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Les relations entre terrorisme et médias du point de vue des SIC allemandes

Liane Rothenberger, Université technique d’Ilmenau

Résumé

Tout au long de leur histoire, les sciences de l’information et de la communication (SIC) allemandes ont négligé l’objet de recherche que constitue le « terrorisme ». En particulier, la recherche sur la compréhension théorique de ce phénomène et les propositions concernant la pratique se sont limitées à l’essentiel. Cependant, certaines études analysant le contenu de la couverture médiatique par la presse écrite, la télévision et plus récemment Internet, ont vu le jour. Après les attentats du 11 septembre 2001, ces analyses se sont multipliées, étudiant pour la plupart un cas spécifique tel que la couverture médiatique dans les jours et semaines suivant un attentat précis. Cet article offre un aperçu de la contribution des sciences de l’information et de la communication allemandes à la recherche sur le terrorisme. Il propose une classification des études existantes en plusieurs catégories et met en lumière les pistes de réflexion en matière de recherche.

Abstract

German communication studies have neglected the research object "terrorism" in its history. Particularly research in the field of the theoretical penetration of the phenomenon as well as suggestions for practice were limited to the most necessary. However, some studies were carried out, which content analyzed print and TV documents and, more recently, coverage on the Internet. These investigations were carried out increasingly after the attacks of September 11, 2001, and mostly case-related, that is, the coverage during some days or weeks after a certain attack. This article gives an overview of the contribution of German communication research to terrorism studies, classifies the studies according to different categories and raises research desiderata.





En Allemagne, les sciences de l’information et de la communication (SIC) ont longtemps négligé l’objet de recherche « médias et terrorisme ». Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, plusieurs études ponctuelles en lien avec cet événement ont vu le jour (par ex. Emmer et al., 2002 ; Gross et Stapf, 2002). Mais l’intérêt s’est révélé de courte durée, ne permettant pas de pérenniser cette thématique de recherche. Toutefois, d’autres disciplines telles que les sciences politiques, la sociologie ou encore la psychologie, ont étudié le sujet de manière plus approfondie. Les SIC pourraient contribuer de manière significative à une meilleure compréhension du phénomène, ne serait-ce qu’en s’intéressant à la haute valeur informative des évènements terroristes, des guerres rhétoriques et de la propagande ainsi qu’à l’exploitation des réseaux sociaux pour la mise en réseau, la mobilisation ou encore la construction identitaire.

Cet article soulève la question de la contribution fournie par les SIC allemandes à la découverte et à l’explication du terrorisme, de sa relation avec les médias et de ses composantes en matière de communication. Il vise à identifier les manques subsistant dans la recherche et propose des axes pour d’autres études. Il se réfère aussi bien à des études empiriques qu’à des travaux théoriques. Les SIC allemandes étant fortement marquées par les études des médias et du journalisme d’influence américaine (contrairement aux sciences des médias allemandes, qui couvrent plutôt le cinéma, la littérature, le design, et donc plutôt la fiction), nous nous réfèrerons dans cette contribution à certains exemples et études d’outre-Atlantique pour notre argumentation.

Le schéma qui suit (Figure 1) vise à situer le présent article et à définir les domaines de recherche ainsi que les disciplines (voisines) dont s’inspire la recherche allemande sur le terrorisme en termes de SIC.

Figure 1 : La recherche allemande sur le terrorisme en termes de SIC et les domaines de recherche qui l’ont influencée


En ce qui concerne les sciences politiques, comme le concluent Kocks et al. (2011, p. 19), « le traitement du thème du terrorisme dans l’espace germanophone ces dernières années s’est considérablement professionnalisé et a pris une tournure beaucoup plus scientifique ». Cette affirmation ne s’applique pas encore aux SIC. Dans leur publication, Kocks et al. (2011) promettent de faire l’inventaire du développement de la recherche allemande sur le terrorisme – il n’y figure pourtant aucune contribution issue du domaine des SIC. En effet, Kocks et al. font uniquement référence à d’autres sciences humaines et sociales telles que les sciences politiques, l’histoire ou la recherche en droit international. C’est également le cas des conférences allemandes traitant du terrorisme, où les SIC peinent à se faire entendre.

Afin de présenter les études abordant le terrorisme et les médias de manière systématique et de les mettre en lumière sous un angle théorique, il nous faut les introduire par un schéma (voir Figure 2) présentant les différents liens reliant ces éléments entre eux ainsi qu’avec d’autres acteurs dans une structure en quatre parties distinguant les niveaux micro, meso et macro :

Figure 2 : Structure en quatre parties des acteurs avec stratification des niveaux de société


Il s’avère qu’au niveau micro, les terroristes peuvent, dans certaines situations, communiquer directement avec les journalistes, notamment lors des prises d’otages ou de la distribution de lettres de revendication. En outre, à travers leurs attaques qui répandent la peur et la terreur au sein de l’ensemble de la population / société civile (niveau macro), ils s’adressent principalement au gouvernement (niveau meso) puisque leurs actions ont pour but de bousculer le statu quo. Les manières de communiquer et d’interagir sont diverses, plurilatérales et s’effectuent à différents niveaux. C’est la tâche des SIC de les déchiffrer de façon analytique.

La question se pose alors de savoir si les contributions à la recherche des SIC allemandes traitant du thème « terrorisme et médias / communication » tiennent compte de ces différents niveaux ou selon quels modèles elles s’organisent. Tout d’abord, force est de constater que la quasi-intégralité de ces travaux traite du terrorisme insurrectionnel (terrorisme venu du bas). Or le comportement médiatique de celui-ci s’oppose à celui du terrorisme d’État (terrorisme venu du haut) dont la priorité médiatique n’est pas de propager des idéologies et des atrocités, mais au contraire de les taire. Magen (2017) montre par exemple comment les services secrets israéliens essayaient de dissimuler les actes de violence étatique et d’influencer – sinon censurer – la couverture médiatique. Badr (2017) consacre une grande partie de son travail à la définition des limites de ces deux formes de terrorisme fondamentalement différentes.

Le traitement du terrorisme par les SIC s’explique généralement par deux facteurs : (a) un événement terroriste décisif et (b) l’intérêt personnel des chercheurs, qui est souvent dû à un lien personnel avec un groupe ethnique spécifique (victime d’attaques terroristes) comme les Palestiniens ou les Tamouls. Ici, le passé national joue un rôle, par exemple lors de l’analyse de l’automne allemand et de l’histoire de la Fraction armée rouge (RAF) (Jesse, 2007 ; Glaab, 2007 ; Elter, 2008 ; Henschen, 2013 ; Rothenberger, 2017).

Ces études montrent comment les membres de RAF ont agi en experts des médias, comment ils se sont révélés être des pionniers des nouvelles technologies médiatiques, par exemple en utilisant des polaroïds, en rédigeant des communiqués de presse et en élaborant des coupures de presse sur la couverture médiatique de leurs actions lors de l’enlèvement d’Hanns Martin Schleyer, président de l’organisation patronale allemande. En outre, les actions de la RAF ont constitué une étape majeure de l’histoire de la relation entre les médias et le terrorisme lors de l’enlèvement du politicien Peter Lorenz en 1975 quand le groupe forçait la chaîne Freies Berlin à retransmettre la remise en liberté de quelques terroristes amicaux. Il n’y avait pas de commentaire mais seulement une voix de speaker qui disait de temps en temps que la chaîne distribuait ces images sur ordre gouvernemental (Abich, 1984, p. 27) Dans les années 1970, cette utilisation accrue du terrorisme par les groupes d’origine religieuse ou politique, qui tirent alors à nouveau profit de la haute portée des médias et de la vitesse de diffusion et du traitement de l’actualité, fait beaucoup parler d’elle dans les revues spécialisées (Alali et Eke 1991, p. 1).

D’après ces constats, la recherche sur le terrorisme est généralement liée à des évènements ainsi qu’à des changements initiés par les médias de masse. Rien d’étonnant donc à ce que la recherche sur la production médiatique et le contenu fasse passer l’analyse du « terrorisme et des médias » avant l’étude de la réception. C’est seulement après les attentas du 11 septembre 2001 que cette dernière a connu un essor considérable (Emmer et al., 2002).

Les médias, colporteurs du message terroriste ?

Aux débuts de la recherche sur le terrorisme, les médias de masse ne jouaient qu’un rôle périphérique, tandis que la relation « terroriste-victime » était au premier plan. L’opinion publique a longtemps été considérée comme passive, relayée au rang d’observatrice (Decker et Rainey, 1982, p. 4). Par la suite, beaucoup ont convenu que « les médias étaient considérés comme un relais du message terroriste […] Les médias se font duper par les terroristes » (Decker et Rainey, 1982, p. 6). On retrouve cette affirmation marquée par l’influence américaine dans les SIC allemandes.

S’en sont suivies des opinions qualifiant les journalistes non seulement d’« amis » des terroristes, mais allant même jusqu’à les considérer comme leurs complices face aux conséquences de leur couverture médiatique qui peut entraîner d’autres évènements, ce que l’on appelle également la Contagion Theory (Weimann et Winn, 1994). Selon la théorie de la contagion, s’il y a un détournement d’avion, d’autres détournements suivront. De même, si les groupes terroristes s’aperçoivent que percuter une foule avec un véhicule attire beaucoup d’attention médiatique, ils reproduiront cet acte.

Plus récemment, les études se sont faites de plus en plus précises. Par exemple, le sociologue Fuchs (2004) appréhende le phénomène de « terreur » en se basant sur la théorie des systèmes, et donc sur le plan macro : son hypothèse signifie que la terreur n’est pas seulement un fait social mais revêt une fonction (Fuchs, 2004, p. 9). Le résultat de la terreur, l’acte terroriste en lui-même représente la fin (provisoire) de la communication. « L’opération qui reproduit le système de "terreur" est le regroupement de l’achèvement (induit par la violence) de la communication et la mise en place d’autres communications forcées, qui doivent en même temps subir la fin, bien que (en tant que poursuite de la communication) elles empêchent justement cette fin de se produire » (Fuchs, 2004, p. 18-19). Il n’est pas question ici d’une relation symbiotique entre les systèmes des médias de masse et la terreur, mais d’une mise en relation structurelle. On pourrait même dire que le système de la terreur entretient une coproduction (ignoble pour l’observateur) avec les organisations médiatiques (Fuchs, 2004, p. 82). Toutefois, Fuchs ne rend pas les médias de masse responsables de la terreur.

Malgré leur spécialisation en histoire, Weinhauer et Requate (2006) traitent des problématiques relevant des SIC : ils émettent l’idée de considérer le terme « terrorisme » et l’acte terroriste comme une stratégie de communication. « Car les attaques terroristes n’ont pas seulement pour but de détruire la confiance en l’État et en ses fonctions protectrices, mais également de faire office de signal et d’invitation destinés aux éventuels alliés parmi la population. En effet, de nombreux éléments semblent indiquer qu’il serait pertinent d’accorder une plus grande importance qu’il n’en a aujourd’hui à cet aspect communicatif lors de l’analyse du terrorisme » (Weinhauer et Requate, 2006, p. 15).

Cette constatation vaut en tout cas au moins pour l’espace germanophone. Pourtant, Weinhauer et Requate n’adoptent aucun angle relevant des SIC, mais souhaitent faire écho à d’autres disciplines de recherche comme les études de la culture et les études d’histoire. Il conviendrait d’établir une recherche modélisée, prenant au sérieux les composantes en communication du terrorisme. laquelle devrait être établie comme une histoire sociale du terrorisme se basant sur l’histoire culturelle et intégrant les aspects de la société, de la politique et de l’État, de la culture ainsi que leurs interactions et qui permettrait donc d’ancrer les découvertes existantes en sciences humaines dans l’histoire (Weinhauer et Requate, 2006, p. 16).

Il est possible de rétorquer que cette approche ne met pas assez en valeur les aspects relevant des SIC ainsi que les théories actuelles et les traite de manière trop désinvolte. Une nouvelle classification du phénomène du terrorisme, au regard de ses composantes en communication, devrait passer avant les acquis théoriques et méthodiques des SIC. Le terrorisme doit être considéré et compris comme communication symbolique et stratégique.

Symbiose ou parasitage

Dans ce domaine, il existe des études se concentrant sur certaines approches théoriques (souvent d’influence américaine), comme par exemple l’agenda building (les terroristes imposent l’ordre du jour via les médias ; Waldmann, 2005 ; Glück, 2008), le Status Conferral (les terroristes profitent d’une attribution de statut via les médias ; Picard, 1993), ou le terrorisme comme théâtre (les terroristes sont sur scène, la société civile doit assister au combat, les journalistes jouent le rôle des critiques de théâtre ; Weichert, 2007). Le débat consistant à savoir si le rapport « terrorisme - médias » peut être qualifié de symbiose ou de parasitage occupe une place de choix. Les deux parties retirent-elles un « bénéfice » des attaques ? Les terroristes en gagnant en notoriété, les médias en vendant plus d’exemplaires ? Ou les parasites (les terroristes) profitent-ils de leur hôte (les médias) ?

Dans une symbiose, l’un ne peut vivre sans l’autre. Mais dans une relation parasite, l’hôte (les médias) ne dépend pas des parasites (les terroristes). À l’inverse, ce sont les parasites qui dépendent de l’hôte. Schultz (2017) ou Schaffert (1992) se posent par exemple ces questions. Ainsi suivent-ils l’analogie qu’a utilisé Rodrigo (1991, p. 30) qui ne voit pas les médias comme commis obéissants des terroristes. Selon lui, beaucoup de chercheurs confondent la température et le thermomètre.

Pour des raisons historiques, un groupe fait fortement réagir la société (par un acte terroriste). Les médias (le thermomètre) détectent cette fièvre et en informent le public. Il serait absurde de briser le thermomètre pour combattre la fièvre, c’est-à-dire de censurer la couverture médiatique. Un diagnostic correct chercherait plutôt les causes profondes qui font naître la fièvre, car la fièvre n’est plus qu’un symptôme du dysfonctionnement dans la société. C’est pourquoi les médias, pour ne pas être que les hôtes des terroristes, doivent couvrir non seulement les actes terroristes, mais aussi les causes de ce dysfonctionnement.

À ce sujet se pose la question du rapport entre les journalistes et leur couverture médiatique en temps de crise. Beermann (2004) a constaté que les rédactions allemandes n’utilisaient absolument pas le terme de « terrorisme » de manière homogène et qu’il n’existait pratiquement aucune ligne directrice au sein des groupes de presse servant de référence aux journalistes. Il serait pourtant capital pour les destinataires que les rédactions divulguent les critères qui leur permettent de classer tel ou tel fait ou organisation comme « terroriste » ou non. Par ailleurs, les pratiques des médias et le rôle des journalistes et de leur indépendance en matière d’interprétation du terrorisme restent obscurs.

C’est ici qu’émerge le débat sur l’intervention de l’État ou l’autorégulation des médias en termes de couverture médiatique. Quel pouvoir est accordé à l’État ? À l’époque de la RAF, qui opérait en parallèle d’Action directe en France ou des Brigades rouges en Italie, le gouvernement pouvait encore décréter un embargo sur les informations, alors majoritairement respecté (Meckel, 2008). À l’époque d’Internet et des réseaux sociaux, il s’avère quasiment impossible de limiter la communication des terroristes aux entités traditionnelles de contrôle des informations, les « gatekeepers ».

Plus les journalistes, pressés par le temps, œuvrent contre cette autopromotion des terroristes, plus la communauté scientifique allemande prône une forme d’autocensure ou au moins des directives rédactionnelles afin d’enrayer la couverture médiatique à sensation et un excès de laisser-faire. Bilke (2008) défend notamment l’attribution d’une plus grande responsabilité individuelle aux dirigeants des médias et définit un « journalisme de paix », sensible aux conflits. Elle souligne le respect des principes éthiques et des règles déontologiques dans le traitement de l’information relative aux conflits. Le rôle et la fonction des médias au sein des sociétés démocratiques et la manière dont ils sont mis à l’épreuve lors des évènements terroristes jouent ici un rôle particulièrement important.

Études empiriques traitant le processus de communication

Lors de la collecte de données scientifiques, la méthode la plus fréquente est l’analyse de contenu, principalement d’articles de la presse écrite occidentale. Il existe de nombreuses analyses des cadres (Badr, 2017) qui s’inscrivent dans la lignée d’Entman (1993). Généralement, l’accent est fortement mis sur les analyses de contenu de la couverture médiatique par la presse écrite ou les journaux télévisés.

Récemment, l’analyse informatisée des contenus a pris de l’ampleur. Ainsi, un projet international comptant des participants allemands (Althaus, van Atteveldt et Wessler, 2016) analyse des centaines de milliers d’articles de manière automatisée, ce qui permet d’établir de nouveaux constats concernant la couverture médiatique du terrorisme à travers la comparaison de plusieurs pays. Knelangen (2009, p. 81) examine, quant à lui, le pour et le contre de la recherche qualitative vs quantitative sur le terrorisme. Il en arrive à la conclusion que c’est la problématique de recherche qui détermine la méthode adaptée – une lapalissade qui vaut pour toutes les disciplines de recherche. Löffelholz (2004, p. 31), qui se réfère généralement à la communication en temps de crise et de guerre, constate que la plupart des études empiriques sur la communication de crise et de guerre relèvent de la recherche sur l’offre médiatique. Cela vient notamment du fait que la recherche est généralement difficile à mener pendant un conflit et qu’on préfère s’y atteler de manière approfondie a posteriori, ou éventuellement en adoptant un angle comparatif des différentes crises.

Pour Beck et Quandt (2011), la « résonance » des attentats du 11 septembre 2001 dans le domaine des SIC se retrouve dans les analyses des contenus. Pourtant, « généralement publiées sous une forte pression liée à l’actualité, ces études restent vagues quant à savoir si les SIC et sciences du journalisme sont en mesure de contribuer à la compréhension théorique du phénomène du terrorisme et si oui, de quelle manière » (Beck et Quandt, 2011, p. 85). Beck et Quandt essayent de mettre en lumière le terrorisme sous l’angle de la théorie de l’action (niveau micro), de la théorie des systèmes (niveau macro) et des théories des réseaux. Ce faisant, ils ne font aucune différence entre terrorisme d’État et terrorisme insurrectionnel, mais remettent en question « la terreur en tant que communication » de manière globale.

Si les approches méthodiques se révèlent plutôt homogènes, ce n’est pas le cas de l’ancrage théorique : il est parfois complètement absent ou se réfère à des théories de portée moyenne comme la théorie sur la valeur informative. Archetti (2013, p. 11) déplore un « manque d’engagement à l’égard de la théorie » dans la recherche sur le terrorisme, qui vaut également pour l’Allemagne. En outre, elle ne juge pas utile d’examiner le rôle des médias et de la communication au sens large en se limitant à un rapport direct avec une attaque (Archetti, 2013, p. 58-59).

À présent, ce qui compte en réalité est d’analyser les stratégies des groupes terroristes ou des États de manière systématique, comme la propagande et les tentatives de manipulation sur l’ensemble de leur durée, la durée de vie d’un groupe, la manière dont il passe du mouvement social à la violence en mobilisant et activant des ressources, jusqu’à l’autodissolution ou l’éclatement (Straßner, 2004). La communication dans le « cours de la vie » des groupes terroristes se ressemble à travers tous les motifs, qu’ils soient religieux, socio-révolutionnaires ou ethno-nationalistes.

Les études des SIC peuvent être également catégorisées à l’aide des domaines de recherche tels que la recherche sur la communication, le contenu médiatique ou la réception. À titre d’exemples, mentionnons ici quatre études et leur thème central correspondant à ces quatre domaines : perspective et stratégie de communication des terroristes (Rothenberger, 2012a), choix des mots (Rothenberger, 2012b), couverture médiatiaque (Glück, 2007) et réception émotionnelle (Haußecker, 2013). Cet ordre suit le déroulement de la communication, des terroristes à l’effet sur les destinataires en passant par les contenus de la couverture médiatique, où le choix des mots joue un rôle clé durant la phase de production journalistique. Les analyses des discours et comportements des politiciens sont également un domaine à ne pas négliger.

Conclusion

Globalement, on peut dire que les SIC allemandes se montrent actuellement encore hésitantes en ce qui concerne « le terrorisme et la communication ». Contrairement à la France par exemple, où la Société française des sciences de l’information et de la communication (dont l’équivalent allemand est la DGPuK) a consacré en mai 2016 une grande partie de sa revue spécialisée Les cahiers de la SFSIC au thème « médias et terrorisme » avec plusieurs articles, évoquant plusieurs propositions concernant une « communication publique antiterroriste ».

Cette orientation vers les implications pratiques est restée aux abonnés absents en Allemagne. La recherche est appelée à faire des propositions concrètes de mesures de communication anti-terreur à mettre en pratique ou pour « la prévention par la communication » en se basant sur les découvertes scientifiques. Il conviendrait éventuellement de recommander une collaboration plus étroite avec la science allemande des médias, qui se concentre plus sur les aspects esthétiques, comme nous l’avons vu dans l’introduction.

Dans ce sens, il serait possible d’élaborer des recherches comparatives entre des études traitant des offres d’informations journalistiques et des études prenant en compte l’offre fictive des médias. Nous pouvons critiquer les études présentées en remarquant que de nombreuses analyses de contenu constituent des considérations au cas par cas, et ne délivrent aucune vue d’ensemble sur la couverture médiatique de plusieurs attaques terroristes sur la durée. On pourrait rétorquer ici que tous les attentats sont uniques, voient le jour dans des conditions et des contextes différents, et ne peuvent être comparés. Pourtant, tous les évènements suivent un ordre précis, qui les classe dans la catégorie « terrorisme », et leur couverture médiatique se prête parfaitement à l’examen des similitudes et des différences. On peut aussi plaider pour une réflexion plus approfondie des changements qu’apportent les médias sociaux envers des mesures politiques et dans la communication anti-terroriste.

Le présent article ne peut exposer toutes les études des SIC allemandes autour du thème « terrorisme et médias », mais il offre un aperçu des principaux axes de recherche. Malheureusement, nous n’avons trouvé aucune étude consacrée à la méthode d’observation des différents facteurs d’influence de la couverture médiatique du terrorisme. Il est grand temps d’examiner les conditions de production de l’information en temps de crise et de terrorisme. En effet, de telles études pourraient permettre d’améliorer la couverture médiatique grâce à une réflexion sur la pratique de sélection et de production de contenus médiatiques en temps de crise.

Liane Rothenberger est maître-assistante à l'Institut des médias et des sciences de l’information et de la communication de l'Université technique d’Ilmenau, Allemagne.




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Référence de publication (ISO 690) : ROTHENBERGER, Liane. Les relations entre terrorisme et médias du point de vue des SIC allemandes. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2018, vol. 2, no 1, p. R83-R92.
DOI:10.31188/CaJsm.2(1).2018.R083


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