Nouvelle série, n°3
1er semestre 2019 |
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La couverture médiatique des observations scientifiques concernant les troubles mentaux
François Gonon, Université de BordeauxEstelle Dumas-Mallet, Université de BordeauxSébastien Ponnou, Université de Rouen Normandie
Résumé
Des centaines de travaux académiques ont analysé la couverture médiatique de la recherche biomédicale. Ils ont montré que les observations scientifiques couvertes par les médias sont fréquemment embellies par des distorsions et omissions. Celles-ci sont souvent déjà présentes dans les publications scientifiques et se propagent, voire se renforcent, dans les communiqués de presse publiés par les institutions scientifiques. Elles sont alors reprises, souvent sans critique, par les médias. De plus, le choix des sujets traités par les médias accentue les biais de publication privilégiant les observations initiales et celles qui rapportent un effet positif. Il en résulte que les observations biomédicales rapportées par les médias sont souvent contredites par les recherches ultérieures sans que le public en soit informé. Nous présentons une synthèse de ces travaux, en particulier ceux concernant la médiatisation des recherches en santé mentale, et nous en évoquons quelques conséquences sociales.
Abstract
Hundreds of academic studies have analyzed the coverage of biomedical findings by the mass media. They showed that most news stories make scientific observations more appealing through distortions and omissions. In most cases, these distortions and omissions are already present in the scientific publications, are further hyped by press releases issued by scientific institutions and spread in news stories without criticism. Moreover, journalists exacerbate publication biases by preferentially covering initial findings and scientific observations that report a positive effect. As a consequence, the media preferentially cover biomedical observations that are later disconfirmed by subsequent studies, and almost never inform the public of these invalidations. Here we review these academic studies, with a special focus on those dealing with the coverage of mental health science, and we discus some social consequences of these misrepresentations.
DOI: 10.31188/CaJsm.2(3).2019.R045
L
a première lobotomie préfrontale a été pratiquée en 1935 par le neurologue portugais Egas Moniz et ses collègues sur une patiente souffrant de troubles psychiatriques (Tierney, 2000). Cette technique s’est rapidement répandue aux États-Unis et en Grande-Bretagne pendant les années 40, si bien qu’en 1951 environ 20 000 patients souffrant de troubles psychiatriques divers avaient été lobotomisés aux États-Unis et environ 10 000 en Grande-Bretagne (Tierney, 2000). Aux États-Unis, le plus ardent promoteur de ce traitement a été le neurologue Walter Freeman. Pour promouvoir sa technique, et avant même d’en publier les trois premiers cas dans une revue médicale, il contacta un ami journaliste. Celui-ci publia en novembre 1936 dans le Evening Star le premier article de presse en faveur de la lobotomie (Ogren, 2013). Ensuite, et pendant une dizaine d’années, la presse américaine a publié de nombreux articles qui étaient tous très favorables à cette intervention. De rares articles mentionnèrent les inconvénients du traitement en les édulcorant : certes les patients étaient très apathiques après l’opération, mais ceci était préférable à leur état antérieur (Diefenbach, Baumeister et West, 1999 Ogren, 2013). Entre 1945 et 1955 les articles de presse devinrent plus nuancés concernant les bénéfices et l’étendue des applications de la lobotomie aux divers troubles mentaux. Cependant, les articles en décrivant clairement les inconvénients et les échecs (y compris le taux de mortalité post-opératoire qui atteignait 10 % dans certains hôpitaux) restèrent rares, d’autant qu’Egas Monitz reçut en 1949 le prix Nobel (Diefenbach et al., 1999 Ogren, 2013). Après 1955, la presse publia de moins en moins d’articles consacrés à la lobotomie. Le nombre d’interventions chuta brutalement au début des années 60, quand l’usage des premiers neuroleptiques se répandit en même temps qu’un bouche-à-oreille croissant parmi les psychiatres concernant l’inefficacité et la dangerosité de la lobotomie préfrontale.
Les études récentes qui ont été consacrées à la couverture médiatique de la lobotomie ont conclu que la presse avait joué un rôle majeur pour promouvoir cette intervention (Diefenbach et al., 1999 Ogren, 2013 Valenstein, 1986). Walter Freeman le dit clairement dans ses écrits non publiés (Ogren, 2013) :  « Il n’y a aucun doute que sans l’enthousiasme et même les efforts parfois embarrassants [de la presse] pour populariser notre travail auprès des lecteurs, la lobotomie se serait bien moins développée. » On voit que l’influence des médias sur les pratiques de la psychiatrie ne date pas d’hier.
Dans la période récente, de nombreux chercheurs ont entrepris de décrire les écarts, parfois considérables, entre la réalité des observations de la recherche biomédicale et leur présentation dans les médias. Les deux premières parties de cet article présentent une revue de ces travaux académiques1. La première partie répertorie les différents types de distorsions des observations scientifiques qui sont déjà présentes dans la littérature scientifique biomédicale, avec une attention particulière pour les recherches en psychiatrie. La deuxième partie présente une revue des travaux académiques ayant examiné la fidélité de la couverture médiatique des recherches biomédicales et illustre ces travaux à l’aide d’exemples concernant des recherches en psychiatrie et leur couverture médiatique. La troisième partie examine en détail les distorsions de la couverture médiatique des recherches en psychiatrie pour deux questions particulières : la susceptibilité génétique vis-à-vis de la dépression et la présentation du Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) par les médias français. Enfin, la conclusion évoque les conséquences sociales des distorsions des recherches en santé mentale par les médias et en propose une interprétation politique.
Les distorsions déjà présentes dans la littérature scientifique
Comme on l’a vu dans l’introduction, il arrive que des scientifiques contactent directement des journalistes pour les inciter à médiatiser des observations non encore diffusées dans la communauté scientifique, mais ceci est relativement rare. Dans la grande majorité des cas, la publication scientifique représente le matériau brut que les médias mettent en forme pour le présenter à leurs audiences respectives. Dans leurs publications scientifiques, les chercheurs en sciences biomédicales décrivent des observations qui ont été entreprises pour tester une hypothèse. Ensuite ils interprètent ces observations en fonction de cette hypothèse. Par conséquent, si les observations sont déjà décrites ou interprétées de manière déformée dans les publications scientifiques, ces distorsions ont toutes les chances d’être diffusées dans les documents médiatiques qui ont couvert ces publications. Ces distorsions représentent donc un problème non seulement pour la communauté scientifique, mais aussi pour l’information du public. Dans cette première partie, nous décrivons les différentes formes de distorsions déjà présentes dans la littérature scientifique.
Falsification des données
La fraude consiste pour un chercheur à inventer intégralement un corpus d’observations pour valider sa théorie. C’est par exemple le cas des études chez les vrais et faux jumeaux publiées par Cyril Burt dans les années 50 et qui, selon lui, prouvaient le caractère héréditaire de l’intelligence humaine. Des enquêtes, menées après la mort de ce célèbre psychologue, ont montré que la plupart de ses observations avaient été inventées. Cependant, les cas de fraude caractérisée sont exceptionnels (Fang, Steen, et Casadevall, 2012). Dans le champ de la psychiatrie, le plus connu est l’article publié en 1998 dans la prestigieuse revue The Lancet associant la vaccination ROR (vaccin groupé contre la rougeole, les oreillons et la rubéole) à un fort risque d’autisme. Cet article, rétracté en 2010, a été très largement couvert par la presse grand public, ce qui a alimenté une controverse médiatique toujours active (Clarke, 2011).
Par contre, de nombreuses études récentes montrent que plusieurs types de falsification partielle ou d’embellissement des données sont de pratique courante dans le champ de la recherche biomédicale (Boutron et Ravaud, 2018). De fait, une enquête auprès de 390 statisticiens américains a permis de dresser une liste des demandes éthiquement inacceptables émanant de chercheurs en sciences biomédicales (Wang, Yan, et Katz, 2018). Parmi les demandes fréquentes on note : a) la suppression ou l’altération de certaines données afin d’obtenir un effet significatif b) l’arrêt de la collecte des données dès qu’un effet significatif est observé et c) la multiplication des tests statistiques jusqu’à obtenir un effet positif et la description sélective de cet effet. Des enquêtes auprès de chercheurs de différentes disciplines ont révélé que 2 % d’entre eux admettent avoir au moins une fois falsifié ainsi leurs données. D’autre part, 14 % des chercheurs interviewés disent avoir connaissance de collègues ayant eu recours à de telles falsifications (Fanelli, 2009). L’enquête citée ci-dessus révèle que durant les cinq dernières années, plus des trois quarts des biostatisticiens ont reçu au moins une demande de falsification partielle (Wang et al., 2018). Ces pratiques, appelées p-hacking, sont donc courantes et expliquent que les valeurs de p juste inférieures au seuil critique de 0,05 soient anormalement plus fréquentes, en particulier dans le domaine biomédical (Head, Holman, Lanfear, Kahn et Jennions, 2015).
Publication préférentielle des résultats positifs
Toutes disciplines confondues, le pourcentage d’articles scientifiques rapportant des résultats confirmant l’hypothèse des chercheurs est passé de 70 % en 1990 à 86 % en 2007 (Fanelli, 2012). La psychiatrie présente le taux de résultats positifs le plus élevé de toutes les sciences biologiques et médicales (Fanelli, 2012). Ce biais n’est pas seulement dû au p-hacking il résulte aussi d’un processus de publication biaisé, soit que les chercheurs choisissent de ne pas soumettre pour publication leurs résultats négatifs, soit que les éditeurs les rejettent plus fréquemment (Dwan, Gamble, Williamson et Kirkham, 2013 Emerson et al., 2010  Turner, 2013). Ainsi, Ioannidis a examiné 41 méta-analyses étudiant une association entre une anomalie dans le volume de certaines structures cérébrales et un trouble psychiatrique. Il a montré que le nombre d’études primaires rapportant une différence significative entre les patients et les témoins était deux fois plus élevé que ce qui aurait dû être observé au vu des méta-analyses (Ioannidis, 2011).
Dans le domaine des essais cliniques en psychiatrie, plusieurs études ont démontré que les essais rapportant l’effet bénéfique d’un traitement étaient plus souvent publiés que ceux concluant à une absence d’effet (Turner, 2013). Ceci a pu être mis en évidence en prenant en compte les essais cliniques règlementairement enregistrés par l’agence américaine du médicament, la Food And Drug Administration (FDA), ou par des institutions similaires dans d’autres pays, mais qui n’ont pas fait l’objet d’une publication dans une revue médicale à comité de lecture. Par exemple, sur un total de 74 essais d’antidépresseurs, 37 des 38 essais rapportant un effet positif ont été publiés dans une revue médicale. Par contre, parmi les 36 essais considérés comme négatifs par la FDA, 22 n’ont pas été publiés, seulement trois ont été décrits correctement dans une publication scientifique et 11 autres ont été publiés, mais abusivement interprétés comme positifs (Turner, Matthews, Linardatos, Tell et Rosenthal, 2008). Ainsi, l’une de ces 11 études comparait l’efficacité de la paroxétine par rapport à un placebo (Golden, Nemeroff, McSorley, Pitts et Dube, 2002). Cette étude a été réalisée dans 19 centres médicaux distincts. Selon la FDA, les données rapportées par deux de ces centres étaient atypiques, ce qui suggérait que la procédure de recueil des données à l’aveugle n’avait pas été respectée. Un audit ultérieur a partiellement confirmé cette supposition (Turner et al., 2008). Sur la base de l’ensemble des données produites par les 19 sites, les auteurs de l’article ont conclu à un effet significatif de l’antidépresseur. Par contre, après exclusion des données des deux sites douteux, l’effet n’était plus significatif selon la FDA (Turner et al., 2008).
Description incorrecte des méthodes
Dans une publication scientifique, les méthodes d’observation doivent être décrites avec suffisamment de précision et d’exactitude pour permettre à d’autres chercheurs de les reproduire et aux lecteurs d’avoir tous les éléments pour juger de la pertinence de la conclusion. Malheureusement, la description des méthodes est bien souvent inexacte ou incomplète (Boutron et Ravaud, 2018; Wang et al., 2018). C’est par exemple le cas d’une étude publiée en 1999 dans la prestigieuse revue The Lancet et concluant que le taux cérébral du transporteur de la dopamine est plus élevé de 70% chez les patients souffrant du Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité (TDAH) (Dougherty et al., 1999). Le transporteur de la dopamine est une protéine membranaire qui régule la neurotransmission mettant en jeu la dopamine. Cet article a été largement couvert par la
presse grand-public car il prétendait expliquer la cause du TDAH et le bien-fondé du traitement, puisque les psychostimulants inhibent ce transporteur (Gonon, Konsman, Cohen, et Boraud, 2012). Dans leur article de 1999, les auteurs ont omis de préciser que 4 de leurs 6 patients avaient préalablement reçu un traitement au long cours par un psychostimulant et n’ont publié cette information qu’en 2005. Les études ultérieures ont montré que le taux du transporteur de la dopamine est similaire chez les témoins et chez les patients non-traités souffrant du TDAH et qu’un traitement prolongé par les psychostimulants augmente ce taux (Fusar-Poli, Rubia, Rossi, Sartori, et Balottin, 2012).
Présentation trompeuse des observations
Au sein des articles scientifiques, il existe souvent un écart considérable entre la réalité des observations et leur présentation ou leur interprétation, en particulier dans les résumés. De nombreuses études ont caractérisé et quantifié ces embellissements, nommés « spin » dans la littérature anglosaxonne spécialisée (Chiu, Grundy et Bero, 2017). La forme la plus grave, mais heureusement la moins fréquente, consiste en une incohérence flagrante entre les observations décrites au sein de l’article et la conclusion tirée en fin d’article et/ou dans le résumé. Dans un ensemble de 360 articles scientifiques concernant le TDAH, nous en avons trouvé deux présentant une conclusion incohérente. Par exemple, l’étude de Barbaresi et al. rapporte que le traitement des enfants souffrant du TDAH par un psychostimulant n’améliore pas leurs performances en lecture et ne diminue pas leur risque de sortie prématurée du système scolaire (Barbaresi, Katusic, Colligan, Weaver et Jacobsen, 2007). Cependant, sur l’unique base d’un taux de redoublement un peu plus faible, ils concluent que ce traitement améliore à long terme leurs performances scolaires. Cette conclusion a été reprise telle quelle par 20 des 21 articles de la presse anglosaxonne ayant couvert cette étude (Gonon, Bézard et Boraud, 2011). Seul l’article du Gardian a décrit correctement l’ensemble des observations de cette étude et en a donc critiqué la conclusion.
D’autres formes moins extrêmes d’embellissement sont beaucoup plus fréquentes dans la littérature biomédicale, en particulier dans les résumés (Chiu et al., 2017). Ainsi, certains articles rapportant une corrélation entre une pathologie et un facteur de risque, par exemple génétique, peuvent la présenter abusivement comme un facteur causal (Chiu et al., 2017 Sumner et al., 2016). Lorsque cette interprétation abusive apparaît aussi dans le communiqué de presse correspondant, elle a toutes les chances de se retrouver dans les articles de presse couvrant l’étude (Sumner et al., 2016). Une autre forme d’embellissement très fréquente dans les résumés consiste à mettre en avant un effet statistiquement significatif sans mentionner les chiffres qui pourraient en relativiser la portée (Yavchitz et al., 2012). Par exemple, 84 % des résumés qui affirment une association statistiquement significative entre le TDAH et l’allèle2 7R du gène codant pour le récepteur D4 ne mentionnent pas la taille de cette association (Gonon, Bézard et al., 2011). Cette association est pourtant faible : 23 % des enfants diagnostiqués TDAH sont porteurs de cet allèle pour 17 % des enfants témoins. L’omission de cette information quantitative dans la vaste majorité des résumés se retrouve dans la même proportion dans les médias anglo-axons (Gonon, Bézard et al., 2011). Par exemple, on peut lire dans le Globe and Mail du 17 août 2002 : « Beaucoup de personnes souffrant du TDAH sont porteuses d’une forme variante du gène DRD4. »
Le processus de production des connaissances et ses pièges médiatiques
Cette deuxième partie commence par décrire une cause majeure des écarts entre les observations de la recherche biomédicale et leur couverture médiatique : l’incertitude inhérente aux recherches initiales et l’ignorance des médias vis-à-vis de cette incertitude. Ensuite, nous montrons comment et pourquoi les embellissements déjà présents dans la littérature scientifique sont amplifiés par les médias. Cette revue de la littérature est illustrée par des exemples tirés des recherches en psychiatrie et de leur couverture médiatique.
Les études initiales sont incertaines
La publication préférentielle des résultats positifs a pour conséquence directe que la première étude sur une nouvelle question rapporte le plus souvent une taille d’effet plus importante que les études ultérieures sur le même sujet. La Figure 1 en montre un exemple.
Figure 1 : Taux cérébral du transporteur de la dopamine chez les patients diagnostiqués comme souffrant du TDAH exprimé en pourcentage du taux des témoins. La dopamine est un neurotransmetteur cérébral dont la concentration dans la synapse est régulée par une protéine membranaire, le transporteur. Le taux de ce transporteur est ici mesuré par imagerie cérébrale. La méta-analyse cumule les données des 12 études primaires sur cette question. Seules deux études primaires ont reçu une couverture médiatique. Le graphique de droite compare le facteur d’impact (IF) de la revue médicale qui a publié l’étude initiale (The Lancet: IF = 39) à la moyenne des facteurs d’impact des revues biomédicales qui ont publiées les 11 études ultérieures. Le facteur d’impact d’une revue scientifique est calculé à partir du taux moyen de citations reçues par chaque article de la revue et représente une mesure de son prestige scientifique.
Selon l’étude de Dougherty et al. publiée en 1999, les patients diagnostiqués comme souffrant du TDAH présentent un niveau du transporteur de la dopamine de 70 % plus élevé que les témoins (Dougherty et al., 1999). Les études ultérieures rapportèrent soit une différence plus petite entre patients TDAH et témoins, soit une absence de différence ou encore un effet opposé (Fig. 1). La méta-analyse basée sur l’ensemble de ces observations a conclu à une absence de différence (Fusar-Poli et al., 2012). Cette dévaluation des études initiales par les études ultérieures est un phénomène très fréquent et qui affecte tous les domaines de la recherche biomédicale (Ioannidis, 2005a, 2005b Ioannidis, Ntzani, Trikalinos et Contopoulos-Ioannidis, 2001). Par exemple, parmi 43 études initiales affirmant l’efficacité d’un traitement médicamenteux en psychiatrie, 16 études ont été invalidées par les études ultérieures et 11 ont rapporté des tailles d’effets largement supérieures à celles des études suivantes (Tajika, Ogawa, Takeshima, Hayasaka et Furukawa, 2015). Concernant les recherches associant un facteur de risque à une pathologie, nous avons conduit une large étude comparative portant sur 663 études initiales (Dumas-Mallet, Button, Boraud, Munafo et Gonon, 2016). Nous avons observé que le taux de confirmation par les études ultérieures est très variable suivant les domaines. Les études initiales les plus fréquemment confirmées (86 %) sont les associations entre un test comportemental et un trouble psychiatrique. Il est vrai que ces associations sont souvent tautologiques : par exemple un test d’impulsivité et le TDAH. Inversement, les études initiales associant un risque génétique à une pathologie sont bien moins souvent confirmées pour les troubles psychiatriques (8,6 %) que pour les maladies neurologiques (58 %) (Dumas-Mallet et al., 2016).
Les médias couvrent préférentiellement les études initiales
Le faible taux de confirmation des études initiales n’est pas choquant en soi : la science est un processus lent et cumulatif évoluant à partir d’études initiales prometteuses mais incertaines, vers un consensus basé sur un corpus d’études indépendantes confirmant, ou non, les études initiales. Malheureusement, les médias ne prennent pas en compte ce processus. Nous avons montré, sur un échantillon de 5 029 études d’association, que la presse grand public privilégie les études initiales (13 % sont couvertes) par rapport aux études ultérieures (2,4 %) et aux méta-analyses (1,6 %) (Dumas-Mallet, Smith, Boraud et Gonon, 2017). En conséquence, la moitié des études couvertes par la presse sont en fait contredites par les études ultérieures. Ce taux de confirmation est plus faible pour la psychiatrie (26 %) que pour la neurologie (63 %) (Dumas-Mallet et al., 2017). De plus, la presse n’informe quasiment jamais le public lorsque les études qu’elle a couvertes sont contredites. Par exemple, l’étude de Dougherty et collègues (1999), affirmant que le taux cérébral du transporteur de la dopamine est plus élevé chez les patients diagnostiqués TDAH, a été couverte par 22 articles de presse dans la semaine qui a suivi sa publication (Fig. 1). Parmi les 11 études ultérieures, une seule a été couverte par trois articles de presse et aucun de ceux-ci n’a précisé que l’étude initiale, pourtant couverte par leur journal, avait été contredite par cette étude ultérieure (Dumas-Mallet et al., 2017).
Les normes journalistiques, qui privilégient la nouveauté et le spectaculaire, expliquent en partie la préférence de la presse pour les études initiales. Cependant, cette préférence résulte aussi du fait que les études initiales sont plus visibles pour les journalistes que les études ultérieures. En effet, comme le montre l’exemple décrit en Figure 1, l’étude initiale a été publiée dans une revue médicale prestigieuse (The Lancet) alors que les études ultérieures ont été publiées dans des revues à comité de lecture, mais moins cotées. La seule étude ultérieure couverte par la presse a également été publiée par une revue prestigieuse (JAMA). Cet exemple illustre une observation très générale : la presse favorise très fortement les études publiées par des revues scientifiques prestigieuses (Dumas-Mallet et al., 2017) malgré le fait que les études initiales qu’elles publient ne sont pas plus souvent confirmées par les méta-analyses que celles publiées par des revues moins renommées (Dumas-Mallet et al., 2016). Cette observation s’explique par le fait que ces revues prestigieuses produisent aussi des communiqués de presse résumant certains des articles qu’elles publient (Stryker, 2002) et que ces communiqués sont la source directe de plus de 80 % des articles de presse rapportant des découvertes biomédicales (De Semir, Ribas et Revuelta, 1998 Stryker, 2002). En effet, plusieurs études ont établi que la plupart des articles de presse s’inspirent très étroitement de ces communiqués de presse et en reprennent sans critique les biais et les exagérations (Schwartz, Woloshin, Andrews et Stukel, 2012 Sumner et al., 2016 Sumner et al., 2014 Yavchitz et al., 2012).
Les médias informent rarement le public du caractère incertain des études initiales
Si les études initiales publiées dans les revues scientifiques sont, comme on l’a vu, incertaines, les communications dans les congrès le sont encore plus. Pourtant, la presse internationale de langue anglaise n’hésite pas à les couvrir : sur 734 articles de presse couvrant des découvertes biomédicales en première page de 2000 à 2002, 43 % rapportaient des communications dans des congrès (Lai et Lane, 2009). Parmi ces dernières, une moitié seulement a donné lieu à une publication ultérieure dans une revue à comité de lecture. Parmi les articles de presse couvrant ces communications dans des congrès, moins d’un sur cinq a informé le lecteur de leur nature préliminaire et incertaine (Lai et Lane, 2009). De même, parmi les articles de presse couvrant des études initiales publiées dans des revues biomédicales à comité de lecture, seulement un sur cinq mentionnait que ces découvertes étaient préliminaires et devaient être confirmées par des études ultérieures (Dumas-Mallet, Smith, Boraud et Gonon, 2018 Holtzman et al., 2005).
Les médias négligent les études rapportant une absence d’effet
Comme on l’a vu, la littérature scientifique rapporte préférentiellement les observations confirmant l’hypothèse de départ. Ce biais de publication est encore accentué par le fait que parmi les études explorant une même hypothèse, celles qui sont en accord avec elle sont deux fois plus citées par les chercheurs que celles qui la contredisent (Jannot, Agoritsas, Gayet-Ageron et Perneger, 2013). Cette citation préférentielle des observations positives est presque entièrement due au fait qu’elles tendent à être publiées dans des revues biomédicales plus prestigieuses que les études négatives (Jannot et al., 2013). Malheureusement, les médias accentuent encore ces biais de publication et de citation en couvrant presque uniquement les études rapportant un effet positif (Dumas-Mallet et al., 2017).
Pourquoi les journalistes accentuent encore la distorsion des observations biomédicales
Mis à part les cas rares de fraude caractérisée, la présentation des observations biomédicales dans la littérature scientifique est souvent altérée par différentes formes de distorsion : falsification partielle des résultats, embellissements variés, biais de publication favorisant les études initiales et les études positives, biais de citation. Les communiqués de presse rédigés par les revues biomédicales prestigieuses et par les institutions scientifiques exacerbent souvent ces distorsions (Woloshin et Schwartz, 2002 Woloshin, Schwartz, Casella, Kennedy et Larson, 2009). Puisque les articles de presse reprennent très souvent ces communiqués de presse, les journalistes ne sont pas à l’origine de ces distorsions. Par contre, ils exacerbent, par le choix des sujets qu’ils traitent, les biais de publication favorisant les études initiales et celles rapportant un effet positif. Par conséquent, l’idéal journalistique d’investigation indépendante et objective des faits semble mal s’appliquer à la couverture médiatique des découvertes biomédicales (Dumas-Mallet, 2019).
Deux enquêtes auprès de journalistes scientifiques permettent d’expliquer cette situation. Dans la première, les enquêteurs demandèrent aux journalistes quels points leur semblaient importants lorsqu’ils couvrent une découverte biomédicale (Mountcastle-Shah et al., 2003). Parmi ces points, la question de la réplication n’est pas éludée puisque 80 % des journalistes interviewés ont considéré que le statut de l’étude couverte doit impérativement être mentionné : étude initiale à confirmer ou étude ultérieure confirmant ou non les études précédentes (Mountcastle-Shah et al., 2003). La réalité est bien loin de cet idéal puisque cette mention est rarement présente (Dumas-Mallet et al., 2018 Holtzman et al., 2005). Dans notre enquête, la plupart des journalistes interviewés ont aussi évoqué cet idéal, mais ont d’autre part exprimé leur totale confiance concernant la robustesse des observations publiées dans les revues scientifiques prestigieuses (Dumas-Mallet, 2019). Questionnés sur la validité des découvertes biomédicales, la plupart ont associé le manque de validité à la fraude caractérisée. Même ceux qui avaient une solide formation scientifique semblaient ignorer le caractère nécessairement incertain des observations initiales (Dumas-Mallet, 2019). Les plus conscients du processus de production des connaissances scientifiques ont évoqué les difficultés qu’ils rencontrent à en rendre compte fidèlement (Dumas-Mallet, 2019). Premièrement, par rapport à l’immédiateté médiatique, la science avance lentement et il leur est très difficile d’assurer le suivi sur des années des études initiales qu’ils ont couvertes. Deuxièmement, une découverte spectaculaire fait beaucoup plus rêver le public qu’une étude ultérieure sur le même sujet. Troisièmement, ils n’ont ni la compétence ni le temps pour remonter à la source primaire des informations, à savoir le détail des observations décrites dans les articles scientifiques (Dumas-Mallet, 2019).
Enfin, d’autres motivations que l’information objective des avancées de la recherche internationale peuvent avoir joué dans le choix des sujets et la manière de les présenter au grand-public. L’examen de 21 documents médiatiques couvrant certaines avancées des neurosciences en Allemagne a montré que l’un d’entre eux au moins (un article de la presse régionale) avait clairement pour but principal de mettre en avant sans critique une découverte scientifique parce qu’elle avait été faite par un laboratoire de la même région (Lehmkuhl et Peters, 2016). Plus globalement, nous avons montré que la presse d’un pays couvre préférentiellement les publications biomédicales qui ont pour auteurs des chercheurs de ce pays (Dumas-Mallet et al., 2018). Autrement dit, la couverture médiatique des découvertes scientifiques a aussi pour fonction d’assurer la promotion des laboratoires nationaux. De fait, les services de presse des grandes institutions scientifiques se sont beaucoup étoffés ces dernières années et inondent les journalistes nationaux de communiqués de presse (Dumas-Mallet, 2019 Peters, 2012). De plus, ces institutions incitent les chercheurs à communiquer avec les journalistes et ceux-ci le font de plus en plus volontiers puisqu’ils jugent cet effort de communication favorable à leur carrière et susceptible de les aider à obtenir des financements pour leurs recherches (Peters, 2012).
La science psychiatrique vue par les médias : deux exemples
Dans les deux sections précédentes, nous avons synthétisé les travaux qui ont mis en évidence les distorsions du discours scientifique dans les médias. Ces travaux ont surtout pris pour objet d’étude les recherches biomédicales dans leur ensemble et le discours concernant la psychiatrie a été peu étudié spécifiquement. Lorsqu’il l’a été, nous l’avons signalé et les distorsions du discours concernant la recherche scientifique en psychiatrie se sont avérées être au moins aussi fréquentes et conséquentes que dans les autres domaines de la recherche biomédicale (Dumas-Mallet et al. 2017). Pour faire mieux percevoir l’ampleur et les conséquences de ces distorsions, cette section présente une analyse détaillée du traitement médiatique de deux questions concernant les troubles mentaux.
La susceptibilité génétique vis-à-vis de la dépression est-elle prouvée ?
En 2003, la prestigieuse revue Science a publié un article qui a eu un énorme retentissement. Au moment de sa parution, le directeur du National Institut of Mental Health (USA), Thomas Insel, l’a présenté ainsi :  « Ce que les auteurs de cet article ont découvert va changer notre manière de penser la génétique des troubles mentaux » (Horwitz, 2005). Cette étude décrit le suivi de 847 jeunes de 21 à 26 ans et révèle une interaction entre l’exposition à des stress (déménagement, violence, chômage, dette, etc.) et la forme courte du gène codant pour le transporteur de la sérotonine, interaction qui prédisposerait à la dépression (Caspi et al., 2003). Comme d’autres études précédentes, celle-ci montre une absence de corrélation entre cette forme du gène et la dépression et confirme la très forte association entre les stress de la vie et la dépression. Par contre, Caspi et al. décrivent pour la première fois une interaction statistiquement significative entre ce gène et le stress : parmi ceux qui ont subi quatre stress majeurs ou plus, 33 % de ceux qui étaient porteurs de la forme courte du gène avaient présenté tous les symptômes d’un épisode dépressif majeur dans l’année précédente contre 17 % de ceux qui n’étaient porteurs que de la forme longue (Caspi et al., 2003 Horwitz, 2005).
Un examen de cette étude et des travaux ultérieurs sur la même question montre que les résultats de Caspi et al. sont moins robustes que les auteurs ne le prétendent. Premièrement, parmi les 14 types d’événements stressant pris en compte par les enquêteurs, tous sauf un (rupture d’une relation affective) sont étroitement corrélés à la grande pauvreté (Horwitz, 2005). Deuxièmement, la probabilité d’un épisode dépressif majeur sur un an (17 %, tous sujets confondus) apparaît anormalement élevée dans cette cohorte de jeunes adultes néo-zélandais. Ceci suggère que la population étudiée n’était pas représentative de la population générale. Troisièmement, le nombre de sujets suivis (847) n’est pas si impressionnant car l’interaction entre gène et stress prend comme point de comparaison le nombre de sujets exposés à quatre stress ou plus et porteurs de la forme longue du gène, soit 29 personnes dont cinq seulement (soit 17 %) ont présenté un épisode dépressif majeur. Une erreur sur deux ou trois diagnostics suffirait à rendre non significative l’interaction. Quatrièmement, entre 2003 et 2009, 13 études se sont attachées à reproduire l’étude de Caspi et al. Parmi elles, la plus robuste a enrôlé 4 175 sujets (Surtees et al., 2006). Elle a confirmé que les stress sociaux accroissent considérablement le risque de dépression, mais n’a pas retrouvé d’interaction entre le stress et le gène codant pour le transporteur de la sérotonine. Une méta-analyse combinant les résultats de ces 14 études a abouti à la même conclusion (Risch et al., 2009). Autrement dit, l’étude de Caspi et al. est un exemple d’étude initiale invalidée par les études ultérieures. Le mot de la fin a été dit en 2017 lorsqu’une méta-analyse portant sur 31 populations regroupant 38 802 sujets européens a complètement confirmé la méta-analyse précédente (Culverhouse et al., 2017).
Dans la semaine suivant sa publication, la presse grand public de langue anglaise a publié 50 articles couvrant l’étude de Caspi et al. (Dumas-Mallet et al., 2017). Ces résultats sont encore mentionnés dans la presse après son invalidation par la méta-analyse de Risch et al. publiée le 17 juin 2009. Ainsi, on peut lire dans L’Express du 19 novembre 2009 : « 20 % de la population possède une forme "courte" du gène qui permet de transporter cette substance [la sérotonine] : ces 20 % seraient, en quelque sorte, plus vulnérables à la dépression. » Parmi les 13 études ultérieures incluses dans la méta-analyse de 2009, deux seulement ont été couvertes par la presse anglosaxonne (7 et 2 articles) et toutes deux confirmaient l’étude de Caspi et al. avec un nombre de sujets beaucoup plus petit (127 et 118). Les 11 autres études n’ont pas été couvertes par la presse, y compris les cinq études les plus robustes (i.e. avec plus de 1 000 sujets) et qui contredisaient l’étude initiale. Enfin, la méta-analyse de Risch et al., pourtant publiée dans une revue prestigieuse (JAMA), n’a été couverte que par quatre articles de presse et ceux-ci ont clairement informé le lecteur de l’invalidation de l’étude initiale (Dumas-Mallet et al., 2017).
Les articles de presse qui ont couvert l’étude de Caspi et al. ont très largement mis en avant l’implication du gène dans la dépression. Par exemple, le New York Times a titré : « Tapping the mood gene ». Pourtant, même si on ne se base que sur l’étude de Caspi et al., la contribution de la forme courte du gène à l’influence du stress sur la dépression est quantitativement faible par rapport à l’effet global du stress (Risch et al., 2009). La plupart des articles de presse qui ont couvert cette étude ont donc exagéré l’importance relative de cette vulnérabilité génétique par rapport aux risques sociaux (Horwitz, 2005). L’article de Caspi et al., ainsi que sa couverture médiatique, a ainsi largement contribué à légitimer le dogme d’une vulnérabilité génétique à l’origine des troubles mentaux. Par exemple, dans son rapport de 2013, la Mission parlementaire santé mentale (France) affirme : « Les maladies psychiatriques sont des maladies multifactorielles définies par un terrain génétique et des facteurs environnementaux déclenchant. » Pourtant, malgré plus d’une centaine d’études d’interaction entre gène et environnement, ce dogme n’est pas soutenu par des observations scientifiques validées par plusieurs équipes indépendantes (Border et Keller, 2017 Keller, 2014).
Le regard porté par les médias français sur le TDAH
Depuis le début des années 90, le TDAH a fait l’objet de plus de 30 000 études publiées dans des revues biomédicales (source PubMed, janvier 2019). Durant cette période, les connaissances scientifiques ont beaucoup évolué. Les études initiales, qui affirmaient un rôle déterminant des risques génétiques dans la survenue du TDAH, ont été réfutées ou très largement atténuées. Parallèlement, les risques environnementaux et sociaux (e.g. naissance prématurée, maltraitance, exposition du fœtus à divers neurotoxiques, pauvreté, exposition excessive aux écrans, problèmes éducatifs) ont été documentés et confirmés (Sonuga-Barke, 2010). Les prétentions initiales de l’imagerie cérébrale à contribuer au diagnostic (voir Dougherty et al., 1999) n’ont pas abouti. L’hypothèse d’un déficit de dopamine supposé à l’origine du TDAH a été remise en cause (Gonon, 2009). Par conséquent, la mise en avant de cette hypothèse pour justifier le bien-fondé du traitement du TDAH par les psychostimulants est apparu comme abusive (Gonon, Bezard et Boraud, 2011). Enfin, plusieurs études de grande taille ont montré que ce traitement est peu efficace à long terme (Sharpe, 2014).
Nous avons consacré trois études à la couverture du TDAH par les médias français : la télévision entre 1995 et 2010 (Bourdaa et al., 2015), la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux entre 1997 et 2012 (Ponnou, Kohout-Diaz et Gonon, 2015) et la presse grand public entre 1995 et 2015 (Ponnou et Gonon, 2017). Nous avons constaté que les 33 programmes télévisuels qui faisaient référence à des données scientifiques n’ont pas tenu compte de l’évolution des connaissances. Même dans la période récente (2007-2010), ils ont continué dans leur vaste majorité à affirmer que la cause du TDAH était principalement génétique et que le traitement médicamenteux était le seul efficace (Bourdaa et al., 2015). De plus, six programmes affirmèrent que l’imagerie cérébrale pouvait contribuer au diagnostic du TDAH et trois d’entre eux, diffusés par une chaine publique en 2009 et 2010, ont montré une paire d’images obtenues par imagerie cérébrale. Le journaliste commentant ces images a affirmé qu’elles révélaient un déficit de dopamine chez un enfant diagnostiqué TDAH par rapport à un enfant témoin. Il a ajouté que le médicament corrigeait ce déficit. Nous avons retrouvé l’article scientifique ayant initialement publié cette paire d’images et il est apparu que ce commentaire était frauduleux (Bourdaa et al., 2015). Il ne s’agissait pas de deux enfants mais de deux adultes et l’imagerie cérébrale mesurait non pas le taux de dopamine cérébrale mais celui du transporteur de la dopamine. De plus, la publication scientifique source concluait qu’il n’y avait pas de différence significative entre les patients et les témoins. Enfin, une diminution du taux de transporteur chez les patients devrait logiquement aboutir à condamner la prescription de psychostimulants puisqu’ils inhibent ce transporteur.
Par rapport aux programmes télévisuels, les articles de la presse grand public apparaissent beaucoup plus nuancés (Ponnou et Gonon, 2017). Seulement 8 sur 159 affirmèrent sans nuance que la cause principale du TDAH était génétique. De plus, cette affirmation est devenue exceptionnelle (1 sur 53) dans la période la plus récente (2011-2015). De même, les articles de presse préconisaient beaucoup plus souvent (75 sur 159) une psychothérapie seule ou en association avec le traitement médicamenteux que la médication seule (14 sur 159). De plus, cette dernière option n’était plus recommandée que par un seul des 53 articles publiés entre 2011 et 2015 et 28 % des articles ont émis des réserves vis-à-vis des psychostimulants. Enfin, un seul article datant de 2002 a mis en avant l’imagerie cérébrale comme possible outil diagnostic. On constate donc non seulement une plus grande prudence dans la presse, mais aussi une évolution qui suit celle des connaissances scientifiques. L’influence de la psychanalyse en France a sans doute contribué à cette présentation nuancée du TDAH dans la presse française. Cependant, une analyse de la presse britannique a révélé des caractéristiques proches de celles de la presse française (Horton-Salway, 2011).
Enfin, nous avons aussi analysé le contenu de 93 articles publiés par la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux entre 1997 et 2012 (Ponnou et al., 2015). La tonalité générale de ces articles est voisine de celle des articles de la presse grand public. Par contre, nous avons été frappés de constater que les facteurs sociaux et environnementaux connus pour augmenter le risque de TDAH ne sont quasiment jamais présentés aux travailleurs sociaux, alors que ceux-ci sont en première ligne pour mettre en œuvre des politiques socio-éducatives susceptibles d’en atténuer les effets. Seuls certains articles de la presse grand public mentionnent ces risques environnementaux. Par exemple, et en accord avec la littérature scientifique, 5 sur 159 évoquent le risque conféré par une naissance prématurée, 10 sur 159 celui induit par l’exposition excessive aux écrans et 35 sur 159 évoquent des problèmes d’éducation soit au sein de la famille soit à l’école primaire (Ponnou et Gonon, 2017).
Au total, nos études montrent une grande différence entre la télévision et la presse concernant les observations scientifiques à propos du TDAH. Les programmes télévisuels exacerbent, beaucoup plus que la presse, les exagérations déjà présentes dans le discours scientifique et n’hésitent pas à recourir à des malhonnêtetés flagrantes. Ceci est sans doute dû au fait qu’un tout petit nombre d’experts partageant le même point de vue sont majoritairement intervenus dans les programmes télévisuels (Bourdaa et al., 2015), alors que la presse a souvent, dans le même article, donné la parole à plusieurs experts défendant des opinions opposées (Ponnou et Gonon, 2017). De plus, les mêmes experts, qui affirmèrent à la télévision un point de vue radicalement biologique concernant le TDAH, exprimèrent la même année dans la presse spécialisée une opinion beaucoup plus nuancée et prudente vis-à-vis de la robustesse des arguments scientifiques (Ponnou et al., 2015). Cette différence de discours entre la télévision et la presse avait déjà été signalée à propos de la couverture médiatique des études génétiques (Holtzman et al., 2005). Elle est socialement regrettable car la télévision représente une source importante d’informations biomédicales pour les citoyens européens (European Commision, 2007).
Conclusion
Les recherches scientifiques relatives aux troubles mentaux sont de deux types : les premières tentent de décrire les causes des troubles et les deuxièmes évaluent l’efficacité de leurs traitements. Contrairement aux autres domaines de la médecine, il n’y a pour l’instant aucun lien, autre que spéculatif, entre ces deux domaines. De fait, aucune de ces recherches n’a abouti à la validation d’un test biologique pouvant contribuer au diagnostic des troubles mentaux. Par conséquent, les classifications diagnostiques de ces troubles n’ont pas de validité scientifique, mais seulement une relative utilité pratique (Frances et Widiger, 2012 Hyman, 2010 Kendell et Jablensky, 2003). Les médicaments psychotropes actuellement en service sont soit des molécules découvertes par le hasard d’observations cliniques dans les années 50 à 70, soit des dérivés de ces molécules. Aucune nouvelle classe de psychotropes n’a été découverte depuis 40 ans (Hyman, 2012). L’industrie pharmaceutique en a tiré les conséquences : les plus grands groupes ont, depuis 2010, fermé progressivement leurs centres de recherche dédiés au développement de nouvelles molécules psychotropes (Hyman, 2012 Smith, 2011). Les responsables de l’industrie pharmaceutique, comme de la recherche publique, imputent ces échecs à l’incommensurable complexité du cerveau humain (Frances et Widiger, 2012 Hyman, 2010 Smith, 2011).
Pourtant, ce serait une profonde erreur que de conclure que la recherche ne nous a rien appris des troubles mentaux. Les études génétiques sont de plus en plus puissantes, testant des millions de variantes de l’ADN chez des milliers de patients. Elles convergent toutes vers le même constat : les mutations singulières n’expliquent causalement qu’un tout petit nombre de cas parmi les pathologies les plus sévères (retard mental sévère, autisme et schizophrénie) (Gaugler et al., 2014). Mis à part ces cas rares, les troubles mentaux (y compris la plupart des cas de schizophrénie et d’autisme) sont des pathologies complexes corrélées à de multiples variantes génétiques qui ne confèrent chacune qu’un risque extrêmement faible (Gaugler et al., 2014). Globalement, le poids des facteurs de risque génétiques dans la survenue des troubles mentaux diminue en même temps que la qualité des études progresse. Inversement, même pour les pathologies sévères comme l’autisme ou la schizophrénie, les facteurs de risque environnementaux (y compris biologiques) et sociaux sont de mieux en mieux décrits et apparaissent comme substantiels (Gaugler et al., 2014). Pour les troubles mentaux fréquents et dont la prévalence est très variable suivant les pays, les cultures et les milieux sociaux, comme le TDAH ou la dépression, la contribution des risques environnementaux et sociaux à leur prévalence est maintenant considérée par les experts les plus reconnus comme largement prépondérante par rapport aux risques génétiques (Sonuga-Barke, 2010). La plupart de ces risques sont liés au niveau économique relatif des sujets : plus les inégalités sont grandes dans un même territoire, plus la prévalence des troubles mentaux augmente dans la population la plus pauvre (Gonon, 2011 Wilkinson, 2010). Les corrélats biologiques de cette relation commencent à apparaître, notamment grâce aux apports de l’épigénétique, et renforcent encore la plausibilité d’une relation causale entre pauvreté relative et troubles mentaux (Hackman, Farah et Meaney, 2010).
Dans ce contexte, les documents médiatiques qui ont mis en avant une causalité génétique des troubles mentaux et passé sous silence leurs déterminants sociaux posent question. La prégnance de ce discours naturaliste dans les médias au cours des années 90 et 2000 a été suivi d’effet puisque le pourcentage du public adhérant à cette causalité a clairement augmenté entre 1990 (40 %) et 2006 (66 %) en Allemagne, en Australie et aux USA (Pescosolido et al., 2010 Schomerus et al., 2012). Malheureusement, nous n’avons pas retrouvé d’enquête plus récente sur cette question. On ne sait donc pas si l’évolution de la presse française depuis 2010 concernant cette supposée causalité génétique des troubles mentaux (Ponnou et Gonon, 2017) a été suivie dans le public par une diminution de cette croyance.
Pour finir, on peut s’interroger sur la fonction sociale de ce discours naturaliste, qui apparaît de plus en plus en contradiction avec les observations scientifiques. Il pourrait masquer logiquement une contradiction de plus en plus aigüe entre l’idéal démocratique d’égalité des chances et le fait que les enfants issus des couches sociales défavorisées ont une probabilité de plus en plus faible d’accéder à un statut social plus élevé que leur parents (Gonon, 2011). Selon ce discours naturaliste, l’échec scolaire et social, effectivement plus fréquent chez ces enfants, serait une conséquence de leurs troubles mentaux d’origine génétique. Ce discours discrédite par avance les mesures sociales qui permettraient de diminuer la prévalence de ces troubles, en particulier la lutte contre les inégalités socio-économiques (Gonon, 2011). On ne peut que souhaiter que les médias s’emparent plus vigoureusement du contexte social et politique lorsqu’ils traitent des troubles mentaux. 
François Gonon est chercheur émérite à l’Université de Bordeaux et à l’Institut des Maladies Neurodégénératives (CNRS UMR 5293 - Bordeaux).
Estelle Dumas-Mallet, post-doctorante à l’Université de Bordeaux et à l’Institut des Maladies Neurodégénératives (CNRS UMR 5293 – Bordeaux), est chercheure associée au Centre Emile Durkheim à Bordeaux (CNRS UMR 5116).
Sébastien Ponnou est chercheur au Centre Interdisciplinaire de Recherche Normand en Éducation et Formation (CIRNEF) EA 7454 à Rouen et à l’Institut Universitaire de Technologie d’Évreux de l’Université de Rouen Normandie.
Notes
1Compte tenu de l’étendue de cette littérature académique et de la multiplicité des questions soulevées, la présente revue ne prétend pas à l’exhaustivité. Chaque fois que cela a été possible nous avons cité des articles de synthèse et des méta-analyses plutôt que les études primaires correspondantes. La présente revue emprunte largement à une étude bibliographique plus systématique (Estelle Dumas-Mallet, Thèse de doctorat en Science Politique, Université de Bordeaux, 10 novembre 2017, Recherche biomédicale et journalisme en situation d’incertitude : validité des résultats de la recherche biomédicale et couverture médiatique).
2Un allèle est une version variable d’un même gène. Dans la population générale, de nombreux gènes présentent des variations mineures dans la séquence des nucléotides constituant l’ADN.
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Référence de publication (ISO 690) : GONON, François, DUMAS-MALLET, Estelle, et PONNOU, Sébastien. La couverture médiatique des observations scientifiques concernant les troubles mentaux. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2019, vol. 2, n°3, p. R45-R63.
DOI:10.31188/CaJsm.2(3).2019.R045