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Été 2020

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NOTE DE LECTURE

Gaëtan Tremblay, Aimé-Jules Bizimana
et Oumar Kane : Le Service public médiatique à l’ère numérique

Ayouba Sow

L

e projet de cet ouvrage est explicite dès sa couverture : offrir une étude fonctionnelle croisée des médias publics de trois pays, Radio-Canada, BBC et France Télévisions, dans une approche comparative prenant compte des spécificités de ces institutions face à des défis communs. Au-delà de son intérêt intrinsèque, un tel rapprochement est de nature à enrichir les perspectives des acteurs confrontés à ces évolutions.

Les auteurs, tous chercheurs au CRICIS1, analysent tout d’abord les enjeux du numérique pour le service public médiatique en général, puis la transition et la stratégie numérique de la Société Radio-Canada. La réflexion porte alors sur les enseignements des expériences britannique et française, avant de s’élargir à l’avenir du service public médiatique.

La mise en évidence des enjeux du numérique, notamment les mutations publicitaires, la créativité et la « découvrabilité » des contenus sont entre autres au cœur des réflexions, afin de permettre, comme le disent les auteurs, à ces institutions audiovisuelles « de renouveler leurs pratiques, dans le contexte créé par le développement d’internet et le repositionnement des industries culturelles dans le plus vaste secteur des industries créatives » (p. 2). Ils consacrent une place importante à la coopération entre les médias de service public et les producteurs indépendants, tout en pointant du doigt la menace que pèsent les diffuseurs américains sur les industries créatives locales des pays concernés.

Cette étude s’appuie sur de nombreux documents internes des trois institutions médiatiques et sur 44 entretiens, dans lesquels des experts du secteur racontent les difficultés qu’affrontent les institutions médiatiques pour trouver des solutions au problème universel qu’est devenue la crise des médias. Une crise ayant en son centre le déficit de financement dû à la migration des publicités vers les géants américains du numérique : comme le soulignent les auteurs entre les pages 76 et 77, « cette crise est bien sûr principalement liée à l’enjeu des revenus publicitaires ». Pour y faire face, les diffuseurs publics n’ont d’autre choix que de s’adapter et saisir les opportunités qu’offre le numérique. Pourtant, il ressort de l’ouvrage que les diffuseurs traditionnels publics avaient déjà prévu leur transition numérique, bien avant la concurrence des GAFAM2.

Les possibilités qu’apporte le numérique ne sont pas sans conséquence sur la cote d’écoute, car cette révolution a changé les modes de consommation. Ce qui oblige les diffuseurs traditionnels à changer à la fois leur système de production, de distribution et de réception. Dans le souci de remplir leur mandat de service public, les médias publics se voient dans l’obligation de suivre les jeunes consommateurs sur leurs écrans mobiles. À cet effet, tous ont lancé des plateformes numériques afin d’offrir de nouvelles modalités de consommation : vidéo à la demande, visionnement différé ou rattrapage de contenu.

Cependant, le numérique n’apporte pas que des avantages. Il y a bien de nouvelles difficultés qui lui sont propres. Ces trois médias publics ont, dans leur mandat, l’obligation de collaborer avec les producteurs indépendants afin de promouvoir la culture et la créativité locales. Ils doivent stimuler l’industrie créative locale et faciliter sa diffusion. « La charte royale de la BBC lui fait obligation de travailler en partenariat avec tous les acteurs des secteurs culturels et créatifs de l’économie britannique. On s’attend même à ce que l’institution publique exerce un rôle de leadership à cet égard » (p. 124). Mais au Canada « CBC/Radio-Canada étant autorisée, voire contrainte, de tirer une part importante de son financement de la publicité, l’institution publique est plus perçue comme une concurrente par les entreprises privées œuvrant dans le même champ d’activité » (p. 124). Alors que les Canadiens et les Britanniques valorisent la production indépendante, France Télévisions double depuis 2018 son ratio de production interne pour des raisons économiques (p. 159).

Au milieu de cette collaboration complexe s’impose la nécessité de revoir les droits d’exploitation des œuvres. Les anciennes clauses ne répondent plus aux nouveaux problèmes que soulève le numérique, lequel rend possible l’exploitation des œuvres sur plusieurs plateformes d’une même compagnie. Mais aussi et surtout l’accessibilité aux contenus à l’échelle internationale sur une période illimitée.

Une difficulté récurrente se montre dans l’étude de chacune des trois sociétés de médias. Il s’agit de la cohabitation difficile entre les médias et les pouvoirs politiques, surtout lorsque le fonds de fonctionnement des premiers est lié aux décisions des seconds. Sur ce plan, du fait du poids politique sur son budget, Radio-Canada est en apnée, comparée à la BBC et à France Télévisions. Durant les années 2010, la mutation des annonceurs vers le web n’a cependant pas représenté le défi le plus important de la Société Radio- Canada (SRC). Certes, ses revenus publicitaires ont enregistré un certain recul, mais ce sont plutôt les compressions budgétaires du gouvernement conservateur qui ont affecté le plus le fonctionnement du diffuseur public : « 115 millions de dollars en moins et 650 postes abolis en 2012 et 130 millions en moins et 657 postes abolis en 2014, c’est le choc direct qu’ont dû absorber le service public et le personnel des services anglais et en français de CBC/Radio-Canada à travers tout le pays » (p. 77).

Auparavant, en 2009, Nicolas Sarkozy avait modifié la loi afin de pouvoir nommer le président de France Télévisions (p. 134), remettant davantage en cause l’indépendance des médias vis-à-vis des pouvoirs. Cette responsabilité est désormais confiée au Conseil supérieur de l’audiovisuel depuis la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public.

Internet lance l’éternel débat sur la gratuité de l’information. Depuis son intégration dans la diffusion des nouvelles, de nombreux titres ont mis la clé sous le paillasson par manque de publicité. Par ailleurs, la diffusion gratuite de l’information de qualité pour tous les citoyens est l’essence du mandat des diffuseurs publics.

Afin de maintenir l’équilibre malgré la migration des ressources publicitaires, ils se voient obligés de trouver de nouveaux revenus. Pour cela, la plupart doivent faire le choix de vendre soit leurs programmes, soit leurs consommateurs, autrement dit, leur audience. C’est dans cette optique que Radio-Canada a mis en place un dispositif de personnalisation de ses usagers. « Dans cet écosystème, argent et audience sont étroitement liés », signale la productrice Cheryl Hassen (p. 73).

Alors que Radio-Canada est « autorisée, voire contrainte, de tirer une partie importante de son financement de la publicité » (p. 124) presque au même titre que les médias privés, France Télévisions se distingue de ces derniers en ne diffusant plus de publicité sur l’essentiel de ses chaînes entre 20 h et 6 h. La vénérable BBC a quant à elle pu maintenir son équilibre sans publicité. Elle gagne toutefois des revenus commerciaux différents des revenus publicitaires. « Ce dilemme a toujours caractérisé une CBC/Radio-Canada partagée entre, d’une part, la nécessité de tirer des revenus de la publicité pour financer ses activités et, d’autre part, l’obligation de s’acquitter de son mandat en priorisant les besoins du public plutôt que le succès populaire et la rentabilité » (p. 63).

La course à l’audience dans le souci d’obtenir des revenus publicitaires affecte la vocation de service public, comme en témoigne Alain Saulnier qui évoque sa « lente mise à mort » : « Les émissions qui ne rapportent pas de revenus risquent d’être progressivement sacrifiées, même celles qui sont au cœur du mandat du service public » (p. 42) . L’abandon de la couverture du sport amateur par Radio-Canada en est l’une des conséquences directes.

En somme, estiment les auteurs, les réseaux numériques, s’ils présentent des avantages, posent de nouveaux problèmes aux médias de service public, « entre autres en propageant une culture de la gratuité qu’ils ont largement contribué à instaurer ». Cependant, la gratuité de l’information n’est pas une émanation des médias, qu’ils soient publics ou privés. Elle est plutôt une imposition des GAFAM, établissant une réalité qui ne laisse pas d’autre option aux médias. Ceux-ci se trouvent contraints, pour essayer de reconquérir leur part de marché graduellement perdue, de refondre leur modèle d’affaires en tenant compte de la concurrence disproportionnée des nouveaux acteurs de la haute technologie audiovisuelle.

Quoique la transition numérique était déjà perçue comme une nécessité, les médias se sont montrés plus ou moins timides dans ce nouveau virage. Alors que la BBC consacrait 9,5 % de son budget de l’année 2010 au numérique, France Télévisions n’y avait consacré que 1 % (p. 149). Pourtant, malgré ce modeste investissement, les retombées sont palpables : les données d’audience indiquent « 21 millions de visiteurs uniques âgés de 15 ans et plus en 2017 et 141 millions de visites sur l’ensemble des sites web, sites mobiles et applications mobiles de France Télévisions, soit une progression de 33 % en un an » (p. 156).

Même si sa chaîne Channel Three, lancée en 2003 avec mandat de développer une programmation novatrice ne diffuse que sur internet depuis 2016, la BBC traîne les pieds pour investir dans le numérique : « […] la direction souhaite y investir prudemment, à petits pas » (p. 116). Dans son budget 2018-2019, la BBC ne consacre que 8 % aux services en ligne, tandis que 72 % sont consacrés à la télévision et 20 % à la radio (p. 111).

Il est important de rappeler le rôle qu’occupe le numérique dans la diffusion des programmes de la BBC à l’international. Cependant, une étude comparative entre les services internationaux des trois sociétés médiatiques demeure complexe. La BBC couvre les 4 coins de la planète alors que Radio-Canada n’exerce presque aucune influence à international et bat des ailes pour la stabilité de son audience nationale. En France, les médias publics destinés à l’international sont regroupés au sein de France Médias Monde et sont donc distincts des chaînes nationales qui relèvent de France Télévisions.

Par ailleurs, les auteurs ont écarté la question de l’effet de la transition numérique des télévisions sur l’économie des journaux, mais la mise en ligne de 42 sites web locaux rien qu’en Angleterre n’est pas un bon augure pour la performance de la presse papier, surtout si elle doit dépendre des revenus publicitaires. 

Gaëtan Tremblay, Aimé-Jules Bizimana et Oumar Kane (2019). Le Service public médiatique à l’ère numérique – Radio-Canada, BBC, France Télévisions : Expériences croisées. Montréal : Presses de l’Université du Québec, 222 p.

Ayouba Sow est doctorant en sciences de l’information
et de la communication à l’Université Côte d’Azur.




Notes

1

Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société.



2

Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.






Référence de publication (ISO 690) : SOW, Ayouba. Gaëtan Tremblay, Aimé-Jules Bizimana et Oumar Kane : Le Service public médiatique à l’ère numérique. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2020, vol. 2, n°5, p. R101-R104.
DOI:10.31188/CaJsm.2(5).2020.R101


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