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Nouvelle série, n°6

1er semestre 2021

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NOTE DE LECTURE

Marie-Ève Martel et Gabrielle Brassard-Lecours (dirs) – Prendre parole

Ayouba Sow, Université Côte d'Azur

R

édigé par des représentants de la « relève journalistique » ce court ouvrage rassemble une somme de réflexions venues du terrain sur le fonctionnement des médias d’aujourd’hui et de demain. Entrés dans ce métier en pleine tempête numérique, les « plus si jeunes » journalistes ont pris la plume pour exprimer sous forme de correspondance les réalités de leur expérience professionnelle et ses enseignements et, de là, tenter d’esquisser des solutions.

Alors que certains travaillent dans des grandes rédactions nationales, d’autres évoluent dans des médias régionaux. Émélie Rivard-Boudreau, quant à elle, a décidé de vivre de la pige. « Désormais, je n’allais plus vendre mon temps. J’allais vendre mes histoires » (p. 31). Au lieu de travailler avec des médias traditionnels Gabrielle Brassard-Lecours s’est jetée à l’eau avec la cofondation d’un média en ligne (Ricochet). L’ouvrage tire ainsi sa force de la diversité des profils et des parcours de ses auteurs.

Les chapitres apparaissent comme un message d’espoir et d’orientation pour les jeunes et futurs journalistes. Mais ils exposent aussi aux responsables des rédactions les problèmes auxquels fait face la relève journalistique. Rédigé sur un ton décontracté et familier, le livre est en outre accessible au grand public. Les contributions se présentent comme autant de messages adressés aux différentes catégories d’acteurs essentielles au fonctionnement des médias. Les sept journalistes y abordent notamment les moyens de regagner la confiance du public, la place du journaliste de données dans les salles de rédaction, l’importance de la pige dans la couverture des évènements moins médiatisés, ou encore le recours aux statistiques dans le choix des sujets.

Les décideurs sont appelés à une prise de conscience face au poids de plus en plus important d’internet sur le traitement de l’information. Le raccourcissement des délais de publications et celui des textes eux-mêmes sont des signes de cette influence. Quand les rédactions hiérarchisent les nouvelles en fonction des attentes des internautes, le métier de journaliste perd son sens souligne Thomas Deshaies : les rédactions galopent derrière l’audience au détriment de l’intérêt général. Les statistiques permettent aux responsables de savoir quels sont les sujets susceptibles de susciter la curiosité du public et le pousser à la consommation du contenu, mais au risque d’un déraillement : « … nos choix devraient être surtout dictés par l’intérêt public et non par leur potentiel de partages sur Facebook » (p. 19).

Outre l’influence des statistiques sur le choix des sujets à couvrir, des algorithmes sont utilisés comme instrument de mesure de l’efficacité des contenus. « Je le confesse, il m’est arrivé à plus d’une reprise de conclure au succès (ou à l’insuccès) d’un article en me basant uniquement sur le nombre de partages ou de clics sur Facebook », avoue Thomas Deshaies (p. 18).

Cette pratique lève le voile sur une insuffisance cruciale dans l’évaluation des articles. Car, les plus actifs des internautes ne sont pas forcément les plus aptes à évaluer une information et la performance virtuelle (nombre de partages) ne saurait prouver la qualité, voire l’efficacité d’une nouvelle. Face à la course effrénée pour l’obtention des clics virtuels, il faut un autre modèle de financement plus éthique. L’un des moyens pourrait être l’augmentation de l’aide publique.

Elle aiderait aussi les producteurs de vraies nouvelles à mieux contrebalancer l’abondance des fausses, qui sont le gibier de Bouchra Ouatik : dialoguant avec un internaute imaginaire, la décrypteuse s’efforce de l’édifier en répondant à ses possibles interrogations. « La solution passe aussi par l’éducation », conclut-elle (p. 52). Ce dont Marie-Ève Martel n’en doute pas non plus, qui adresse son message aux divers ministres concernés. Car au-delà de l’indispensable éducation aux médias, c’est à l’ensemble des acteurs de l’enseignement qu’incombe la formation de citoyens mieux préparés aux réalités du monde actuel : la littératie médiatique commence par la littératie tout court et le développement de l’esprit critique.

Pour sa part, Émélie Rivard-Boudreau est perplexe devant le penchant que nourrissent les journalistes régionaux pour les médias métropolitains « Mais s’ils partent quand ils sont bons, ça veut dire qu’ici, on a toujours ceux que personne ne veut ailleurs ? Et si on a ceux et celles que personne ne veut, sommes-nous vraiment bien informés ici ? » (p. 28). Grâce à leur prestige et leur pouvoir économique, les grands médias n’éprouvent aucune difficulté à débaucher les meilleurs journalistes de l’intérieur du pays. Pourtant, malgré l’attrait des grands médias, le métier de correspondant dans les milieux reculés apporte de belles opportunités de traiter des sujets originaux, et ce avec une maitrise qui échappe aux envoyés spéciaux, estime Émélie Rivard-Boudreau, qui, avec Thomas Deshaies « ont choisi la pige notamment pour s’éloigner de l’information quotidienne et travailler sur d’autres genres d’histoires » (p. 13). Mais si tous les acteurs sont concernés par la précarité de la profession, les pigistes occupent le pied de l’échelle financière comme le rappelait Michel Bergeron (2020).

Depuis la montée en puissance des GAFAM, se développe une nouvelle spécialisation exigeant autant de compétence en informatique qu’en journalisme. Le nouveau tabouret qui s’invite de plus en plus dans les salles de rédaction est occupé par le journaliste de données. Mais malgré l’omniprésence des algorithmes dans nos sociétés ultra-connectées, cette nouvelle déclinaison du journalisme n’échappe pas au chômage, avant même qu’elle ne soit même connue du public. Rares sont ceux qui décrochent un contrat témoigne Naël Shiab : « Je peux les compter sur les doigts d'une main. Bien souvent, ils n'occupent pas de poste à temps plein spécifiquement dédié à la discipline, ce qui les empêche de se développer en apprenant, entre autres, à coder » (p. 81).

Le journalisme de données requiert des compétences pointues, alors que les rédactions manquent du temps à consacrer à la formation du personnel. Mais l’ouvrage illustre à quel point, le journalisme associé à un programme informatique peut exploiter des données complexes pour apporter des reportages avancés au public. « La programmation informatique permet de trouver des réponses à des questions d’intérêt public qui sont autrement hors de portée » (p. 85).

Pour autant, les savoirs journalistiques classiques n’ont rien perdu de leur importance. Or, leur transmission entre les journalistes aguerris et les entrants dans la profession se réduit dans le contexte actuel, s’inquiète Michaël Nguyen, qui en mesure l’effet dans le traitement de l’actualité judiciaire, domaine où les connaissances sont essentielles : « Il s’agit là de choses qui s’acquièrent avec le temps, en étant en contact avec les autres, et c’est malheureusement ce qui se perd. » (p. 101).

À l’inverse, les nouveaux médias en ligne ne cessent de se multiplier, mais s’engager dans une telle aventure réclame beaucoup de détermination et de ténacité, témoigne Gabrielle Brassard-Lecours. Cette voie est difficile, parfois frustrante, « mais il faut essayer. Il faut tenter. Il faut sauter. Parfois, on se casse les dents, mais elles repoussent, et on peut mordre à nouveau » (p. 112).

Au total, les réflexions ainsi rassemblées offrent une riche diversité de points de vue sur les difficultés que perçoit la « relève journalistique », mais elles montrent aussi sa lucidité et surtout sa réconfortante opiniâtreté : malgré tous les défis que doivent aujourd’hui affronter les jeunes journalistes, beaucoup ne perdent pas la foi. 

Marie-Ève Martel et Gabrielle Brassard-Lecours (2021). Prendre parole. Montréal : Éditions Somme toute, 120 p.

Ayouba Sow est doctorant à l'Université Côte d'Azur.




Références

Bergeron, Mickaël (2020). Tombée médiatique. Montréal : Éditions Somme toute.




Référence de publication (ISO 690) : SOW, Ayouba. Marie-Ève Martel et Gabrielle Brassard-Lecours (dirs) – Prendre parole. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2021, vol. 2, n°6, p. R123-R125.
DOI:10.31188/CaJsm.2(6).2021.R123


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