Nouvelle série, n°3
1er semestre 2019 |
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SYNTHESE
La presse au défi du numérique : une économie politique des médias régionaux au Québec
Aimé-Jules Bizimana, Université du Québec en Outaouais
Oumar Kane, Université du Québec à Montréal
Résumé
Les médias régionaux au Québec évoluent dans un environnement marqué par une crise aiguë des modèles d’affaires. Cet article brosse le portrait de la situation économique des médias régionaux et décrit les événements majeurs qui ont eu un impact sur l’écosystème médiatique régional à partir des années 2010 et les défis qui les accompagnent pour les acteurs privés, publics et communautaires. Il évoque le contexte économique marqué par une crise de la publicité et la manière dont cela affecte les structures de propriété ainsi que les effectifs dans différents médias à la suite d’une vague de restructurations. L’impact spécifique sur la presse écrite est décrit en détail de même que les nouvelles configurations principalement orientées vers une nouvelle économie politique du numérique, mais aussi une nouvelle économie de la publicité. Le positionnement stratégique des anciens et nouveaux acteurs dans l’univers numérique multiplateforme conclut l’article.
Abstract
The regional media in Quebec operate in an environment marked by an acute crisis of business models. This article paints a portrait of the economic situation of the regional media and describes the major events that have affected the regional media ecosystem from 2010 on and the challenges that accompany them for private, public and community actors. The economic context marked by an advertising crisis and how it affects ownership structures and staffing in different media following a wave of restructuring is evoked. The specific impact on the print media is described in detail as well as the new configurations mainly oriented towards a new digital political economy but also a new economy of advertising. The strategic positioning of the old and new players in the multiplatform digital universe concludes the article.
DOI: 10.31188/CaJsm.2(3).2019.R141
L
e problème des médias régionaux est assez large. Au Québec et au Canada, il existe somme toute une littérature très limitée sur les enjeux spécifiques du secteur local et régional. Bertrand Tremblay (1980) a présenté un portrait de la presse régionale québécoise où il évoque un faible nombre de quotidiens qui évoluaient dans un contexte d’inquiétudes quant aux effets de la concentration, où des hebdomadaires, dans un marché plus vigoureux, oscillaient entre des modèles de rentabilité et de gratuité et où des stations de radio et de télévision étaient souvent dominées par des groupes montréalais.
Parmi les enjeux relevés dans ce panorama, on peut noter tant les écarts interrégionaux que les écarts entre les régions et les grands centres quant à la qualité de l’information, la nécessité de l’intervention de l’État et les médias régionaux comme « outils efficaces dans la formation d’un véritable esprit régional » (Tremblay, 1980, p. 209). Dans sa généalogie de l’espace médiatique canadien, Sénécal (1995) explique les logiques de marchandisation, d’institutionnalisation et de socialisation dans un contexte marqué par l’essor de la concentration des entreprises de presse. L’enjeu de la concentration a retenu beaucoup l’attention des chercheurs, mais il a été peu lié de manière explicite à la dimension des médias régionaux. Un rapport du Comité permanent du patrimoine canadien s’est penché, entre autres, sur l’impact de la concentration des médias et a souligné les répercussions négatives de la concentration sur les médias locaux (Chambres des communes, 2017, p. 58-63).
Le secteur local comprend aussi les médias communautaires. Pour Howley (2010, p. 2), les médias communautaires sont caractérisés par des activités centrées sur la communauté et qui offrent une alternative aux structures et aux pratiques des médias dominants. Sur le plan économique, Sénécal a souligné les pressions commerciales qui s’exercent sur les médias communautaires face au recul du soutien gouvernemental (Sénécal, 1995, p. 194-197). La question du financement est un enjeu majeur pour ce secteur. Cet enjeu est caractérisé par « l’inconsistance des politiques gouvernementales » (Sénécal, 1981, p. 39). Au-delà des conjonctures socio-économiques, l’existence des médias communautaires est inscrite dans une logique de démocratisation de la société (Gusse, 2006 Sénécal, 1995). Cette logique est aussi celle qui envisage l’information dans une perspective citoyenne (Corriveau et Sirois, 2012).
Aujourd’hui, le contexte économique et technologique a énormément changé, mais les enjeux mentionnés plus haut sont encore pertinents. La concentration joue toujours un rôle important au sein des industries culturelles qui négocient un nouveau virage technologique (George, 2014b). L’essor d’Internet a bouleversé le paysage médiatique dans son ensemble et les médias régionaux ont connu des transformations de plusieurs natures (Smyrnaios, Bousquet et Bertelli, 2016) dans un contexte marqué par l’incertitude sur l’avenir (Nielsen, 2015). Carbasse (2017) présente les transformations centrées sur la presse écrite au Québec, un « petit marché » où les grands groupes réaffirment leur position dominante en se redéployant dans un nouvel environnement. Cet article s’inscrit dans la perspective des transformations en cours et présente les nouveaux enjeux dans le secteur régional.
Dans une étude commandée en vue de remédier à la crise du financement et aux pressions sur les conditions de travail des salariés de l’information, la Fédération nationale des communications (FNC-CSN) :
appelle les entreprises privées et publiques ayant une fonction d’information au Québec à prendre l’incontournable virage numérique dans les meilleures conditions possible pour affermir leur compétitivité médiatique et favoriser l’émergence de modèles d’affaires pérennes afin d’assurer à long terme leur mission centrale à une société ouverte et dynamique » (MCE Conseils, 2016, p. 1).
Cet appel traduit bien le défi général qui se pose aux acteurs médiatiques : s’adapter le mieux possible à leur nouvel environnement technologique mais aussi être prudent sur le plan économique et stratégique.
La révolution numérique en cours bouleverse en profondeur l’univers médiatique à toutes les échelles et, de fait, ses conséquences pèsent lourdement sur la présence des médias dans les régions et sur la production de l’information locale et régionale. La crise des modèles d’affaires traditionnels est l’une des dimensions importantes qui affectent avec une grande acuité les médias. Les entreprises de presse sont aux prises avec un contexte économique marqué par une crise de la publicité et les structures en place ainsi que les effectifs dans les médias régionaux en subissent lourdement les conséquences. En prenant appui sur cette crise, cet article aborde les transformations qui touchent le secteur médiatique régional au Québec en soulignant un certain nombre de défis et de réorganisations tant dans la structure de la propriété que dans la structure opérationnelle.
Cette recherche tente d’apporter une réponse à la question suivante : quels sont les principaux déterminants de la situation économique des médias régionaux au Québec depuis les années 2010 ? L’objectif principal de la présente contribution est de dresser un portrait de la situation des médias locaux et régionaux en relevant les évènements majeurs qui ont eu un impact sur l’écosystème médiatique à partir des années 2010 et les défis qui les accompagnent. Si les années 2000 ont été marquées par l’amorce de la révolution numérique et par une crise économique majeure, on peut avancer l’hypothèse générale d’une nouvelle configuration des rapports de force dans les médias régionaux au Québec. L’approche de l’économie politique permet de mettre au jour une nouvelle économie médiatique régionale et les linéaments d’une nouvelle économie de la publicité dont les effets seront structurants pour l’écologie médiatique de la presse régionale et locale. Une démarche diachronique et descriptive est ici privilégiée pour rendre compte de l’articulation des faits marquants de cette organisation des médias régionaux dans les décennies 2000 et 2010. Sur le plan méthodologique, le corpus est constitué de rapports annuels et de communiqués de presse d’entreprises de presse et d’organismes publics ainsi que sur une base de données secondaires tirées de la couverture de presse des médias régionaux à partir des années 2010. Une analyse documentaire permet de faire émerger les principales dimensions de cette économie politique en vue de parvenir à dresser un tableau contrasté des dynamiques en cours à l’échelle régionale au Québec.
L’approche des médias par l’économie politique
La question des médias régionaux peut assez aisément être rattachée aux travaux qui s’inscrivent dans l’approche de l’économie politique des médias. Vincent Mosco, dans une importante contribution, a proposé une définition de l’économie politique comme « l’étude des relations sociales, particulièrement des relations de pouvoir, qui constituent conjointement la production, la distribution et la consommation des ressources » (Mosco, 1996, p. 25). Dans l’ouvrage Becoming Digital, consacré à la domination des géants mondiaux du Web, Mosco revient sur cette définition, mais en insistant beaucoup plus sur le processus de marchandisation qui confère aux biens et aux services une valeur d’usage et une valeur d’échange dans un système de marché (Mosco, 2017, p. 58). Dans un chapitre qui traite de la structure de pouvoir des entreprises et des institutions gouvernementales qui influent sur la production, la distribution et l’utilisation des technologies numériques, bref de l’économie politique du numérique, Mosco explique que « l’internet des objets » accélère la marchandisation par la vente du stockage et de l’analyse des données, par la vente des profils d’utilisateurs et de leur attention aux annonceurs et par la commercialisation des forces productives dans l’industrie (Mosco, 2017, p. 58). Cette perspective nous semble pertinente pour aborder les fluctuations des rapports de force dans la presse régionale ainsi que le jeu des équilibres sur le marché et les forces de contrôle au sein des médias régionaux. Selon Robert McChesney :
l’économie politique de la communication s’efforce de comprendre comment les médias, les systèmes de communication et les contenus sont façonnés par la propriété, les structures du marché, le soutien commercial, les technologies, les pratiques en milieu de travail et les politiques du gouvernement (McChesney, 2003, p. ix).
En étudiant les médias comme des entreprises, l’approche de l’économie politique recourt à une variété d’autres concepts. Wasko (2014, p. 262) en a relevé quelques-uns : la marchandisation-commercialisation, la diversification-synergie et la concentration horizontale-verticale. Wasko (2014, p. 263) note également que l’économie politique s’intéresse à l’analyse historique, au rôle du travail dans les médias, aux relations entre les médias et l’État ainsi qu’au lien entre les médias et la sphère publique, la citoyenneté publique et la démocratie. Cette approche permet de s’interroger sur les politiques publiques en rapport avec les médias et sur l’importance de l’information locale dans la démocratie. Christopher Ali est l’un des auteurs qui s’est inspiré de l’approche de l’économie politique pour étudier les politiques et les régulations qui concernent les médias locaux en questionnant la définition même du terme local (Ali, 2007).
Marc Raboy (1991) a mené une étude articulant économie politique et espace public dans le contexte canadien et québécois où il revient, entre autres, sur la concentration avec des statistiques sur les grands groupes médiatiques dont Québecor, Power Corporation et Groupe Transcontinental. Dans la conjoncture de la fin des années 90, Raboy (2000, p. 75-77) a identifié six phénomènes qui caractérisaient à son sens le secteur des médias dans la perspective de l’économie politique : l’industrialisation, la marchandisation, la concentration, la privatisation, la dérèglementation et la mondialisation. La conjoncture a certes beaucoup évolué, mais plusieurs de ces phénomènes sont encore d’actualité.
Dans l’approche de l’économie politique, l’économie de la publicité est un créneau essentiel au fonctionnement des médias qu’ils soient privés, publics ou communautaires. Le rapport des médias régionaux avec les annonceurs est l’un des paramètres importants qui influent sur le réalignement des rapports de force dans le secteur. Il faut rappeler ici que les transformations que subissent les médias régionaux sont en grande partie induites par une crise de l’économie de la publicité dans les modes d’organisation traditionnels. Une réinvention des médias régionaux passe là aussi par une nouvelle économie de la publicité au sein de modes d’organisation renouvelés.
Politiques publiques et information locale
La politique de la radiodiffusion, d’autres politiques publiques provinciales, les discours officiels, les prises de parole citoyennes soulignent régulièrement l’importance de l’information locale. L’exigence d’une information locale par le public est réelle. Lors de la consultation Parlons Télé du CRTC, un sondage a indiqué que 81 % des Canadiens affirment que les nouvelles locales sont importantes pour eux (CRTC, 2016). Une étude du Centre d’étude sur les médias (Charlton, Giroux et Lemieux, 2010, p. 40) a également noté que l’actualité locale et régionale est la rubrique d’information qui suscite le plus d’intérêt. Cependant, les défis sont immenses dans le contexte d’une forte concentration des médias et des transformations induites par l’essor du numérique.
Dans un rapport remarqué, le Forum des politiques publiques a pointé la situation alarmante des médias au Canada et les difficultés particulières des marchés locaux en raison de la réduction des revenus et des effectifs. À l’ère numérique, les chercheurs ont constaté un recul de l’information locale alors que les enjeux globaux semblaient être plus couverts par les nouvelles plateformes d’information (Forum des politiques publiques, 2017). Le rapport a préconisé de soutenir un journalisme axé sur la fonction civique en accordant entre autres une attention particulière aux nouvelles locales (Forum des politiques publiques, 2017, p. 93). Un rapport subséquent a confirmé le déclin significatif de l’information locale entre 2008 et 2017 (Forum des politiques publiques, 2018). Auparavant, le rapport Payette avait noté les disparités entre les régions du Québec et les grands centres quant à l’accès à l’information (voir Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec, 2010). « L’immensité du territoire québécois est une réalité qu’il ne faut pas négliger et qui freine la couverture journalistique régionale », pouvait-on lire dans le rapport (Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec, 2010, p. 60).
Lors de sa tournée des régions en 2008, le Conseil de presse du Québec a constaté aussi les difficultés financières des médias régionaux et communautaires dans un contexte de vive concurrence sur le plan publicitaire et de vastitude du territoire (Conseil de presse, 2008)1. Parmi les solutions envisagées par les acteurs médiatiques et le public (Forum des politiques publiques, 2017 Comité permanent du patrimoine canadien, 2017 MCE Conseils, 2016 Rapport Payette, 2010 et Conseil de presse, 2008), l’aide financière gouvernementale aux médias régionaux et communautaires revient systématiquement. Les médias réclament des aides directes et des mesures fiscales pour soulager leurs difficultés, particulièrement la mise en place des crédits d’impôts. Le Comité permanent du patrimoine canadien a notamment préconisé une mesure fédérale temporaire sous forme d’un « crédit d’impôt2 qui rembourserait une partie des investissements en capital et main-d’œuvre effectués en médias numériques par les entreprises de la presse écrite » (Chambre des communes, 2017, p. 38).
Les transformations en cours ont un impact sur la production, la distribution et les possibilités d’innovation de la presse locale et régionale (Franklin et Murphy, 1998). Au Canada, la carte interactive Local News Map est un outil utile qui répertorie les changements au sein des médias locaux (fermetures, lancements, augmentations ou réductions de services, etc.) (Lindgren et Corbett, 2018). Ces changements sont envisagés dans une perspective de « pauvreté de l’information locale » (Lindgren, Corbett et Hodson, 2017).
Avant d’aborder les enjeux économiques et numériques des médias régionaux, nous commencerons par mettre en perspective le « local » en rapport avec le système canadien de radiodiffusion. Dans sa configuration générale, le système de radiodiffusion est fondé sur un service public unique à trois entités : public, privé et communautaire. L’information locale et régionale est donc desservie à travers les trois entités en fonction des obligations spécifiées dans la licence de chaque média. Radio-Canada est soumise à des exigences particulières à titre de service public, mais les radiodiffuseurs privés ont également des obligations quant à leur programmation locale et régionale.
Le système canadien dicte certaines obligations aux entreprises privées en matière de radiodiffusion mais ne règlemente pas la presse écrite. Les bouleversements en cours au sein des médias écrits sont de nature économique et ne sont pas d’emblée envisagés sous le prisme règlementaire. Historiquement, l’État fédéral canadien s’est intéressé par exemple au débat sur la concentration des entreprises de presse, mais il s’est tenu loin d’intervenir par des mesures règlementaires. La crise actuelle appelle à une certaine intervention étatique3 mais on peut se demander si elle est vraiment susceptible d’inverser substantiellement la longue tradition de non-intervention, surtout dans la presse écrite.
Les médias communautaires sont également des acteurs de premier plan de l’information régionale à travers leur contenu local4 et leur ancrage dans les collectivités. Quels facteurs déterminent la dimension locale et régionale ? L’étude du système de radiodiffusion proposée par le Comité du patrimoine canadien en 2003 a rappelé les principes que le CRTC a imposés aux canaux communautaires du câble en 1975 en mettant l’accent sur la participation citoyenne :
Trouver des collectivités, notamment des quartiers, des arrondissements et, s’il y a lieu, des villes, et donner la possibilité aux citoyens et aux groupes qui en font partie d’exprimer leurs idées et leurs besoins relater les activités des conseils municipaux et des conseils scolaires trouver des personnes et des groupes qui ont des intérêts communs et leur offrir la possibilité de s’exprimer refléter s’il y a lieu la nature bilingue des collectivités desservies (CRTC cité dans CPPC, 2003, p. 255-356).
Aux yeux du CRTC, le reflet de la réalité locale dans la programmation se traduit, par exemple dans les émissions de nouvelles à la télévision, comme suit :
Le sujet fait spécifiquement référence au marché que la station est autorisée à desservir elles présentent à l’écran un portrait du marché, par exemple en y incluant des résidents ou des représentants officiels ou en couvrant les activités de son gouvernement municipal ou provincial elles sont produites par le personnel de la station ou par des producteurs indépendants spécifiquement pour la station (CRTC, 2016).
Un double défi économique sectoriel et global
Le secteur médiatique régional québécois connaît depuis plusieurs années des défis économiques de différentes natures. À l’instar de ce qui passe ailleurs au Canada et dans le monde, les médias régionaux au Québec ont été durement frappés par les effets combinés d’une double crise. D’abord, une crise médiatique induite par les transformations technologiques de grande ampleur avec comme corollaire la redéfinition des modèles d’affaires. Ensuite, une crise économique mondiale qui est venue fragiliser davantage des médias en pleine mutation à l’ère numérique. Cette double crise a ébranlé les entreprises de presse dans tous les segments de marché avec de sérieuses répercussions jusque dans les régions. Il ne faut surtout pas croire qu’avant ces crises, grosso modo des années 2000, les médias traversaient une mer tranquille. Sur le plan économique et structurel, l’environnement médiatique était déjà sous pression depuis plusieurs années en raison d’un contexte marqué par la concentration et la convergence.
Plusieurs commissions royales d’enquête sur le système de radiodiffusion et les quotidiens (entre autres les rapports Davey en 1970, Kent en 1980 et Caplan et Sauvageau en 1991) avaient déjà pointé du doigt le problème de la concentration des médias et les menaces qui l’accompagnent quant à l’information et l’intérêt public. Les années 2000 n’ont fait que renforcer les mouvements de propriété dans un contexte marqué par la mondialisation des échanges et la constitution de grands groupes médiatiques dans un virage économique soutenu par les États. Le concept de concentration désigne le mouvement d’acquisition qui modifie la structure de propriété au sein d’une entreprise. Ce mouvement d’acquisition a des conséquences de plusieurs ordres sur l’économie politique des médias : sur la chaîne de production et de distribution, sur la structure de gestion et de direction, sur la structure du marché, sur les actifs, sur les contenus, sur les revenus, etc.
Au Québec, la dernière grande consultation sur le sujet (rapport Armande Saint-Jean) a rappelé que l’accélération de la concentration des médias avait des conséquences sur la qualité, la diversité et l’accessibilité de l’information et a formulé de nombreuses recommandations (Comité conseil sur la qualité et la diversité de l’information (2003a, 2003b). Les organismes de défense de la presse et les syndicats ont souvent dénoncé l’effritement des sources d’information régionale avec l’uniformisation qui résulte des mouvements de restructuration.
Concept jumeau de la concentration, le terme de « convergence » réfère à la fois aux transformations technologiques et sociales sur la façon de produire, de diffuser et de consommer l’information ainsi qu’aux stratégies d’intégration économique et organisationnelle au sein des entreprises médiatiques. Il ne faut pas perdre de vue que les stratégies de concentration (voir George, 2014a, 2014b Carbasse, 2010 Brin et Soderlund, 2010 Demers, 2006) et de convergence (George, 2010 Bernier, 2008) sont liées aux logiques plus larges d’industrialisation et de marchandisation des médias (Tremblay et Lacroix, 2002 Miège, 1997). Dans les médias régionaux, les mouvements de concentration et de convergence ont occasionné des restructurations et des rationalisations. Comme ailleurs, les régions au Québec ont connu la fermeture des médias, la baisse des effectifs dans les salles de rédaction et la détérioration des conditions de travail.
Les prochaines sections sont consacrées aux mutations en cours dans les entreprises de presse dans le secteur régional. Nous allons voir la manière dont s’est produit un remodelage économique progressif qui a occasionné des changements structurels tectoniques au sein des grands groupes médiatiques et l’arrivée consécutive de nouveaux joueurs. Ce remodelage est principalement axé à l’économie politique du papier, à titre de secteur et d’intrant. Dans ce créneau, trois retraits nous ont semblé significatifs.
Le retrait de Québecor
À la fin de 2013, une transaction majeure s’est effectuée entre les groupes Québecor et Transcontinental avec le transfert de 74 hebdomadaires de la filiale Sun Media vers Transcontinental Media pour un montant de 75 millions de dollars. Le président et chef de la direction de Québecor Média, Robert Dépatie, a alors noté :
La révolution numérique a profondément transformé le marché de la presse écrite locale. Les clients-publicitaires peuvent maintenant annoncer sur une multitude de plateformes qui n'existaient même pas il y a un peu plus d'une décennie. Nous croyons que la presse écrite a un avenir, mais nous ne pouvons ignorer la nouvelle réalité du marché (Québecor Media, 2013).
Québecor se retire du marché régional des hebdos, mais garde dans son escarcelle les quotidiens Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et 24 heures.
Le bureau de la concurrence a avalisé cette transaction majeure en mai 2014, sous la condition que Transcontinental se départisse de 34 de ses 154 hebdomadaires (12 journaux communautaires de Transcontinental et 22 titres de Sun Media) dans le but de préserver la compétition dans le marché publicitaire des journaux communautaires. L’entreprise Néomédia située à Saint-Georges en Beauce a finalement acquis de Transcontinental 11 des journaux cédés par la filiale de Québecor (Sun Media). Spécialisée dans la diffusion web des nouvelles locales, Néomédia, une division de iClic inc., a exploité les 11 journaux uniquement en ligne. Trois hebdomadaires seulement parmi les 14 cédés sont restés sur papier (Le Journal de Saint-Hubert de Saint-Hubert, Le Rive-Sud Express de Longueuil et L'Echo du Nord de Saint-Jérôme). Cependant, « faute d’acheteurs, 20 publications régionales ont été fermées et trois autres ont perdu leur version papier » (Bérubé, 2014). À l’annonce de la transaction, plusieurs municipalités régionales et élus locaux avaient exprimé des inquiétudes quant au maintien des services et des emplois dans leur région. La transaction a coûté au secteur des hebdomadaires 80 postes dans la vingtaine de publications qui n’ont pas trouvé preneurs. Transcontinental comptait alors 120 journaux régionaux.
Au début des années 2000, le groupe Transcontinental était le deuxième éditeur des journaux régionaux et communautaires et le quatrième groupe de presse écrite au Canada. Le groupe possédait entre autres une soixantaine d’hebdomadaires régionaux au Québec contre une quarantaine pour Québecor. Dès la fin des années 90, la concurrence entre Transcontinental et Québecor était féroce et on commençait à évoquer la « guerre des hebdos » entre les deux géants dans les marchés francophone et anglophone au Québec (Cauchon, 1997). La concurrence entre Transcontinental et Québecor a connu son paroxysme au début des années 2010 :
[…] dans un contexte de crise de la presse écrite, le marché des hebdomadaires, qui s’en tirait mieux, est soudainement devenu alléchant, non seulement pour les revenus publicitaires qu'il promettait, mais aussi pour les occasions de distribution et d'impression. Les deux géants sont passés en mode acquisition, et ont bouleversé par la même occasion l'équilibre de cet écosystème (Collard, 2012).
Plusieurs publications régionales ont fait les frais de cet affrontement avec une surenchère qui a poussé le marché publicitaire à la baisse.
Avec la transaction de 2013, les deux groupes ont mis fin à leur concurrence féroce. L’autre aspect de la transaction concerne une entente d’impression entre Québecor et Transcontinental pour les magazines de TVA Publications et les publicités de Videotron, des contrats d’environ 10 millions par année qui allaient hausser les profits de Transcontinental (Brousseau-Pouliot, 2013). Les ennemis d’hier enterrent la hache de guerre sur le marché des hebdomadaires. Les ennuis économiques ne seront pas terminés pour autant, surtout en ce qui a trait à l’économie de la publicité. C’est la « nouvelle réalité du marché ».
Québecor et Transcontinental sont deux grands joueurs qui ont longtemps largement dominé le marché québécois. Avec la concentration verticale dans la presse écrite, ils contrôlent la chaîne de production et de distribution avec les médias qui produisent les nouvelles, mais aussi avec les imprimeries qui fabriquent les journaux et les moyens de distribution qui permettent de livrer les journaux aux consommateurs. En termes de distribution, la guerre des hebdos, c’était la guerre entre le Public-Sac de Transcontinental et le Sac Plus de Québecor. Les restructurations et les rationalisations induites par la concentration affectent donc à la fois le secteur de la production de l’information mais aussi ceux de l’impression et de la distribution dans le marché régional.
Le retrait de Power Corporation
En mars 2015, le groupe Power Corporation s’est retiré du marché régional en annonçant la vente de ses six quotidiens régionaux (Le Soleil de Québec, Le Quotidien de Saguenay, Le Nouvelliste de Trois-Rivières, Le Droit d'Ottawa, La Tribune de Sherbrooke et La Voix de l'Est de Granby). C’est le Groupe Capitales Médias, un nouveau joueur, qui s’en est porté acquéreur. Cette transaction est intervenue à la suite de la décision de la filiale Gesca de concentrer les efforts sur une stratégie pleinement axée sur le nouveau média numérique national La Presse+.
Alors que le mouvement de concentration battait son plein dans la presse au Québec en 2000, Power Corporation avait acquis du groupe Unimédia, appartenant à Holinger, les journaux Le Soleil de Québec, Le Droit d’Ottawa/Gatineau et Le Quotidien de Saguenay. Guy Crevier, le patron de Gesca notait alors :
Le projet de Gesca consiste essentiellement à créer un groupe de presse, c’est-à-dire à réunir dans un même ensemble plusieurs quotidiens qui bénéficient d’économies d’échelles et de la mise en commun de ressources matérielles, financières et intellectuelles (Crevier, 2001).
Bref, la concentration et la convergence étaient les voies toutes tracées à suivre pour les entreprises de presse, toutes catégories confondues.
En plus des quatre journaux, Gesca se portait acquéreur de 15 hebdomadaires et de trois imprimeries. Au début de 2001, Gesca détenait une part de marché de 44 % du tirage total des quotidiens distribués au Québec (Crevier, 2001). L’imprimerie n’étant pas un élément de la stratégie de développement de Gesca, la filiale de Power Corporation s’était rapidement départie des trois imprimeries à Gatineau (Le Droit), Beauport (Le Soleil) et Trois-Rivières (Le Nouvelliste) et les cédait alors au groupe Transcontinental. L’entente était assortie d’un contrat d’impression des trois quotidiens régionaux sur 15 ans avec des revenus annuels estimés à 50 millions (Transcontinental, 2002) et aussi du journal La Presse sur 15 ans à hauteur de 60 millions par année (Duquette, 2002).
Quand la crise économique s’est fait sérieusement sentir au début des années 2010, les médias régionaux ont enclenché une dynamique de rationalisation. Au moment où s’achevait la négociation entre le quotidien Le Soleil de Québec et ses syndicats, Claude Gagnon, éditeur du Soleil et vice-président exécutif des journaux régionaux chez Gesca écrivait :
Tous les journaux en Amérique du Nord ont revu leur structure de coûts et Le Soleil ne peut échapper à cette réalité. À titre d'exemple, les modifications apportées aux conventions de La Presse en 2009 ont permis de réduire la masse salariale de 20 %. Au Soleil, le total des efforts demandés correspond à 2,1 % de la masse salariale (Gagnon, 2011).
L’éditeur du Soleil avait pointé entre autres la taille du personnel :
Le Soleil possède le plus petit tirage de la catégorie qui oscille entre 500 000 et 800 000 exemplaires hebdomadaires. Pourtant, il dispose du plus grand nombre d'employés dans sa salle de rédaction avec des ressources qui totalisent 101 permanents. En comparaison, le London Free Press, un journal reconnu pour sa qualité, ne compte que 48 employés dans sa salle de rédaction (Gagnon, 2011).
Avec la centralisation des services administratifs des journaux régionaux de Gesca en 2010, le nombre d'employés permanents du quotidien Le Droit est aussi passé de 140 à 100 entre 2007 et 2013 (Orfali, 2013).
La crise des médias régionaux des années 2010 est avant tout la crise du papier. En 2013, au moment même où Gesca abandonnait ses publications régionales sur papier, on pouvait lire ce qui suit dans le rapport annuel de Power Corporation :
Groupe de communications Square Victoria inc., une filiale en propriété exclusive de la Société, a comptabilisé une perte de valeur de 23 M$ au titre des immobilisations incorporelles (30 M$ en 2012) en raison d’une détérioration de la conjoncture en ce qui a trait aux activités liées à la presse écrite (Power Corporation du Canada, 2013, p. 66).
Cette conjoncture délétère constitue le défi le plus important dans l’économie politique des médias. Dans la structure de Power Corporation, les activités médiatiques sont chapeautées par le Groupe de communications Square Victoria qui comprend la filiale Gesca et Propriétés numériques Square Victoria qui opère dans les services numériques et la publication de livres et de magazines.
Lors de l’assemblée des actionnaires de Power Corporation de mai 2014, André Desmarais, président et co-chef de la direction du groupe, n’a pas mâché ses mots, créant une onde de choc dans les milieux médiatiques au Québec. Parlant des médias régionaux, il a déclaré :
Ben, ils vont disparaître. Il faudra qu'ils aient des discussions sérieuses, lesquelles nous voulons, bien entendu, avoir avec eux. En espérant pouvoir trouver une façon de les intégrer aux tablettes et développer pour eux un mode de survie à long terme (cité par Rettino-Parazelli, 2014).
Début 2015, les journaux régionaux de Gesca ont adopté une nouvelle maquette en format compact (28 x 34 cm ou 11 x 13,5 po). Claude Gagnon, le vice-président du secteur régional chez Gesca, avait alors précisé : « […] nos journaux répondront à une demande des grands annonceurs qui n'auront plus à multiplier les formats publicitaires pour atteindre leur clientèle dans l'ensemble des régions du Québec » (Gagnon, 2015). Cette précision rappelle que la crise du papier est aussi la crise de l’économie de la publicité dans la presse écrite.
Dans un contexte de suspicion de fermeture des anciens journaux régionaux de Gesca chez Power Corporation, le nouveau propriétaire du Groupe Capitales Médias, l’homme politique Martin Cauchon, a dû rassurer les rédactions concernées dans les six quotidiens et les observateurs :
Je crois fermement à une presse régionale forte et mon intention, en créant Groupe Capitales Médias, est d’en assurer le maintien en tenant compte du contexte d'affaires de l’industrie. C’est un privilège de pouvoir contribuer à la qualité de l’information, à la reconnaissance de l’indépendance des salles de rédaction et de pouvoir donner aux régions une voix forte pour se faire entendre (Groupe Capitales Médias, 2015).
Le nouvel acteur régional a réussi une transition en douceur avec une renégociation des conventions collectives au sein des six quotidiens acquis. Les 17 syndicats auraient consenti une réduction de 10 % des effectifs (de 430 à 390 personnes) avec un programme de départs volontaires afin de réduire la main-d’œuvre par attrition (Orfali, 2015). Comme on le verra plus loin, l’abandon du papier, stratégie préconisée chez Gesca, n’est pas une avenue envisagée chez Groupe Capitales Médias. Le nouveau groupe hérite d’une force non négligeable avec un tirage combiné en semaine de plus de 210 000 exemplaires et un lectorat combiné en semaine de plus de 330 000 personnes (voir Figure 1).
Figure 1. Les médias du groupe Capitales Médias (Source : données publiées par Groupe Capitales Médias dans Sur le Vif, avril 2018)
Avec la cession de ses quotidiens régionaux, Power Corporation a mis fin à une stratégie axée sur la concentration horizontale dans l’économie politique de la presse régionale au Québec et à une présence remarquée à titre de joueur majeur sur le marché. Chez Gesca, il est certain que la modification de la structure des coûts passe par l’abandon du papier, un actif dans une conjoncture de dépréciation. Après avoir axé sa nouvelle stratégie sur le numérique avec La Presse+, qui apparaissait alors comme un nouveau fleuron à succès, Power Corporation a surpris en se dessaisissant des actifs de La Presse ltée, la filiale médiatique de Gesca, en janvier 20185. Dans le contexte canadien, l’abandon par un groupe majeur d’un journal national qui jouit d’une solide réputation est un signe probant que la rentabilité du secteur médiatique n’est pas au rendez vous.
Ces retraits des marchés régional et national ne font qu’amplifier les craintes quant à l’avenir du papier. Le nouvel acquéreur des six quotidiens indique qu’il faut certes accroitre la présence numérique, mais sans nécessairement abandonner le papier. Dans l’économie politique des médias, le rapport de force papier-publicité génère des marges de profits faibles. Un troisième joueur majeur a également tiré les leçons de la « nouvelle réalité du marché ».
Le retrait de Transcontinental
En avril 2017, le groupe Transcontinental a, à son tour, amorcé un processus de vente de 93 journaux locaux et régionaux au Québec et en Ontario. Une vingtaine de journaux ont été cédés à différentes entreprises dans les six mois qui ont suivi l’annonce. En novembre 2017, la division médias de Transcontinental a procédé à la plus importante transaction en vendant 21 publications au groupe Icimédias, un autre nouveau joueur dans le créneau régional. Cette transaction a impliqué le transfert d’un total de 168 employés chez le nouvel acquéreur. Le président d’Icimédias, Renel Bouchard, a souligné que l’acquisition consacrait la création du plus important groupe indépendant de journaux régionaux au Québec (cité par Transcontinental, 2017) :
Nous croyons à l'avenir de la presse hebdomadaire régionale et nous sommes persuadés que les hebdos sont essentiels à la vitalité et au développement de nos communautés, de nos villes et villages, et de leur région » (cité par Transcontinental, 2017).
Dans un entretien à La Presse+, Bouchard a souligné que la baisse des revenus publicitaires est moins marquée dans les journaux hebdomadaires que dans les quotidiens, ce qui leur donne le temps de s’adapter aux nouvelles technologies (cité par Baril, 2017). « Je ne vivrai pas assez vieux pour voir la fin du papier », a-t-il ajouté (cité par Baril, 2017). Toujours en novembre, cette transaction importante a été immédiatement suivie par la cession de l’hebdomadaire Courrier Laval à l’entreprise 2M Média. D’anciens employés de TC Media ont décidé de racheter certaines publications et misent notamment sur une nouvelle stratégie basée sur la flexibilité (tarifaire notamment) et la diversification (Arsenault, 2017).
Figure 2. Évolution du processus de vente des 93 publications de Transcontinental en 2017/2018 (Source : compilation des auteurs à partir du site tctranscontinental.com)
En décembre 2017, Transcontinental Media a vendu au groupe Lexis Média 12 publications dans les régions de l’Abitibi-Témiscamingue, de Lanaudière et de l’Outaouais. C’est une première incursion dans le créneau de la presse écrite régionale pour Lexis Média qui a été créé en 2008 d’abord dans le secteur magazine. Avec cette transaction, 91 emplois (75 dans les publications et 16 dans la production de Transcontinental Media) ont été transférés au nouvel acquéreur. Plus tard, Lexis Médias ajoutera 3 titres aux 12 acquis précédemment. Une autre importante transaction a été effectuée en avril 2018 avec la cession d’une trentaine de publications à Montréal et à Québec à une société dirigée par l’homme d’affaires Michael Raffoul. Cette transaction a quasiment complété le processus de cession initié par Transcontinental avec le transfert d’environ 600 postes (voir Figure 2).
Dans l’économie politique du secteur médiatique, il est important de souligner que la transformation de Transcontinental touche principalement le secteur de la production. En effet, Transcontinental, qui est un imprimeur de premier plan, délaisse ses journaux mais garde la main sur la filière de l’impression. Depuis le processus de cession de ses journaux régionaux en 2017, l’entreprise a conclu plusieurs ententes pluriannuelles avec les nouveaux acquéreurs en vue de continuer l’impression et la distribution des journaux vendus. Ces ententes stratégiques auront un impact positif sur la profitabilité de l’entreprise.
Le groupe avait conclu une entente quinquennale d’impression avec le Toronto Star en 2016. Sur le marché canadien, la division impression de Transcontinental imprime plusieurs grands journaux (The Globe and Mail, Toronto Star, The Gazette, Calgary Herald et The Vancouver Sun). Par exemple, avec le contrat du Globe and Mail annoncé en 2008, Transcontinental devait engranger jusqu’en 2028 des recettes annuelles d’environ 95 millions de dollars (comprenant le coût du papier) et 25 millions de dollars en nouveaux revenus (Larocque, 2008). Cependant, l’imprimeur a restructuré par la suite son entente avec le Globe and Mail « pour compenser des réductions de prix et de services à l'éditeur de ce journal » (Arsenault, 2015).
Dans la presse québécoise, la vache à lait de l’imprimeur a longtemps été le quotidien La Presse. Depuis 2001, un contrat de 15 ans liait les deux entreprises. À l’époque, Guy Crevier, l’éditeur du quotidien montréalais chez Gesca, indiquait « qu’à moins de devenir un imprimeur commercial, et faire concurrence à des géants comme Québecor World et Transcontinental, La Presse ne pouvait pas rentabiliser pleinement l’installation de sa propre presse » (cité par Tison, 2002). Avec la réorientation du mode d’organisation au sein de Gesca autour de La Presse+, la filiale de Power Corporation a dû consentir un montant de 31 millions de dollars en 2014 pour compenser Transcontinental en raison de la réduction anticipée du volume d’impression. La fin totale de la publication du journal La Presse le 31 décembre 2017 a, entre autres, occasionné la fermeture de l’usine d’impression Transcontinental Metropolitain à Montréal. Cette usine avait été construite à l’origine en 2003 pour se consacrer principalement à l’impression du quotidien montréalais. Le secteur de l’impression qui inclut plusieurs créneaux comme les journaux, les livres, les circulaires, les emballages, etc. reste un secteur très stratégique pour Transcontinental et assure une grande partie de la rentabilité de l’entreprise.
Dans le rapport annuel 2016 de Transcontinental, le président et chef de la direction, François Olivier, explique :
En ce qui a trait au secteur des médias, les défis des réalités de marché qui prévalent toujours nous ont menés à prendre des décisions de rationalisation difficiles et à réduire significativement notre structure de coûts. Ces efforts ont atténué l’effet de la baisse des revenus publicitaires sur notre profitabilité, assurant ainsi la viabilité de nos activités. Nous nous sommes également départis de certains segments qui n’étaient plus stratégiques (Transcontinental, 2016, p. 5).
La réorganisation touchera donc les médias qui sont durement touchés par la crise publicitaire mais aussi le secteur du marketing comme l’indiquait l’entreprise :
La transformation en cours dans les industries des médias et du marketing a eu des effets profonds sur l’industrie de l’impression et de l’édition dans son ensemble. Les produits imprimés demeurent une composante clé du mix marketing choisie par les spécialistes du marketing, mais leur croissance est limitée en raison de l'importance grandissante des nouveaux médias et des nouvelles plateformes de communication comme les appareils mobiles et canaux numériques. Les imprimeurs qui tireront profit de ce marché en évolution sont ceux qui se dotent de technologies efficaces afin d’abaisser leurs coûts de production, qui offrent un réseau national à proximité de leurs clients, et qui peuvent leur proposer une gamme complète de solutions intégrées (Transcontinental, 2016, p. 26).
La vente des actifs médias a eu un effet sur la décroissance des revenus de ce secteur. Le rapport 2017 de Transcontinental précise que, grosso modo, les activités de la filiale médias (TC Media) représentent 11 % des revenus alors que les revenus de la division impression représentent 74 % (Transcontinental, 2017, p. 10). En 2016, les revenus du secteur des médias étaient à 15 %. Ils étaient à 30 % en 2010 (voir Figure 3)6.
Figure 3. Évolution des revenus du secteur des médias (Source : rapports annuels de TC Transcontinental. Les revenus sont basés sur les chiffres corrigés les années suivantes sauf pour l’année 2017. Ce sont des revenus globaux qui ne tiennent pas compte de certaines exclusions ou fusions sectorielles. Il y a donc une variation par rapport aux chiffres des rapports courants.)
Depuis la crise des années 2000, la forte érosion des recettes publicitaires a exercé une pression sur la profitabilité du secteur des médias chez Transcontinental. Globalement, la crise de la publicité dans les médias régionaux a eu un effet négatif sur la performance des revenus du géant québécois. Fondé en 1976 à Montréal dans l’impression, Transcontinental s’est ensuite taillé une solide réputation comme imprimeur commercial et imprimeur de presse. La fin annoncée de l’aventure de Transcontinental dans la production des journaux régionaux est certainement une page historique qui se tourne dans les annales de l’édition de presse au Québec. La révolution numérique force l’entreprise montréalaise à se recentrer sur sa filière traditionnelle qu’est l’impression mais aussi désormais sur la filière emballage. Le portefeuille de Transcontinental se transforme donc avec une courbe des revenus presque inversement proportionnelle entre les secteurs médias et emballage (voir Figure 4).
Figure 4. Évolution des revenus du secteur des médias (Source : graphique adapté du Rapport annuel 2017 de Transcontinental, p. 10.)
La transformation du créneau médiatique au sein du groupe TC Transcontinental libère certainement de la place pour de nouveaux joueurs en réduisant le niveau de concentration, mais l’incertitude demeure quant à la capacité des nouveaux acquéreurs à soutenir la croissance en région dans un contexte de diminution généralisée des recettes publicitaires et d’essor marqué du numérique. La fragilité rampante de la presse écrite constitue en soi une menace.
Quelques enseignements peuvent être tirés des trois retraits décrits ci-haut. Premièrement, à l’aune du mouvement général qui affecte les médias dans le monde entier, les trois entreprises de presse ont été frappées de plein fouet par la baisse des revenus publicitaires dans le marché régional. Si le premier retrait correspondait à un réalignement des rapports de force dans la rivalité entre Quebecor et Transcontinental, on peut constater, deuxièmement, que la tendance générale qui s’est dégagée par la suite est une perte d’attrait de la part des gros joueurs pour la presse écrite, eux qui ont jadis soufflé le chaud et le froid relativement à la concentration dans ce secteur. Avec la crise généralisée, les gros joueurs ont vu leurs marges de profitabilité fondre et s’en sont suivies les rationalisations et les réorganisations liées à la presse écrite. C’est la fin d’une époque où le papier était un secteur d’investissement attrayant. Enfin, les trois retraits ont permis à de nouveaux joueurs plus petits d’intégrer le marché régional. Leur entrée en scène est loin de lever l’incertitude qui plane sur le secteur. De plus, il est évident que même les nouveaux joueurs ont besoin de regrouper leurs activités autour de pôles de concentration pour tirer leur épingle du jeu. Cet état de fait est directement lié à l’économie de la publicité et à la nécessité d’attirer les annonceurs dans un marché très concurrentiel où le numérique change fondamentalement la donne.
Même si plusieurs facteurs doivent être pris en compte, le retrait du secteur régional de trois joueurs majeurs (Québecor, filiale Sun Media Power Corporation, filiale Gesca et TC Transcontinental, filiale TC Media) signale des difficultés dans la rentabilité des modèles d’affaires liés à la production médiatique et ses liens avec l’économie de la publicité et pose certainement la question de l’avenir du papier. L’avenir de la presse écrite ne se pense pas néanmoins en termes de « mort du papier » mais il passe par la capacité des entreprises de presse à s’adapter et à innover dans un environnement très concurrentiel. Le retrait, partiel ou complet, de trois grands groupes de presse du secteur régional est un signe évident de la perte d’attrait du papier. Il appartient aux nouveaux joueurs entrant dans le marché régional de la presse écrite de redorer le blason du papier. Il est certain que la tâche ne sera pas aisée en raison des paramètres de l’économie de la publicité dans l’économie politique des médias.
Les défis du financement public
Dans le créneau communautaire, le secteur médiatique régional souffre d’un sous-financement chronique. L’État québécois subventionne ce secteur par le Programme Aide au fonctionnement pour les médias communautaires (PAMEC) qui existe depuis 1973. Le milieu communautaire ne cesse de crier famine depuis des années. Pour l’exercice 2016-2017, le ministère de la Culture et des Communications du Québec a financé 158 médias communautaires (près de 4,7 millions de dollars) et 17 radios autochtones (170 000 dollars). En 2003, le programme a été modifié pour permettre l’appui aux médias communautaires en ligne. Le rapport Payette avait en effet recommandé que les médias communautaires en ligne soient reconnus par le programme d’aide.
Au début de janvier 2018, la radio communautaire montréalaise CIBL a remercié tous ses employés, aux prises avec de sérieuses difficultés financières. Thierry Holdrinet, le président du conseil d’administration de la radio, a expliqué alors que CIBL génère 8 000 dollars de revenus par mois en dehors de l’aide au fonctionnement pour les médias communautaires du PAMEC : « Et ça nous coûte quelque chose comme 25 000 dollars par mois pour nos frais d’occupation, les salaires, les frais de fonctionnement. On creuse notre trou chaque mois » (cité par Papineau, 2018b). Un comité de relance a été mis sur pied.
En 2010, la radio communautaire CKIA de Québec a connu des difficultés similaires avec une dette accumulée de 120 000 dollars (Papineau, 2018c). Après une cure de mises à pied et un programme de relance de quatre ans, CKIA a retrouvé du mieux. Mais le problème du financement reste entier, comme l’explique Lorinne Larouche, la directrice générale de CKIA :
Les gouvernements sont dans une logique où on ne veut plus que des organismes soient dépendants de la mamelle étatique […]. J’apprécie le fait qu’on puisse aller chercher 50 000 dollars pour un projet, mais l’année d’après, je dois tirer la plogue sur le projet parce que je ne peux pas [le refinancer7]. Ça nous oblige à être continuellement en mouvement, et la radio est un média d’habitude, et donc on a de la misère à fidéliser nos auditoires (cité par Papineau, 2018c, voir aussi Cloutier, 2018).
La situation des médias communautaires varie certes d’une région à une autre mais, de manière générale, leur financement reste un énorme défi.
Dans le communautaire aussi, la question de la publicité est au cœur des enjeux financiers. Le président du conseil d’administration de CIBL a souligné que les difficultés de la radio étaient liées à la baisse des revenus publicitaires, ayant chuté de 400 000 dollars en 2013-2014 à moins de 100 000 dollars en 2018 et particulièrement à la baisse de l’achat publicitaire par les gouvernements : « En 2014-2015, la Ville [de Montréal] achetait autour de 200 000 $ de publicité à CIBL, cette année on est à 25 000 $ » (cité par Papineau, 2018b). En vertu d’un décret gouvernemental de 1994, les différents ministères du Québec sont en principe tenus de consacrer 4 % de leur budget publicitaire aux médias communautaires, mais ce seuil n’a jamais été atteint (voir Delisle, 2005).
Un point de contentieux sensible est la question de la publication des avis officiels qui représente une importante source de revenus pour la presse locale et régionale. Selon la Coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec, la levée préconisée par le projet de loi 122 de l’obligation pour les municipalités de publier les avis sur papier est un danger non seulement pour le droit du public à l’information et la transparence des administrations municipales, mais aussi menacerait la survie de plusieurs journaux alors que c’est une dépense minime pour les municipalités (CPPIQ, 2017). Un mémoire de la Ligue d’action civile a également plaidé pour le maintien de l’obligation afin d’éviter « la mort de l’information régionale » et le chantage financier des municipalités aux médias (Ligue d’action civique, 2017).
Au niveau fédéral, les montants consacrés à la publicité diminuent aussi. Un rapport du Commissaire aux langues officielles note qu'entre 2006 à 2015, les dépenses publicitaires sont passées de près de 2 millions de dollars à 430 000 dollars pour les journaux communautaires et de 730 000 dollars à 200 00 dollars pour les radios communautaires (cité par Bonier, Demers et Bonspiel8, 2018). À l’inverse, les placements dans les médias numériques de l’agence fédérale qui coordonne la publicité gouvernementale sont en croissance depuis quelques années.
Le cas de Radio-Canada est particulier car il relève d’un financement public, mais les régions sont souvent dans la mire quand surviennent des réductions budgétaires. En 2014, quand le gouvernement Harper a réduit le financement par crédits parlementaires de Radio-Canada de 115 millions de dollars sur trois ans, les services régionaux ont été affectés par les coupures à hauteur de 19 %. Comme corollaire, le télédiffuseur public a fait savoir en décembre 2014 que les téléjournaux de 18 heures allaient passer à 30 minutes à Sherbrooke, Trois-Rivières, Saguenay et Rimouski (Société Radio-Canada, 2014). Pas très rassurés par les annonces de modernisation vers le numérique, plusieurs acteurs régionaux ont déploré l’impact de ces compressions pour les stations régionales de Radio-Canada. Quand le gouvernement Trudeau a rétabli le financement de Radio-Canada, la Fédération québécoise des municipalités s’est empressée de saluer les avancées pour les régions en mentionnant le refinancement du radiodiffuseur public :
La qualité de l’information diffusée par la société d’État est intimement liée à son financement, surtout en ce qui concerne ses stations régionales qui fonctionnent avec des moyens limités. À ce titre, la FQM demande au gouvernement de prioriser un refinancement des stations en région afin de maintenir une information locale et régionale de qualité (Fédération québécoise des municipalités, 2016).
Il faut rappeler ici que la naissance même de la Coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec en 2016 est liée au contexte délétère dans lequel se trouve la presse écrite. Tous les médias écrits, petits et grands, voient une attrition progressive de leurs revenus. La crise du marché publicitaire pèse fortement sur les coûts de production et de fonctionnement. Face à un « rebrassage » des cartes dans l’économie politique des médias induit par l’essor du numérique, des acteurs du papier subissent des contrecoups sévères. C’est ainsi que la Coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec a rallié les acteurs concernés9 pour réclamer des aides de l’État, particulièrement pour assurer la transition numérique. Quand Pierre Marcoux, le fils du fondateur a pris la tête de la présidence de Transcontinental Media en janvier 2018, il a réitéré la nécessité du soutien de l’État :
Je pense que c’est du devoir des gouvernements d’accompagner les médias. D’une part parce c’est une industrie importante, et d’autre part pour permettre aux médias de continuer à faire leur travail journalistique avec les moyens appropriés (cité par Papineau, 2018a).
À l’extérieur du Québec, les médias communautaires vivent la même situation. Ils déplorent, entre autres, la baisse significative du placement publicitaire du gouvernement fédéral et réclament une aide directe de l’État pour soulager leur précarité.
Au-delà du secteur régional, le débat sur les transformations en cours dans l’écosystème médiatique a le mérite de faire émerger de nouvelles idées pour résoudre les problèmes. Une étude de 2017 a soutenu la nécessité de reconsidérer la question de la déductibilité des dépenses publicitaires. L’étude note que Revenu-Canada permet la déduction des dépenses publicitaires consacrées aux médias numériques étrangers et, invoquant un nouveau contexte publicitaire qui favorise les grands joueurs étrangers, propose une nouvelle interprétation de la Loi de l’impôt sur le revenu qui limiterait les dépenses déductibles pour annonceurs dans le but de générer de nouveaux revenus pour les médias :
Pour les médias canadiens, il pourrait s’agir du facteur le plus important au renversement du déclin des revenus et pour assurer la viabilité des médias locaux papiers et des entreprises de télévision et de radio au Canada – ainsi que leur contributions [sic] a la culture, aux nouvelles et a la démocratie. Des centaines de millions de dollars pourraient retourner dans les coffres des entreprises médiatiques a propriété canadienne et contrôlées par des Canadiens – stabilisant et restaurant la croissance de leurs revenus et permettant ainsi le renversement des compressions d’emplois et un réinvestissement dans le contenu canadien (Miller et Keeble, 2007, p. 24).
On ne sait pas encore si cette proposition aura une suite concrète, mais il faut noter que la volonté désormais affichée par les États, provincial et fédéral, de considérer des aides à la presse malgré de fortes réticences constitue un tournant à l’aune des difficultés énormes que connaissent les médias tant nationaux que régionaux. Comme on le verra plus loin, ces aides sont principalement canalisées dans la poursuite de la migration numérique.
Les transformations, les défis numériques et les aides publiques
En filigrane de cette crise des médias se trouve la révolution numérique qui affecte l’évolution de la presse locale et régionale. L’arrivée d’Internet a bouleversé à la fois les modèles d’affaires de la presse et ses modes d’organisation, les pratiques journalistiques et les habitudes du public. De manière générale, la mutation a pris d’abord la forme d’une mise en ligne des contenus sur papier et de la migration progressive vers la diffusion numérique pour la radio et la télévision. Pour la presse régionale, Internet présente un énorme défi financier mais constitue néanmoins une occasion à saisir. Sans prétendre dresser un portrait exhaustif des mesures et des initiatives entreprises pour négocier le virage numérique, nous allons présenter quelques cas notables.
Dès le début des années 2000, les grands joueurs avaient pris la mesure de la mutation qui s’annonçait comme en témoigne un texte du patron de Québecor :
Québecor s'emploie activement à exécuter une stratégie Internet bien définie qui vise à bâtir une présence forte dans ce domaine en explosion et sans frontières. Nous voulons capitaliser sur les fortes relations établies avec notre clientèle de la « vieille économie » et leur proposer une migration ordonnée vers la « nouvelle économie », autour de cet univers de la révolution numérique, enclenchée depuis quelques années (Péladeau, 2000).
Durant les premières années, le passage à la « nouvelle économie » consistait d’abord à migrer sur Internet :
Au départ, notre approche du Web était typique de ce que faisaient beaucoup d'entreprises de presse : on transférait le contenu de l'imprimé sur Internet, ce qu’on appelle le « Print to Web ». Aujourd'hui, nous avons atteint le stade du « Web to Print » (Charles Michaud, un responsable des journaux régionaux chez Québecor, cité par Lehmann, 2008).
La migration vers le Web a transformé le rapport des entreprises de presse avec les annonceurs. Selon Lucie Leduc, directrice générale du Réseau Sélect10 créé en 2007, « les annonceurs cherchent de plus en plus à atteindre des groupes très ciblés, et internet nous permet de répondre à cette demande » (citée par Lehmann, 2008).
Les transformations entamées par les médias dans les années 1990-2000 se sont poursuivies dans les années 2010. La « nouvelle économie » des médias est une économie de la publicité avec une dynamique où les entreprises de presse rivalisent pour offrir les meilleurs formats publicitaires, les meilleures offres de contenu, les meilleurs outils technologiques, les meilleures audiences et les statistiques les plus précises. Les années 2010 sont principalement marquées par la mise en place de nouveaux modes d’organisation internes au sein des médias afin de proposer aux annonceurs les meilleures offres numériques. C’est une seconde migration dans l’univers numérique multiplateforme et interactif. L’économie politique du numérique passe, entre autres, par la marchandisation des outils logiciels que les groupes les plus concurrentiels commercialisent à destination des entreprises qui désirent se déployer sur le terrain multiplateforme.
Comme ailleurs, les joueurs régionaux se positionnent dans cet univers numérique en y assurant leur présence au bénéfice à la fois des lecteurs, d’autres entreprises et des annonceurs. En 2012, Transcontinental Media a annoncé le lancement de la version mobile pour 160 sites web de nouvelles locales au Québec et dans plusieurs autres provinces :
Nous sommes désormais dans l’ère de la personnalisation. Les consommateurs exigeront de plus en plus une offre correspondant à leurs besoins, à leurs intérêts et à leurs moyens. Pour y arriver, il faudra avoir une connaissance intime de votre clientèle cible. La bonne nouvelle, c’est que la technologie numérique permet la production de bases de données fiables et pointues (Rémi Marcoux, le fondateur du groupe Transcontinental, cité par Robert, 2012).
En 2015, l’entreprise a par la suite lancé l’application Transcontinenta Media Nouvelles pour les tablettes et les téléphones mobiles au Québec. Selon le président du groupe, Ted Markle, « l’application offre des formats publicitaires très intéressants pour les annonceurs qui veulent se démarquer grâce à des publicités animées et interactives » (Transcontinental, 2015).
Cependant, depuis l’annonce du processus de vente des journaux régionaux, le secteur médiatique de Transcontinental doit se repositionner vers des « créneaux porteurs, identifiés comme ayant le meilleur potentiel de croissance et de développement » (Transcontinental, 2017, p. 16). Il s’agit ici des publications spécialisées et de l’édition pédagogique. Le créneau « Affaires11 et Éducation » représente 5 % des revenus du groupe (TC Transcontinental, 2017, p. 9). Selon les prévisions de l’entreprise quant à ce volet du secteur médiatique, la transformation doit reposer sur « un modèle d’affaires qui génère des revenus de sources variées, avec près de 75 % des revenus qui ne dépendent pas des placements publicitaires » (Transcontinental, 2017, p. 16). Il est ici évident que l’entreprise cherche à se déprendre de l’emprise de la publicité sur ses opérations, un paramètre qui a provoqué la crise des modèles d’affaires traditionnels et qui continue de peser sur le développement numérique de toutes les structures d’organisation des entreprises de presse.
Au moment où Radio-Canada annonçait les compressions budgétaires imposées par le gouvernement Harper en 2012, la direction du radiodiffuseur public s’apprêtait à déployer sa stratégie de transformation numérique. Ce déploiement allait certainement se faire sentir dans les régions qui sont au cœur du mandat de servir public :
Un virage important vers le multi-écrans pour augmenter le nombre de points de contact locaux avec les Canadiens dans leurs collectivités. Ainsi, l’offre en matière de nouvelles locales sera plus complète que jamais et déclinée tout au long de la journée sur quatre plateformes : mobile, Web, radio, télé (communiqué repris par plusieurs médias, Société Radio-Canada, 2014).
Les radios communautaires indiquent cependant que « le passage à l ère numérique est encore plus une source de coûts qu'une source de revenus » (ARCQ, 2016). En 2014, le ministère de la Culture et des Communications, à travers le Plan numérique du Québec a offert une enveloppe d’aide financière de 2,5 millions de dollars pour permettre aux médias communautaires de prendre le virage numérique. Cette aide était principalement axée sur la mise à niveau des équipements et sur l’amélioration de l’accessibilité des contenus.
Il va aussi sans dire que les mesures d’aide aux médias vont de pair avec l’amélioration du taux de branchement sur Internet dans les régions. Selon les données du CEFRIO12, le taux global a augmenté au Québec de manière significative depuis une dizaine d’années (voir figure 5). Dans les régions, les données de 2017 indiquent une disparité du taux de branchement : 84 % pour les régions Ouest 88 % pour les régions Est, 93 % pour les régions Centre (CEFRIO, 2017, p. 10).
Figure 5. L’évolution du taux global de branchement à Internet (Source : CEFRIO, Portrait numérique des foyers québécois, NETendances 2017, 8(1), p. 10.)
Lors des consultations du Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec, un consensus s’est dégagé sur le rôle de Télé-Québec en matière d’information régionale et interrégionale. Le rapport Payette a alors recommandé que « Télé-Québec reçoive le mandat d’élaborer un projet de réseautage de l’information régionale sur Internet en utilisant les contenus » et que le gouvernement du Québec le dote d’un budget à cet effet (Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec, 2010, p. 97). À la suite de cette recommandation, Télé-Québec a notamment lancé en 2014 la plateforme culturelle La Fabrique culturelle. Cette plateforme de diffusion en ligne met à contribution les dix bureaux régionaux de Télé-Québec et d’autres partenaires du milieu culturel local (voir la fabriqueculturelle.tv). Le plan économique du Québec de mars 2017 prévoit l’octroi d’une aide de 10 millions de dollars sur cinq ans à Télé-Québec pour bonifier ses contenus à travers une stratégie numérique multiplateforme et des projets éducatifs.
À la fin avril 2015, Hebdos Québec a annoncé l’arrivée de l’application kiosque Mon journal Local conçu par l’agence montréalaise TP1. L’application fonctionne avec la plateforme logicielle Milenium que l’entreprise espagnole Protecmedia commercialise dans plusieurs pays et qui est conçue pour plusieurs supports (ordinateurs, tablettes et téléphones). Le nouveau logiciel réduit les manipulations requises pour préparer les différentes versions des journaux et améliore l’efficacité dans la production (Larocque, 2015). Le directeur général et marketing d’Hebdos Québec, Gilber Paquette précise :
On ne connaît pas encore de déclin dans le papier, en tout cas rien de comparable à ce que vivent les quotidiens. Mais on a quand même tenu à mettre en place cette nouvelle solution dès maintenant. Pourquoi ? Parce que le jour où les versions papier des quotidiens vont commencer à disparaître, on aura un problème non pas de lecteurs, mais d’annonceurs. C’est le danger qui nous guette. Il faut qu’on puisse suivre les annonceurs (cité par Larocque, 2015).
Paquette a aussi indiqué que les coûts d’installation des outils se situaient entre 400 000 et 500 000 dollars (cité par Therrien, 2015). En mars 2016, le journal Accès, de la région de Saint-Sauveur dans les Laurentides, a été le premier à lancer la nouvelle plateforme enrichie soutenue par Milenium :
Cette technologie est constituée de solutions modulaires, ouvertes et intégrables entre elles afin de répondre à tous les besoins de la chaîne de création d’un journal, et ce, peu importe la plateforme (Hebdos Québec, 2016).
Après la migration sur l’application Mon journal Local, la seconde étape consistait à bonifier le contenu offert par la trentaine de journaux du groupe Hebdos Québec avec une dimension interactive des contenus et de la publicité (Hebdos Québec, 2016).
En octobre 2015, le Groupe Capitales Médias a également lancé les applications pour tablettes et pour téléphones intelligents pour ses six quotidiens régionaux. À cette occasion, Martin Cauchon a précisé que le papier reste un élément central de la stratégie d’affaires de l’entreprise médiatique :
On l’utilise comme fer de lance pour se projeter sur d’autres plateformes sur lesquelles nous allons greffer une stratégie de médias sociaux pour ramener les lecteurs, les intéresser à nos contenus. Je ne vois pas l’univers du numérique comme menaçant. Au contraire. Je vois ça comme une occasion de développement pour nous (cité par Baillargeon, 2015).
En janvier 2017, le Groupe Capitales médias s’est associé à l’agence Mirego pour lancer l’entreprise Omerlo Technologies dans le but de commercialiser les plateformes conçues pour les six quotidiens régionaux. Omerlo offre donc des solutions numériques à d’autres médias et d’autres entreprises dans une perspective d’optimisation des flux de contenu et de gestion multiplateforme. À partir d’octobre 2017, les sites web des six quotidiens régionaux du Groupe Capitales médias, qui étaient jusque-là hébergés par La Presse, sont devenus indépendants. Lors du lancement des nouveaux sites web, le président-directeur général de Groupe Capitales médias, Claude Gagnon, a alors rappelé que les changements numériques en cours allaient offrir de nouvelles opportunités d’affaires pour les partenaires et les annonceurs (Gagnon, 2017a). Pour brasser des affaires, toute entreprise de presse doit convaincre les annonceurs de sa force de frappe publicitaire, chiffres à l’appui. Avec ses milliers de lecteurs et de visiteurs uniques, le Groupe Capitales Médias est certainement en mesure d’attirer l’attention des annonceurs (voir Figure 6).
Figure 6. Le lectorat du Groupe Capitales Médias (Source : données publiées par le Groupe Capitales Médias dans Sur le Vif, octobre 2017)
Les transformations en cours nécessitent des investissements alors que la situation économique des médias est mal en point. Les différents paliers de gouvernement répondent de plus en plus favorablement aux appels à l’aide de la presse. Lors de sa création en 2016, la Coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec a réclamé au gouvernement deux programmes ou crédits d’impôt pour couvrir 40 % des coûts de production de l’information et 50 % des investissements numériques (CPPIQ, 2017, p. 14). Dans le budget de mars 2017, le gouvernement du Québec a alloué une aide provisoire de 36 millions de dollars durant cinq ans pour soutenir la transformation numérique des médias locaux et communautaires. En décembre 2017, le ministère de la Culture et des Communications a détaillé les mesures d’aide avec une somme de 19,2 millions de dollars consacrée à la transformation numérique des médias, 5,2 millions de dollars pour la bonification du Programme d’aide au fonctionnement des médias communautaires et enfin 12 millions de dollars pour soutenir les obligations en matière de recyclage par le biais d’une entente avec RecycleMédias13. Cet organisme fixe les tarifs en vue de compenser les municipalités pour la collecte et le recyclage (papiers et contenants). Calculée en fonction du tonnage métrique généré par les journaux, la compensation est de nature monétaire et publicitaire. D’après les données de RecycleMédias, le tarif en argent par tonne métrique est passé de 3,45 dollars en 2010 à 93,89 dollars en 2017 alors que le tarif en placement publicitaire est passé de 19,58 dollars en 2010 à 59,90 dollars en 2017.
La ministre Marie Montpetit a tenu à souligner que ce soutien à la presse constituait une aide historique qu’aucun gouvernement n’avait fait jusqu’à présent (citée dans MCC, 2017).
Les investissements de notre gouvernement vont appuyer directement les médias communautaires de notre région et ceux de l’ensemble du Québec. Nos médias locaux, tant écrits qu’électroniques, ont déjà amorcé le virage numérique. Notre soutien leur permettra de continuer à jouer un rôle vital au sein de nos communautés (Julie Boulet, du ministère du Tourisme et responsable de la Mauricie, citée dans MCC, 2017).
Le programme d’aide des médias comprend deux volets :
Le volet A prévoit des sommes pour l’identification des forces et des faiblesses, des enjeux et des défis par le biais d’éléments comme un diagnostic d’entreprise, une planification stratégique ou une étude de positionnement. Les sommes du volet B seront, quant à elles, vouées à la réalisation de projets ou de stratégies numériques déjà documentées. Ce volet permet notamment l’acquisition ou le développement d’outils et la mise en place de nouvelles approches de création et de diffusion des contenus journalistiques (MCC, 2017).
Dès décembre 2017, le gouvernement du Québec a annoncé que le Groupe Capitales Médias allait bénéficier d’un prêt remboursable de 10 millions de dollars par l’intermédiaire du Fonds du développement économique chez Investissement Québec. Cette somme s’ajoute à 16 millions de dollars en fonds propres pour mener le plan de transformation numérique du Groupe Capitales Médias.
Cette aide va nous permettre de poursuivre la transformation en profondeur de nos opérations, de notre modèle d’affaires, pour assurer un avenir à l’ensemble de nos journaux et à nos quelques 400 artisans (Claude Gagnon, président-directeur général de Groupe Capitales Médias [Gagnon, 2017b]).
Tout en réitérant l’importance de l’information régionale, la vice-première ministre et ministre de l’Économie, Dominique Anglade, a également justifié le prêt en invoquant les 400 emplois en jeu (citée par Papineau, 2017). L’annonce de ce prêt a suscité quelques réactions quant à l’indépendance des médias (voir Papineau, 2017 et Béland, 2017).
Le quotidien Le Devoir a également reçu d’Investissement Québec un prêt remboursable sur cinq ans d’un montant de 526 000 dollars pour faire l’acquisition d’outils technologiques sous licence (Myles, 2017). Le gouvernement du Québec a en effet indiqué que les autres médias pouvaient bénéficier d’un prêt sur présentation de projets. Certes, l’aide de Québec constitue une réponse aux cris d’alarme des médias, mais on est encore loin d’une véritable réflexion en termes de politiques publiques fédérales ou provinciales sur l’aide de l’État à la presse (Guay, 2017) malgré les déclarations de principe sur l’importance de la presse dans une démocratie.
Au niveau fédéral, le budget de février 2018 a injecté une somme de 50 millions de dollars sur cinq ans pour aider les médias locaux dans les régions mal desservies. C’est une somme modeste si on tient compte de la grandeur du pays, mais dans l’histoire de l’économie politique de la presse, ce type d’aides était jusque-là une rareté. L’énoncé économique fédéral de novembre 2018 a reconnu le problème :
À un moment où les personnes s’informent de plus en plus en ligne et partagent du contenu sur les médias sociaux, de nombreuses communautés se sont également retrouvées sans médias locaux pour leur parler de ce qui se passe chez eux. Des préoccupations se sont fait entendre quant au déclin possible de la diversité et de la qualité du journalisme offert aux Canadiens, y compris une forte perte de couverture de l’actualité locale, en l’absence d’une intervention du gouvernement (ministère des Finances du canada, 2018, p. 43)
L’énoncé a alors annoncé une injection de 595 millions de dollars sur 5 ans et trois mesures de soutien au journalisme canadien à savoir : 1. permettre à des organismes d’information à but non lucratif de recevoir des dons de bienfaisance 2. offrir un nouveau crédit d’impôt remboursable pour appuyer la création de contenu d’information original, y compris celui d’intérêt local et 3. créer un crédit d’impôt non remboursable temporaire pour encourager les abonnements aux médias d’information numériques canadiens (ministère des Finances du Canada, 2018, p. 43). Le crédit d’impôt sur les coûts de main d’œuvre bénéficiera à la fois aux médias à but lucratif et non lucratif. Ces mesures ont suscité des réactions très positives des patrons de presse et des milieux journalistiques (Vastel et Papineau, 2018).
Le soutien gouvernemental permettra certainement à la presse régionale de relever certains défis liés à la transition numérique, mais cette aide est loin d’être pérenne. Il reste encore à voir si l’État interviendra avec des mesures plus structurantes pour l’économie politique comme le réclament les médias notamment la question de la taxation des géants du Web comme Netflix. Assurer la pérennité de la presse écrite locale nécessitera donc plus d’ingéniosité de la part des propriétaires et des responsables des médias pour assurer leur viabilité financière dans un contexte très concurrentiel. L’accaparement des revenus publicitaires par les géants du Web pose un énorme défi à la presse écrite dans le monde entier. L’ajustement technologique des médias régionaux est une étape importante à franchir, mais la place du papier dans les modèles d’affaires reste un facteur d’incertitude qui appelle innovation et prise de risques pour les entreprises de presse.
Conclusion
Cet article présente la situation des médias régionaux au Québec sous l’angle de l’économie politique. Nous avons évoqué les difficultés économiques des médias dans un contexte de crise généralisée des modèles d’affaires. Les effets de cette crise se font sentir dans tous les segments de marché depuis près d’une vingtaine d’années. Face à un environnement difficile, les entreprises de presse doivent renouveler leurs modes d’organisation et modifier leurs structures de coûts. Les changements dans l’économie politique de la presse régionale sont axés sur une stratégie de réduction de coûts face à l’effritement du modèle publicitaire traditionnel et sur une transformation technologique et opérationnelle induite par le déplacement dans l’univers numérique multiplateforme.
Dans le secteur régional québécois, trois cas de retrait du secteur régional témoignent de l’ampleur des transformations de structures de propriété en cours. Alors que les années 2000 étaient pour les entreprises de presse une époque de consolidation centrée sur une stratégie de concentration horizontale, verticale et multimédiatique en vue de constituer des groupes de presse, avec les années 2010, des réaménagements structurels ont mené à de nouvelles configurations où les grands groupes ont délaissé les actifs à risque. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre les retraits remarqués du secteur régional de Québecor, Power Corporation et TC Transcontinental. Le désengagement de ces trois géants du marché québécois est un tournant historique par rapport aux mouvements de concentration qui ont marqué le début des années 2000.
Le désengagement traduit également les difficultés particulières que vit la presse écrite. C’est dans ce créneau que les effets de la crise de la publicité ont été les plus sévères. Dans ce contexte de dépréciation du papier, les grands groupes n’ont pas hésité à se départir des actifs les moins rentables. Fermetures de titres et suppressions de postes ont émaillé le processus. Pour maintenir leur profitabilité, les nouveaux joueurs dans le marché régional ont dû négocier avec les syndicats des ajustements qui leur permettent de profiter des synergies dans les opérations et de réduire les coûts.
Le secteur public et le secteur communautaire fonctionnent sous d’autres paramètres et vivent depuis plusieurs années, chacun à sa manière, une crise constante de financement. Un soutien adéquat par financement provincial et fédéral est nécessaire à la vigueur de ces deux secteurs, mais les politiques publiques doivent aussi réaffirmer l’importance de l’information locale et régionale dans une société démocratique. Le radiodiffuseur public a récemment lancé l’idée d’un modèle d’affaires sans publicité. Si cette idée devait se concrétiser, il faudrait en mesurer les effets sur l’offre locale et régionale.
La « nouvelle réalité » du marché médiatique repose également sur les transformations des modes d’organisation en vue d’un déploiement dans l’univers numérique. Là aussi, la publicité est au cœur de l’économie politique des médias. La relation avec les annonceurs dicte les reconfigurations des entreprises de presse sur les nouvelles plateformes numériques. La commercialisation des outils et des produits logiciels, des profils d’utilisateurs et des données de toutes sortes constitue une avenue de profitabilité. La réussite des modèles d’affaires dépend de la capacité d’attirer les annonceurs dans un contexte très concurrentiel. Certains acteurs comme Transcontinental misent dorénavant sur une stratégie de développement d’actifs et de revenus qui limite l’emprise de la publicité sur leur modèle d’affaires global.
La redéfinition des modèles d’affaires est cependant loin d’être terminée. La migration dans l’univers multiplateforme et interactif va se poursuivre pour plusieurs acteurs en lien avec la marchandisation des technologies et des données. La recherche pourra certainement encore suivre l’évolution du papier qui continuera de faire face à des difficultés mais aussi de mesurer les effets de la domination des géants du Web. Le débat sur la taxation de Netflix au Canada et au Québec est peut-être annonciateur de luttes qui pourraient avoir un impact sur le système canadien de radiodiffusion. Dans tous les cas, l’intervention de l’État, sous forme de règlementation ou d’aides directes et indirectes, devrait se faire au moyen de politiques publiques mieux réfléchies sur les médias. 
Aimé-Jules Bizimana est professeur au département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Oumar Kane est professeur au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Tous deux sont chercheurs réguliers au Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS).
Notes
1Voir aussi les inquiétudes exprimées par le public sur les médias en région (Carignan, 2017).
2Le rapport Payette a pour sa part recommandé « la mise en œuvre d’un crédit d’impôt [à hauteur de 35 % à 40 %] remboursable à l’embauche de journalistes professionnels dans les entreprises de presse en région » (Groupe de groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec, 2010, p. 94).
3En juin 2018, le gouvernement a confié à un groupe de travail la tâche de proposer des recommandations en vue de la révision des lois sur la radiodiffusion, des télécommunications et de la radiocommunication.
4La firme Influence Communication (2016, p. 12) note : « Malgré les fermetures et les difficultés rencontrées par de nombreux hebdomadaires et médias communautaires, ceux-ci constituent un rempart important en information locale. Ils génèrent en moyenne 26 % du contenu local. Dans certaines régions, cette proportion peut grimper considérablement. En Gaspésie elle se hisse à 46 % et dans les Laurentides, elle atteint 52 %. »
5Power Corporation a versé une somme de 50 millions de dollars et a laissé La Presse devenir « une structure sans but lucratif » (Power Corporation du Canada, 2018).
6Les auteurs remercient le professeur Mathieu Charron de l’UQO pour son aide à propos des outils statistiques.
7Crochets de l’article cité et non des auteurs.
8Les trois auteurs sont respectivement : président de l’Association de la presse francophone, président de l’Alliance des radios communautaires et président de la Quebec Community Newspapers Association. Il s’agit d’une lettre qu’ils ont adressée au ministre du Patrimoine canadien et au ministre des Services publics et de l’Approvisionnement pour soulever la question de la publicité fédérale dans les médias communautaires.
9La Coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec regroupe le quotidien Le Devoir, le Groupe Capitales Médias, Hebdos Québec, la Quebec Community Newspapers Association (QCNA) et le groupe TC Transcontinental. Au moment de la création, la coalition comptait 178 journaux écrits.
10Anciennement un regroupement sous le nom Hebdos Sélect, Réseau Sélect est une régie publicitaire qui appartient entièrement à Transcontinental depuis 2012. Elle rassemble 148 publications de la presse hebdomadaire francophone au Canada avec un tirage de 4,4 millions d’exemplaires et 6,9 millions lecteurs.
11Le groupe Transcontinental est propriétaire d’un groupe qui comprend le journal Les Affaires, les Événements Les Affaires, le magazine Les Affaires Plus et le magazine de management Premium. 
12Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations, à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC).
13Créé en 2000, RecycleMédias est un organisme sans but lucratif qui représente les médias en vue de se conformer aux dispositions de la Loi sur la qualité de l’environnement et du Règlement sur la compensation pour les services municipaux fournis en vue d’assurer la récupération et la valorisation des matières résiduelles.
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DOI:10.31188/CaJsm.2(3).2019.R141