Nouvelle série, n°7 2nd semestre 2021 |
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ÉTUDE
Une chaîne d’information continue
face au charivari de la pandémie
La crise sanitaire a confronté les télévisions à une actualité extraordinairement complexe, contradictoire et anxiogène. Comment a-t-elle été présentée sur les chaînes d’information en continu françaises, dont les contenus sont souvent critiqués ? L’examen du traitement de la principale d’entre-elles durant la première vague montre qu’elle n’a pas démérité dans un tel contexte.
Par Caroline Pastorelli
Illustration CdJ (dessin du virus : Designwebjae)
P
our l’audience des chaînes d’information en continu, 2020 aura été une année triomphale. « C’est une année douloureuse pour les Français, mais exceptionnelle en termes d’actualité », a déclaré Hervé Beroud, directeur général d’Altice Média, maison mère de la chaîne d’information BFMTV1. Si les audiences de la chaîne, leader des chaînes françaises d’information en continu (à elle seule elle attire plus de téléspectateurs que ses rivales CNews, LCI et FranceInfo réunies) ont été grignotées par ses concurrents, notamment CNews, sa domination n’a pas été remise en cause. Elle est aujourd’hui en 6e position des chaînes nationales et a même réussi à séduire 60 % d’un nouveau public, les jeunes de 25-49 ans2. Chiffres records pour un média qui n’avait connu pareille crise (sanitaire) : jamais les audiences n’ont atteint de tels niveaux.
Comment cette chaîne, qui a bénéficié d’une visibilité extraordinaire et sans précédent en raison de la stupéfaction collective des Français, leur besoin d’information et leur disponibilité du fait de leur enfermement forcé (2 mois et 37 jours en 2020), a-t-elle appréhendé cette information nouvelle ? Cet article présente les résultats d’une étude inédite : l’analyse du traitement médiatique du Covid-19 sur la chaîne BFMTV sur une période de 7 mois, du 1er février au 1er septembre 20203.
Il est important de souligner que ni cet article ni l’étude sur lequel il se fonde n’ont vocation à discuter du bien-fondé et de l’utilité ou non de l’information en continu. Notre propos n’est pas de questionner la légitimité de BFMTV mais bien de s’intéresser à la qualité de son traitement éditorial pendant les premiers mois de l’épidémie.
Un semestre sous pression
Lorsqu’en février 2020 l’épidémie de Covid-19 débarque sur les écrans de télévision, la France est encore en pleine crise des gilets jaunes. C’est aussi le début des vacances de février. Impréparée, techniquement et éditorialement à affronter un tel tsunami informationnel, la nouvelle de l’épidémie de Covid-19 fait des débuts plutôt timorés sur la chaîne, à mesure que l’épidémie progresse dans notre pays. « Coronavirus, 5 nouveaux cas en France, des mesures drastiques », annonce le bandeau de BFMTV le 8 février 2020 à 10 h 34. Le reportage dure 5’38’’ et présente la situation dans la commune des Contamines-Montjoie (Haute-Savoie) où deux écoles s’apprêtent à fermer après que 4 adultes et 5 enfants aient présenté « des symptômes du coronavirus mais pas de symptômes graves ». Le micro-trottoir réalisé vise à recueillir l’état d’esprit des touristes, « partagés entre relativisme et inquiétude ». Le commentaire en voix off monte d’un cran : « La psychose ne doit pas gagner la ville, le maire se veut rassurant », de même pour le bandeau en retour plateau : « Virus : peut-on éviter la psychose ? » qui accompagne l’interview d’un expert, Michel Taube, fondateur du site Opinion Internationale, à qui le journaliste demande : « 86 décès supplémentaires en 24 h, est-ce inquiétant ? ».
Sans réelle surprise, le champ lexical utilisé est celui de la peur : « psychose », « souci », « inquiétant » émaillent les différents contenus éditoriaux du JT (voix off, bandeaux, questions des journalistes).
Quatorze jours plus tard, l’information Covid-19, que BFM-TV nomme encore « Coronavirus », monopolise pour la première fois la totalité des titres du JT du 22 février 2020. Le JT de 20 h 30 s’ouvre sur un reportage en Italie, « désormais le pays le plus touché en Europe » qui « fait face à une épidémie […] que rien ne semble arrêter ». Le duplex en Italie témoigne d’une ambiance de « ville fantôme » tandis que le bandeau à l’image fait apparaître pour la première fois le mot « confiné ». En retour plateau, c’est sur les déclarations de l’OMS que BFMTV choisit de consacrer son titre : « Coronavirus, l’ennemi public n°1 ». Le journaliste déclare qu’« il y a urgence de se battre en France ».
Le 23 février, la France est encore spectatrice d’une épidémie qui ne semble pas, encore, l’avoir touchée outre mesure. Les regards sont toujours tournés vers l’Italie où « les écoles resteront fermées jusqu’à nouvel ordre », où « les masques s’imposent au Carnaval de Venise » et où « pour faire face à cette quarantaine, les habitants vont masqués au supermarché ». En retour plateau, l’intervention d’Olivier Véran, nouveau ministre des Solidarités de la Santé depuis le 16 février (c’est-à-dire une semaine) se veut rassurante – « La situation en France est stable et qu’il n’y a pas de nouveaux cas de personnes contaminées sur le territoire » – mais questionne – « On a du mal à croire qu’il n’y ait pas de cas en France », interroge le journaliste-présentateur. Christophe Rapp, infectiologue à l’Hôpital américain répond : « On n’y est pas encore mais on s’y prépare ». À l’image, le « synthé » (bandeau) emboîte le pas : « La crainte d’une épidémie mondiale ».
Six jours plus tard, c’est l’annulation à la pelle de nombreuses manifestations comme le semi-marathon ou la fermeture anticipée du salon de l’Agriculture, qui fait la une du JT de 20 h 30. Des mesures « drastiques » sont prises en France. Margaux de Frouville, journaliste santé de la chaîne, s’installe sur le plateau de BFM pour livrer ses chiffres et son analyse : « Le nombre de cas a doublé en France sur les dernières 24 h. Le virus est bénin dans 80 % des cas. C’est une bonne nouvelle car dans 4 cas sur 5 on n’est pas beaucoup dérangés, mais c’est aussi une mauvaise nouvelle car il est d’une plus grande contagiosité ce qui fait que les gens deviennent des contaminateurs en puissance. »
17 mars 2020. Le Journal de 7 h propose une « Édition spéciale ». La France entière est confinée. Le dispositif visuel de l’écran de télévision témoigne de la solennité de l’événement. En médaillon, en bas à droite de l’écran, la photo du Chef de l’État, Emmanuel Macron, avec le titre « Je vous demande de rester chez vous ». Des bandeaux « Alerte info » se succèdent. Les synthés présentant un rappel des règles (« motifs de déplacement ») aussi. Les couleurs : rouge, bleu, orange. L’identité visuelle est déclinée à son maximum pour indiquer aux téléspectateurs que la situation est aussi grave qu’exceptionnelle : les Français sont confinés à partir d’aujourd’hui (« pour une durée de quinze jours, au moins »). Pour la première fois de son histoire, BFMTV est potentiellement face à 100 % de son audimat.
Le 21 mars, le journal de 20 h 30 est entièrement consacré à l’épidémie de Covid-19, que les journalistes appellent encore (dans leur prise de parole et dans les textes à l’écran) « coronavirus ». Quatre jours après l’annonce du confinement, BFMTV présente, dans ses écrans plasma, « La France à l’arrêt ». Concernant les invités, la plupart interviennent via le logiciel de vidéo Skype (outil qui est, aujourd’hui encore, très souvent utilisé), les autres viennent en plateau mais ne portent que très rarement le masque. Ce jour-là, le Pr Philippe Juvin, chef des urgences de l’Hôpital Georges Pompidou, insiste sur « la gravité de la situation » (« gravité » étant utilisé deux fois) et témoigne d’« une épidémie avec des pathologies respiratoires extrêmement agressives ». François Pitrel, journaliste de la chaîne, révèle, lui, « les chiffres de la réanimation » qui augmentent tous les jours. Les synthés poursuivent leur décompte quotidien « Coronavirus : sur les 14 459 confirmés en France, 112 décès ». Le médaillon, en bas de l’écran, met en scène l’image d’un virus avec le titre « La France face au Coronavirus ». Tous les espaces visuels sont occupés par un message informationnel auxquels se superposent les reportages et les autres interventions de spécialistes et/ou de journalistes sur le plateau. Alors que l’intensité informationnelle est à son comble, une information réconfortante, positive et de réassurance s’invite au JT. Elle est incarnée par Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste médiatique (donc visage familier des téléspectateurs) à qui le journaliste-présentateur demande : « Il y avait ce soir une gravité plus grande encore, plus en alerte : Emmanuel Macron s’est adressé aux Français, vous avez entendu le ton ? ». « Oui, le ton va augmenter l’angoisse dans tous les foyers. Mais on est dans des moments où il faut être transparent. L’ensemble des pays est confronté à cela […] Les gens ont besoin de connaître la vérité. C’est une épidémie grave mais beaucoup d’entre nous vont être épargnés, ça c’est quand même des nouvelles importantes. La panique, l’angoisse c’est encore pire, ça fait autant de dégât que le virus […] Il faut raison garder. Il faut se sentir solidaire. On va faire des efforts pour endiguer cette épidémie. » « On n’est qu’au 5e jour du confinement, comment on tient ? », poursuit le journaliste. « C’est un traumatisme qu’on est en train de vivre mais il peut être salutaire », répond Serge Hefez.
Le JT de 7 h du matin le 2 avril 2020 annonce un autre dispositif journalistique qui deviendra récurrent pendant toute la durée de l’épidémie du Covid-19 : « BFMTV répond à vos questions toutes les heures ». Par ce biais, le téléspectateur confiné, inactif et passif devient acteur et prescripteur (c’est-à-dire qu’il peut influer sur la thématique éditoriale de la chaîne). BFMTV n’endosse plus une simple mission informative : elle propose un accompagnement psychologique (voir l’intervention de Serge Hefez ou plus tard celle de Frédéric Lenoir), un soutien social (synthé : « Violences conjugales : le 114 est un numéro d’urgence ») et un lieu d’expression (« BFM répond à vos questions »).
Tandis que le hashtag #TousÀlaMaison est épinglé en haut à droite de l’écran, le JT de 20 h 30 du 5 avril donne un exemple représentatif de la variété des intervenants auxquels BFMTV donne la parole quasi quotidiennement. L’objectif, dans un contexte informationnel complexe (une information scientifique hermétique), inédit (un virus inconnu), universel (une pandémie mondiale) et digne d’un scénario hollywoodien (une menace planétaire incontrôlable) est de faire entendre toutes les voix (ou du moins le plus grand nombre) pour tenter d’appréhender au mieux les événements qui se jouent, en direct, sous les yeux des téléspectateurs. « Comme chaque jour, chaque heure, on essaie de vous accompagner au mieux, de vous donner toutes les informations au sujet de cette épidémie qui traverse le monde et donc notre pays », énonce le journaliste-présentateur en ouverture du journal. Se succèdent pendant toute la durée du JT : Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre, Sophie Crozier, responsable des Soins intensifs neurovasculaires à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Margaux de Frouville, journaliste experte santé de BFMTV, Romain Gizolme, directeur adjoint de l’Association des directeurs au service des personnes âgées AD-PA et Frédéric Lenoir, philosophe.
Copie d’écran BFMTV
Plus d’un mois après le début du confinement, le 20 avril 2020, BFMTV offre aux téléspectateurs la possibilité de se projeter. Comme une fenêtre sur l’avenir vers une possible sortie de crise. Trône en haut à droite de l’écran le médaillon « Objectif 11 mai », date de la fin du confinement. Les journalistes parlent désormais du Covid-19 (et non plus du Coronavirus). Les informations se veulent positives et rassurantes. En témoignent l’interview en duplex du propriétaire d’un hôtel Ibis à Poitiers Sud, qui, contacté par la Croix-Rouge, a ouvert les portes de son hôtel à des malades du Covid-19 et celle d’Aurélien Jemma, fondateur de Likibu, site de comparateur de locations, qui annonce un regain des réservations pour les vacances. Plus tard, c’est au tour de Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de prendre la parole. La journaliste Ruth Elkrief lui lance la question que tout le monde se pose : « Après deux mois de confinement, les Français se demandent s’ils pourront partir en vacances ». « Il faudra adapter un certain nombre d’habitudes », lui répond-il, « faire en sorte que l’on puisse donner de la réassurance sanitaire au public. Hélas, ce n’est pas possible de donner une réponse mais on se prépare avec les professionnels du tourisme ». Les voyants semblent être au vert (mais prudence tout de même). Une nouvelle messianique apportée au peuple opprimé par le truchement de BFMTV. À cet instant, les journalistes de BFMTV et les téléspectateurs ne font qu’un, unis et solidaires, face à la communauté politique et scientifique. Les réponses des intervenants de la chaîne offrent le même enjeu, vital, pour tous. L’heure n’est pas à la glose, verbeuse et stérile, mais bien à des réponses claires, après des semaines passées dans un flou sanitaire et politique. Pour autant, la chaîne ne manifeste guère le sensationnalisme, voire le populisme, dont on l’a souvent accusée4.
Déconfinement et chloroquine
Le 11 mai 2020 est une date primordiale en France depuis le début de la pandémie. Les écrans plasma affichent « DÉCONFINÉS ». En image, des gens masqués sortant du RER. Le médaillon en bas à droite titre également « Déconfinés ». Le synthé : « Tous déconfinés, tous stressés ? ». Un micro-trottoir vient sonder l’inquiétude des usagers vis-à-vis des transports en commun. En duplex, Sophie Peter, psychanalyste et auteur « Du plaisir d’être soi » est invitée à répondre à la question : « Est-ce que la sortie peut provoquer des inquiétudes ? Un stress ? ». « Oui », répond-elle. « On se rend compte que les personnes redoutent car on n’a absolument aucun élément de sécurité en sortant de chez nous aujourd’hui […] L’être humain, dans des conditions extrêmes, se met dans des conditions de survie et bloque ses récepteurs émotionnels, en prenant beaucoup sur eux-mêmes et quelque chose va se relâcher en donnant lieu à beaucoup de souffrance, souvent postérieure à un événement ».
Le 14 mai, l’habillage éditorial propose de nouveau des messages positifs. Dans les grands écrans, le titre « Vivre avec… » est illustré par des photos de gens marchant avec des masques. En synthé, cette information : « 59 605 personnes sont sorties guéries de l’hôpital depuis le début de l’épidémie ».
Le 23 mai, l’usage de la chloroquine, remède présenté comme salvateur par le Pr Didier Raoult en février 2020 et grâce auquel il a acquis une renommée mondiale, est réfuté par une étude de la revue The Lancet. Le JT de 7 h du matin consacre sa une à cette information : « La chloroquine pointée du doigt par une étude ». En bandeau : « COVID-19 : la prise de chloroquine augmenterait le risque de décès et d’arythmie cardiaque (étude The Lancet sur 96 000 personnes) ». Le médaillon en bas à droite de l’écran « 13 h, l’intriguant Monsieur Raoult » propose un format long un peu plus tard dans la journée. Un entretien avec le Pr Christophe Rapp, médecin consultant de BFMTV et infectiologue à l’Hôpital américain vient alimenter le débat « Pour ou contre la chloroquine ? ».
Le 31 mai, alors que les terrasses ont rouvert, que l’Inde a annoncé un assouplissement important de son confinement, le plus large du monde, à partir du 8 juin et que les employés des Galeries Lafayette à Paris font une ovation aux clients venus à la réouverture du magasin, l’affaire George Floyd, cet afro-américain mort à la suite de son interpellation par plusieurs policiers à Minneapolis, aux États-Unis quelques jours plus tôt apparaît comme le premier événement de grande ampleur hors Covid traité par la chaîne. Ce sujet sera d’ailleurs régulièrement traité pendant les JT, au gré des manifestations qu’elle provoquera. Le 10 juin par exemple, le sujet fait l’ouverture du journal de 20 h 30. Guillaume Farde, consultant sécurité BFMTV intervient pour parler de la crise de confiance de la population envers la police, sondage à l’appui (« réalisé par Elabe pour BFMTV »). À cette date, le masque chirurgical n’a toujours pas fait son entrée sur le plateau de BFMTV (ou de façon très marginale).
Le sommaire du JT de 20 h 30 du 19 juin se distingue par la variété des sujets abordés, tels qu’ils l’étaient avant la crise sanitaire. En une : les nouveaux clusters en France, la Convention citoyenne sur le climat et l’affaire Fillon. Si le journaliste-présentateur interroge « Faut-il craindre une recrudescence du coronavirus en France ? », l’intervention de Margaux de Frouville journaliste santé de BFMTV (« Pas de panique, on teste plus […] ce qui rassure aussi c’est que l’origine des cas est identifiée […] Selon Santé Publique France, les indicateurs restent à un niveau bas ») et celle, en plateau (et sans maque) de Robert Sebbag, infectiologue à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (« Ce n’est pas une deuxième vague […] en réa ça continue à baisser, c’est la victoire du confinement ») se veulent rassurantes.
Le médaillon, en bas à droite de l’écran, propose un format long : « Ce soir 21 h, l’enquête Megan/Harry ».
Les titres du JT du 23 juin s’inscrivent dans la même lignée. Au sommaire : « Virus, une deuxième vague à l’automne ? », « Faites la chasse aux moustiques-tigres », « Djihad, que deviennent les enfants rapatriés ? », « Cinéma, tourner à l’heure du virus », « Affaire George Floyd », « Climat, quel avenir pour les propositions de la convention citoyenne ? ».
Mi-juillet 2020, alors que les Français sont en vacances estivales, les nouvelles relayées par BFMTV s’alignent sur la solennité des déclarations politiques et celles de la Direction générale de la Santé (DGS). La circulation virale « est en nette augmentation (1000 cas/jour) ». Le docteur Martin Blachier, médecin de santé publique est appelé à se prononcer sur l’éventualité d’un déconfinement trop rapide : « Non, non », répond-il, « confiner plus longtemps aurait eu plus d’impact. »
11 août 2020, le JT de 13 h ouvre le journal sur « L’information de la mi-journée » : « La Russie annonce avoir développé un vaccin contre le Covid ». L’enthousiasme que peut générer une telle information chez le téléspectateur est d’emblée nuancé par les interventions qui vont suivre. Pour discuter de la crédibilité de cette information, plusieurs invités : Jean-Didier Revoin, correspondant BFM à Moscou, qui déclare : « C’est une première mondiale mais il reste encore plusieurs inconnues, notamment de savoir sur quel échantillon de personnes le vaccin a été testé ». Pour le Dr Patrick Berche, ancien Directeur de l’Institut Pasteur de Lille « On ne peut pas dire qu’un vaccin est efficace sans l’avoir testé, ce n’est pas raisonnable ». Quant à Anthony Bellanger, consultant international BFMTV, il s’agit selon lui d’une « véritable compétition à l’international » dans la course aux vaccins anti-Covid-19.
Le JT de 7 h du matin du 24 août propose à nouveau en une des sujets variés : « Énorme déception pour le PSG à la Ligue des Champions », « Les chiffres préoccupants du Covid », « Incendie à Vitrolles », annonce le reportage grand format « Ce soir à 21 h, Beyrouth 4 août, 18 h 07 » ainsi que les « Grandes marées : la pêche à pied fait recette dans le Morbihan ».
Des enseignements variés à décrypter
Une enquête réalisée en octobre 2020 par l’Institut Viavoice5 pour les Assises du Journalisme de Tours, a sondé les Français sur leurs attentes en matière de traitement de la crise sanitaire. Les résultats de ce sondage sont sans appel vis-à-vis des journalistes : 60 % des sondés ont estimé que la place accordée à l’épidémie était trop importante, 50 %, que l’information sur la crise sanitaire était « anxiogène », 28 % « catastrophiste » et 19 % « mensongère ». Enfin, 43 % des sondés ont estimé que le travail des journalistes « a alimenté cette peur » et 32 % ont considéré que les médias ont utilisé cette peur pour faire de l’audience.
Voilà pour le sentiment des Français concernant le traitement éditorial de la crise sanitaire. De quelle manière les résultats de notre observation systématique peuvent-ils venir éclairer ces données chiffrées ? Trois enseignements de notre étude viennent contredire ce sentiment des Français : la surexposition inhabituelle des Français à l’information (même pour les téléspectateurs fidèles de BMFTV), le coup de projecteur inédit sur une communauté scientifique divisée et la qualité du travail réalisé par les journalistes.
Il est important de rappeler en préambule que le journalisme est historiquement l’un des métiers les plus rejetés par les Français. Accusé de collusion avec les puissants, il est devenu au fil des ans le souffre-douleur d’une société en rupture avec ses représentants politiques, qui a trouvé, dans cette profession, l’un de ses boucs émissaires idéals. En 2020, le 33e Baromètre de confiance dans les médias réalisé par Kantar pour La Croix6 révélait que jamais autant de personnes interrogées (41 % ; + 8 points sur un an) n’avaient assumé le fait de s’intéresser « assez » faiblement (28 %, + 4) ou « très » faiblement (13 %, + 4) aux nouvelles. La crise sanitaire a braqué les yeux vers les journalistes et réactivé des réflexes critiques. Les journalistes ont été à nouveau la cible des Français, sans doute de façon disproportionnée et injustifiée : l’accumulation de sentiments ardents et complexes (angoisse, morosité, défiance, lassitude) n’a-t-elle pas pu altérer le jugement déjà très orienté des téléspectateurs envers les journalistes ?
En renfort de cet argument, mentionnons l’extraordinaire impréparation des journalistes de BFMTV face au traitement d’un sujet d’une telle ampleur, d’une telle complexité et d’une telle gravité. Comment livrer aux téléspectateurs un travail de qualité7 quand l’actualité est aussi soudaine qu’alarmante ? Le travail journalistique de BFMTV a reposé sur le déploiement d’une variété des dispositifs (libre antenne, reportages, interviews, grands formats), et sur le relai d’une multiplicité de points de vue, le tout avec une prudence perceptible – sans doute le résultat des enseignements et des remises en question opérées suite aux différentes dérives journalistes lors des attentats du Bataclan (citons le mea culpa de Dominique Rizet, journaliste police-justice de BFMTV, qui avait révélé en direct qu’un otage était caché dans la chambre froide du magasin Hyper Cacher8).
Un autre enseignement que l’on peut tirer grâce de cette étude est que l’information « épidémie Covid-19 » a joué pendant trois mois pleins (de février à mai 2020) le rôle de « méta (ou méga)-information » qui a éclipsé toutes les autres informations, dans un premier temps, pour, petit à petit (de mai à septembre 2020) devenir une information de premier plan mais de façon cyclique, comme si, le temps passant, l’épidémie faisait, et aujourd’hui encore, office d’« information de secours » lorsque l’actualité est plus pauvre. L’information nouvelle constituant la matière première d’une chaîne d’information continue, elle est forcément reine par rapport aux autres informations. Car c’est bien l’actualité, au sens « neuf », qui prévaut.
Cette intensité du rythme de production est liée à la définition « dominante » de l’information [..] que les chaînes tout info ont fortement contribué à imposer : une information doit être diffusée à l’antenne le plus vite possible et est périmée de plus en plus rapidement. Cette temporalité très courte, qui n’est que la manifestation d’une logique de nouveauté, s’impose d’autant plus aujourd’hui que la concurrence professionnelle et économique entre les chaînes nationales et internationales est exacerbée dans les différents espaces nationaux9.
Pour exemple, les titres du JT du 13 h du 28 juillet 2020 – l’Affaire Maddie, le premier feu de saison en Gironde et la visite d’Emmanuel Macron auprès des policiers – constituent des nouvelles plus « nouvelles » que l’épidémie de Covid. Ces informations incarnent mieux que le Covid-19, cinq mois après être apparue, cette « conception immédiate de l’information » qui correspond à « un idéal professionnel de faire coïncider l’action, l’énonciation et la diffusion10 ». La place accordée à l’explosion dans le port de Beyrouth le 4 août 2020 ou le meurtre de George Floyd le 25 mai 2020 s’inscrivent dans la même logique : « Priorité au direct » – tel est le slogan de BFMTV depuis sa création qui conditionne donc les méthodes de travail des journalistes.
Autre conclusion que l’on peut présenter ici : l’information « épidémie Covid-19 » traitée par BFMTV a fonctionné avec des repères spatio-temporels. Repères « spatios » car elle n’a pas échappé au principe du règne du local sur le national : le 28 juillet, un reportage dans la Marne où « une fête sans gestes barrières inquiète » ou encore les tirs de mortier dans un quartier de la région lyonnaise le 16 juillet permettaient, à partir d’un événement local d’élargir la problématique au national (les incivilités face aux policiers, le non-respect des gestes barrière, etc.). Repères « temporels » pour donner un rythme artificiel à une information (non donnée par l’actualité elle-même) et faire se projeter les téléspectateurs (pour réussir à continuer à les captiver et à s’assurer une bonne audience). En effet, après le choc des premières annonces de l’épidémie et celle du confinement, l’information a été traitée en l’associant à des objectifs et des étapes : la préparation du confinement (16 mars), comment vivre le confinement et comment les chiffres évoluent-ils suite à ce confinement (16 mars-11 mai), la préparation du déconfinement (en témoignent les médaillons du 16 avril « Objectif 11 mai » et du 1er mai « 11 mai sous conditions »), le déconfinement (11 mai), la préparation des vacances d’été (20 avril), « Pourra-t-on partir en vacances cet été ? » (30 juin), les vacances (juillet et août) et la préparation de la rentrée scolaire (à partir du 15 juillet) avec notamment un micro-trottoir « rentrée scolaire : tests pour les élèves » et une interview d’un porte-parole de la PEEP « certains parents s’inquiètent ». Pour la rendre vivante et pour la dynamiser, l’information Covid-19 a été racontée, mise en récit, à la manière d’une fiction.
Enfin, l’information nous est apparue plus hétérogène et moins uniforme qu’attendu. Si BFMTV a souvent eu recours à un champ lexical anxiogène – d’abord l’angoisse (« peur », « inquiétude », « stress », « pénurie » des médicaments, des masques, des lits), celui-ci a peu à peu évolué vers un vocabulaire de la bataille (en ligne avec le « Nous sommes en guerre » d’Emmanuel Macron) puis vers une tonalité plus neutre, voire plutôt positive (comme nous l’avons évoqué plus haut avec les différents dispositifs éditoriaux mis en place). Cette étude a montré que la manière de traiter l’information « épidémie de Covid-19 » a été, pour BFMTV, une question quotidienne et que les changements et les évolutions visibles à l’antenne étaient le résultat d’une réelle introspection journalistique.
Par ailleurs, elle a également permis de confirmer que le journaliste-présentateur marquait de son empreinte le JT. Certains présentateurs, à l’image de Ruth Elkrief qui a quitté en février 2021 la chaîne et Apolline de Malherbe, se sont distingués par des interventions bien plus éditorialisées que leurs confrères, donnant à leur JT une couleur journalistique particulière (parfois plus sombre, parfois plus sensationnaliste, parfois plus engagée). En témoignent le monologue de Ruth Elkrief en ouverture de son JT du 20 avril à 20 h 30 sur la question des départs en vacances d’été et la présentation du JT de 20 h 30 du 21 mars 2020 ou celui du 8 mai par Apolline de Malherbe qui tient un discours relativement sombre et angoissant.
La surexposition inhabituelle des Français à l’information
L’épidémie de Covid-19 et le confinement des Français, assignés de force à domicile, ont rebattu les cartes de l’information en continu et remis en question le modèle de BFMTV. En 1987, le concepteur de France Info, Jérôme Bellay, alors directeur de l’information de Radio France, expliquait vouloir créer « un self-service de l’actualité pour l’homme pressé ». Bref, « de l’information de consommation » pour des auditeurs qui « resteront à l’écoute un quart d’heure en moyenne11 ». Il proposait ainsi une première conception de l’information en continu : une offre d’information rapide, disponible à toute heure, à destination des catégories aisées. L’épidémie de Covid-19 a bouleversé la donne : les téléspectateurs assoiffés de connaissances et disponibles (car confinés) sont venus chercher de l’information. Ce besoin informationnel était sans précédent. En 2020, la durée d’écoute de la TV a progressé sur toutes les cibles communiquées par Médiamétrie sauf pour les enfants 4-14 ans pour lesquelles cette durée est stable (1 h 28). BFMTV et CNEWS ont signé les plus fortes progressions de l’année avec + 0,6 point gagné. Ainsi BFMTV, avec 2,9 % se place devant C8. BFMTV n’a plus livré d’information pour un public pressé.
Pour contrebalancer encore le ressenti des personnes interrogées dans le cadre du sondage Viavoice, tentons cette hypothèse : n’est-ce pas la (sur)exposition inhabituelle des Français à l’information et au dispositif des chaînes d’information continu (dont la scénographie est intrinsèquement angoissante12) qui est responsable de la sévérité exprimée par les sondés envers les journalistes ?
Un coup de projecteur inédit sur une communauté scientifique divisée
Et si ce qui avait le plus contribué à générer un sentiment d’anxiogénéité chez les Français était l’incompatibilité entre les médias et la communauté médicale et l’impossibilité de comprendre, appréhender, transmettre et décrypter une information médicale (en réalité plusieurs) livrée par de nombreux interlocuteurs scientifiques ?
« Ce qu’est un expert pour une télévision ou pour un groupe, c’est une chose. Ce qu’est un expert pour la science, c’est une autre chose », expliquait fin février le Pr Didier Raoult dans une vidéo13. Le langage médiatique, qui permet de diffuser une information à un public le plus large possible, est souvent imprécis, souvent stéréotypé. « Nommer, on le sait, c’est faire voir, c’est créer, porter à l’existence14 », rappelait le sociologue Pierre Bourdieu. Mais ici, l’information ne relève plus du fait divers (ni d’une information formatée), « c’est-à-dire tout ce qui peut susciter un intérêt de simple curiosité, et qui ne demande aucune compétence spécifique préalable, politique notamment. Les faits divers ont pour effet de faire le vide politique, de dépolitiser et de réduire la vie du monde à l’anecdote et au ragot15 ».
Comment alors mettre des mots, donner des réponses quand la vérité scientifique, réfléchie, prudente, complexe, rétive au compromis, ne peut encore en livrer sa version des faits (en tous les cas pas à la vitesse de l’actualité ? L’impossibilité d’une partie (les journalistes) de raconter un événement, conjuguée à l’incapacité endémique de l’autre (les scientifiques) à se conformer aux codes médiatiques a créé une confusion informationnelle génératrice d’angoisse chez les téléspectateurs peu habitués à recevoir une information « non digérée » (c’est-à-dire non vulgarisée, non décryptée, non prémâchée).
Nos grands médias portent en somme bien leur nom puisqu’ils ne sont en la matière rien d’autre que des instances de « médiation », qui assurent la diffusion massive, au sein de la société civile, d’une langue qui n’est au départ que le jargon d’un tout petit nombre. Une « critique des médias » conséquente est donc à nos yeux indissociable d’une critique sociale plus fondamentale : la critique de l’ordre dominant – un ordre qui, le plus souvent, se construit et « invente sa langue » ailleurs que dans les sphères médiatiques16.
Pendant la pandémie, pas de médiation possible.
Un sentiment de confusion d’autant plus prégnant que la communauté scientifique est apparue comme hétérogène (un très grand nombre de spécialistes interviewés) et divisée (en contradiction permanente). Le monde médical nous a offert le spectacle, public, d’une discorde jusqu’ici interne. Le non-port du masque par la majorité des intervenants de la chaîne en totale discordance avec les injonctions sanitaires en est une preuve (visuelle) manifeste. Comment garder raison et sang-froid, en tant que téléspectateur, en entendant des infectiologues, des médecins généralistes, des épidémiologistes, des vétérinaires, des urgentistes tenir des discours opposés (la spécificité de chaque spécialité est d’ailleurs confuse pour le public) sur la gravité et la contagiosité d’un virus nouveau ? L’information « épidémie Covid-19 » n’a ainsi pu être appréhendée et gouvernée par le grand public qu’en dehors des repères usuels de la raison.
Cette information a été si brutale et si peu maîtrisée (car méconnue de tous les spécialistes et a fortiori des non-spécialistes) que la « mise en relation » et le point de connexion entre les téléspectateurs et les acteurs du domaine médical (les différentes spécialités, les différents services dans les hôpitaux, les différents enjeux, le rôle des laboratoires, la complexité des protocoles d’études, etc.) n’ont pas bien opéré. Le public a été confronté en plus, nous le disions, à une extraordinaire pluralité des voix et des points de vue personnifiés, exacerbés et phagocytés par l’écrasante personnalité Pr Didier Raoult – notamment parce qu’il a utilisé, dès sa première intervention télévisée sur BFMTV le 30 avril 2020 un langage et des codes médiatiques auquel les téléspectateurs étaient habitués. Le débat sur la vérité scientifique s’est joué, probablement pour la première fois de l’histoire des sciences, en direct à la télévision. Mais il a été inintelligible pour le plus grand nombre et le rôle de décryptage des journalistes (« donner les clés pour comprendre ») a été imparfaitement assuré, ceux-ci étant peu préparés à couvrir un sujet si complexe.
Dans un souci de pluralité éditoriale, la parole a ainsi été donnée à tous les scientifiques qui souhaitaient s’exprimer et qui avaient une parole apparemment sensée sur le sujet. Nous l’avons vu, de très nombreux spécialistes ont été interviewés, livrant leur analyse personnelle, offrant leur expertise individuelle avec leurs certitudes et leurs incertitudes. En a-t-il fallu plus pour engendrer une cacophonie informationnelle et pour générer des sentiments d’angoisse des téléspectateurs ? Les téléspectateurs, perdus devant cette masse informationnelle, ont été livrés à un désarroi personnel. L’adhésion à tel ou tel camp n’a pas relevé d’une analyse intellectuelle mais a été le résultat d’une émotion, d’un ressenti personnel, d’un « sentiment de » : même quand des publications scientifiques du type Lancet sont venues publiquement invalider le traitement par hydroxychloroquine du Pr Raoult, l’opinion publique était faite.
Ce brouillage informationnel expliquerait pourquoi l’adhésion à la figure controversée (par sa liberté de ton, son aplomb, ses découvertes) du Pr Didier Raoult a été immédiate : ses interventions ont permis aux téléspectateurs de trouver une réponse (même erronée) – la chloroquine – et un coupable – le manque d’anticipation de l’État français. On le sait, l’incertitude est génératrice d’anxiété. La médiatisation du Pr Raoult, apparu en figure messianique providentielle a d’ailleurs ouvert la voie (et libéré) les théories conspirationnistes (larvées), nourries par la gestion hasardeuse de la crise (contradiction sur l’intérêt du masque, maintien du premier tour des élections municipales à la veille du confinement généralisé, etc.) :
Pour les tenants des théories du complot, les critiques contre le professeur Raoult et ses essais thérapeutiques constituent justement autant de « preuves » nouvelles. S’il « dérange », c’est probablement qu’il a raison ; son traitement, simple et bon marché, ne peut être contesté que parce qu’il y aurait des « intérêts occultes » à l’œuvre17.
Et si donc, pour résumer, le sentiment de « mauvais » traitement médiatique du Covid-19 ne relevait pas d’une erreur journalistique – celle de tendre le micro à une grande diversité d’interlocuteurs pour tenter d’éclairer le débat – mais au droit que se sont arrogé plusieurs spécialistes, en toute illégitimité, de répondre à un sujet sur lequel ils n’étaient pas compétents ? On ne peut décemment pas reprocher aux journalistes de BFMTV d’avoir voulu se rapprocher le plus de « la vérité » en interviewant de nombreux médecins sensément spécialistes du sujet. On peut en revanche s’interroger ces discours autorisés : qu’est-ce qui a conduit ces spécialistes, non compétents sur le thème de l’infection, a occupé le terrain médiatique ?18.
On ne pourra achever ces observations sans faire mention du rôle de la parole politique dans le traitement médiatique de l’épidémie de Covid-19. Il est évident que les communications gouvernementales ont eu un effet désastreux sur le traitement de l’information « épidémie Covid-19 ». Les nombreuses erreurs, volte-face et contradictions accumulées par le gouvernement français pendant cette épidémie ont agi de manière très négative sur le moral des Français – le remplacement éclair d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, par Olivier Véran a d’ailleurs sonné comme un aveu public d’une incapacité politique.
L’appétence pour les mauvaises
nouvelles et la spécificité du Covid-19
L’information en continu, a, depuis l’apparition des chaînes BFMTV, LCI et I-Télé (devenue CNews), cristallisé les critiques et incarné la « mal information » (aussitôt consommée, aussitôt digérée) au même titre que l’enseigne McDonald’s symbolise depuis de nombreuses années la « malbouffe ». Considérée comme une information médiocre et parfois pire, elle se situerait au bas d’une échelle qualitative dont la première place serait occupée par le reportage d’enquête et le documentaire d’investigation. Savoir si ces critiques sont fondées n’est pas le sujet de cet article. En revanche, il nous apparaît important de comprendre l’attrait de l’être humain (car plus qu’un plaisir individuel on serait bien dans une tendance intrinsèque à la nature humaine) pour les mauvaises nouvelles (et les faits divers) d’une part et de saisir comment et pourquoi l’épidémie de Covid-19 a participé de cette fascination alors qu’elle a échappé – c’est bien la conclusion de cette étude – au traitement habituel basé sur les émotions négatives de la part de BFMTV.
Pourquoi l’être humain aime-t-il consommer les informations anxiogènes ? En observant l’importance accordée aux informations catastrophiques des journaux radio et télé, le philosophe Michel Serres avait parlé « de mise en scène de la peur » et « d’audimat de la mort ». Approuvant l’analyse du philosophe, Joël de Rosnay a tenté de connaître les raisons de cette « faiblesse humaine » fascinée pour les mauvaises nouvelles. Pourquoi une nouvelle négative sera-t-elle toujours plus audible qu’une nouvelle positive ? Selon lui, tout s’éclaire grâce à la théorie de l’évolution :
Tout ce qui favorise la survie et la reproduction est renforcé, tout en se transmettant d’une génération à l’autre. Les mécanismes biologiques de la sélection darwinienne nous ont appris que les êtres vivants (humains, animaux et même plantes) qui se souviendront des mauvaises expériences et de la manière d’échapper à toutes sortes de périls (catastrophes naturelles, prédateurs, accidents de la vie et de la route) augmentent leurs chances de vivre plus longtemps. Les mieux adaptés auront seuls le temps de procréer, d’assurer le développement de leur famille et, par conséquent, de contribuer à assurer la survie de l’espèce19.
Nos cerveaux seraient donc programmés pour assurer la survie de notre espèce dans laquelle les faits négatifs auraient une grande utilité.
Pour pousser plus loin la réflexion, il ajoute, en se référant à plusieurs études que « c’est le public qui «programme» les médias et les pousse à diffuser des mauvaises nouvelles et non l’inverse ».
À la lumière de ces remarques, ce serait faire un procès infondé à BFMTV que de la fustiger sur la place excessive qu’elle aurait accordé sur son antenne à l’épidémie de Covid-19. Si les programmes de la chaîne d’information continue n’avaient pas été entièrement consacrés à cette épidémie les téléspectateurs auraient zappé vers plus offrant (en témoignent les spectaculaires chiffres d’audience de la période : en 2020, un pic à 4 h 40 en avril), mais lorsque les chiffres de contamination et de décès se sont infléchis pendant l’été 2020, BFMTV a volontairement réduit le temps consacré à la couverture médiatique du Covid-19.
La tuerie de Charlie Hebdo (janvier 2015) et les attentats du Bataclan (novembre 2015) avaient déjà montré que l’histoire qui s’écrit et se joue en temps réel, sous nos yeux, propose une narration aussi addictive que spectaculaire que seule la télévision permet – grâce au pouvoir de l’image.
Il est fort logique que l’épidémie mondiale n’ait pas échappé à la règle de la curiosité morbide et que l’appétence des téléspectateurs pour cette information ne se soit pas tarie. Au contraire, elle s’est décuplée. Il faut dire que le cocktail informationnel avait tout pour captiver : un événement apocalyptique d’une gravité sans précédent au XXIe siècle, une querelle scientifique médiatisée, un événement qui bouleverse la population mondiale sans exception et qui touche au ressort le plus intime : notre santé.
Le bilan de BFMTV est loin d’être aussi noir que les sondages ont pu le laisser croire. Bien au contraire, et aussi surprenant que cela puisse paraître, après analyse des JT diffusés du 1er février au 1er septembre 2020, on peut affirmer que le traitement éditorial de l’épidémie de Covid-19 par BFMTV est tout à fait louable. Relativement objective et rationnelle malgré quelques accès de sensationnalisme, la chaîne BFMTV, semble avoir tiré les leçons du passé et opéré une introspection constructive pour le bien des téléspectateurs et les métiers du journalisme.
Caroline Pastorelli est journaliste
indépendante et enseignante à l’École
de journalisme et de communication
de l’Université Aix-Marseille.
1
Marc Baudriller, « Les chaînes d’information euphoriques en 2020 », Challenge [en ligne] challenge.fr, 18.11.2020.
2Ibid.
3Visionnage effectué aux postes INA de la Bibliothèque Nationale de France à Paris de mars à juin 2021.
4« l’écriture médiatique de BFMTV, la question du réel et du récit nous paraît […] l’une des plus intéressantes à aborder. En effet, le mirage d’une information issue de la réalité et dépourvue de subjectivité, de signes et de construction semble être de plus en plus répandu au sein des médias. On assiste à une disparition volontaire du traitement journalistique afin de valoriser le direct, le «terrain» et le sensationnalisme », Beatriz Sánchez, Communication & langages, no 192, 2017, p. 158 (recension de l’ouvrage de Thierry Devars, La politique en continu : vers une « BFMisation » de la communication ?, Les petits matins, 2015).
5Sondage réalisé par l’Institut Viavoice, « Les attentes des Français sur l’utilité du journalisme et le traitement éditorial de la crise sanitaire », Octobre 2020.
6Aude Carasco, « Baromètre médias : pourquoi 4 Français sur 10 boudent l’information », La Croix, 15.01.2020.
7On entend ici par « qualité » tout travail de décryptage permettant au téléspectateur de se faire une opinion (interview des bons spécialistes, reportages sur le terrain, etc.).
8« Cette faute me hante […] c’est une information que j’avais. Au moment où je le dis, j’ai une garantie. Quelqu’un me dit ça ne risque rien, c’est secure […] J’ai fait 60 heures d’antenne en 72 heures, mais c’est parce que j’ai bien voulu le faire, parce que les infos je les avais. J’en avais même dix fois plus. J’avais tout en temps réel. Je m’en veux parce que la page d’écriture était belle, et juste arrivé à la fin, j’ai fait une grosse tache. Donc je peux refermer le cahier. » Agence 6Medias, « Attentat de Paris : le mea culpa du journaliste de BFMTV », Le Point, 09.01.2016.
9Dominique Marchetti et Olivier Baisnée, « L’économie de l’information en continu », Réseaux, n° 114, p. 191-192.
10Ibid.
11Armell Cressard, « La belle réussite de France Info », Le Monde, 10.02.2001.
12L’auteur a relevé 7 éléments visuels différents dont le split-screen, les synthés ou bandeaux, les médaillons, les hashtags, les images d’illustrations, les invités en plateau et en duplex.
13Didier Raoult, « Chloroquine : pourquoi les Chinois se tromperaient-ils ? », vidéo IHU Méditerranée Infection, 28.02.2020.
14Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d’Agir, 1998.
15Ibid.
16Pierre Tévanian et Sylvie Tissot, « La langue des médias, pourquoi la critiquer, comment la critiquer ? », Mouvements, no 61, 2010, p. 51.
17Damien Leloup et Lucie Soullier, « Coronavirus : comment le professeur Didier Raoult est devenu une figure centrale des théories complotistes », Le Monde, 28.03.2020.
18Le 19 août 2020, le site de France Info, proposait, dans une démarche pédagogique, de voir clair parmi les nouvelles figures médicales qui arpentaient les plateaux de télévision : « Invités réguliers des matinales radio et plateaux de chaînes d’information en continu, longuement interviewés dans la presse écrite, ils influencent l’opinion publique et parfois la décision politique face à la pandémie de Covid-19. Franceinfo s’est penché sur le profil d’une partie des experts français les plus médiatiques. […] Dans le flot des milliers d’interventions de spécialistes sur les plateaux de télévision depuis le début de l’épidémie de Coronavirus, il est effectivement parfois difficile de s’y retrouver. Le domaine d’expertise ne sera pas le même si vous avez affaire à un microbiologiste (un spécialiste des microbes et des virus), un infectiologue (un médecin qui est au contact des patients infectés) ou un épidémiologiste (un expert des courbes, qui étudie la façon dont le virus se propage). Pour vous permettre de mieux faire connaissance avec une partie de ces spécialistes rompus à l’exercice médiatique, sans chercher à distribuer les bons ou les mauvais points, Franceinfo a tenté de mieux cerner l’identité de ces «experts» qui façonnent l’opinion publique ».
19Joël de Rosnay, La symphonie du vivant, Les liens qui libèrent, 2018.
Référence de publication (ISO 690) : PASTORELLI, Caroline. Une chaîne d'information continue face au charivari de la pandémie. Les Cahiers du journalisme - Débats, 2021, vol. 2, n°7, p. D29-D42.
DOI:10.31188/CaJsm.2(7).2021.D029