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Introduction

Médias, terrorisme et conflit :
pratiques et stratégies

Marc-François Bernier, Université d’Ottawa

De tout temps, les médias ont accordé une grande attention aux actes de terrorisme, et la question s’est vite posée de savoir comment ils devaient se comporter afin de ne pas devenir des vecteurs de propagande instrumentalisés par les organisations terroristes. C’est surtout la couverture télévisée de tels actes qui a suscité les débats sociaux, politiques et éthiques dès le début des années 1970, notamment lors de détournements d’avion (Cohen-Almagor, 2005  Schmid, 1989).

Le dossier qui suit trouve son origine dans le colloque « Médias, terrorisme et conflit : pratiques et stratégies » tenu en novembre 2016 à l’ESJ Lille1, rencontre très stimulante qui été prolongée l’année suivante par un appel à contributions ouvert consacré à ce même thème.

Les problèmes et les enjeux liés aux conflits et au terrorisme ont ressurgi avec une certaine acuité depuis plusieurs années, au point de devenir une problématique vitale pour les États démocratiques. On assiste partout dans le monde à des bouleversements affectant les rapports interétatiques et se prolongeant jusque dans les États. À l’intérieur de ceux-ci s’installe parfois un certain conservatisme adossé à un discours xénophobe qui se nourrit des peurs, des amalgames et des angoisses des populations.

Les conflits et les attentats terroristes, du fait de leur caractère souvent spectaculaire, ne laissent pas les médias indifférents. Dans un contexte marqué par la saturation du marché médiatique et la mise en place de stratégies pour capter l’attention des publics, se développe une sorte de relation perverse entre le terrorisme-spectacle et la recherche de théâtralisation des événements par les médias. Des attaques du World Trade Center (2001) à l’attentat de Bir Al-Abed (2017), en passant par ceux de Madrid (2004), Londres (2005), de Paris et de Bamako (2015), Ouagadougou (janvier 2016) et leur couverture souvent en direct, s’exprime de façon nette cette relation perverse.

En rupture de la normalité du fait politique, les conflits et les actes terroristes instituent un autre système d’intelligibilité et d’interprétation de leur couverture par les médias. Face à ces bouleversements, le discours médiatique, qui formate en partie les représentations et les imaginaires, donne non seulement une signification aux messages, mais aussi une consistance aux acteurs et aux identités. Le rôle des médias est de formuler de nouvelles logiques de compréhension et d’interprétation des événements constitutifs des conflits et du terrorisme, de même que les formes et les représentations nécessaires à leur matérialisation symbolique. Les difficultés pour les médias résident dans le fait qu’ils doivent couvrir ces événements sans servir – involontairement – de simples relais aux positions des États et à la propagande des groupes terroristes.

Le colloque de Lille, par son caractère interdisciplinaire, a examiné les conditions de production de l’information en temps de crise ou de conflits. Il s’est appuyé sur le postulat selon lequel les conflits et le terrorisme constituent un terrain d’étude particulièrement propice pour évaluer le rôle des médias dans nos sociétés démocratiques contemporaines. Il s’est intéressé aux médias d’information, tant dans leurs formes traditionnelles que numériques. Il a fait le pari de favoriser des études de cas comme autant d’incarnations de la complexité des enjeux où se confrontent le droit à l’information, le rôle démocratique des médias d’information et les stratégies propagandistes d’acteurs sanguinaires, prêts à tout pour faire parler d’eux et de leur cause. Les approches théoriques sont plurielles, de même que les démarches méthodologiques.

Le terrorisme moderne, par ses attaques violentes et spectaculaires, nourrit l’information-spectacle. Il exploite cette dynamique et agit de manière à attirer autant que possible l’attention du monde. Médias et terrorisme entretiennent ainsi une relation symbiotique dont les deux parties tirent profit. Bien qu’elle ne soit pas dépourvue d’un certain parti pris de la part des médias, cette association a pour caractéristique essentielle de faire entrer ces derniers dans le jeu des terroristes en servant de diverses façons leurs stratégies de propagande. La course à l’audimat amène souvent les chaînes d’information continue à accorder une attention toute particulière aux évènements les plus à même de nourrir l’information-spectacle. Cette pratique sert souvent les intérêts des groupes de pression et, involontairement, la stratégie du terrorisme à visée médiatique.

Dans sa contribution intitulée Les médias, un allié du terrorisme ? Lassané Yaméogo s’intéresse aux rapports des quotidiens burkinabè au terrorisme à partir d’entretiens qualitatifs et d’analyse de corpus de presse. Preuve qu’il n’existe pas un journalisme singulier, mais plutôt des journalismes, l’auteur observe la cohabitation de journalisme de combat, de journalisme patriotique et de journalisme de paix. Il en résulte un discours journalistique qui s’insère dans une logique de publicisation du terrorisme marqué par une rhétorique militante pour mobiliser un « nous » collectif et consensuel contre l’ennemi commun : le terrorisme.

Toujours dans l’analyse des médias traditionnels, on se déplace vers la France où Aurélie Aubert livre une étude empirique menée sur le traitement des attentats du 13 novembre 2015 à Paris par BMTV TV, une chaîne d’information en continu française de la TNT. Dans Retransmettre l’incompréhensible : Informer en continu face au défi terroriste, il s’agit d’évaluer la véritable valeur informative de la présence d’un journaliste « au cœur des événements » et d’observer comment se construit le récit autour d’un événement complexe dans les minutes qui suivent la perpétration d’un attentat. Les reporters de la chaîne se prêtent alors au direct, au plus près des lieux des événements, commentant ce qu’ils voient et entendent. Il apparaît ainsi que le discours journalistique construit dans les premières heures est particulièrement fragmenté. Face à ce récit désorganisé, l’historique des événements se construit brique par brique, mais dans un certain désordre, grâce à des témoignages externes tout d’abord, mais également grâce à la présence d’experts en plateau dont le discours est, d’emblée, polémique. L’article propose une comparaison avec le traitement télévisuel du même événement dans l’édition spéciale de France 2, dont la rédaction n’est pas habituée à effectuer de l’information en direct sur du temps long.

Dans les médias traditionnels, les terroristes ont pu transmettre leurs messages tout en offrant aux télévisions et journaux des sujets qui captivaient le public au plus haut point. Cette interdépendance a évolué au fil des années, des changements sociaux et des innovations technologiques. Dans un contexte de profonde crise du paysage médiatique traditionnel, les « nouveaux médias » élargissent le cercle de la parole et offrent plus de liberté à l’utilisateur qui est en même temps un générateur de contenus. Cette décentralisation dans la production de contenus médiatiques profite également aux mouvements terroristes. Pour ces derniers, le djihad sur internet est aussi important que le djihad militaire. Les réseaux sociaux les plus célèbres se retrouvent aujourd’hui presque tous cités dans les affaires liées au terrorisme. Que ce soit pour diffuser, communiquer et recruter, les groupes terroristes sont très présents sur les réseaux sociaux qui leur servent de caisse de résonance.

C’est dans ce contexte très large que Hasna Hussein aborde La propagande comme première arme de guerre pour Daesh. À partir de l’étude de la propagande de Daesh, il s’agit d’appréhender l’importance de la stratégie médiatique numérique de ce groupe, ses caractéristiques et ses principaux rôles. Le but est de comprendre comment Daesh réussit à attirer de nouveaux sympathisants du monde entier. Il faut donc analyser les images et les discours déployés par cette propagande pour atteindre cette finalité. L’auteur propose une analyse socio-sémiotique de cette propagande à partir de productions médiatiques écrites et audiovisuelles en arabe, français et anglais. Selon elle, cette propagande repose sur une nouvelle vision du monde à travers un discours alternatif sur les plans historico-religieux qui, notamment, reprend et détourne des codes communs de l’islam sunnite.

On ne peut traiter des rapports entre médias et terrorisme sans aborder la dimension normative du métier, c’est-à-dire le respect ou le questionnement des principes éthiques et des règles déontologiques dans le traitement de l’information. Au fil des années et des tragédies, certains médias ont commis des dérapages en matière de couverture de conflits ou d’attaques terroristes : publication de vidéos ou de contenus propagandistes de mouvements terroristes, révélation d’informations relatives aux dispositifs de sécurité, exhibition des corps des victimes, etc. Les manquements à l’éthique et à la déontologie s’expliquent en partie par le fait que les médias travaillent dans l’urgence, où l’émotion prend souvent le pas sur le professionnalisme.

Les journalistes ont-ils la volonté ou la capacité de penser leurs propres pratiques, de faire preuve d’autocritique et d’imputabilité, c’est-à-dire faire du journalisme un objet de débat public ? Ce qui lui permet de renforcer le sens de la responsabilité des médias tout en préservant leur autonomie. Car il se trouve que le professionnalisme est souvent mis à rude épreuve dans la couverture des évènements liés au terrorisme ou aux conflits.

Il semble que cela soit le cas, en Tunisie à tout le moins, comme le relate Sadok Hammami dans L’idéologie journalistique face à l’enjeu du terrorisme, où il analyse le processus de formation des valeurs du journalisme tunisien dans un contexte particulier marqué par les enjeux de la transition politique et médiatique et la montée du terrorisme.

Le journalisme tunisien vit une série de transformations qui concernent autant son ordre normatif que les savoir-faire et les règles de production éditoriale. Les concepts d’idéologie professionnelle et de réflexivité journalistique permettent de comprendre comment, face à la montée du terrorisme, les journalistes sont amenés à redéfinir les valeurs idéales-typiques de leur profession. Chez eux, le terrorisme favorise non seulement une réflexivité professionnelle, mais affecte également la manière dont ils se représentent leur rôle.

Le « journalisme de paix » est parfois présenté comme un nouveau paradigme de l’information sensible aux conflits et à la crise. Si le conflit est un élément conjoncturel, et si les médias sont les agents de communication sociale à travers lesquels une crise devient publique, alors la relation médias, paix et droits de l’homme devient un facteur clé dans le combat pour la démocratie, et contre les terrorismes. Si le concept de « journalisme sensible aux conflits » suscite de l’enthousiasme chez ses principaux théoriciens, il fait l’objet de réserves dans sa mise en œuvre conformément aux règles professionnelles qui régissent la pratique du journalisme. Ces réserves insistent sur le risque d’une instrumentalisation des médias et des journalistes. D’aucuns soulignent que la nécessité d’informer de façon honnête risque d’être compromise par le désir du journaliste de contribuer à une certaine stabilité sociale.

C’est la problématique abordée par Yeny Serrano dans Guerre et post-conflit en Colombie : une réflexion sur la neutralité journalistique. Il s’intéresse au rôle des journalistes en Colombie pendant la période du conflit armé et des négociations de paix entre le gouvernement et la guérilla des FARC. En dépit des initiatives de certains professionnels de l’information pour ne pas attiser la confrontation armée et pour promouvoir la paix, la logique de communication de guerre prévaut sur les principes éthiques et les règles professionnelles des journalistes. L’information médiatique continue à fonctionner comme un instrument de la (dé)légitimation politique et remet ainsi en question la « neutralité » journalistique. Cette étude de cas demeure pertinente puisque les guérillas sont souvent prétextes à l’exaction de violences physiques et symboliques qui cherchent, elles aussi, à semer la terreur et la peur à des fins politiques.

Notre section thématique se termine sur une contribution théorique de Liane Rothenberger qui examine Les relations entre terrorisme et médias du point de vue des SIC allemandes, lesquelles ont considérablement négligé l’objet de recherche que constitue le terrorisme. Mais depuis les attentats du 11 septembre 2001, ces analyses se sont multipliées, étudiant pour la plupart un cas spécifique tel que la couverture médiatique dans les jours et semaines suivant un attentat précis. L’auteure propose une classification des études existantes en plusieurs catégories et propose des pistes de recherche à explorer, comme une invitation à aller plus loin que le présent numéro.

Marc-François Bernier est professeur titulaire
au département de communication de l’Université d’Ottawa




Notes

1

Ce colloque international a été organisé par le Réseau Théophraste des centres francophones de formation au journalisme, en partenariat avec l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qu'il faut à nouveau remercier pour son soutien à de telles activités qui permettent de faire cohabiter, pendant quelques jours, des chercheurs et des praticiens du journalisme.






Références

Cohen-Almagor Raphael (2005), Media Coverage of Acts of Terrorism: Troubling Episodes and Suggested Guidelines. Canadian Journal of Communication, 30(3), 383-409.

Schmid Alex P. (1989), Terrorism and the media : The ethics of publicity, Terrorism and Political Violence, 1(4), 539-565.




Référence de publication (ISO 690) : BERNIER, Marc-François. Médias, terrorisme et conflit : pratiques et stratégies. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2018, vol. 2, no 1, p. R3-R6.
DOI:10.31188/CaJsm.2(1).2018.R003


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