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Nouvelle série, n°6

1er semestre 2021

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Quel renouvellement du traitement de l’information sur Snapchat ?

Arnaud Mercier, Université Paris 2

Résumé

Snapchat est venu offrir un nouveau dispositif d’accès à l’information (Discover), singulièrement pour la jeunesse, en ouvrant aux rédactions des opportunités de présentation des informations animées, interactives et ludiques. En tenant compte des critiques émises contre les plates-formes les plus génératrices d’audience (Facebook, Twitter…), Snapchat laisse aux journalistes une plus grande maîtrise de leurs contenus éditoriaux pour pouvoir inventer leur snapchatisation des contenus. Mais ces innovations possibles aboutissent paradoxalement à un retour vers les problématiques bien connues du design de l’information dans la presse magazine.

Abstract

Snapchat has come to offer a new device for accessing news (Discover), especially for young people, by opening up opportunities for newsrooms to present animated, interactive and fun news. Taking into account the criticisms leveled against the platforms that generate the largest audience (Facebook, Twitter, etc.), Snapchat gives journalists greater control over their editorial content so that they can invent their own snapchatization of contents. But these possible innovations paradoxically lead to a return to the well-known problems of the design of information in the magazine press.

DOI:10.31188/CaJsm.2(6).2021.R51





S

napchat est un réseau social dont la fonctionnalité première est le partage de photos et de vidéos éphémères entre ses utilisateurs, exclusivement via nos smartphones. L’application est lancée en septembre 2011 sur l’App Store d’Apple et en novembre 2012 sur Android. Elle ne décolle que très lentement. En 2013, elle lance une nouvelle fonctionnalité qu’elle nomme Stories. Le concept est que les utilisateurs peuvent partager des contenus multimédia éphémères qui ne seront consultables que pendant 24 heures. Les utilisateurs peuvent ainsi partager toute leur journée avec leurs amis. Comme pour tous les autres réseaux socionumériques populaires, des journalistes en font une appropriation non prévue par les créateurs du dispositif. Certains partagent les coulisses des rédactions quand d’autres partagent des petites vidéos d’information. Snapchat, y voyant un relais de visibilité, voire de croissance, a réagi à cette utilisation journalistique en créant le dispositif Discover, d’abord aux États-Unis le 27 janvier 2015, qui permet à des éditeurs sélectionnés de créer un minimagazine interactif quotidien accessible gratuitement sur le téléphone de leurs abonnés.

Suivant le système dit des Stories, Discover permet à des médias de présenter des contenus qui peuvent être consultés pendant 24 heures, avant d’être remplacés par de nouveaux contenus le lendemain. Au lancement de cette plateforme, douze médias étaient partenaires : National Geographic, CNN, MTV, Cosmopolitain, Daily Mail, Vice, Yahoo! News, People, Food Network, Comedy Channel, Warner Music, ESPN et en plus Snapchat y a prévu un espace pour sa propre chaîne afin de diffuser ses contenus ou de valoriser ceux de certains de ses utilisateurs. L’utilisateur accède gratuitement à la plateforme et aux contenus qui y sont publiés. Il peut choisir le média qui l’intéresse et consulter les contenus librement.

Le 15 septembre 2016, le réseau social a ouvert sa plateforme aux médias français. Huit médias ont alors publié des contenus exclusifs et/ou retravaillés, avec les codes visuels de Snapchat. On y retrouve : Le Monde, Melty, Paris Match, Konbini, L’Équipe, Tastemade, Cosmopolitan et Vice.

Les médias qui sont sélectionnés sur appel d’offre, ont dû produire des éditions pilote pendant 2 à 4 semaines (soit près de 330 contenus tests pour Le Monde par exemple), que Snapchat a regardés avec attention avant de donner son accord. Snapchat gère Discover avec une logique d’éditeur de contenus, puisqu’il choisit soigneusement son cocktail de titres : titres traditionnels et médias nés en ligne, médias spécialisés, pour garantir une faible redondance des contenus : informations généralistes pour Le Monde, sport pour L’Équipe, recettes de cuisine pour Tastemade, féminin pour Cosmopolitan, 2 titres pour le public jeune avec Konbini et Melty car les jeunes sont le cœur de cible.

Le potentiel de l’audience est perçu à l’époque comme considérable pour les médias. Et notons de suite que cela reste encore un pari incertain, puisque la consommation d’information sur Snapchat peine à décoller. Dans son rapport annuel, le Reuters Institute note qu’en 2019 la proportion de ceux qui disent avoir utilisé au moins une fois Snapchat pour accéder à de l’information la semaine passée atteint au mieux 6 % en France et en Irlande, 4 % en Australie ou au Canada (Newman, Fletcher et al., 2019, p. 19). La journaliste et responsable de formation Alice Antheaume, sur son blog, consacra un papier à ce lancement français en répondant à la question « pourquoi Snapchat Discover s’installe-t-il en France ? » (Antheaume, 2016) :

Parce qu’il y a un bassin important d’utilisateurs français de Snapchat. Parmi les 150 millions d’utilisateurs quotidiens de Snapchat dans le monde, la France en compte 8 millions. "C’est énorme, c’est sans doute le deuxième réseau social utilisé en France", s’enthousiasme Michael Szadkowski, du Monde. Une "communauté" que l’équipe de Snapchat, venue à Paris pour l’occasion, juge prometteuse. D’autant que les agences de publicité et les annonceurs dans l’hexagone se sont dits prêts à investir sur ce réseau – on recense déjà les publicités de Schweppes, Sephora, Louis Vuitton en ce premier jour d’éditions françaises. 

Et à ce moment précis, 70 % des utilisateurs avaient moins de 25 ans, donc il s’agissait bien d’une manière de cibler un public précis.

Depuis, pour l’app américaine, une trentaine de nouveaux titres ont rejoint Discover en mars 2017, dont le New York Times, le Washington Post, Buzzfeed, Harper’s Bazaar, Essence, Entertainment Weekly, MTV, Popular Mechanics, Vox, iHeartRadio… En France, L’Express, Society, MTV et Vogue sont les quatre nouveaux médias qui ont intégré la rubrique Discover, le 30 juin 2017. « On fera une story par semaine, mais elle sera plus longue », explique Guillaume Dubois, directeur de L’Express. « Il faudra compter entre cinq et dix minutes pour la regarder en entier ». Society décide de publier une fois par semaine, Vogue trois fois par semaine. Depuis lors, année après année, l’offre s’est étendue, Discover France accueillant BFMTV, 20 Minutes, Brut, Vogue, Society, France TV sport, Topito, MAD, Arte, Chefclub, Loopsider, 01net, Le Figaro, RMC, MadmoiZelle.com, Cuisine Actuelle, Radio France, Europe 1, BeIN sport, ou récemment Le Parisien, Stylist, Marie Claire, Magicmaman, Geo, Business Insider. Le tout avec une montée en puissance des formats vidéo, notamment à défilement vertical.

Dans un contexte de plateformisation de l’information, où les plates-formes servent de plus en plus souvent de vecteurs d’accès à l’information pour les publics, singulièrement jeunes, on assiste bien à une forme de snapchatisation de l’information. Mais pas ici au sens d’une « emprise » ou d’une « dépendance » économique et algorithmique (Sebbah, Sire et al., 2020). Le niveau d’audience atteint, n’égale pas (encore ?) les performances moyennes de Facebook ou même de Twitter. La circulation des contenus n’est pas virale et construite avec des algorithmes liés aux succès de partage et de like. L’entrée dans l’information se fait par un titre de presse identifié, qui offre un support maîtrisé, comportant une « une » et un sommaire, évitant tout picorage aléatoire de l’information comme avec les autres plates-formes. Les éditeurs de presse ne se doivent pas de valoriser leurs contenus sur Snapchat comme sur d’autres réseaux socionumériques, avec l’espoir fébrile de bénéficier de ces dispositifs de captation de l’attention pour guider le lecteur vers leur site titre. Le contenu sur Discover est produit spécialement pour ce dispositif, même s’il s’agit souvent d’une forme de recyclage de l’information traitée pour le site et l’application mobile du média. Il ne comporte que quelques informations sélectionnées, qui servent au mieux de vitrine au titre, ou qui visent à installer dans le temps la marque et le désir d’information chez un public jeune. Cette différence de contexte et de stratégie de la « presse de plate-forme » est soulignée dès 2017 par le Tow Center for Digital Journalism de la Columbia University (Bell, Owen, et al.), distinguant entre la production maîtrisée de « contenus natifs » et la « recherche d’audience » dépendante.

Notre étude a été conduite avec l’aide active de deux étudiants en master (Julien Rizzo en 2017 et Fostine Carracillo en 2018) qui ont conduit une dizaine d’entretiens auprès de journalistes en charge de Snapchat dans leur rédaction (Konbini, Le Monde, L’Équipe, L’Express et Paris Match). Ces interviews avaient pour but de comprendre leurs choix de jouer la carte Snapchat. En parallèle, l’étude de contenus porte sur les reportages publiés dans les médias français présents à l’époque sur Discover, par tranches successives de quinze jours aux printemps 2017 puis 2018. Ce travail nous amène à poser l’hypothèse que Snapchat ne relève pas de la même problématique que les travaux réalisés sur l’influence de Facebook et Twitter sur la production d’informations. Il apparaît en effet que le questionnement le plus pertinent pour étudier l’information produite sur Discover n’est pas la dépendance ressentie au dispositif, mais plutôt l’appropriation créative que les journalistes ressentent et pratiquent. Dès lors que les créateurs de Snapchat ont décidé de négocier avec la presse la répartition de la valeur et les formats, en laissant de l’autonomie aux journalistes, l’angle saillant de l’analyse est de pointer comment ces contenus sont une forme modernisée de mise en scène graphique de l’information. L’enrichissement multimédia et ludique des contenus renoue alors, selon nous, avec les pratiques éditoriales liées au design de l’information dans les magazines d’information. La nouveauté paradoxale de Discover serait-elle donc de faire un retour vers la presse magazine ? Les modes de captation de l’attention sur cette application mobile prisée de la jeunesse seraient-ils inspirés des expériences éditoriales de la presse écrite ?

L’objet du présent article est de revenir sur la manière dont Snapchat a cherché à séduire, grâce au lancement de sa plateforme Discover, une sélection de médias d’information pour en faire les pionniers d’une nouvelle offre éditoriale. Snapchat a réussi à convaincre plus d’une dizaine de médias français de faire le pari de s’y investir, en présentant Discover comme un nouveau territoire plein de promesses pour développer la créativité des contenus, pour rajeunir leur lectorat, pour monnayer équitablement une audience et pour repenser le design de l’information. Nous interrogerons dès lors les principales caractéristiques du style Discover qui permettent de cerner les éléments constitutifs d’une snapchatisation des contenus de presse.

La promesse d’un public jeune à fidéliser

Atteindre le public jeune est la grande promesse faite par Snapchat et qui est pour le coup au rendez-vous. Les jeunes utilisent beaucoup Snapchat, plus que d’autres réseaux socionumériques (RSN) et le préfèrent. Selon une consultation en ligne annuelle menée auprès de 4312 jeunes Français âgés de 16 à 25 ans par le site Diplomeo.com (Leroux, 2020) Instagram et Snapchat se disputent les faveurs des adolescents et jeunes adultes en 2019. Chez les 16-18 ans, 89 % des répondants ont un compte Instagram et 85 % un compte Snapchat. Chez les 19-21 ans, les chiffres sont quasi identiques : 85 % et 82 %. Alors que pour Facebook et Twitter, 36 % des 16-18 ans et 41 % ont un compte. La doctorante en sociologie Margot Déage confirme ces données par son enquête auprès des collégiens en 2018. « Snapchat est devenu le réseau social le plus utilisé par les adolescents », dit-elle. Presque les deux tiers des adolescents qu’elle a interrogés dans son enquête de terrain affirment s’être connectés à Snapchat au moins une fois dans la semaine écoulée. Et Snapchat arrive en tête dans tous les collèges, quelle que soit la composition sociale dominante de ces établissements, montrant que ce réseau est un phénomène générationnel interclassiste. Ces données sont cohérentes avec ce que l’on connaît aux États-Unis, où au printemps 2018, 69 % des adolescents interrogés par le Pew Research Center déclaraient avoir un compte, dont 35 % déclaraient s’en servir tous les jours. Une enquête de eMarketer conduite aux États-Unis en novembre 2019 permet d’affiner ces données : 66,5 % des 12-17 ans activent leur compte Snapchat au moins une fois par mois, 81,3 % des 18-24 ans (cité dans Iqbal, 2020).

Et si les jeunes accèdent ainsi à de l’information, sur leur smartphone le plus souvent, c’est plutôt à la place d’autres formats. Il y a donc l’espoir dans les rédactions que Snapchat fasse connaître et aimer la marque et que les jeunes deviennent un peu plus tard des lecteurs du site ou de l’appli mobile.

« C’est hyper intéressant pour nous du coup d’être visible sur cette plateforme pour pouvoir toucher ce public-là. » explique Jean-Guillaume Santi, responsable de Snapchat Discover au Monde. « La moyenne d’âge sur notre site desktop, sur ordinateur, est de 46 ans, et sur l’application mobile, elle est de 40 ans. Sur Discover, on a une moyenne de quelque chose comme 70 % de moins de 25 ans. En gros c’est un nouveau public qu’on n’arrivait pas à toucher par nos supports traditionnels. » (Entretien réalisé par Julien Rizzo 30 juin 20171)

Il en va de même pour L’Équipe. Emmanuel Alix, rédacteur en chef de L’Équipe Discover informe que les principales raisons de l’arrivée du média sur cette plateforme sont des raisons d’audience : « La première c’est qu’on a analysé les audiences de Snapchat et les audiences de L’Équipe et il y avait 80 % des utilisateurs de Snapchat qui ne venaient pas du tout sur l’application L’Équipe. On avait donc une audience à aller conquérir. C’est donc le premier élément. Le deuxième élément c’est l’audience très jeune de Snapchat, 70 % ont moins de 24 ans. C’est une cible que l’on veut conquérir, quand on est un média comme nous, on a besoin d’aller séduire les jeunes pour devenir leur média de référence. On avait donc besoin de toucher une cible jeune. » (Entretien avec Emmanuel Alix, 13 juillet 2017)

Une nouvelle audience se constitue donc en dehors du lectorat habituel du média. Marion Mertens, rédactrice en chef du numérique de Paris Match explicite cette création d’audience « Je crois que c’est ça qui est intéressant pour nous, c’est que ça ne marche pas sur les pieds des autres [supports] même si je pense qu’il y a sur le site des petits chevauchements. […] Je crois que c’est un support de plus pour nous. Je ne pense pas que ça bouffe sur les autres audiences, non. » (Entretien du 28 juin 2017)

Dans un article publié par L’Express afin de célébrer le premier anniversaire de Discover, Guillaume Dubois, directeur de la rédaction de L’Express, s’enthousiasme : « Snapchat est une opportunité formidable pour L’Express, près de 65 ans après sa création, de s’adresser à une partie du public qui s’informe aujourd’hui davantage sur les réseaux sociaux que sur les supports d’information plus traditionnels » (Dubois, 2017).


Figure 1. Premier snap de Konbini sur Discover France

Discover génère donc une audience propre, y compris chez Konbini. Bien que ce média né en ligne possède un lectorat déjà jeune, Sarah Dahan, (rédactrice en chef de Konbini Discover) affirme que c’est une audience différente du site, d’où une écriture clin d’œil et encore plus « jeune », comme en témoigne le tout premier snap de Konbini sur Discover France, le 15 septembre 2016 (figure 1).

Le site est plutôt consulté par des 25-30 ans alors que l’édition Discover par des 15-20 ans : « sur Snapchat, c’est un public assez adolescent et sur le site c’est plus âgé. » (Entretien du 6 juillet 2017 avec Sarah Dahan)

Pour conclure sur l’aspect démographique, on comprend que l’engagement des médias sur Snapchat répond à une logique de rajeunissement de l’audience et de fidélisation précoce. On retrouve un raisonnement bien connu des banquiers (Sueur, Paquerot et al., 2008) qui proposent des offres spéciales pour l’ouverture d’un premier compte, en espérant ainsi fidéliser la clientèle pour longtemps. « Lors d’un sondage l’autre jour sur six cent cinquante réponses, on en a que deux qui lisaient Le Monde sur d’autres supports. C’est vraiment un nouveau public, c’est vraiment des gens qui découvrent Le Monde ou la marque Le Monde à travers Discover. Et même s’ils ne vont pas tout de suite sur l’application mobile, le simple fait de les habituer à consommer de l’information sur notre titre en termes de visibilité c’est bien pour nous », précise encore Jean-Guillaume Santi. Mais cela reste, dès l’époque, un pari incertain en termes de retour sur investissement comme l’écrivent des étudiants américains enquêtant sur le Discover américain : « Lors de nos entretiens, il est apparu clairement que Snapchat est compris par les éditeurs comme un moyen gourmand en ressources pour créer une marque reconnaissable auprès du jeune public, et que les articles instantanés (Facebook) sont un moyen d’atteindre un public plus large facilement, mais le tout sans rentabilité. » (Bell, Owen et al., 2017, p. 49)

La promesse d’une audience monnayée équitablement

L’autre promesse faite par Snapchat aux médias était une audience de masse dans la cible et en croissance continue. C’est globalement vrai, même si des changements d’interface de l’application (parfois jugés peu judicieux) ont pu casser la courbe de croissance des usages quotidiens, comme on le voit dans le graphique (figure 2).

Les premiers chiffres un mois après le lancement de Discover ont été très positifs pour les médias américains comme français. Selon l’hebdomadaire Stratégies du 17 octobre 2016, Melty totalisait chaque jour entre 800 000 et 1,2 million de visites, avec même un pic à 2 millions de visites le jour où il a présenté le dernier iPhone d’Apple en exclusivité. Certains jours, Melty a fait plus d’audience sur Discover que sur son site. Konbini tournait entre 500 000 et 700 000 visites par jour, Vice autour de 400 000, Le Monde et L’Équipe entre 200 000 et 400 000, chiffres non négligeables pour ce nouveau public qui s’offre à eux.

À l’été 2017, il était difficile d’avoir des chiffres d’audience réels. Emmanuel Alix de L’Équipe a divulgué quelques informations à Julien Rizzo : « Le chiffre intéressant c’est que chaque jour il y a 600 000 personnes qui consomment notre édition. » Il est également possible de saisir quelques indications d’autres médias sur l’audience du meilleur article sur Discover en 2017. Ainsi, Marion Mertens indiquait que la plus grande audience réalisée était bien au-delà du million de visiteurs. À la question « Vous avez les chiffres


Figure 2. Nombre d’usagers quotidiens de Snapchat dans le monde. Source : Statista, 2020, d’après données Snap Inc., 2020.

d’audience ? », Sarah Dahan de Konbini répond : « Bah je crois que je n’ai pas trop le droit de te les communiquer. Donc je n’ai pas envie de faire une bêtise. » (Entretien du 6 juillet 2017) Et si on lui demande un exemple de grand succès d’audience, elle est un peu plus prolixe : « Alors il y a une édition qui a très bien marché, il n’y a pas très longtemps. C’était le air tatoo. Ça a cartonné. C’était plus d’un million de vues. Et d’une manière générale, tout ce qui a attrait à la culture internet plaît beaucoup. »

Couplée à cette promesse d’audience conséquente, Snapchat s’est positionné comme un réseau social capable de répondre aux craintes et objections formulées par les médias contre ses concurrents plus installés (les fameux GAFA), à savoir la captation publicitaire (Sire et Sire, 2015). La dernière promesse essentielle de Snapchat concerne en effet le partage de la valeur publicitaire. Si les snapchatteurs peuvent consulter gratuitement les contenus des médias, c’est grâce à la publicité intégrée dans les éditions. À l’origine, Snapchat propose aux médias des publicités produites par des annonceurs, ciblant le public jeune du réseau social. Mais ils sont en droit de les refuser si elles ne s’accordent pas avec le contenu de l’édition. Les publicités insérées sur Discover sont assez chères payées par les annonceurs, (c’est un spot « très désiré » selon le magazine Fortune), et les revenus générés sont partagés entre le média et Snapchat : si c’est Snapchat qui vend la pub, en insérant entre les contenus de l’éditeur une page d’une seconde, c’est 70 % pour Snapchat, et 30 % pour le média. Si c’est l’éditeur qui commercialise la publicité, la répartition est plus équitable. Et mieux encore, les médias peuvent se proposer pour fabriquer les encarts publicitaires et vendre leur savoir-faire et la valorisation de la marque au bon endroit. Snapchat offre un dispositif favorisant la création de publicités natives, soit « la pratique par laquelle un spécialiste du marketing emprunte la crédibilité d’un éditeur de contenus en présentant un contenu payant avec un format et un emplacement qui correspondent au contenu original de l’éditeur. » (Wojdynski et Golan, 2016, p. 1403)

Dans une interview au blog monfrenchflair.fr, le 19 septembre 2016, Alexandre Malsch, fondateur et Directeur général du groupe Melty se réjouissait de l’arrivée sur Discover, sachant qu’ils avaient déjà beaucoup investi sur Snapchat, et avec succès. Il vante le potentiel commercial de Discover pour les collaborations fructueuses possibles avec l’équipe de « Melty brand stories », dédiée à la création d’histoires pour les marques sur les réseaux sociaux : « Notre premier partenaire dans l’aventure Discover, c’est Sephora. Nous avons eu carte blanche : nous savons parler aux jeunes. Ce sont eux qui construisent les tendances de demain. » Le résultat, ce sont des créations exclusives qui mettent en avant certains produits de la marque. « Nous sommes très fiers. Ils nous ont fait confiance au point de nous laisser modifier une partie de leur logo et de l’animer, pour qu’il fasse un clin d’œil aux utilisateurs. Nous sommes dans une logique de coproduction, de partenariat sur le long terme. » Cela se traduit par un takeover : Sephora a réservé l’ensemble des emplacements publicitaires de la première édition de Melty sur Discover. « Tous les 4 snaps Melty, les utilisateurs retrouveront un snap sponsorisé. Ils pourront descendre sur la publicité et retrouver des contenus éditoriaux originaux créés par les équipes de Melty brand stories. »

Jean-Guillaume Santi explique le modèle économique et les objectifs de cette édition pour Le Monde : « On n’y va pas uniquement pour faire de la visibilité, on y va aussi pour monétiser cette édition. En gros, tous les trois snaps dans notre édition, il y a une publicité qui peut être soit proposée par la régie publicitaire du Monde, soit proposée par la régie publicitaire de Snapchat, et en gros dans les deux cas, il y a un accord de partage de revenus. Il y a en tête l’idée de créer un business model autour de cette plateforme-là, et de la rentabiliser un maximum. » (Entretien du 30 juin 2017). Avec 20 % ou 30 % des recettes publicitaires, la rentabilité est dure à atteindre. Emmanuel Alix explique que pour L’Équipe « On a connu deux mois depuis le lancement où on a généré autant de revenus que de coûts. […] Mais bon le mois d’après ce n’était plus le cas quoi. Ce n’est pas encore très stabilisé. » (Entretien du 13 juillet 2017). Mais c’est l’occasion de proposer de nouveaux formats aux annonceurs, comme l’indique ce fier communiqué de presse de lancement de la régie publicitaire du journal L’Équipe (Team Media – L'Équipe, 2016) :

La fonctionnalité Discover de Snapchat est lancée en France depuis ce matin, un an et demi après sa création aux Etats-Unis. Seul media de sport présent sur Discover, L'Équipe publiera une édition quotidienne à 19h, 7 jours sur 7. A cette occasion sa régie publicitaire, Team Media, propose une nouvelle offre commerciale.

Nouvelle forme d'écriture innovante, multimédia et décalée, la fonctionnalité Discover de Snapchat constitue un vecteur idéal pour mettre en avant la richesse des contenus de L'Équipe : photos, vidéos, data, articles, coulisses…. Avec ce contexte valorisant et positif, L'Équipe sur Discover représente une nouvelle opportunité pour toucher et engager de nouveaux publics (30 ans de moyenne d'âge et un indice d'affinité de 182 sur les 18-34 ans).

La régie publicitaire de L'Équipe propose « Snap Ad », un nouveau format publicitaire sous forme de vidéo full screen, pour communiquer auprès des 8 millions d'utilisateurs français quotidiens de I’application de partage de photos. Ces vidéos viendront enrichir le contenu de L'Équipe au sein de la plateforme Discover et seront totalement intégrées dans le flux éditorial, favorisant ainsi un meilleur engagement auprès des utilisateurs.

Team Media propose a ses annonceurs plusieurs dispositifs commerciaux efficaces et compétitifs pour communiquer sur Snapchat Discover. Pour la première semaine de présence de L'Équipe sur la plateforme, Warner Bros France inaugurera le dispositif avec une communication consacrée a son dernier long métrage, War Dogs.

D’après Marion Mertens, rédactrice en chef numérique de Paris Match, les annonceurs ont eu du mal à bien comprendre le système au début : « Les publicitaires français sont encore un peu fébriles sur le fait d’investir mais ça fait de plus en plus de buzz, enfin les gens se rendent compte que c’est vraiment un truc nouveau. » (Entretien du 28 juin 2017)

En somme, l’engagement sur Snapchat permet de renouer avec la publicité rédactionnelle bien connue dans la presse magazine, à savoir « un type de message hybride qui se fond, par sa forme, dans le contenu éditorial du médium qui l’accueille » (Galluzzo, 2016, p. 104), afin de répondre à l’objectif tactique de « faire oublier au spectateur l’intention commerciale des auteurs du message et renforcer par là sa crédibilité. » (Tanaka, 1994, p. 42)

Pour séduire encore davantage les futurs médias partenaires, Snapchat a incorporé à sa plateforme de l’A/B Testing. C’est une technique de marketing qui consiste à proposer plusieurs variantes d’un même objet qui diffèrent selon un seul critère afin de déterminer la version qui donne les meilleurs résultats auprès de l’audience. Cela permet de choisir la couverture qui fonctionne le mieux auprès des jeunes afin d’avoir plus d’audience et par la suite plus d’annonceurs. Si Snapchat adoptait pour slogan à son lancement « We count on editors and artists, not clicks and shares, to determine what’s important. »2, depuis il utilise des algorithmes afin de sélectionner la couverture qui recueille le plus de clics. Marion Mertens explique que « sur Discover, l’éditeur a la possibilité de faire quatre couvertures différentes, avec des titres et des visuels différents. La couverture privilégiée est celle qui va avoir la meilleure réaction auprès du public selon un algorithme qui teste pendant un moment, je ne sais pas exactement, mais je dirais pendant quelques heures. Celle qui recueille le plus d’ouvertures et qui fonctionne le mieux en fonction du texte et de l’image est privilégiée pour le reste de la journée. » (Entretien du 28 juin 2017)

La promesse de la créativité

Discover est la première plateforme insérée dans un réseau social qui diffuse des contenus exclusifs d’information en partenariat avec des médias reconnus tout en les obligeant à respecter les codes visuels de Snapchat et en les appelant à être « créatifs ». C’est ce que Snapchat affirme dans sa vidéo de lancement aux États-Unis et dans son discours associé, diffusés le 27 janvier 2015 sur le site internet de Snapchat. Cette vidéo de lancement de 58 secondes est une vidéo publicitaire qui invite les utilisateurs de Snapchat à adhérer à la nouvelle plateforme. Le discours qui l’accompagne vante donc un réenchassement du médiatique dans le réseau socionumérique, contrairement aux logiques des autres réseaux socionumériques :

Les entreprises de médias sociaux nous disent quoi lire en fonction de ce qui est le plus récent ou le plus populaire. Nous le voyons différemment. Nous comptons sur les éditeurs et les artistes, et non sur les clics et les partages, pour déterminer ce qui est important.

Discover est différent car il a été conçu pour les créations. Trop souvent, les artistes sont obligés de s’adapter aux nouvelles technologies pour diffuser leurs œuvres. Cette fois, nous avons construit la technologie au service de l’art : chaque édition comprend des photos et des vidéos en plein écran, de superbes mises en forme longues et de superbes publicités.

Discover est nouveau, mais familier. C’est parce que les histoires sont au centre des préoccupations – il y a un début, un milieu et une fin pour que les rédacteurs puissent tout mettre en ordre. Chaque édition est mise à jour après 24 heures – car l’actualité aujourd’hui, c’est l’histoire de demain.

Discover est amusant et facile à utiliser. 

Discover incite donc au développement de l’usage des animations, de la mise en mouvement de l’information, lui assurant une forme de modernité censée plaire aux jeunes. La grande majorité des éditeurs ont accepté ce présupposé et lient Discover à l’image, au son et à la création. Ils ne définissent pas Discover comme une plateforme de presse mais comme une plateforme de créateurs, une nouvelle manière de produire de l’information. Comedy Central souligne que Discover est « a new avenue to be creative. » L’Équipe parle d’une « nouvelle forme d’écriture innovante, multimédia et décalée […] pour mettre en avant la richesse [de ses] contenus ». La forme apparaît alors plus importante que le fond. La nouveauté de Discover est son accent sur le visuel et l’animation. C’est ce que traduit le communiqué inaugural du Daily Mail en indiquant « Des news et du divertissement dans notre style et avec notre substance, mais aussi fait sur mesure pour ce nouveau canal de diffusion. » Les responsables du Monde tiennent le même discours sur la créativité, la logique du clin d’œil, du décalage dans un communiqué de presse du journal du 15 septembre 2016 annonçant sa première parution sur Snapchat Discover : « Tout en restant fidèle aux valeurs du Monde, Le Monde sur Discover propose une expérience immersive graphique et sonore totalement nouvelle avec des formats animés et des contenus synthétiques et pédagogiques conçus pour des jeunes lecteurs ». Voilà pourquoi, Snapchat est présenté comme « un formidable laboratoire pour la rédaction du Monde, qui a été renforcée à cette occasion. »

En clair, il ne suffit pas de distribuer les liens en l’éditant avec un bon titre et une photo comme on le fait sur Facebook et Twitter. Il faut « construire un format qui met la narration en exergue », explique Snapchat. Sachant que chaque éditeur produit une dizaine de sujets par jour sur Discover, on comprend l’ampleur du travail. La production de contenus sur Snapchat requiert donc des compétences en graphisme et en animation qui ne sont pas l’apanage de tous les journalistes. D’où l’emploi d’un personnel dédié dont des spécialistes vidéos et webdesign ou motion designer, comme le met en scène Le Monde, dans un format lui aussi décalé (figure 3).


Figure 3. Autoprésentation de l’équipe éditoriale du Monde dédiée à Snapchat

Chez Konbini, même type de combinaison : « On est huit en fait. Il y a un directeur artistique, Raphaël, moi qui suis rédac’ chef, il y a deux journalistes, deux motion designer. Et il y a deux stagiaires. » (Sarah Dahan, entretien du 6 juillet 2017) Côté éditeurs, c’est donc un investissement humain important. Pour produire sur Discover, Refinery29, un site de style, s’appuie sur une équipe de dix personnes. Chez Fusion, huit personnes sont employées, chez CNN, quatre personnes y travaillent à temps plein. « La production sur Snapchat est très très chronophage », souligne Ashley Codianni, executive producer pour les RSN de CNN, précisant qu’aucun autre réseau social ne bénéficie de telles ressources humaines. Chez Fusion, on évite le recyclage et on mise sur du contenu original fait « exclusivement » pour Snapchat, comme la série appelée Outpost, composée de mini-documentaires en vidéo d’une minute chacun, sur des territoires inexplorés, ou la série Vergaraland réalisée en format vertical, sur la carrière du mannequin et vedette Sofia Vergara, vue par les yeux de son fils. « Il est impératif que nous nous adressions à l’audience de Snapchat avec du contenu attrayant, fait sur mesure, pour chaque plate-forme », explique Daniel Eilemberg, de Fusion (cité par Antheaume, 2016).

Les grandes chaînes américaines, NBC, puis CNN, se sont associées avec Snapchat (166 millions d'utilisateurs quotidiens dans le monde à l'été 2017) pour concevoir un JT révolutionné dans sa présentation et son contenu. Ecran vertical (souvent coupé en deux) destiné aux smartphones, musique et, surtout, brièveté avec un format de 4 minutes pour celui de CNN… Car l'ambition est sans ambiguïté : révolutionner leur vieux bulletin d'info de façon à capter la cible des Millennials (15-30 ans) […]

C'est ainsi que, le 19 juillet, Gadi Schwartz, jeune reporter de NBC News, a présenté à 7 heures du matin la toute première édition d'un JT atypique, « Stay Stuned », en tee-shirt col en V et ton décontracté. […L]'édition de « Stay Tuned » a fait 29 millions d'utilisateurs un mois plus tard. […]

Nick Ascheim, président du numérique à NBC News, constate dans « Le Temps » : « "Stay Tuned" met en contact notre chaîne avec un public que nous ne pourrions sans doute pas toucher autrement » : l'âge moyen du spectateur de NBC est de 54 ans (Richebois, 2017).

L’ensemble de ces efforts de créativité ont pour objectifs d’améliorer la qualité et l’ampleur de l’engagement avec l’audience, notion-clé du journalisme migrant sur les plateformes.

Les formats narratifs de la snapchatisation de l’information

Le professeur en journalisme Paul Bradshaw s’enthousiasme dès 2016 pour Snapchat, un outil qui, dit-il, offre « des possibilités de narration vraiment puissantes que d’autres plates-formes n’offrent tout simplement pas » (p. 1). On peut en effet affirmer qu’il existe une véritable snapchatisation des contenus d’information puisque nous retrouvons chez tous les médias de Discover le respect des codes caractérisant Snapchat et sa plateforme d’information et qui rompent tendanciellement avec les modes de présentation de l’information sur les sites et les plateformes plus anciennes. Cela se voit avec évidence quand on compare la version Snapchat avec celle du site pour un même sujet et même média. Les journalistes le revendiquent d’ailleurs. Julien Jouanneau, rédacteur en chef adjoint de L’Express et responsable de la rédaction dédiée à Discover indique : « On essaie de prendre le contrepied de l’actualité, pour ne pas faire comme tout le monde. » (Carillo, 2018) (Entretien du 6 avril 20183) et de poursuivre : « On reprend parfois des dossiers du print que l’on rend plus attractifs et percutants. On s’éloigne du côté plan-plan du site et du magazine papier. »

Pour la comparaison du style et de l’écriture des articles, on peut prendre pour bon exemple un article publié sur le site internet de Konbini le 4 août 2017 et qui a été repris en « bottom snap » dans l’édition Discover du 8 août. C’est un article adapté car il traite du même sujet et de la même information, un vol de création artistique de rue, mais il est entièrement réécrit et remis en forme pour correspondre aux habitudes de consommation de Snapchat. Les articles du site servent en effet souvent de base textuelle (comme une dépêche d’agence) que le snap-journaliste se réapproprie ensuite à sa guise, sans référence au texte d’origine. Concernant les titres, les deux journalistes ont choisi des titres différents. Côté site, le titre reste informatif « À Paris, deux faux agents municipaux dérobent les mosaïques du street artist Invader » répondant ainsi aux exigences d’un référencement optimal par les moteurs de recherche. Le titre se veut plus incitatif sur Snapchat « Invader comment le street-artist star se fait piller ». Pour le chapô, l’article du site web est classique, en contenant les fameux cinq W qui résument l’affaire. Celui de Discover joue sur l’interpellation avec le point d’exclamation « Scandale à Paris ! […] On vous explique tout » chute finale pour donner l’envie de suivre la story. Sur le fond, l’article du web est assez similaire mais la mise en forme est modifiée. Sur Snapchat, Konbini joue sur les couleurs vives pour guider l’œil du lecteur. Chaque début de paragraphe est surligné en jaune pour capter l’attention et donner envie de lire la suite qui se compose de plusieurs snaps. L’enjeu est d’importance car la publicité apparaît tous les trois snaps ouverts, donc il faut pousser le lecteur à aller au bout. L’article de Discover est également davantage illustré. Alors que l’article du site web contient trois encarts vers des photos publiés sur Twitter, l’article de la plateforme contient huit photos dont les trois issues de Twitter. Ces photos donnent une compréhension plus immédiate et intuitive du sujet car elles livrent directement une information visuelle. Cette captation de l’attention s’effectue également par l’animation présentant l’article, puisque trois « fantômes » bougent sur l’écran en lien avec la musique, à la façon du jeu vidéo Pac-Man, ce qui rend ludique la lecture et fait écho au jeu d’arcane Space Invaders au cœur de l’inspiration artistique.

Les codes de la snapchatisation de l’information

On peut dresser une liste des principales caractéristiques du style Snapchat qui s’est imposé dès le début pour aborder des contenus d’information, et dont certaines font écho aux modes d’appropriation de Snapchat par les utilisateurs, les vidéos notamment (Lee et Kaufhold, 2019).

Un double standard rédactionnel. La force de Snapchat réside dans l’alternance entre un contenu très visible et séducteur, consommable en un coup d’œil (le top snap) composé d’une seule page (un seul snap dans une logique de brève, façon mini dépêche), et l’approfondissement de certains sujets avec les bottom snaps, dont le contenu peut se décliner sur plusieurs pages verticales auquel on accède en faisant glisser son doigt du bas de l’écran vers le haut. Paris Match (tout comme L’Express) alterne les top snaps qui ne font pas intervenir d’articles et ceux où figurent la mention « Lire » ou « Regarder » qui invite les lecteurs à accéder à un article plus élaboré en « swipant » sur leur écran (bottom snaps). La volonté de proposer des contenus pédagogiques et simplifiés est évidente. Les éditions sont davantage axées sur les top snaps (carte unique avec une info brève et très visuelle) et pour les bottom snaps, l’article n’est pas trop long et tout est fait pour qu’il ne soit pas ressenti comme fastidieux à lire.

Des vidéos très courtes. Pierre Lecornu, journaliste vidéo au journal Le Monde et membre de l’équipe qui produit les contenus sur Snapchat Discover, précise que « La vidéo est très importante dans les top snaps, ce sont ceux qui durent dix secondes, on les retrouve avec les formats "Points de repère" » par exemple. Les journalistes vont donner l’information à travers l’image avec l’utilisation d’infographies. C’est donc l’animation qui donne l’information » (entretien du 2 avril 2018). Au rebours des vidéos jouées en autoplay sur Facebook, les brèves animations de Discover se regardent le plus souvent avec le son, ce qui est en phase avec les usages des jeunes qui font leur propre stories avec du son.

Des animations graphiques. De nouvelles maquettes et un graphisme animé sont pensés comme un outil d’attraction du lectorat. Basé sur le visuel et l’animation, Snapchat organise son fonctionnement sur un marketing visuel avancé, avec recours aux snacks – des animations en motion design. Paris Match, qui cherche autant à divertir qu’à informer, recourt souvent aux jeux d’animation avec des photographies initialement fixes afin d’opérer un effet de caricature. Dans l’édition du 25 avril 2018, plusieurs snaps portent sur Gad Elmaleh. Sur l’un des snaps, le portrait de l’humoriste se déforme via diverses animations en lui agrandissant progressivement les yeux et en lui faisant ouvrir la bouche de façon répétée. Cela correspond au contenu écrit sur le même snap qui indique : « Gad Elmaleh s’excuse sans convaincre. » Les productions sur Snapchat « comprennent des icônes, des photographies et des textes en couleur, donnant au contenu un caractère informel et divertissant » constate d’ailleurs une étude sur le Snapchat d’un média brésilien et du New York Times (Colussi, 2018, p. 339).

Jean-Guillaume Santi pense donc que Discover conduit vers toujours plus de journalisme visuel :

ce que Snapchat nous fait faire, c’est de l’information taillée sur mesure pour écran mobile, en format vertical, 9/16. […] On va vers des formats qui donnent de plus en plus une grande part visuelle, à l’illustration, à l’image, à l’infographie et autres, parce que c’est ceux à quoi sert un smartphone, cet affichage visuel, et le fait que l’article, le trois mille signes, en Times New Roman, sur fond blanc, soit un peu la forme par défaut du journalisme et du journalisme web, oui je pense que c’est amené à s’effacer au profit du format plus visuel, plus synthétique. (Entretien du 30 juin 2017)

Les motion designers sont donc de véritables piliers pour la constitution des éditions sur Discover. Les photographies sont travaillées et retouchées quitte à déformer les portraits.

Il s’agit donc de proposer une véritable expérience multimédia, qui allie vidéo, photographie, gif, tout autant d’interfaces graphiques qui sont permises par la présence du média sur Discover et que Snapchat impose dans sa charte pour garantir une certaine identité visuelle d’accès aux contenus. La capacité à dessiner et écrire sur les photographies pour les enrichir, les commenter, pour jouer avec le sens est un marqueur décisif du style Snapchat. Dans leur étude comparative conduite à l’été 2016 entre le compte Snapchat du Washington Post et du journal brésilien Universo Online, Vanessa Kannenberg et Maíra Evangelista de Sousa font le même constat : « La plupart des snaps d’information sont des vidéos et comportent des fonctionnalités supplémentaires telles que des textes, des dessins réalisés à l’écran, des émoticônes, des effets de couleur, des effets d’accélération et de ralenti, le temps et la température, des géofiltres, etc. » (Kannenberg et de Sousa, 2017, p. 165)

Syntaxe et vocabulaire plus relâchés. Directement inspirées du parler jeune, les rédactions sur Discover s’autorisent des contenus écrits qui emploient l’argot et frôlent parfois la vulgarité. Dans l’édition du 2 février 2018 de L’Express, appelée « Les études à la con », plusieurs études sont reprises à chaque carte et font intervenir des titres avec des termes employés couramment par des jeunes. Nous relevons notamment « Étude la plus WTF » au troisième snap et « Le royaume du putaclic » au quatrième snap. L’édition du 2 mars 2018 s’intitule « Les Césars c’est dare ! ». Le ton est aussi plus ludique, et épouse la « culture LOL » que Monique Dagnaud a bien mise en exergue dans son étude sur les adolescents : « la navigation sur les blogs et les réseaux sociaux fait découvrir un espace mental fondé sur le rire, les jeux de sens, le goût de l’absurde. Le LOL. » (2013, p. 73) Les graphistes participent de cette culture de LOLisation de l’information sur Snapchat. L’édition du 9 février 2018 de L’Express présente un sujet sur Kim Jong-un intitulé « Kim Jong-un, le pire copain de la classe ». Le dirigeant nord-coréen est dessiné dans la position de la célèbre danse initiée par le chanteur Psy et son Gangnam Style. L’édition fait passer le chef d’État pour un enfant avec les mentions « Il copie sur ses camarades », « Il est intenable en sortie de classe » ou encore « Il veut pécho la Corée du Sud ». Il s’agit donc de répondre au langage des jeunes et de capter leur attention tout en les informant.

La ludification. Les éditions des différents médias présentes sur Snapchat font intervenir des jeux, des sondages ludiques, des pronostics, afin de faire participer les utilisateurs lors de leur lecture. Les quiz sont réguliers pour L’Équipe par exemple. Pour Le Monde c’est devenu une rubrique : « À vous de jouer » depuis mars 2018. À travers plusieurs propositions de réponses dont une seule est juste, cela permet de donner l’information sur un chiffre clé et de distribuer des détails dans la justification de la bonne réponse d’une façon plus originale que la simple rédaction d’une phrase constituant un article. Cosmopolitan fait des quizz liés à l’actualité permettant de recycler des anciens snaps : « As-tu bien suivi l’actu people du mois ? ». Il s’agit donc de proposer un nouveau style éditorial ludique. Via l’interface du jeu dit du Pendu, L’Express (25 mars 2018) a pu inviter ses lecteurs à retrouver le mot qui a fait l’actualité, un indice étant donné pour chaque lettre. Le lendemain, il propose un nouveau type de jeu dans son quatrième snap où il propose de retrouver le fait d’actualité à partir d’une suite d’émoticônes, façon rébus. Pierre Lecornu, journaliste vidéo à la rédaction Snapchat du Monde, reconnaît lors d’un entretien le 2 avril 2018 que puisque « le but est de faire participer le lecteur à l’édition. On a repris des codes qui existent déjà dans les magazines avec des jeux connus et même des jeux qui font partie de l’univers des jeunes : le pendu notamment. »

Conclusion : retour rétrofuturiste vers le design magazine

De toutes les promesses faites aux médias, la plus tenue de toutes est bien celle de la créativité. Si l’audience croît doucement depuis 2016, si les revenus publicitaires sont plus équitablement répartis que sur les autres plateformes où l’information est consommée, l’opportunité d’une saisie inventive et ludique de ce dispositif pour attirer de nouveaux lecteurs est le phénomène le plus notable. Et le développement récent de nouvelles opportunités en vidéo (comme des extraits de retransmissions sportives en direct durant l’été/automne 2020) ouvre encore de nouveaux horizons. Mais cette saisie journalistique du dispositif Snapchat se fait non sans paradoxe. Ce qui pourrait apparaître comme la pointe avancée de la modernité et du renouvellement de la consommation d’informations inscrit en réalité ses pas dans des pratiques éditoriales des temps de la presse magazine triomphante.

Depuis sa création, Discover a esthétiquement changé pour avoir l’apparence d’un magazine. Au lancement de la plateforme, la page d’accueil présentait tous les logos des médias sous forme de cercles. En juin 2016, le réseau social annonce la refondation du design de la page d’accueil afin que les médias ressemblent davantage à des pages de couverture de magazines. Les logos normalisés et sagement alignés des médias laissent place à des couvertures de magazines avec des titres informatifs et des photos indiquant le contenu. Ensuite les médias peuvent choisir des unes de magazine avec effet coulissant pour offrir plusieurs entrées possibles.


Figure 4. Interface initiale de Discover France (à G.)
et deuxième version de l’interface (au centre et à D.)

À la question « est-ce que vous pensez que le style "storisé" de Snapchat va devenir un genre journalistique à part entière ? », Sarah Dahan la rédactrice en chef pour Snapchat de Konbini, répond sans hésiter « Oui, je pense, ouais. Je pense que c’est un peu parti pour. […] Les médias vont de plus en plus vers la vidéo, et le style Snapchat Discover, ouais je pense que ça va se développer de plus en plus. » Dans le cas de Konbini, elle considère que l’esprit et le design de l’information est le même que sur le site, car justement Konbini a toujours été décalé par rapport aux médias traditionnels. « Je pense que déjà, l’identité visuelle et artistique est très forte chez Konbini. Je suis très fière de la direction artistique, qui est qualitative, classieuse, mais en même temps très pop, très colorée. Et puis je pense aussi qu’il y a un ton. On donne de l’info mais avec de l’humour, on n’essaye pas de jouer aux jeunes. » (Entretien du 6 juillet 2017)

Pourtant, ce dispositif d’expression tisse des liens entre le webjournalisme et le journalisme papier d’avant. On observe d’évidents échos entre les formats visuels et audiovisuels sur Snapchat. On peut parler d’une hybridité générique. La modernité visuelle revendiquée par le journalisme Snapchat implique de mobiliser des recettes traditionnelles de la presse magazine, avec notamment sa logique des couvertures tape à l’œil susceptibles de déclencher le désir d’achat en kiosque. Tout se passe comme si chaque Snap était une couverture de « une » de magazine décidée par un directeur artistique. On retrouve des réflexes et usages venus des grandes heures de la presse magazine : rendez-vous régulier avec certaines rubriques, des « unes » plus ou moins racoleuses, la recherche d’une attraction visuelle du lecteur en couverture, l’insertion du design graphique pour animer la couverture, des jeux à faire seul ou entre amis, la valorisation de l’accès à l’information par la photo, le chemin de fer pour la fabrication… Comme le dit sans ambages Arthur Tirat, journaliste vidéo pour le Discover de L’Express,

l’idée est de penser les sujets en fonction des lecteurs : proposer des sujets sérieux mais de les traiter de façon cool. C’est un média hyper neuf avec un chemin de fer : les dix top snaps, on va dire sur celle-là on met ça avec un attachement texte, un attachement vidéo, un quizz… C’est assez paradoxal car on travaille encore à l’ancienne avec le chemin de fer pour un média qui est novateur. » (Entretien du 8 mai 2018)

Ce sont donc des techniques de « mise en scène de l’information » (p. 77) bien mises en évidence par Jean-Marie Charon (2008) qui parle « d’impératif de créativité » (p. 80) car « le magazine doit attirer l’attention du lecteur et le séduire » (p. 78). Impératif qui a conquis ensuite l’univers de la presse quotidienne (Hubé, 2010). Le journaliste sur Snapchat ressemble beaucoup à celui que ce sociologue décrit pour la presse magazine. Il « doit être créatif, imaginatif, ultra-sensible à tout ce qui bouge et peut intéresser les lecteurs » (p. 81). Le rôle qu’il décrit des photos et du jeu avec leur format ainsi que des graphiques est très similaire à l’animation graphique qui complète les snaps : « il ne s’agit pas de simple illustration mais bien d’un récit spécifique » (p. 83) par l’image. « Le traitement de la photographie elle-même, les jeux de lumières, les couleurs, la précision des formes ou le jeu sur le flou créent des ambiances qui vont caractériser une page. Ces ambiances guident l’acheteur au moment de son choix dans le kiosque » (p. 85). De même, « la représentation de phénomènes ou de tendances peuvent être exprimés sous forme de schémas, de cartes, de graphiques dont la sophistication et la souplesse de réalisation ont connu un saut qualitatif avec l’infographie » (p. 84). Au total, on retrouve bien un univers de référence magazine dans les usages journalistiques de Snapchat : « Bien des publications, rubriques ou articles n’ont d’autre ambition que de distraire le lecteur en lui faisant passer un moment agréable. L’image est belle, étonnante, enjouée. Les thèmes retenus jouent sur les registres favoris du public ou tentent de le surprendre. » (p. 89)

Sous les atours de la modernité numérique de Snapchat, les journalistes renouent donc finalement avec des logiques proches de l’imprimé. Marion Mertens de Paris Match l’admet sur un ton enjoué : « ce qui est amusant c’est qu’on se rend compte que Discover est plus proche du print, en fait, de la lecture d’un magazine que le web, parce que vous racontez des histoires à des gens, vous avez une couverture, puis des sujets qui se succèdent et qui vous forme un récit. Alors qu’avec un site web finalement, vous offrez une palette sur une home page et vous ne dirigez pas vraiment le lecteur. » (Entretien du 28 juin 2017) 

Arnaud Mercier est professeur à l’Université Paris 2 – Assas.




Notes

1

Tous les entretiens de 2017 ont été réalisés par Julien Rizzo.



2

« Nous comptons sur les éditeurs et les artistes, et non sur les clics et les partages, pour déterminer ce qui est important ».



3

Tous les entretiens de 2018 ont été réalisés par Fostine Carracillo.






Références

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Référence de publication (ISO 690) : MERCIER, Arnaud. Quel renouvellement du traitement de l’information sur Snapchat ? Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2021, vol. 2, n°6, p. R51-R68.
DOI:10.31188/CaJsm.2(6).2021.R51


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