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Nouvelle série, n°2

2nd semestre 2018

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NOTE DE LECTURE

Alexandra Kitty : When Journalism was a Thing

Gabriela Perdomo

A

lexandra Kitty, auteure du livre When Journalism was a Thing (Zero Books, 2018), affirme que le journalisme est mort quand Donald Trump a été élu président des États-Unis. Pour ceux qui ont travaillé dans le domaine ou ceux qui s’intéressent aux professionnels de l’information, les remarques liminaires de ce livre ressembleront à une agression personnelle et chargée d’émotion.

L’ouvrage commence par une lettre adressée aux journalistes, notamment en Amérique du Nord, où l’auteure se livre à une tirade enflammée contre les journalistes : ils seraient des menteurs, des perroquets et des hacks issus des relations publiques (p. 1). L’auteur les accuse entre autres de fraude, d’être paresseux et irresponsables, de causer la mort et la destruction. Elle continue : « Vous avez répandu la haine. Vous avez répandu des préjugés. Vous avez répandu la peur. Vous avez répandu la panique absolue. Vous avez répandu des mensonges. Vous avez transformé les gens ordinaires en cibles à insulter » (ma traduction, p. 1).

Tel est la trame fébrile de cette lettre et, en fait, le ton sur lequel le long livre de Kitty est écrit. Ce sont près de 500 pages pour un éloge funèbre qui dit adieu au journalisme, que l’auteure décrit comme une profession morte : « [le journalisme] n’est plus rien : il est aussi dépourvu d’utilité que le blogue de vanité ou la page Facebook d'un adolescent » (p. 24). L’ouvrage s’adresse au grand public ; il est écrit de façon informelle et semé d’anecdotes et de scandales journalistiques bien connus et facilement reconnaissables par la plupart des gens attentifs à l’actualité en Amérique du Nord.

Parmi de nombreux exemples, Kitty cite la controverse entre Gawker Media, le lutteur Hulk Hogan et le milliardaire Peter Thiel, qui a entraîné la fermeture du blogue Gawker.com en 2016. Kitty rappelle aussi des accusations de plagiat contre Margaret Wente du Globe and Mail, que Canadaland et d’autres médias ont rapportées en 2016, et contre Fareed Zakaria de CNN, dont Politico et d’autres médias ont parlé en 2014. L’auteure compile des dizaines de cas similaires pour lesquels, malheureusement, elle ne fournit aucun contexte, date, ou source – un paradoxe dans un livre accusant les journalistes de manquer de rigueur.

When Journalism was a Thing est divisé en cinq parties : « Part One : A Requiem for a Noble Profession » ; « Part Two : The Autopsy of Benign Corruption » ; « Part Three : What Killed Journalism? » ; « Part Four: Unmasking the Imposters » et « Part Five: Resurrection ». Il est parfois difficile de saisir ce qui distingue réellement une section de l’autre. Chacune implique une autre condamnation de la profession et de nouveaux exemples de méfaits journalistiques introduits sans ordre particulier. L’affirmation centrale du livre, selon laquelle le journalisme est mort lorsque le président Donald Trump a été élu aux États-Unis en 2016, est, au mieux, sensationnaliste.

Que feraient en effet les journalistes en Birmanie, en Corée du Sud ou au Brésil de cette affirmation ? Qu’en est-il de ceux qui risquent leur vie, de ceux qui sont morts, comme Jamal Khashoggi, pour avoir dénoncé l’oppression en Arabie saoudite ? Qu’en est-il de ceux qui continuent à produire de l’excellent journalisme, telle que Michael Obert, Coda Story, Stéphane Foucart et Stéphane Horel, qui sont parmi les lauréats des Prix de la presse européenne en 2018 ?

La thèse de Kitty selon laquelle tout le journalisme est mort est remise en cause par sa propre utilisation d’exemples principalement limités aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. En outre, l’auteure réduit la plupart de ses exemples à un seul type de journalisme, le reportage politique, ce qui donne une image déformée de ce qu’est le journalisme. Il reste encore à dire que la chronologie de la mort du journalisme chez Kitty est entièrement basée sur une illusion commune que le journalisme fût un jour une profession vénérable et sans faille. Nobre-Correia (2006) nous a déjà averti en 2006 que, bien que le journalisme allait mourir et que sa mort avait été annoncée, « l’âge d’or du journalisme n’a jamais existé » (p. 15).

Plus qu’une simple dénonciation

Malgré les défauts de l’ouvrage, il serait hâtif de le considérer comme une simple dénonciation. L’auteure utilise peut-être trop de qualificatifs, mais les comportements journalistiques scandaleux et le manque d’intégrité professionnelle dont elle parle ont une part de vérité. L’écriture est peut-être rudimentaire, mais l’auteure offre malgré tout des critiques précises et souvent justes. Notamment, elle considère que trop de journalisme serait aujourd’hui produit derrière un pupitre, sans aucun contact humain, ou que le public serait fatigué des nouvelles parce que des journalistes, peu préparés et trop sûrs d’eux-mêmes, auraient tendance à présenter leurs reportages avec trop de « sarcasmes » et de « dérision » (« snark » and « derision ») (p. 375).

Kitty elle-même a travaillé comme journaliste au Canada. Elle publie ce livre à un moment où les discussions sur l’avenir de la profession ont pris une tonalité inquiétante et pessimiste. Tapez les mots « le journalisme est mort » sur Google et vous verrez apparaître des dizaines de réflexions sur le sujet. Le ton peut être plus nuancé dans la littérature académique, mais les questions sur l’avenir du journalisme ne sont pas moins urgentes parmi les spécialistes (voir par exemple : Deuze et Witschge, 2018 ; McChesney, 2016 ; Sinclair, 2013).

Kitty apporte une contribution importante à la discussion sur la façon de sauver le journalisme. Elle s’intéresse notamment à la façon dont nous traitons la formation en journalisme. L’auteure propose ainsi que « les journalistes, producteurs et rédacteurs en chef soient des psychologues expérimentaux appliqués » (p. 113). En somme, il s’agirait de prévoir l’introduction d’une composante de psychologie expérimentale dans la formation en journalisme, laquelle permettrait aux professionnels de l’information de mieux comprendre la tromperie et la manipulation. Et ainsi de mieux se préparer pour la gestion des récits « poussés » par des sources qui cherchent d’abord et avant tout à promouvoir leurs intérêts personnels. Cela les aiderait également à mieux comprendre leur(s) public(s) en tant que consommateurs d’information. En bref, Kitty plaide pour une « approche plus scientifique et disciplinée » du journalisme (p. 277).

Comme les médecins, les biologistes et d’autres chercheurs œuvrant dans le domaine des STEM (science, technologie, ingénierie, mathématiques), les chimistes affinent en permanence la manière dont ils collectent leurs données, mais les journalistes ne disposent pas des mêmes évaluations et améliorations que celles requises pour une discipline basée sur la collecte de faits. Ce n’est pas comme s’il n’y avait aucun moyen de le faire ; les journalistes disposent de nombreuses options pour développer une approche plus scientifique de leur travail. Les annonceurs ont bien trouvé de nouveaux moyens de vendre au public, mais les journalistes n’ont apparemment rien retenu de cette leçon pour l’appliquer à leurs propres pratiques. Comment les gens réagissent-ils à des informations pénibles ? Que comprennent-ils ? Toutes les informations sont-elles également importantes ? (traduction, p. 277).

Kitty affirme que la relation entre les journalistes et le monde « réel » doit changer fondamentalement. Jusqu’à présent, déclare-t-elle, les professionnels de l’information ont abordé leur travail en tant qu’interprètes d’une réalité ordonnée, qui peut être racontée avec des termes simples. Selon elle, les journalistes devraient, au contraire, adopter les compétences et les outils scientifiques afin de pouvoir donner un sens à une réalité chaotique. En préconisant « la création d’une science du journalisme » (p. 300), Kitty propose que les journalistes deviennent des expérimentateurs scientifiques qui perfectionnent constamment et ré-imaginent leurs méthodes d’enquête. C’est-à-dire en essayant de nouvelles façons de poser des questions, en étudiant comment les publics consomment et traitent des informations, car la réalité est « frénétique, anarchique, fragmentée et, surtout, schizophrène » (p. 278). Ce n’est qu’en raffinant leurs compétences grâce à la méthode scientifique que les journalistes seront en mesure de s’acquitter de leurs tâches futures.

En résumé, When Journalism was a Thing ne parvient pas à convaincre le lecteur de son postulat principal, à savoir que le journalisme tel que nous le connaissons est mort simplement à cause d’un président américain. Sa principale contribution aux discussions sur l’avenir du journalisme réside plutôt dans la proposition de le transformer en une profession scientifique capable de se réinventer en fonction des besoins nouveaux. Dans ce domaine, Kitty aurait peut-être pu aller au-delà de la psychologie pour aborder, par exemple, le rôle que devrait jouer l’intelligence artificielle dans l’avenir de la profession (Broussard, 2015).

Cela dit, si un lecteur a besoin d’une bonne tirade à propos de tout ce qui ne va pas dans le journalisme aujourd’hui, alors ce livre sans doute sera-t-il réconfortant.

Kitty, Alexandra (2018). When Journalism was a Thing. Winchester and Washington: Zero Books.

Gabriela Perdomo est doctorante en communication à l’Université d’Ottawa.




Références

Broussard, Meredith (2015). Artificial intelligence for investigative reporting: Using an expert system to enhance journalists’ ability to discover original public affairs stories. Digital Journalism, 3 (6), 814-831.

Deuze, Mark et Witschge, Tamara (2018). Beyond journalism: Theorizing the transformation of journalism. Journalism, 19 (2), 165-181.

McChesney, Robert W. (2016). Journalism is dead! Long live journalism?: Why democratic societies will need to subsidise future news production. Journal of Media Business Studies, 13 (3), 128-135.

Nobre-Correia José-Manuel. (2006). Journalisme : une certaine mort annoncée. Communication et langages, (147), 15-24.

Sinclair, Anne (2013). Mort de la presse écrite, survie du journalisme. Le Débat, 176 (4), 101-109.




Référence de publication (ISO 690) :
PERDOMO, Gabriela. When Journalism was a Thing (Alexandra Kitty). Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2018, vol. 2, n°2, p. R241-R245.
DOI:10.31188/CaJsm.2(2).2018.R241


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