic coverage between the two domains studied in terms of journalistic intentions and valuation criteria put forward. As a result, the articles contribute more to the commercial success of the book industry than to the development of citizen-based books and library practices.

DOI: 10.31188/CaJsm.2(2).2018.R143





A

u Québec, la lecture de livres et la fréquentation de lieux liés à la lecture (par exemple les bibliothèques et les salons du livre) constituent des pratiques culturelles que le gouvernement cherche à valoriser. En 1998, le ministère de la Culture et des Communications du Québec (MCCQ) a produit une première politique de la lecture et du livre intitulée Le temps de lire, un art de vivre1. Elle stipule que « le développement culturel, mais aussi économique, scientifique et politique d’une société, passe nécessairement par l’aptitude à la lecture de ses citoyens » (MCCQ, 1998, p. 5). La finalité de cette politique culturelle est de veiller à ce que tous les Québécois aient « les moyens nécessaires au développement et au maintien des habitudes de lecture tout en contribuant à améliorer l’accès à la diversité des supports de l’écrit » (MCCQ, 1998, p. 10).

Lors de son étude quantitative des pratiques de lecture des Québécois, Baillargeon a toutefois constaté que 16 % de la population active québécoise est analphabète fonctionnelle et 33 % présente un niveau de littératie très faible (2012), ce qui revient à dire que 49 % de la population présente des compétences suffisantes en lecture, en écriture et en arithmétique pour mener ses activités quotidiennes normales : faire des paiements, lire un article de journal court, écrire un courriel, etc. Ce niveau de compétence est toutefois en deçà de celui qu’exige l’appréciation d’un livre. Cet état de fait serait notamment dû à des lacunes sur le plan de l’éducation à la lecture (Baillargeon, 2012). Il serait aussi le résultat d’un faible maintien des habitudes de lecture en dehors du système d’éducation formelle (MCCQ, 1998). Des individus, une fois leur formation scolaire terminée, voient leurs compétences diminuer en raison d’une trop rare pratique de la lecture.

L’Observatoire de la Culture et des Communication du Québec (OCCQ) catégorise les pratiques de la lecture et du livre ainsi que la fréquentation de lieux liés à la lecture par deux domaines culturels : celui du livre et celui des bibliothèques. Le domaine du livre a trait à tous

les établissements dont l’activité principale est la création, la production, l’édition, la diffusion, la distribution ou la vente de livres. Sont aussi inclus les écrivains et les artistes indépendants qui participent à la réalisation des livres, les établissements qui gèrent leur carrière, de même que les établissements de formation professionnelle. Par livre, on entend une publication non périodique, imprimée ou sous forme électronique, d’au moins 48 pages. Sont également considérés comme des livres les recueils de poésie d’au moins 32 pages, les publications non périodiques destinées aux enfants, les publications non périodiques présentées sous forme de bande dessinée pour adultes d’au moins 16 pages, ainsi que les manuels scolaires. (OCCQ, 2004, p. 50)

Par le domaine des bibliothèques, l’OCCQ entend

les établissements dont l’activité principale consiste à acquérir, traiter et diffuser des documents. Ces documents peuvent être imprimés ou se présenter sur d’autres supports. L’utilisation de ces supports est facilitée par un personnel qui oriente les usagers en fonction de leurs besoins d’information, de recherche, d’enseignement ou de loisir. Ce domaine comprend également les établissements dont l’activité principale est la formation de la main-d’œuvre spécialisée en techniques et en sciences de la documentation. (OCCQ, 2004, p. 48)

Par ses interventions sur les plans du livre et des bibliothèques, le gouvernement du Québec cherche à augmenter le niveau de littératie des Québécois. Pour ce faire, des mesures de soutien diversifiées ont été mises en place. Celles-ci visent, notamment, à appuyer l’industrie du livre et à augmenter la fréquentation des bibliothèques. D’une part, dans le budget 2017-2018, 2,8 millions de dollars ont été remis à Bibliothèque et Archives nationales du Québec afin « d’accentuer encore davantage [son] développement et [son] rayonnement et, par le fait même, [sa] contribution à la vitalité culturelle sur l’ensemble du territoire québécois » (Gouvernement du Québec, 2018, p. 11). D’autre part, afin de favoriser les librairies régionales québécoises, la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre oblige

les acheteurs institutionnels à acheter tous leurs livres, à l’exception des manuels scolaires, dans au moins trois librairies agréées de leur région administrative. Cette mesure vise à augmenter l’accès d’un point de vue territorial et économique au livre dans toutes les régions du Québec par l’entremise d’un réseau de librairies réparties sur l’ensemble du territoire. (MCCQ, 2018)

Avec de telles mesures, le gouvernement souligne l’importance sociale du livre et des bibliothèques. En effet, ce soutien implique qu’il est avantageux pour une société que ses membres achètent des livres et en empruntent dans les bibliothèques. De fait, Renard, lors de son étude des pratiques d’achat et d’emprunt de livre en France, a remarqué que les gens qui combinent emprunt et achat constituent, selon les critères sociodémographiques que sont les niveaux d’éducation et de revenus, « une population socialement et culturellement favorisée » (1995, p. 34). La lecture, l’achat et l’emprunt de livres sont des pratiques valorisées par l’État parce qu’elles cadrent avec un profil citoyen valorisé, soit celui d’un citoyen scolarisé et cultivé.

Précisons toutefois que, si certains auteurs estiment que « la survie du livre et de l’écrit [passe] par un équilibre global où librairies et bibliothèques [sont] partenaires et alliés » (Utard, 1993, p.90), d’autres mettent en exergue que, dans les faits, les deux pratiques se trouvent en concurrence sur le plan économique. En effet, « en termes économiques, la complémentarité supposerait que l’offre en bibliothèque et l’offre marchande ne se recoupent pas : ce qui n’est manifestement pas le cas, quand bien même elles ne sont pas conçues comme concurrentes » (Renard, 1995, p. 31). D’une part, les bibliothèques et l’industrie du livre contribuent au développement des habitudes de lecture d’une population, habitudes essentielles à la survie des deux domaines. D’autre part, la pratique des bibliothèques peut impliquer le délaissement des livres et vice-versa. En effet, les individus empruntent rarement à la bibliothèque un livre qu’ils possèdent déjà et le fait d’emprunter un livre à la bibliothèque est peu susceptible d’engendrer un bénéfice économique pour l’industrie du livre, à moins que la lecture d’un livre emprunté soit tellement appréciée qu’elle incite à son achat : si « les achats engendrés par l’emprunt ne sont pas négligeables », ils « demeurent malgré tout limités » (ibid., p. 32).

Le gouvernement du Québec considère en outre les médias, outils privilégiés pour rejoindre la population québécoise, comme des outils permettant la démocratisation de la lecture et du livre. Le MCCQ cherche effectivement à « mettre en valeur et rendre plus accessible la couverture médiatique du livre et de la lecture » (MCCQ, 1998, p. 81). La couverture médiatique du livre et des bibliothèques doit donc être rendue disponible « au plus grand nombre possible de personnes pour les aider à effectuer leurs choix de lectures et pour les sensibiliser au monde du livre » (ibid., p. 82). Cette considération de l’État québécois n’est pas sans rappeler le rôle important des médias dans la médiation culturelle. Miège (2008) explique que les productions médiatiques contribuent aux dialogues et aux argumentations qui mènent à la construction d’une opinion publique. Plus spécifiquement, sur le plan du traitement médiatique de la culture, les journalistes culturels assument une « médiation de contenu » (Chaumier et Mairesse, 2013, p. 154) qui témoigne d’une attention orientée vers la transmission. Le travail des journalistes culturels se « rapproch[ant] de l’instruction et des premiers outils pédagogiques, mais également du travail d’information pur, délivré à un membre de la société » (ibid., p. 154-155).

La recherche a déjà abordé la question du traitement journalistique de la culture. Harries et Whal-Jorgensen (2007) ont constaté que les journalistes culturels désirent contribuer à l’augmentation de l’appréciation de la culture par les publics. Ils se perçoivent tels des « sauveurs de la morale guidant le public culturel vers une existence améliorée par l’intermédiaire des arts » (Harries et Whal-Jorgensen, 2007, p. 635 ; notre traduction). Dans ses travaux sur la critique d’art, Béra a remarqué la place accrue de la promotion dans le discours des professionnels qui la pratique : selon lui, leurs articles « s’apparentent de plus en plus à des propositions d’occupation de loisirs cultivés » (2003, p. 168).

D’ailleurs, les chercheuses Broustau et Côté, par leur analyse de l’évolution des rapports d’interactions entre les relationnistes et les journalistes culturels, ont constaté que tant les journalistes que les acteurs du milieu culturel sont « empreint[s] d’une forte préoccupation assumée pour le maintien et le développement social de la sphère des arts et de la culture » (Broustau et Côté, 2014, p. 75). Étudiant plus spécifiquement la façon dont les critiques culturels vont traiter du livre dans la presse, Jourde, qui s’est intéressé au cas de la France, constate que « le discours sur le livre se rapproche de celui qui domine sur le cinéma : une pure et simple promotion » (2006, p. 108). L’objectif des journalistes serait de contribuer à l’implication des publics sur le plan de la littérature. Ainsi, les divers écrits scientifiques s’accordent sur une idée : les articles de journaux traitent généralement des thématiques culturelles, quelles qu’elles soient, dans une optique d’incitation.

Dans le cadre du projet de recherche dont nous faisons état ici, nous avons examiné la manière dont sont couverts les domaines du livre et des bibliothèques dans la presse quotidienne québécoise. Nous nous sommes proposé d’interroger les thématiques abordées dans les articles journalistiques qui traitent des deux domaines, de questionner les intentions journalistiques sous-jacentes à l’écriture des articles et d’examiner sur quels critères est établie la valeur des livres et des bibliothèques.

Méthode pour l’analyse de la couverture journalistique du livre et des bibliothèques

Il s’agissait pour nous de mieux comprendre la couverture journalistique du livre et des bibliothèques dans les quotidiens québécois. Nous avons ainsi analysé 887 articles publiés dans 16 quotidiens québécois2 en 2008. Cette recherche a été financée en partie par une subvention du Fonds de Recherche du Québec - Société et Culture accordée à un projet dirigé par Jason Luckerhoff (Université du Québec à Trois-Rivières), portant plus largement sur le discours de la presse écrite à propos de la culture. La revue de presse exhaustive a été fournie, dans le cadre de ce projet, par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine (MCCCF) et a été réalisée par la firme Cision pour le compte de ce ministère. Elle regroupe plus de 25 000 articles publiés en 2008 et portant sur les trois domaines d’intervention du MCCCF. Afin de sélectionner notre corpus, nous avons opéré un tri visant à ne conserver que les articles traitant exclusivement du livre ou des bibliothèques. Au total, 685 articles portent sur le domaine du livre et 202 sur celui des bibliothèques.

En ce qui a trait aux méthodes mises de l’avant pour analyser ces 887 articles, nous avons procédé en deux temps. Premièrement, nous avons réalisé une analyse inductive (Corbin et Strauss, 2015 ; Luckerhoff et Guillemette, 2012) des articles afin de répondre à la question générale suivante : Quelles sont les thématiques par lesquelles le livre et les bibliothèques sont abordés dans les articles de presse ? Plus spécifiquement, nous avons effectué un codage ouvert (Lejeune, 2014) des articles et avons catégorisé les codes obtenus jusqu’à l’obtention de cinq grandes thématiques. Deuxièmement, nous avons réalisé des analyses déductives et quantitatives en utilisant une grille constituée de deux variables établies par Luckerhoff (2012), et ce, afin de comparer les intentions journalistiques traduites par les articles ainsi que les critères de valorisation employés pour traiter du livre et des bibliothèques.

Les thématiques de la couverture journalistique des domaines du livre et des bibliothèques

Les articles de notre corpus ont tous été écrits par les journalistes culturels et abordent cinq grandes thématiques : les auteurs, l’évènementiel entourant le livre et les bibliothèques, la place sociale du livre et des bibliothèques, les coûts et bénéfices liés aux domaines du livre et des bibliothèques et les livres eux-mêmes.

Les auteurs

Lorsqu’il est question des domaines du livre et des bibliothèques dans la presse écrite québécoise de 2008, la thématique des auteurs est omniprésente. La particularité des articles construits autour de cette thématique est qu’ils n’abordent pas directement les livres et la lecture ; ils traitent plutôt des auteurs en tant qu’acteurs de l’actualité ou en tant que personnalités ; par exemple, des auteurs ayant particulièrement fait parler d’eux en 2008 sont Victor Lévy Beaulieu, Julie Couillard et Nathalie Simard. Dans les articles, ce ne sont toutefois pas la qualité de leurs œuvres ou l’originalité de leurs créations qui sont présentées, mais plutôt des anecdotes biographiques. Par exemple, plusieurs articles portent sur les excentricités de Victor Lévy Beaulieu qui, lors d’une conférence de presse, a enflammé l’un de ses livres et a menacé de mettre feu à toute sa collection afin de sortir les Québécois de leur indifférence face à la question politique de l’indépendance du Québec. Julie Couillard a beaucoup fait parler d’elle dans les mois qui ont précédé la publication le son livre Mon histoire, qui aborde sa relation tumultueuse avec le politicien Maxime Bernier. Bien d’autres articles proposent d’aborder le processus de guérison psychologique de la chanteuse Nathalie Simard suite aux agressions sexuelles qu’elle a subies, processus qui inclut, notamment, la publication du livre Briser le silence.

Les journalistes culturels placent aussi les auteurs de livre au centre de leurs articles en les présentant comme porte-paroles d’évènements tels que les salons du livre. Généralement, ces articles présentent une situation où des auteurs associent leur célébrité aux évènements. Stanley Péan, Marie Laberge ou Bryan Perro, tous porte-paroles d’un salon du livre en 2008, sont ainsi le point d’ancrage du contenu de plusieurs articles. Cette couverture se voit ainsi orientée par l’exclusivité que représenterait la rencontre d’auteurs très connus. L’argument central de ces articles est que des auteurs-vedettes prennent part à un évènement.

Bref, lorsque les articles ont pour thématique principale les auteurs, ce qui est très fréquent dans le corpus de 2008, ils ne cherchent pas tant à mettre de l’avant leurs créations artistiques qu’ils ne relatent des polémiques ou des évènements d’actualité auxquels prennent part ces acteurs du domaine du livre.

Le fait que les auteurs occupent une si grande place dans le corpus de presse analysé nous a conduit à énoncer un constat similaire à celui dressé par Jourde (2006) au sujet de la couverture journalistique du livre en France : selon lui, le discours « se focalise sur la périphérie, […] on s’[y] intéresse à la personne de l’auteur, à ses amours, à sa maison, à ses gouts, à sa famille, à la couleur de ses cheveux, à la marque de ses vêtements » (Jourde, 2006, p. 108). De façon similaire, nous remarquons la place importante qu’occupe la périphérie dans la couverture journalistique du livre et des bibliothèques. De fait, les auteurs sont davantage présentés au lectorat des journaux que les livres eux-mêmes, dynamique qui n’est pas sans rappeler que, sur le plan des spécialités journalistiques, les acteurs occupent une place croissante. Par exemple, l’étude du journalisme politique permet d’observer le phénomène grandissant de la peopolisation (Dakhlia, 2010), c’est-à-dire que les articles politiques gravitent de plus en plus autour des acteurs que sont les politiciens. Cela fait en sorte que, comme le note également Stanyer, « le public [...] connait plus de détails à propos des vies personnelles des politiciens qu’à propos de leurs politiques » (2013, p. 1; notre traduction). De même, la lecture des articles de 2008 couvrant les domaines du livre et des bibliothèques nous informe davantage sur la vie privée des auteurs ou sur leurs fonctions de porte-paroles que sur les livres eux-mêmes.

L’évènementiel entourant le livre et les bibliothèques

Nous avons également constaté que les évènements liés aux domaines du livre et des bibliothèques mobilisent une grande attention médiatique. Au Québec, le type d’évènement le plus important est celui des salons du livre ; toutefois, d’autres festivals littéraires – tels que les festivals Québec BD ou Metropolis Bleu – ou les lancements de livres, de même qu’une panoplie d’autres manifestations étroitement associées au livre et aux bibliothèques, comme la Semaine des bibliothèques ou le Marathon de lecture organisé par l’Académie Goncourt, au cours duquel 2000 étudiants du Québec, de la France et du Maroc ont lu une sélection de 15 livres jugés significatifs et en ont présenté une critique. Bref, il s’agit là d’évènements organisés par des auteurs, des bibliothèques ou des organisations littéraires afin de favoriser le développement des pratiques du livre et des bibliothèques.

Ce sont les salons du livre de Québec, Montréal, Trois-Rivières, Gatineau et Sherbrooke qui ont bénéficié de la plus large couverture médiatique. De façon générale, elle présente au lectorat des journaux les caractéristiques des évènements et les conditions pour y prendre part. Non sans rappeler la structure des communiqués de presse, les articles vont décrire la mission des évènements, les particularités de ceux-ci, les dates de leur déroulement et, parfois, les coûts d’accès. Ils relaient donc des informations concernant la tenue d’évènements, mais, comme le fait l’article « Passez au Salon » (Le Nouvelliste, 31 mars 2008) publié à l’occasion du Salon du Livre de Trois-Rivières, ils peuvent également servir d’invitation.

Les cérémonies de remise de prix littéraires constituent un autre type d’évènement largement couvert par les journalistes culturels. Des articles portent ainsi sur des reconnaissances internationales d’envergure telles que le prix Nobel de littérature, d’une valeur d’un million d’euros, remis en 2008 à Jean-Marie Gustave Le Clézio. D’autres portent sur des prix de plus petite envergure, comme le prix Québec-France Marie-Claire Blais, d’une valeur de 2 000 $, remis cette année-là à Jérôme Tonnerre pour son livre L’Atlantique Sud. Certains relatent des remises de prix provinciaux, comme ce fut le cas suite à la remise du Grand Prix littéraire Archambault; d’une valeur de 20 000 $, il fut remis en 2008 à Caroline Allard pour son livre Les chroniques d’une mère indigne. Bref, ces articles ne sont pas centrés sur les œuvres, mais bien sur des évènements honorifiques qui contribuent à augmenter la valeur symbolique de certains livres. De surcroît, la dimension sensationnelle inhérente à la remise d’une bourse substantielle vient ajouter aux honneurs. Toutefois, telle qu’elle est portée à notre attention dans ces articles, la reconnaissance des œuvres est rarement liée à leurs dimensions artistiques et esthétiques.

Cette façon d’aborder les domaines du livre et des bibliothèques nous permet de constater une inclinaison marquée vers l’évènementiel, une observation que font également Aron (2005), Charron (2003), de même que Brin, Charron et al. (2004) lorsqu’ils rappellent que le journaliste contemporain, avec l’accélération de la circulation d’informations, a tendance à favoriser le traitement de nouvelles digestes et issues d’un processus de collecte limité. Les évènements, en fournissant souvent des outils aux journalistes – pensons par exemple aux communiqués (Sales, 1992) – et en ayant une nature temporelle limitée et extraordinaire, cadrent bien avec cette transformation.

L’omniprésence de l’évènementiel dans la couverture journalistique du livre et des bibliothèques nous incite à conclure à une logique de traitement similaire à celle de l’actualité. En effet, selon nos observations, les journalistes culturels ont davantage en commun avec les journalistes généralistes qu’avec les critiques culturels. Ainsi, parce que le traitement des évènements culturels en tant qu’éléments relevant de l’actualité ne demande pas de spécialisation, les articles que nous avons analysés se rapportent plus souvent qu’autrement au genre du « discours d’information culturelle » (Spano, 2011, p. 165). En l’adoptant, les journalistes culturels minimisent leurs « engagements – représentés par la critique – au bénéfice de conseils et de recommandations » (ibid., p. 166).

La place sociale du livre et des bibliothèques

Nous remarquons aussi que, dans une moindre mesure, certains articles de journaux traitent du rôle des institutions publiques dans la démocratisation du livre et de la lecture ; y sont majoritairement abordées les institutions scolaires et les bibliothèques publiques. Des articles vont ainsi présenter des débats portant sur l’inclusion ou l’exclusion de la littérature française dans les établissements d’enseignement collégial, sur la mission des bibliothèques (notamment en ce qui a trait à l’accessibilité et la gratuité) ou sur les changements de statut de bibliothèques (transition de publique à indépendante ou mise en réseaux). Ces articles traitent du rôle de ces institutions au sein des domaines du livre et des bibliothèques et de la façon dont leurs actions affectent ces domaines. Toutefois, le livre, même s’il est un thème sous-jacent aux préoccupations concernant ces institutions, n’en constitue pas le vif du sujet.

Outre les rôles institutionnels attribués, d’autres articles ont été publiés afin de débattre, plus globalement, des habitudes de lecture des citoyens. Par exemple, un journaliste a publié un article dans lequel il critique un écart entre les habitudes de lecture des jeunes d’autrefois et celles des jeunes de 2008. Selon lui, les grands auteurs tels St-Exupéry, Lamartine et Villon se trouvent évacués des activités d’initiation au profit d’auteurs plus récents, tels Ludlum, McDonald et Prescott. Son constat est que des efforts doivent être faits par la société québécoise afin de protéger le patrimoine littéraire.

Des journalistes culturels relatent également des prises de position en faveur du financement public des domaines du livre et des bibliothèques. De fait, des articles portent sur les revendications d’auteurs, notamment face aux coupes réalisées par le gouvernement fédéral en matière de culture, mais également face aux normes de rémunération des maisons d’édition. Prenons l’exemple des lettres insérées dans une sélection d’ouvrages portant sur une diversité de sujets artistiques envoyés par Yann Martel à Stephen Harper entre 2007 et 2011. Le but de cette initiative était de faire réaliser au premier ministre que le livre n’est pas une source de plaisir parmi tant d’autres, mais qu’il est un outil de développement social et que, à ce titre, il doit être protégé et valorisé.

Cette façon qu’ont les journalistes de porter des débats concernant la place sociale du livre et des bibliothèques nous permet de constater des similarités avec la stratégie d’intervention du gouvernement québécois (MCCQ, 1998). En effet, les articles notent l’importance de la pratique de la lecture par les Québécois ainsi que des outils étatiques qui doivent être mis en place ou préservés afin de favoriser cette pratique : établissements d’éducation, bibliothèques, financement gouvernemental des domaines du livre et des bibliothèques. Toutefois, on remarque que, si les politiques culturelles québécoises confèrent aux médias un rôle de levier dans le processus de démocratisation du livre et de la lecture, les médias eux-mêmes n’abordent pas, du moins dans le corpus analysé, leur rôle à cet égard.

Les coûts et les bénéfices liés aux domaines du livre et des bibliothèques

Nos analyses ont permis de mettre au jour un ensemble d’articles faisant état de deux thématiques financières liées au livre et aux bibliothèques, soit les coûts liés au livre et aux bibliothèques ou les bénéfices financiers liés à ces deux domaines. Par exemple, certains portent sur la vente de livres. Les journalistes culturels vont y traiter des librairies de livres neufs ou d’occasion, des sites internet ou d’encans. Précisons que ce traitement est toujours fait dans l’optique de présenter une marchandise et non un objet strictement culturel. Divers sujets sont abordés dans les articles, par exemple le site Le sac d’école, spécialisé dans la revente de manuels scolaires, les bouquinistes de Québec qui n’ont pu tenir leurs kiosques sur la terrasse Dufferin ou la maison d’enchères Heffel de Vancouver, où un exemplaire du Refus Global a été adjugé pour 14 700 $. L’intérêt principal de ces articles est donc la vente : le livre y est présent, mais seulement en tant que bien d’une certaine valeur.

D’une façon plus globale, certains articles de notre corpus relatent les enjeux auxquels font face les organisations œuvrant à la production du livre, soit les imprimeries et les maisons d’édition. Ces articles sont axés sur les pratiques commerciales de ces organisations, telles que l’obtention de contrats ou la conclusion de partenariats. Les sujets abordés en 2008 étaient, notamment, l’obtention par Quebecor World du contrat d’impression des livres de la Reader’s Digest Association, évalué à 55 millions de dollars, le succès commercial en France de la maison d’édition québécoise Les Allusifs ou le partenariat entre l’éditeur Les 400 Coups et les Éditions Caractère. Encore une fois, dans ces articles, la valeur économique du livre pour l’industrie – et non pour les citoyens – prédomine.

À la différence des articles qui présentent les bénéfices liés à l’industrie du livre, les articles portant sur les bibliothèques vont plutôt traiter des coûts engendrés par ces institutions culturelles. Des questions telles la construction ou la rénovation des bâtiments y sont abordées. À titre d’exemple, le projet de conversion de l’église Sainte-Marguerite-Marie de Magog en bibliothèque municipale, associé à un investissement de plus de 8 millions de dollars, a soulevé nombre de débats politiques et idéologiques. Élus, citoyens, experts en bâtiment patrimoniaux et journalistes se sont prononcés sur la qualité de cet investissement mobilisant d’importants fonds publics, évacuant du même coup la question de l’usage culturel de la bibliothèque.

Cette approche journalistique, visant à mettre l’accent sur des caractéristiques marchandes, nous amène d’ailleurs à dresser un autre constat, qui rejoint celui de Spano (2011) à propos du journalisme culturel en France: « Les médias, qui font eux-mêmes partie des industries culturelles, participent [...] à la diffusion et au renforcement d’une conception devenue marchande de la culture. La spécialité culturelle du journalisme en est à la fois l’une des incarnations et l’un des vecteurs grâce auxquels elle se maintient » (p. 165). Comme le révèle la lecture de notre corpus, certains journalistes mettent en exergue la valeur marchande du livre et des bibliothèques et leurs articles associent la valeur de ces domaines culturels à l’argent : c’est parce qu’un exemplaire a été vendu à une somme faramineuse, qu’un contrat d’importance a été signé ou qu’un investissement a été fait dans une bibliothèque qu’il importe d’écrire un article journalistique.

De plus, en portant une attention spécifique à la couverture des bibliothèques, nous comprenons que le traitement des journalistes est plus largement influencé par la structure de financement de ces organisations publiques que par leur mission. Bien que les raisons d’être des bibliothèques soient intrinsèquement le développement et le maintien de compétences culturelles3, ce champ d’action culturelle est soit relégué au second plan, soit ignoré. Nos analyses nous permettent donc d’affirmer que la médiation effectuée par les journalistes des thématiques liées aux bibliothèques en 2008 se fait d’abord et avant tout afin d’informer les contribuables au sujet de l’usage de l’argent public.

La critique de livres

Nous nous attarderons finalement aux articles ayant pour thème central le contenu des livres. Ces articles prennent bien souvent la forme assumée de critiques : il s’agit donc de discours fondés sur des valeurs et dont les journalistes prennent la pleine responsabilité. Bien que le positionnement adopté dans ces articles soit subjectif, tel que l’on s’y attend pour une critique culturelle, nous y rencontrons le plus souvent des éloges ou des suggestions de lecture. Par exemple, Danielle Laurin du Devoir suggérait une œuvre de Louise Dupré, sous prétexte qu’on ne « pou[rrait] pas passer à côté de son recueil L’Été funambule (XYZ). Pourquoi ? Toute la richesse, toute la palette, toute la profondeur et la sensibilité de sa plume y apparaissent » (14 juin 2008, p. F3). Cette perspective critique prend d’ailleurs parfois une forme très apparentée à un texte publicitaire : « Les Guides évasion en ville sont des petits livres idéals pour parcourir les centres-villes de dix destinations et offrent des itinéraires précis de visites élaborés pour une journée. La sélection comporte actuellement les villes d’Amsterdam, Barcelone, Londres, Lisbonne, Istanbul, Marrakech, New-York, Prague, Rome, Venise et Vienne. À venir, Berlin. Chaque livre coûte environ 15 $ » (Jean-Maurice Duddin, Le Journal de Montréal, 23 septembre 2008, p. 58).

Si le sujet central de ces articles est le contenu de livres et qu’il s’inscrit généralement dans le cadre d’une critique, nos analyses nous permettent de comprendre que l’intention critique se trouve en concurrence avec l’intention promotionnelle.

Cela dit, nous constatons qu’une réelle posture critique est endossée par les journalistes lorsqu’il est question des différentes catégories de livre. Ces articles traitent, par exemple, de la place de la bande dessinée au Québec, de la crédibilité des autobiographies, du rôle mémoriel des romans historiques ou de la tribune offerte par les livres religieux. Ces critiques viennent positionner le rôle et l’importance des différentes catégories abordées.

Ensuite, certains articles vont se centrer sur la thématique du contenu des livres sous l’angle de la création littéraire ; ils ont pour objet les processus menant à l’écriture ou à la traduction de livres. Il s’agit, entre autres, de textes écrits grâce à des informations collectées lors d’entrevues avec des auteurs. Généralement très factuels, ils s’intéressent aux procédés artistiques et parfois juridiques que mobilisent l’écriture ou l’adaptation d’un livre. Plusieurs articles publiés en 2008 portent sur Noir Canada : pillage, corruption et criminalité en Afrique d’Alain Denault. Le processus d’écriture et de publication de ce livre avait fait l’objet d’une poursuite judiciaire de la part de l’entreprise minière Barrick Gold, qui questionnait les sources mobilisées par l’auteur. Ainsi, des articles relatent ses propos sur les sources mobilisées dans son livre et sur la manière dont les différentes mises en demeure de Barrick Gold ont influencé les processus ayant mené à la publication du livre.

Cette faible présence de la critique dans notre corpus nous permet de constater que peu d’articles abordent de front les dimensions artistiques et créatives des domaines du livre et des bibliothèques. Cette dynamique est, à notre avis, l’effet d’une forte hybridation du genre. Aussi sommes-nous d’accord avec Lemieux, Paré et Luckerhoff (2012) pour dire que, « si le journalisme en matière de culture ne se résume pas seulement à l’expression d’opinions, il semble que les mutations du journalisme et l’hybridation des genres l’ont influencé autant que les autres formes de journalisme » (p. 241). Nous constatons que bien peu d’articles sont construits « autour du partage d’une certaine culture et d’un sens de l’analyse » (Voyer-Léger, 2014, p. 10). Ainsi, bien peu vont promouvoir l’idéal du critique culturel.

De surcroît, nous remarquons que, si certains journalistes vont s’aventurer à adopter une posture critique face à des thématiques proprement littéraires telles que le contenu d’un livre ou les processus d’écriture, ils le font d’une façon laudative : ils vont alors conseiller un livre, insister sur la signification d’une activité littéraire ou décrire les bienfaits accompagnant le maintien d’habitudes de lecture. Nos résultats vont donc dans le même sens que ceux de Béra (2003), qui affirme que les critiques culturels adoptent un rôle de plus en plus centré sur la suggestion.

Une couverture journalistique contrastée

À la suite de l’analyse thématique dont nous venons de faire état, nous nous sommes intéressé à deux nouvelles dimensions de la couverture journalistique du livre et des bibliothèques : les intentions des journalistes et les critères de valorisation. En effet, nous avons remarqué que, si certains articles sont axés sur la transmission neutre d’information, d’autres laissent transparaître la perspective critique du journaliste. Il s’agissait pour nous de déterminer si certaines intentions journalistiques étaient plus présentes que d’autres. Nous avons en outre remarqué que les critères de valorisation ne sont pas les mêmes d’un article à l’autre : certains sont spécifiquement culturels alors que d’autres sont plutôt axés sur le marché. En nous inspirant de la démarche et des résultats de Luckerhoff (2012), nous avons porté un regard comparatif sur la couverture journalistique des domaines culturels à l’égard de l’intention du journaliste et des critères de valorisation.

Les intentions journalistiques repérées dans les articles

Afin de comparer les intentions des journalistes, nous nous sommes inspiré de l’étude de Luckerhoff (2012) sur le traitement journalistique d’une exposition muséale vedette, qui se fonde sur l’analyse des articles traitant de culture selon qu’ils présentent l’intention : d’informer ; de juger ou de persuader (perspective critique) ; de louer ou de vanter (perspective promotionnelle) ; d’amuser ou de divertir. Pour établir ces critères, Luckerhoff rappelle les constats de Grosse et Seibold (1996), qui considèrent plus réaliste d’analyser empiriquement des articles en fonction de leurs intentions discursives qu’en regard du modèle traditionnel des genres journalistiques. En effet, le phénomène d’hybridation des genres journalistiques rend difficile leur observation lors d’une démarche empirique.


Table 1. Intentions journalistiques selon le domaine culturel (en %)


L’analyse des articles de 2008 montre que l’ordre d’importance des intentions premières des journalistes est le même en ce qui a trait au thème des bibliothèques ou à celui du livre, mais que les proportions diffèrent. Tel que le montre la Table 1, l’intention première la plus présente, dans les deux cas, est celle d’informer, suivie par celle de juger ou persuader. Les articles du corpus révèlent très rarement des intentions premières consistant à louer ou vanter ou à amuser ou divertir. Cela dit, le livre y est abordé avec une ouverture à la subjectivité plus de deux fois plus importante que celle observée dans la couverture des bibliothèques. En effet, l’intention première de juger ou persuader et celle de louer ou vanter sont présentes dans 28,2 % des articles sur le livre, comparativement à 13,9 % des articles sur les bibliothèques.

Nous estimons que deux idéaux journalistiques se font concurrence. Le premier est celui du journalisme d’information, pour lequel l’idéal de pratique consiste à se rapprocher au plus possible d’un traitement objectif, neutre, factuel et libre d’opinion d’éléments d’actualité (Brin, Charron et de Bonville, 2004, p. 3). Le deuxième est celui du critique culturel, dont l’idéal de pratique consiste à émettre un discours critique, subjectif et impliqué à l’égard d’objets culturels (Bourdieu, 1994). Une plus forte tendance de l’intention journalistique d’informer indique un rapprochement avec l’idéal du journalisme d’information, tandis qu’une plus forte tendance envers les intentions journalistiques de juger ou persuader et de louer ou vanter indique un rapprochement avec l’idéal de pratique du critique culturel. Ainsi, dans le corpus de 2018 sur lequel nous nous sommes penché, bien que l’intention d’informer soit très forte dans le cas du livre et des bibliothèques, la couverture journalistique des bibliothèques se rapprocherait davantage des idéaux de pratique du journalisme d’information que celle du livre, tandis que celle du livre se rapprocherait davantage des idéaux de pratique du critique culturel.

Les critères de valorisation pour traiter du livre et des bibliothèques

Toujours selon Luckerhoff (2012), les articles qui traitent de culture peuvent présenter une valorisation établie sur des critères culturels ou de marché; il explique comme suit la différence entre ces critères : « Par critères culturels, nous référons à une valorisation de créations, de productions ou de manifestations en fonction de leur contenu symbolique. La valorisation par les critères culturels est habituellement opposée à la valorisation par les critères de marché qui concerne davantage les retombées économiques, le nombre de visiteurs et le succès commercial » (p. 212).

Nous avons mis à profit ces critères afin de voir si le traitement de la culture était le même dans le cas des articles traitant du livre et de ceux traitant des bibliothèques, soit des critères uniquement ou majoritairement culturels ou des critères uniquement ou majoritairement de marché. Les traitements du thème du livre et celui du thème des bibliothèques se révèlent assez différents (table 2).


Table 2. Critères de valorisation selon le domaine culturel (%)


Comme le montrent nos résultats, dans 70 % des cas, la couverture des bibliothèques est surtout liée à des critères marchands, comme la fréquentation, le financement, la gestion ou la politique. La couverture du livre, quant à elle, est plutôt orientée vers les critères culturels, liés aux processus artistiques ou à l’interprétation d’une œuvre (72,4 % des cas). Pareils résultats entrent d’ailleurs dans un fort rapport de cohérence avec nos observations qualitatives, selon lesquelles le domaine des bibliothèques est généralement présenté comme une dépense publique.

Conclusion

En analysant 887 articles de journaux datant de 2008, nous avons obtenu une meilleure compréhension de la couverture journalistique des domaines du livre et des bibliothèques. Cette démarche nous incite à émettre un premier constat général : nous remarquons avec Spano (2011) que « l’une des caractéristiques majeures du journalisme culturel est l’élargissement constant de son champ d’investigation » (p. 164). En analysant uniquement des articles portant sur les deux domaines culturels, nous avons mis au jour des thématiques qui incluent, notamment, des évènements qui accueillent des dizaines de milliers de visiteurs, des politiques de financement, l’obtention de contrats, des projets d’infrastructures publiques, la vie privée de célébrités ou des programmes éducatifs.

Concernant le domaine du livre, nous avons constaté qu’en effectuant une couverture journalistique majoritairement centrée sur une information généraliste quant à des thématiques d’actualité, les journalistes culturels montrent des affinités plus fortes avec le développement de l’industrie du livre qu’avec le développement des pratiques citoyennes du livre. Les articles analysés semblent généralement faire la description de différentes situations sous prétexte qu’elles sont d’actualité. Nous l’avons observé : les articles, notamment lorsqu’ils portent sur l’évènementiel, vont offrir des portraits similaires à ceux qu’offrent normalement des communiqués de presse. Ils se montrent même parfois promotionnels. Nous comprenons de ces observations que les thématiques sont souvent abordées dans les articles parce que des acteurs du livre les inscrivent à l’actualité, qu’il s’agisse d’annoncer la tenue d’un salon du livre, d’augmenter la visibilité d’un livre dont le lancement est imminent ou de manifester un mécontentement face aux politiques de financement. Ainsi, le lectorat a davantage accès à ce que les acteurs de l’industrie du livre souhaitent inscrire à l’agenda médiatique qu’à la perspective des journalistes culturels.

En ce qui a trait au domaine des bibliothèques, si les médias contribuent à structurer le rapport entre le lectorat et les pratiques de la lecture et du livre (MCCQ, 1998), force est de constater que les articles qui traitent de ces institutions instaurent un rapport davantage centré sur la dualité payeur de taxes- infrastructures publiques que sur la dualité lecteur-lieu de lecture. En effet, cette partie du corpus met faiblement de l’avant des critères de valorisation culturels. Les articles vont plutôt permettre d’informer le lectorat des journaux concernant des débats qui les impliquent d’abord en tant que citoyens plutôt qu’en tant que lecteurs – c’est par exemple le cas des articles traitant de la fermeture, de la construction ou de la rénovation d’une bibliothèque. Les articles de 2008 portant sur les bibliothèques n’abordent que très rarement la contribution de ces institutions au développement de la pratique de lecture de livres.

Cette étude laisse plusieurs interrogations en suspens et offre ainsi des pistes pour des projets de recherche futurs. Il nous apparaît notamment pertinent d’examiner la relation entre médiation culturelle et journalisme culturel. La couverture effrénée et orientée par l’opportunité observée en 2008 constitue-t-elle réellement une forme de médiation des domaines du livre et des bibliothèques ? Aussi, les articles qui abordent les bibliothèques telles des infrastructures publiques contribuent-ils à réitérer le rôle culturel de ces institutions ne contribuent-ils pas plutôt à remettre en question leur valeur sociale ? Il nous semble toujours pertinent de soulever de telles interrogations, spécialement en 2018. En effet, à l’aube du renouvèlement de la politique culturelle québécoise, il importe de réévaluer les outils qui étaient, au début du XXIe siècle, considérés valides dans une perspective de démocratisation culturelle, notamment en questionnant leur portée et leurs impacts réels.

Olivier Champagne-Poirier est doctorant en communication sociale
à l’Université du Québec à Trois-Rivières.




Notes

1

Cette politique a été signée en 1998 par Louise Beaudoin, alors ministre de la Culture et des Communications, et a pour but de définir les responsabilités du gouvernement du Québec en matière de démocratisation de la lecture et du livre.




2

Ces quotidiens sont le Soleil, le Journal de Montréal, le Journal de Québec, le Globe and Mail, Le Devoir, The Gazette, Le Droit, Le Nouvelliste, La Presse, La Voix de l’Est, 24 heures, Média Matin Québec, Le Quotidien, The Record, La Tribune et Métro.




3

Selon le manifeste de l’UNESCO, « la bibliothèque publique, porte locale d’accès à la connaissance, remplit les conditions fondamentales nécessaires à l’apprentissage à tous les âges de la vie, à la prise de décision en toute indépendance et au développement culturel des individus et des groupes sociaux » (1994, p. 1).






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Référence de publication (ISO 690) :
CHAMPAGNE-POIRIER, Olivier. Les domaines du livre et des bibliothèques dans la presse écrite. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2018, vol. 2, n°2, p. R143-R143.
DOI:10.31188/CaJsm.2(2).2018.R143


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