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Nouvelle série, n°8-9

2nd semestre 2022

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CET ARTICLE






INTRODUCTION

L’information journalistique
fragilisée en temps de pandémie

Arnaud Mercier, Université Paris Panthéon-Assas
Magali Prodhomme, Université catholique de l’Ouest

DOI:10.31188/CaJsm.2(8-9).2022.R003





À

bien des égards la pandémie due au SRAS-CoV-2 est historique. Historique, car telle la crue centennale de la Seine, une épidémie aussi vaste et persistante se jauge à l’échelle des siècles. Et une identique n’avait pas été vue depuis la célèbre grippe espagnole commencée à la fin de la Première Guerre mondiale. Bien sûr, il y eut entre-temps la grippe de Hong Kong, le sida, Ebola… mais rien de comparable qui se soit répandu si vite, si amplement, avec autant de vagues successives et de variants nouveaux qui rebattaient les cartes. Faute de culture épidémique adaptée à l’ampleur du phénomène Covid-19, que ce soit chez les décideurs politiques et sanitaires, que dans le public et chez les journalistes, le traitement initial (et même encore aujourd’hui à bien des égards) de la maladie a été marqué au sceau de l’amateurisme, de l’indécision, des erreurs d’appréciation, des petits arrangements avec la vérité voire des mensonges. Faute de recul et de points d’appui solides hérités d’une culture épidémique partagée, les attitudes ont oscillé dans nos pays entre le déni de la maladie, la reconnaissance d’une gravité toute relative, et la peur d’un danger inconnu voire la panique. Les gouvernants après avoir beaucoup menti en garantissant que tout était sous contrôle et qu’on saurait faire face, ont été saisis d’effroi en voyant arriver la vague de février 2020 et son cortège funeste de projections épidémiologiques alarmantes. Le réflexe premier de fermeture (des frontières, des écoles, des bâtiments publics…) s’est achevé en confinement plus ou moins total en fonction des nations. Tout un chacun a pu se sentir perdu, ballotés que nous fûmes entre des discours contradictoires (des experts médicaux comme du personnel politique), les journalistes ne faisant pas exception à la règle. Et de fait, la pandémie de Covid-19 a représenté un incommensurable défi pour la profession de journaliste, partout dans le monde. Ed Wasserman, doyen de la Graduate School of Journalism de l’Université de Berkeley, déclara ainsi : « À bien des égards, c’est un moment décisif pour les médias. Je n’ai jamais vu une histoire qui a autant de dimensions déroutantes et embarrassantes que celle-ci. » (Natividad, 2020)

Des paroles officielles défaillantes

Première pandémie se déroulant à l’heure des réseaux socionumériques triomphants, elle a ouvert en grand la boîte de Pandore des rumeurs et de la désinformation en ligne, des fake news malveillantes et idéologiquement chargées. L’OMS a déclaré cette épidémie d’infox (Mercier, 2021) comme un mal presque aussi vital à conjurer que le coronavirus lui-même, en lui attachant le terme d’infodémie. Et il faut bien constater que ce pullulement de fake news au sujet de cette maladie, puis des vaccins inventés pour la combattre, a contribué à jeter un écran de fumée visqueux entre la parole officielle des autorités sanitaires et le grand public en quête de compréhension sur la réalité du danger et sur les bons moyens de s’en protéger.

Mais hélas la parole officielle a également été marquée par la confusion, les approximations et les contrevérités. De Boris Johnson à Donald Trump, de Jair Bolsonaro à Narendra Modi, les leaders populistes n’ont pas manqué de tromper leurs citoyens en tenant des propos rassurants, en cachant la réalité des chiffres, en contestant les paroles expertes issues du monde de la recherche et de la science, au profit de la défense avant tout des intérêts économiques et d’un libertarisme qui revendique le droit de ne pas avoir à se protéger pour protéger autrui. Très vite la question du Covid-19 a été politisée et même idéologisée. Les libertariens ont cherché à nier le problème pour empêcher préventivement que les États (honnis) déploient massivement leurs capacités à agir pour répondre à un désir de sécurité sanitaire, ou alors ont célébré les vertus d’une large contamination pour accélérer l’émergence d’une espérée immunité collective. Des religieux de toutes obédiences ont dénoncé certaines mesures sanitaires comme contraires aux aspirations divines, comme le port du masque, et ont jugé inacceptables les restrictions ou interdictions de célébrer des offices en groupe. Les forces dites antisystèmes, pouvant aller jusqu’aux complotistes patentés, ont crié au scandale politico-sanitaire, à la manipulation et à l’affolement illégitime et démesuré des foules, qui viserait à mieux instaurer un contrôle social et économique sur nos vies. Un cas extrême de cette politisation à mauvais escient de la pandémie fut la querelle (mondiale) sur les bienfaits de l’hydroxychloroquine pour soigner ou non les malades. À partir de déclarations péremptoires, notamment du bactériologue Didier Raoult, le personnel politique, et le plus souvent les dirigeants populistes, s’est épris de cette solution miracle. L’agenda politique était très clair chez les décideurs comme Trump ou Bolsonaro : affirmer qu’un traitement existe permet de justifier leur hostilité aux mesures de confinement qui cassent les dynamiques économiques. Avoir un médicament efficace est la contrepartie indispensable pour prétendre que chacun doit continuer à travailler dans son entreprise, dans ses bureaux. Pour atténuer les accusations contre un discours proéconomie qui manquerait d’empathie en mettant sciemment en danger la vie de chacun, de nombreux politiciens n’ont pas hésité à gonfler artificiellement les supposées vertus thérapeutiques de ce traitement.

Mais même chez les leaders moins enclins à flatter le peuple par des mesures et des discours simplistes, la parole politique a été confuse et peu crédible. Le gouvernement français a ainsi élaboré un narratif initial expliquant que se protéger avec un masque chirurgical ne servait à rien, pire même qu’il pouvait être dangereux d’en porter un car on ne savait pas le manipuler avec assez de précautions. Narratif qui permettait de masquer le fait que l’État français n’avait plus assez de masques protecteurs puisqu’il n’avait pas reconstitué les stocks de sécurité depuis l’épidémie H1N1 (Mercier, 2020). Et comme si la confusion du paysage informationnel n’était pas encore assez entretenue par les infox et la parole politique, les détenteurs supposés du savoir, les épidémiologistes, les virologues, les infectiologues ont tenu sur les plateaux de télévision, dans les colonnes des journaux et sur les réseaux socionumériques les propos les plus contradictoires. Le Covid-19 ne sera qu’une « grippette », ou « pas plus dangereux qu’une grosse grippe », la deuxième vague sera impossible, il faudrait laisser circuler le virus chez les enfants pour atteindre un seuil (hypothétique) d’immunité de masse, le variant Omicron nous protégera définitivement en renforçant notre immunité individuelle… Ce n’est ici qu’un modeste florilège de ce que l’opinion publique en quête de guidance scientifique aura pu entendre.

Le défi d’une couverture médiatique ajustée et proportionnée

Épidémie inédite, d’ampleur centennale, atteignant le monde entier par vagues successives, obligeant les gouvernements à prendre des mesures drastiques mettant en jeu nos modes de vie, notre accès au travail et aux loisirs, à l’école et aux soins, et même aux cérémonies religieuses et aux obsèques ; la demande d’information de qualité ne pouvait qu’être massive. Les médias en ont pris conscience très vite et ont bouleversé leurs programmes, leurs formats pour livrer en continu, au quotidien une information Covid-19 dominante qui a même fini un temps par devenir écrasante voire unique. Pour la France, l’INA a fort bien documenté ce phénomène de saturation de l’information Covid-19 (Bayet et Hervé, 2020). Les deux chercheurs responsables de cette étude documentent que sur les 161 jours d’observation (du 1er décembre 2019 au 10 mai 2020) sur les sites d’information français, il y a trace de 157 000 dépêches AFP utilisées, dont un pic à 80 % fin mars, et un taux moyen de 55 % à partir de mi-mars, qui traitaient du Covid-19. La radio et la télévision ne furent pas en reste. Bouleversant leurs programmes, passant même en mode édition spéciale en continu, y compris sur les chaînes généralistes, ces médias français ont sursaturé l’antenne de débats, plateaux, reportages, témoignages sur cette épidémie. Dans l’audiovisuel public comme privé, l’INA calcule qu’autour de 70 % à 80 % des contenus ont été consacrés à la pandémie entre mi-mars et mi-mai 2020.

Pour couvrir si massivement, pour réaliser tous les contenus que cela implique, les rédactions ont été confrontées à des défis quasi insurmontables, en tout cas dans le temps de l’urgence. Il a manqué trop souvent de compétences en interne, tant il est vrai que les journalistes scientifiques et médicaux ne sont pas légion dans les rédactions des grands médias généralistes français. Comme l’écrit sur son site l’association (française) des journalistes scientifiques de la presse d’information : « Malheureusement, les débouchés sont assez restreints. Le nombre de magazines scientifiques ou de rubriques scientifiques dans les journaux, d’émissions scientifiques à la télévision ou à la radio, reste faible. » La pandémie s’installant dans la durée, de nombreuses rédactions ont depuis fait les efforts d’embauche requis pour se mettre à niveau. L’absence ou l’insuffisance de journalistes spécialisés et compétents, bien sûr préjudiciable à la qualité des publications, a laissé un espace disponible à des journalistes pour raconter des choses peu crédibles, voire très douteuses au sujet de cette maladie, notamment en fonction de leur ligne éditoriale.

Le défi du choix des experts pertinents

L’autre défi, non sans lien avec le précédent, est la manière de choisir les experts à inviter dans les colonnes et sur les plateaux afin de compenser le manque de journalistes compétents. La question des « experts cathodiques » (Lensing-Hebben, 2008) est un vrai enjeu en soi, où se jouent le rapport aux sources des journalistes, le poids de la notoriété acquise, le jugement sur la qualité télégénique et médiatique de l’expert potentiel, la perception de leur capacité à intervenir sur plusieurs domaines facilement, leur disponibilité et leur prédisposition à accepter le défi des plateaux et du direct et le risque que tous ces critères l’emportent sur la compétence réelle face à un sujet précis. Mais dans le cas du SRAS-CoV-2, le défi professionnel fut d’autant plus complexe à résoudre qu’une configuration ternaire a caractérisé la situation : pas assez de journalistes scientifiques et spécialisés ; difficulté donc à connaître, reconnaître et choisir les experts compétents ; discordances vives entre les experts médicaux. Cette dernière caractéristique est un des faits majeurs de la pandémie de Covid-19. Il est rare de voir une incertitude scientifique être l’enjeu d’autant de controverses en un laps de temps si ramassé. Toute la gamme des idées (et bien souvent en réalité de simples opinions) ont trouvé à s’exprimer dans les médias : le déni de l’épidémie, sa fin annoncée précocement, son impossible reprise, l’atténuation de sa dangerosité, le doute sur l’utilité voire l’innocuité des vaccins, l’appel à la contamination pour parfaire notre immunité collective, versus l’alerte sur la dangerosité d’un coronavirus inconnu, les risques de contagiosité accrue, l’appel précoce à l’aération des espaces clos pour lutter contre la transmission par aérosolisation (que l’OMS a mis une année à reconnaître officiellement), la célébration des vaccins à ANR messager et la préconisation d’une deuxième, puis troisième puis quatrième dose de rappel.

Le travail interprétatif de chacun (les médecins, mais aussi les politiques, les intellectuels, les journalistes…) a débouché sur la formulation de cocktails informationnels contradictoires, mixant données contemporaines plus ou moins accessibles et surtout plus ou moins bien comprises. Auxquelles s’adjoint le plaquage d’anciens schémas pour rabattre l’épidémie sur du connu, sans doute pour se rassurer et pour imposer une figure de sachant, de celui capable d’être au-dessus de la mêlée, de garder la tête froide, de ne pas céder à la panique politique et médiatique, dont l’archétype fut sans conteste le professeur de médecine marseillais Didier Raoult. Médecin provocateur et médiatique qui a obtenu de forts soutiens (Smyrnaios, Tsimboukis et Loubère, 2021) dans les droites et extrêmes droites européennes et nord-américaines pour ses propos rassurants et son autocélébration d’un (pseudo) traitement. Comme le constate, amer, le philosophe Jean-Louis Schlegel :

[…] la rançon du succès de la science médicale a été en fin de compte aussi la surprise d’assister aux limites de la science médicale et de ses serviteurs les plus éminents. Devenue porteuse d’enjeux politiques et objet d’une intense discussion publique, la médecine a été emportée dans la sphère des croyances et des rumeurs, dans la culture de la post-vérité et du complotisme (2021).

Le défi de l’installation dans la durée de l’épidémie

De même que pour le mouvement des Gilets jaunes en France, l’installation dans la longue durée a représenté un défi journalistique (Charon et Mercier, 2022), le caractère durable et cyclique de la pandémie de Covid-19 a mis la profession face à un dilemme. Après en avoir fait beaucoup pour couvrir la maladie et ses conséquences, de nombreuses personnalités du monde politique, sanitaire et médiatique, en plus de nombreux citoyens, ont fini par protester et reprocher aux journalistes d’en avoir trop fait, de tenir des propos anxiogènes, d’entretenir (artificiellement pour certains) une psychose collective. On a vu fleurir, sur les plateaux comme sur les réseaux socionumériques, les propos rassuristes relativisant l’étendue de la pandémie, la gravité de la maladie, la mortalité réelle du coronavirus, la dangerosité pour les enfants… Des journalistes ont exprimé publiquement leur lassitude relative de voir l’agenda des médias totalement phagocyté par la pandémie. Aussi a commencé à s’installer une petite musique qui a tourné dans certains médias, qu’il fallait savoir prendre le contrepied de l’overdose Covid-19 des premiers mois. Voilà pourquoi certains titres de presse ou certaines chaînes de radio et télévision ont adopté une ligne éditoriale rassuriste, sous forme d’un mea culpa et de la volonté de ne plus apparaître anxiogènes. Quitte à inviter des (pseudo) experts de l’épidémie précisément parce qu’ils tenaient eux aussi un discours très rassurant, excluant toute deuxième vague, faisant des prédictions d’impossibilité de voir émerger un nouveau variant inquiétant, de rencontrer un nouveau pic d’hospitalisation… avec une acuité dans le pronostic inversement proportionnelle à l’arrogance et la suffisance avec lesquelles ils assénaient leurs fautives prédictions. On citera pour seul mais emblématique exemple la prédiction de celui qui se présente comme épidémiologiste, Martin Blachier, affirmant à la télévision française et sur Twitter le 6 décembre 2021 qu’on passera Noël tranquilles grâce à une décroissance des contaminations, alors qu’on était en réalité en plein démarrage de la vague Omicron, qui a fait le plus grand nombre de contaminés de toutes les vagues depuis l’origine durant l’hiver 2021-22.

Ces jeux de posture croisés journalistico-experts sont dénoncés par le philosophe Michaël Fœssel :

Au nom du public, un journaliste exige d’un professeur en épidémiologie non pas qu’il fasse état de ce qu’il sait et de ce qu’il ignore, mais qu’il livre dans les meilleurs délais une perspective de salut. Force est de constater que le professeur ne se refuse pas toujours à entrer dans un jeu où il assume la fonction du prêtre (2021).

Le journaliste de LCI, David Pujadas a apporté son plein concours à ces discours, en accueillant à bras ouverts plusieurs médecins et (pseudo) experts en mal de reconnaissance et de visibilité médiatiques, pour tenir des propos dénigrant les « mesures de précaution excessives », « la panique », « la dictature sanitaire », « les discours de peur »… Il s’est agi pour certains journalistes (ou médias en entier) d’apparaître comme des rebelles, des dissidents face à une doxa jugée anxiogène et irrationnelle. Face à l’usure de la couverture médiatique et à l’accablement des spectateurs, des médias ont fait le choix du balancier, changeant radicalement de cap, passant de l’alarmisme au rassurisme.

Ce faisant, une partie des acteurs de l’information ont peu à peu abandonné leur rôle de vigie, de lanceurs d’alerte, pour appeler chacun à savoir se protéger et éviter les prises de risque contaminantes. Ou alors, on peut soutenir qu’ils ont inversé paradoxalement la définition du lancement d’alertes, en se considérant animés d’une impérieuse obligation de faire prendre conscience aux pouvoirs publics et au grand public que nous étions collectivement dans l’erreur, que ce virus ne valait pas des mesures si drastiques, si coûteuses économiquement, que l’épidémie était finie (ce qui a été annoncé plusieurs fois à plusieurs mois d’affilée, et souvent par les mêmes) (Gontier, 2022).

Pareil jeu de posture a fait tomber un certain nombre de journalistes dans l’ultracrépidarianisme. Une altercation sur le plateau de LCI dans la tranche info de David Pujadas avec l’épidémiologiste Catherine Hill, en février 2021, illustre ce phénomène.

Face à ce qui se veut une implacable démonstration sur la baisse tendancielle des contaminations dans le monde en général et au Brésil en particulier, grâce à un graphique projeté à l’antenne, la professeure de médecine et diplômée en biostatistique Catherine Hill réagit pour rétablir une double vérité. La forme de la courbe, en dents de scie, ne montre pas une baisse si spectaculaire. Elle déclare « à vue de nez » qu’elle illustre plutôt une certaine stabilité. Elle affirme ensuite que la comparaison des cas par jour est fautive et qu’il faut au minimum prendre les données lissées sur sept jours pour niveler les inévitables à-coups statistiques de la collecte de données par jour. David Pujadas conteste, défend la lecture de la courbe, lui le journaliste, contre une épidémiologiste, ayant enseigné en France et aux États-Unis la statistique biomédicale dans les établissements les plus prestigieux. À la suite de la polémique déclenchée qui donne massivement raison à l’épidémiologiste, David Pujadas s’est défendu, maladroitement, reconnaissant du bout des lèvres une maladresse (pas le meilleur choix de graphique) au lieu d’admettre une erreur complète d’interprétation, qui serait l’aveu d’une erreur de sa ligne éditoriale rassuriste.

Bilan : confusion informationnelle sur le Covid-19

Il résulte de tout ceci, une extrême confusion dans l’opinion publique concernant le SRAS-CoV-2, Caroline Pastorelli évoquant « un charivari de la pandémie » (2021). L’inconsistance des discours sanitaires officiels s’est amalgamée aux controverses scientifiques transformées en pures polémiques dans les espaces médiatiques (bloc de certitudes contre bloc de certitudes, opinion contre opinion), en utilisant les réseaux socionumériques et les plateaux télé comme arènes de substitution aux espaces délibératifs académiques. Avec la valorisation inédite par son ampleur, dans un espace interstitiel entre la sphère académique et l’arène médiatique, des preprints sur lesquels Brigitte Sebbah et ses collègues reviennent dans ce dossier. Ces prépublications, qui d’ordinaire sont peu visibles dans les médias, sont une façon pour le corps académique de donner une première visibilité à des papiers en cours d’évaluation à des fins de publication validante dans des revues ayant pignon sur rue et gages de qualité et de crédibilité. Mais le dispositif des preprints a été en partie détourné de son sens durant cette pandémie, car on a vu des études encore en cours être offertes à la communauté dans des délais record et inhabituels pour la recherche (parfois moins d’un mois après le début des travaux). Cela correspond à plusieurs logiques divergentes :

— logique d’urgence altruiste : avoir la certitude de tenir un résultat décisif qu’il convient de faire connaître au plus vite au corps médical car il y a urgence sanitaire, et tant pis si cela atténuera la portée d’une future publication validée par une revue prestigieuse ;

— logique d’occupation du terrain : se rendre visible de ses pairs par une étude pas encore totalement bouclée et bien bordée méthodologiquement, afin d’affirmer sa présence sur ce créneau de recherche et aider à obtenir des financements publics sans attendre des publications validantes (qui peut être ne viendront jamais…) ;

— logique agonistique : défendre sa vision de l’épidémie par un texte aux apparences scientifiques, dans un dispositif permettant de se prévaloir de la geste académique, tout en n’étant pas (encore) soumis au jugement de ses pairs, et qu’importe si le papier est finalement publié ou pas. L’essentiel est de pouvoir se prévaloir de ce document mis en ligne pour affermir sa position et trouver dans l’espace public, hors du monde académique des soutiens et des relais.

Le monde journalistique a eu bien du mal à ne pas s’enliser dans ce terrain complexe. Car face à l’urgence perçue, au désir de chacun d’entrevoir des solutions, des réponses, des explications, les médias ont utilisé bien plus que d’ordinaire ces prépublications, en ne pouvant pas hiérarchiser, pas trier le bon grain de l’ivraie. Pensant s’appuyer sur une parole scientifique viable, l’évocation de certains de ces textes au statut incertain, et d’ailleurs refusés et jamais parus, n’a en réalité fait qu’ajouter à la confusion informationnelle. Le professeur émérite de santé publique John Swartzberg a d’ailleurs dénoncé ce recours aux preprints « peu fiables qui peuvent compliquer la tâche des journalistes » (Natividad, 2020).

Mais ce phénomène n’est pas que le fruit d’une défaillance collective de la communauté scientifique et médicale. Certaines rédactions ont contribué sciemment à cette confusion. En effet, au lieu de restituer avec plus ou moins de talent, de sérieux et de pédagogie des controverses scientifiques, certains médias ont choisi pour ligne éditoriale de prendre parti et de transmuer des disputes académiques en des polémiques politico-médiatiques. Le summum ayant été atteint par le sondage organisé par le journal Le Parisien mettant au suffrage des Français, le 5 avril 2020, la question de savoir si le traitement du Covid-19 à base de chloroquine était efficace (Mateus, 2020), comme si un traitement médical se décidait sur la place publique par la vox populi. Dans un avis de septembre 2021, le comité d’éthique du CNRS est revenu sur cet épisode, affirmant :

On ne peut que s’inquiéter que le choix d’un traitement puisse être décidé par l’opinion publique sur la base d’une pétition ou d’un sondage et que des décisions politiques puissent être prises en se fondant sur des croyances ou des arguments irrationnels, faisant uniquement appel à la peur ou à l’émotion.

Plusieurs sondages de par le monde ont montré que les opinions publiques étaient pleinement conscientes de cette confusion informationnelle entretenue par les querelles académiques et relayées et amplifiées par les médias. Alors même que la demande d’information n’a jamais été aussi grande dans chaque pays et que la consommation d’information, en ligne comme à la télévision, a atteint souvent des records lors des pics épidémiques.

Ainsi, selon les résultats du baromètre 2021 sur la confiance dans les médias du journal La Croix, 73 % des personnes interrogées ont ainsi pu être en accord avec l’idée que les médias « ont donné trop de place à des gens qui ne sont pas spécialistes du sujet », 58 % sont en accord avec l’idée que les médias « ont relayé de fausses informations » pendant que seulement 36 % sont d’accord pour dire que les médias « vous ont permis de réduire l’incertitude liée à la situation » (Rivière et Caline, 2021). Côté britannique l’idée d’information pertinente sur la pandémie est aussi mise en cause. Globalement, l’opinion publique a été très sévère dans son jugement sur la confiance à accorder aux médias. 38 % des sondés britanniques pensaient à la mi-avril 2020 que les journalistes avaient fait du bon boulot dans la couverture du Covid-19. Chiffre qui est descendu jusqu’à 25 % seulement durant l’été 2020, selon l’étude conduite par le Reuters Institute.

Au Québec, selon les données analysées par Simon Langlois et Florian Sauvageau (2021) à partir d’un sondage mené par le cabinet-conseil CROP entre le 19 et le 24 novembre 2020, un quart des répondants déclare avoir moins confiance dans les médias traditionnels depuis l’épisode du Covid-19. Un quart seulement pourrait-on dire, mais ce chiffre cache un phénomène d’accentuation de la polarisation dans la confiance faite aux médias :

Les personnes qui se fient habituellement à tous les médias traditionnels avancent en effet que leur confiance s’est accentuée alors que, à l’opposé, les individus qui n’ont aucune confiance envers ces mêmes médias disent en avoir encore moins depuis le début de la pandémie (Langlois et Sauvageau, 2021).

Cette polarisation politique préalable qui colore fortement la réception des informations journalistiques sur le Covid-19 se retrouve bien sûr aux États-Unis. Selon une étude de mai 2020, 49 % des sondés américains pensent que l’information transmise par les médias a été « largement exacte ». Ce chiffre presque flatteur cache là aussi une disparité partisane très forte qui ne fait dire la même chose qu’à seulement 31 % des républicains sondés.

Les avis positifs qui persistent sur le travail journalistique durant cette pandémie sont le reflet d’un investissement souvent remarquable des médias en faveur de l’information service. En effet, au moment d’un bouleversement assez complet de nos modes de vie, avec des régulations sanitaires plus ou moins restrictives, des interventions étatiques plus ou moins fortes, le grand public était en attente de connaissances précises sur ce qu’il fallait faire ou pas, sur les moyens d’être aidé, traité, puis vacciné. Dans bien des cas, la couverture médiatique a répondu à ces attentes. En France, par exemple, on a vu les médias audiovisuels créer des dispositifs d’interpellation directe des auditeurs et téléspectateurs pour poser leurs questions pratiques et obtenir des réponses précises et efficaces de la part des journalistes dédiés ou des experts invités à y répondre du fait de leurs compétences pointues (pédiatres, psychologues, juristes, etc.). De même, la plupart des médias français (mais c’est vrai dans bien d’autres pays) ont été plus attentifs que d’habitude aux infox qui circulaient et ont mis un point d’honneur à en démentir plusieurs lorsqu’elles étaient jugées dangereuses pour la santé des personnes.

Retour critique sur la couverture médiatique du Covid-19

C’est pour faire un point sur toutes ces dimensions entremêlées que nous avons décidé de lancer ce dossier des Cahiers du journalisme autour des relations complexes et imparfaites unissant journalistes, experts médicaux, politiciens et grand public durant cette pandémie inédite.

Ce thème vise aussi à ne pas laisser « un silence assourdissant » celui-là même « qui a remplacé le vacarme », comme l’écrit Abdennour Bidar dans une tribune récente publiée dans le Monde (2022). Le philosophe s’étonne de « l’amnésie qui s’est rapidement installée alors que nous sortons à peine de deux ans de crise sanitaire » et questionne également le rôle de la couverture médiatique du Covid-19. Certes les médias, au sortir de la pandémie, ont été happés par la guerre en Ukraine et des échéances électorales décisives en France. Certes encore, « pendant la crise, notre réflexion a été retardée par l’urgence », souligne Abdennour Bidar. Mais désormais l’épreuve partagée de cette crise sanitaire appelle un indispensable temps de réflexion collectif autour du journalisme en temps de pandémie.

Ce dossier compte huit articles abordant cet enjeu sous divers angles et sous diverses latitudes avec toutefois deux perspectives notables, l’une dédiée au traitement médiatique du Covid-19, l’autre consacrée à la pratique même des journalistes pris en étau entre sources et publics.

Il s’amorce par l’étude quantitative de l’intensité médiatique des six premiers mois de la pandémie conduite pas Nicolas Hervé. Dans cette étude d’ampleur, l’intégralité des dépêches AFP, des publications en ligne de 38 sites d’informations et environ 60 % des tweets émis en français ainsi que la transcription de l’ensemble des chaînes et radios d’information en continu entre 6 h et minuit ont fait l’objet d’une analyse textométrique minutieuse et d’une modélisation du temps d’antenne pour la télévision et la radio sur une période qui s’étend du début du mois de décembre 2019 à la fin juin 2020. Ainsi, dans la chronologie médiatique de la pandémie, l’auteur, chercheur en informatique à l’INA, détaille avec granularité les éléments et événements de basculement du cadrage des médias dans une amplitude ici sans précédent qui pointe, parmi les trois principales phases de l’accroissement de la médiatisation, « une quasi-saturation pendant le confinement avec une couverture qui frôle les 80 % pour les médias traditionnels ».

Cette « quasi-saturation » fait d’ailleurs l’objet d’une question posée frontalement par Alexandre Camino et Nicolas Sourisce : « La presse en a-t-elle trop fait, en France, avec le virus du Covid-19 ? » Les deux auteurs ont fait le choix d’y répondre par une plongée au cœur des rédactions respectives de trois titres de la PQN (Le Monde, Libération et Le Figaro) cernés par une analyse quantitative (avec un corpus de près de 900 articles) et qualitative (entretiens semi-directifs d’acteurs pas seulement journalistes). Les constats, qui s’appuient notamment sur une logique de choix hiérarchisation, convergent pour pointer l’écrasement de la couverture médiatique du virus sur toute autre actualité, une couverture doublement qualifiée par les auteurs de quantitativement « extra-ordinaire » et relevant d’un traitement « non ordinaire » d’un sujet. Les conclusions de ce travail de recherche font écho aux critiques qui ont émaillé la couverture médiatique de la première période du Covid-19 en France d’un traitement trop anxiogène de la pandémie avec toutefois deux précautions à considérer : le paradoxe, exhumé lors des entretiens, d’un succès en termes d’audience de sujets liés à la pandémie et la distinction nécessaire entre les aspects quantitatifs du traitement, incontestablement hors-normes, et ceux qualitatifs sources du mécontentement du grand public. L’ensemble conclut toutefois à un travail de réflexivité des rédactions sur les pratiques engagées par les journalistes durant cette période inédite d’actualité.

Le travail de recherche d’Oliver Champagne, de Marié-Ève Carigan et de Marc David revient également sur la couverture de la pandémie de Covid-19 produite par la presse écrite canadienne avec un corpus conséquent de 15 873 articles issus de 20 quotidiens canadiens sur une période restreinte d’un mois, entre le 27 janvier 2020 et le 27 février 2021. L’approche mixte, quantitative et qualitative, relève la complexification à la fois du traitement de la pandémie et de son évolution mais également du travail des journalistes, eux-mêmes confinés, notamment dans leur rapport aux sources, singulièrement les agences de presse dont le rôle est révélé dans l’article comme capital sur la période dite d’adaptation des médias à la vague pandémique.

Les 54 entretiens de journalistes français conduits par Alexandre Joux affinent l’analyse des pratiques journalistiques en temps de crise sanitaire et d’infodémie conjuguées, notamment sur les questions des sources et de la nature de l’expertise dans une perspective sociopolitique large qui prévoit trois niveaux d’analyse : micro, meso et macro. L’auteur questionne les pratiques et les représentations des journalistes sur la période qui ceinture l’annonce du confinement par le président de la République et celle d’un déconfinement, soit du 16 mars au 11 mai 2020. Les résultats de cette recherche soulignent un consensus de la profession sur l’utilité sociale des médias d’information et l’accompagnement des publics dans la crise sanitaire avec en creux un contexte de crise de légitimité des discours duquel les journalistes semblent sortir fragilement épargnés là où le discours gouvernemental est particulièrement critiqué. Ici l’auteur ne manque pas de resituer l’ensemble des discours exacerbés par la pandémie dans la perspective d’idéal de vérité.

Cette question est d’ailleurs singulièrement incarnée par les travaux de Vitaly Buduchev qui viennent compléter l’analyse de la construction de l’actualité de la Covid-19 en déplaçant le lecteur en Russie et la réflexion sur le terrain des angles retenus et de l’usage du discours rapporté au sein des pages d’Izvestia et de Komsomolskaya Pravda. Ces deux quotidiens russes dont les identités éditoriales respectives et leur place au sein de l’espace médiatique russe en font d’emblée, dans la confrontation qu’offre l’analyse, deux objets heuristiques révélateurs des rapports de ces médias à la stratégie de communication du Kremlin dans la gestion de la pandémie.

Les travaux d’Eva-Marie Goepfert et de Mathais Valex interrogent sur le temps long la manière dont la question de la construction médiatique de la figure conflictuelle de Didier Raoult participe d’une mise en récit polarisée de la crise sanitaire qui érige les experts scientifiques en objets de croyance davantage que de science. Quatre titres de la presse écrite française (Libération, Le Figaro, La Provence et Le Parisien) constitutifs du corpus (665 articles) font l’objet d’une étude quantitative outillée de la visibilité de Didier Raoult. Cette réflexion conduit les auteurs à positionner Didier Raoult en « figure-frontière des conflits structurant la crise sanitaire » et à considérer à travers cette figuration fétichisée et contestataire le rôle des médias dans la couverture de la pandémie.

Parmi les figures centrales qui ont joué un rôle singulier durant la pandémie, celle du journaliste scientifique a été particulièrement mise à l’épreuve de l’actualité Covid-19. À partir de cinq entretiens au long cours, Brigitte Sebbah, Franck Bousquet et Guillaume Cabanac questionnent les représentations des journalistes au sujet de leur traitement de la pandémie, les définitions de leurs pratiques et identité professionnelle. L’objectif de ce travail de recherche vise une meilleure compréhension des dynamiques du travail de médiation scientifique par les journalistes et de leur rapport à l’épistémologie et à la méthode scientifique dans ce contexte inédit de mise à l’épreuve. Ce travail révèle la complexité d’une identité journalistique spécialisée où s’entremêlent les questions de légitimité, de compétences, de frontières identitaires et de fonctions qui placent la spécialité du journaliste scientifique dans une tension permanente non seulement au sein des rédactions mais également vis-à-vis du public.  

Arnaud Mercier est professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas
Magali Prodhomme est maître de conférences à l’Université Catholique de l’Ouest




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Note éditoriale : On désigne en français la pandémie provoquée par le coronavirus SARS-CoV-2 au masculin en Europe et au féminin en Amérique du Nord. Revue internationale, Les Cahiers du journalisme ont choisi dans ce dossier de ne privilégier aucun de ces usages continentaux, lesquels ont chacun des raisons à faire valoir, et de suivre le choix des auteurs qui peut donc varier ici d’un article à l’autre.




Référence de publication (ISO 690) : MERCIER, Arnaud, et PRODHOMME, Magali. Introduction : L’information journalistique fragilisée en temps de pandémie. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2022, vol. 2, n°8-9, p. R3-R11.
DOI:10.31188/CaJsm.2(8-9).2022.R003


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