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Nouvelle série, n°5

Été 2020

DÉBATS

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ENQUÊTE

La montée des correspondantes de guerre

Longtemps bastions du masculin, les terrains de guerre se féminisent. La présence croissante des femmes dans la couverture médiatique des conflits se fait surtout sentir au Proche et au Moyen-Orient. Comment expliquer la montée des reporters féminins sur la ligne de feu ? Antoine Char a rencontré une dizaine d’entre elles…

Par Antoine Char



Composite CdJ d’après sources OCA-­V et GDJ / Pixabay


L

’annonce du décès de Martha Ellis Gellhorn est passée inaperçue en 1998. L’Irish Times lui consacra cependant quelques lignes dans son édition du mardi 17 février de cette même année :

Martha Gellhorn, who died on Sunday aged 89, was the world’s first woman war reporter who also led a charmed life at the heart of the century’s big peacetime events. She was once married to Ernest Hemingway, but resented being remembered only for that link. Gellhorn, who began her career during the Spanish civil war and went on to cover the Vietnam, Arab-Israeli and El Salvador wars, had been suffering from cancer and other ailments […] As a journalist, Gellhorn covered the D-Day landings during the second World War and the liberation of Dachau concentration camp […]

Dire que Gellhorn a été la « première femme reporter de guerre » c’est oublier Jane Cazneau (1807-1878) : elle a couvert le conflit entre les États-Unis et le Mexique en 1846. Ou encore Margaret Fuller (1810-1850) : elle était présente à la première guerre d’indépendance de l’Italie en 1848-49. Ou encore… Elles sont nombreuses les « premières correspondantes de guerre ».

Fini le « no woman’s land » et cela se fait surtout sentir au Proche et au Moyen-Orient qui, depuis la fin du Premier conflit mondial, ont rarement été épargnés par des guerres de toutes sortes.

D’ailleurs, ces dernières années, plus de la moitié des journalistes décédés dans le monde ont péri dans cette région stratégique et sur les 606 reporters morts « au combat » depuis 2009, 43 étaient des femmes, rappelle le Committee to Protect Journalism (CPJ) de New York.

Parmi elles : l’Américaine Marie Colvin. Elle portait un bandeau après avoir perdu un œil au Sri Lanka. Elle est morte dans un bombardement à Homs, en Syrie, en 2011, au début de la guerre civile. « C’est l’enfer ! », avait-elle lancé la veille de sa mort le 22 février. Le pays de Bachar al-Assad est un vrai « cimetière » pour les journalistes. Plus de 120 reporters y ont trouvé la mort. À titre d’exemples, deux journalistes sont morts lors du premier conflit mondial, 66 pendant le second, 17 durant la guerre de Corée et 58 pendant le conflit vietnamien.

Sept ans après le décès de Colvin, Hollywood a retracé son parcours dans A Private War. Lyse Doucet, la plus célèbre des journalistes canadiennes de la BBC, l’a bien connue quand elle était correspondante en Israël.

We lived in adjacent neighbourhoods in Jerusalem in the 90’s. I admired Marie’s commitment to highlighting human stories in war, and her dedication and determination to stay with stories […] it was part of her strong commitment to “bearing witness”, and staying with people in dire circumstances long after others had gone […] She was willing to take risks I would not have been comfortable with and indeed that my editors would not have authorised. Every journalist has their own “threshold of danger”. Marie believed journalists had a crucial role to play and should take risks to “be there”. The maxim “no story is worth dying for”, still stands. There is an addendum in our time – “but some stories are worth taking risks for”. To each journalist, and their editor, to confront this difficult balance. Often, the risks are not so clear until it is too late.

Dire qu’obus et balles ne font pas de différence entre la couverture de la guerre au masculin ou au féminin est une évidence, rappelleront les journalistes féminins lors d’interviews à Beyrouth en août 2019 ou lors d’échanges épistolaires par courriels tout au long de cette même année. Le danger est le même. Il fait partie de la vie au front et pourtant…

Phrase assassine

« Hey lady, what are you doing here? » C’est ainsi que fut interpellée Gloria Emerson, du New York Times, quand elle arriva au Vietnam pour couvrir la guerre. Au total, un demi-millier de femmes journalistes suivront ses pas. Plus d’un demi-siècle plus tard, Zeina Khodr, d’Al-Jazeera, la « CNN arabe » basée au Qatar, entendra la même phrase assassine en Syrie et en Libye : « Ce n’est pas une place pour une femme ! »

Francesca Borri, journaliste pigiste italienne qui couvre les guerres du Moyen-Orient depuis 2007, précise, indignée : « Que dire à un tel gars ? Idiot, ce n’est une place pour personne ! »

Et Khodr d’ajouter : « Dans les sociétés plus conservatrices, les gens ne comprennent pas pourquoi les femmes font ce travail. Pour eux, ce n’est pas normal. » Avec les rebelles libyens, elle a été une des trois reporters femmes à entrer dans Tripoli le dimanche 21 août 2011 en compagnie de Sara Sidner de CNN et d’Alex Crawford de Sky News, mère de quatre enfants, qui se demandait où étaient « tous les autres ».

La plupart des journalistes mâles avaient couvert le début de la chute du régime de Mouammar Kadhafi du balcon du Rixos, leur hôtel cinq étoiles. Ils ne pouvaient faire autrement. Une trentaine d’entre eux étaient retenus en otages par des hommes armés de kalachnikov et encore fidèles au « guide suprême ».

Si la correspondante de guerre est un phénomène aussi ancien que le journalisme, il y a encore quelques années elle était considérée comme une anomalie, une sorte d’extraterrestre. Martha Gellhorn avait dû se faire passer pour une infirmière afin de couvrir le Débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, avec son époux Ernest Hemingway.

Hommes ou femmes, les journalistes sont rarement accueillis les bras ouverts sur les champs de bataille, mais aujourd’hui, la couverture des guerres les rend égaux, il n’y aurait plus de distinction de genre. La ségrégation sexuée serait chose du passé. Dalal Saoud, correspondante pendant 21 ans de l’agence United Press International (UPI) à Beyrouth, le croit fermement. Personne ne lui a jamais demandé ce qu’elle faisait sur les fronts libanais, irakiens, syriens et yéménites.

No it didn’t happen to me […]. Probably because myself and most of my colleagues (female and male journalists) actually grew up during the Lebanese civil war and witnessed many of its atrocities (shelling, booby-trapped, street fightings, sniper fire, etc.) even before we became journalists and started to cover it. So whenever something happens, we used to go together for coverage, although sometimes we (both female and male journalists) needed to stay in office to write our stories and rely on the cameramen and photographers (and correspondents in the various regions) who would be rushed to the scene immediately while we file the urgent news. I guess they accepted us as a « fait accompli ».

De manière générale, la correspondante sur les terrains minés par des conflits est considérée comme appartenant au « troisième genre ». Perçue comme un « être sexué », les protagonistes chercheront à l’impressionner, la séduire, lui en dire un peu plus… Leur regard est plutôt paternaliste.

Maya Gebeily, correspondante de l’Agence France-Presse (AFP) à Bagdad, bureau dirigé par une femme (une première), explique :

I have sometimes heard male colleagues say that it’s easier to be a female correspondent than a man. They say that officials, analysts, and other sources give women special treatment and therefore are more likely to pick up our phone calls or answer our questions than they would be if it was a male reporter calling. I want this to be extremely clear: none of the female journalists I know, myself included, seek special treatment. We want our sources to answer us because they respect us as journalists, not because we’re women. We seek recognition based on merit, not gender.

Kimberley Baker qui a couvert la guerre en Afghanistan comme pigiste avant de travailler notamment pour le New York Times nous dit ceci : « I think it’s easier to be a woman at least in Pakistan and Afghanistan because you’re not really seen as a local woman and you are not really seen as a foreign man. You are the in-between. You’re the third sex. So you get access to absolutely everyone. »

Montée des femmes

Khodr a « échappé à la mort plusieurs fois, surtout à Alep, en Syrie… mais c’est le risque à prendre si vous voulez faire votre job correctement, ne pas couvrir les conflits de loin […] Je n’ai aucune donnée sur le nombre de femmes en zones de combat mais il n’y a aucun doute qu’il y en a de plus en plus. » Gebeily acquiesce. Elle eu son baptême du feu il y a trois ans en Irak. À 24 ans. En 2017, elle est sur le front syrien de Raqqa. « Je suis retournée en Syrie en février 2019 et à chaque fois je vois de plus en plus de femmes journalistes. »

Comment l’expliquer ? Liz Sly, correspondante du Washington Post à Beyrouth croit que la montée des femmes dans la couverture des conflits dans la région a commencé avec les enlèvements de journalistes mâles pendant la guerre civile libanaise (1975-1990).

« Les femmes reporters n’étaient pas jugées menaçantes. Aucune femme n’avait alors été kidnappée, contrairement aux hommes. Beaucoup sont alors partis. Ainsi en 1987, les seuls journalistes occidentaux basés à Beyrouth étaient des femmes », précise celle qui a relayé dans le cyberespace la photo d’Alan Kurdi, le bambin syrien de trois ans d’origine kurde mort sur une plage turque en 2015. « Une image emblématique de l’échec du monde entier en Syrie », écrivait-elle dans son tweet.

Aujourd’hui, selon elle, le Moyen-Orient, avec ses nombreuses guerres, est un formidable aimant qui attire les journalistes du monde entier, dont « bien sûr les femmes », surtout de jeunes pigistes cherchant à « se faire un nom ».

« Cette région est souvent en première page, c’est la plus grande histoire à couvrir de notre génération ! Mes articles se sont d’ailleurs retrouvés à la une pendant la plus grande partie de ma vie professionnelle. » La capitale libanaise est un point névralgique pour comprendre la région et la guerre en Syrie, où Liz Sly est allée une douzaine de fois depuis 2011. « Sans jamais porter de gilet pare-balles ou de casques. » Cette sécurité vestimentaire est aujourd’hui le symbole de presque tous les journalistes, de la télévision surtout, couvrant les conflits.

Acil Tabbara, elle, a bourlingué d’un conflit à l’autre. « J’ai couvert la fin de la guerre du Liban (1986-1990) pour l’AFP, j’ai également couvert les différentes invasions israéliennes du Liban (1996 et 2006) pour l’AFP, j’ai effectué des missions pour l’AFP en Irak sous embargo et au Yémen, notamment. »

Pour cette « ancienne combattante », aujourd’hui journaliste à L’Orient-Le Jour, le plus grand quotidien francophone du Liban, « avant, couvrir les zones de guerre était un métier masculin et les femmes étaient des exceptions, aujourd’hui ce n’est pas différent d’autres métiers où les femmes ont percé au cours des dernières décennies ».

Dalal Saoud a sa propre explication sur la montée des femmes reporters de guerre : l’explosion des chaînes satellitaires, particulièrement dans le monde arabe.

Probably what helped them is the emergence of Arab satellite TV stations, like Al Jazeera and Al Arabiya and more local private TVs, and the fact they have demonstrated courage and professionalism while covering the numerous wars that broke out in the region. Many went to Iraq and some made their way to Afghanistan. From the occupied Palestinian territories, to the Lebanese civil war and Israeli aggressions to the war in Iraq and then Syria, Libya and Yemen, they are actually living these wars and want to take part in reporting them.

De manière générale, croit Baker, le plus grand nombre de femmes journalistes au front va dans le sens de la féminisation d’autres métiers.

I’m not sure on the stats, but I’d say in general there’s a rise in female journalists in all areas of the profession: investigations, management, war coverage. That likely has a lot to do with the rise of women in the workforce. It’s not that there’s no sexism anymore in the field – there definitely is – but I do think that’s starting to change. Also, I think women are good at war coverage, at being able to see beyond the bang-bang stories and talk about what it’s like to live with war instead of just tallying up the dead. Not that male journalists are that simplistic, but I think the history of war and war reporting traditionally has been seen as covering battles, when there’s much more to it.

Et si les terrains de guerre se féminisent, croit Dominique Roch, qui a notamment couvert la guerre civile du Liban (1975-1990), « le Vietnam de l’époque », pour Radio France Internationale (RFI). « C’est peut-être parce qu’ils sont désertés par les hommes pour des emplois plus lucratifs dans les banques et la finance par exemple, laissant ainsi le champ libre aux femmes. De plus, les hommes restent majoritaires aux directions des rédactions. »

Il est vrai que la hiérarchie au sein des rédactions ne change guère. Anne Sebba, ancienne journaliste à Reuters et auteure de Battling for news: The rise of the woman reporter (1994), va même plus loin en déclarant ceci au magazine The Atlantic, le 21 février 2013 :

[…] male editors, and particularly television editors, are exploiting women. More women than men graduate in media studies. They don’t know how to find a fixer; they don’t know about weaponry; they don’t know where is safe, where is not safe – they just want to prove themselves. So they might end up in a really dangerous trouble spot without adequate preparation. And because you’re hardly paid, it’s often the young, inexperienced girls who are prepared to do it. And the editors are prepared to exploit them because it makes exciting news. It’s vicarious thrill. You see a gorgeous woman on your screens in a flak jacket, and it’s almost like entertainment.

Par ailleurs, Roch, qui a également couvert l’Irak « depuis l’invasion de Saddam Hussein du Koweït en 1990 jusqu’à son éviction de Bagdad en 2003 », se demande si la féminisation n’est pas « aussi un reflet de la paupérisation du métier ». On pourrait ajouter cette question : la dévalorisation du « quatrième pouvoir » est-elle une cause de sa précarité ? Tout ceci alors que les femmes journalistes dans les zones de conflits sont plus éduquées que leurs collègues mâles (Nieman Reports, hiver 2009).

Toujours est-il que la « montée des femmes » dans la couverture médiatique des conflits se fait également sentir dans les pays arabes. Comment l’expliquer ? Samia Nakhoul, rédactrice en chef pour le Moyen-Orient au bureau de Reuters à Beyrouth, offre cette réponse : « Les hommes dans cette partie du monde sont encouragés à devenir docteurs, ingénieurs, avocats, des professions rentables pour soutenir leurs familles et considérées convenables pour eux dans notre société. »

Grièvement blessée à la tête lors de l’entrée des troupes américaines à Bagdad en avril 2003, elle estime que les femmes journalistes sont « courageuses, résilientes, curieuses, et ne succombent pas plus aux pressions que les hommes ». Et d’ajouter Saoud, « contrairement à leurs collègues étrangères qui une fois chez elles, retournent à la vie normale, les journalistes arabes restent pour continuer leur travail et défier toutes sortes de dangers ».

De manière générale, même s’il n’existe pas de données précises sur la montée des femmes dans la couverture des conflits armés, elle s’accentue année après année depuis la première guerre de Tchétchénie (1994-1996), où déjà près de la moitié des reporters accrédités étaient des femmes1.

Pas de parité

Lors de la confrontation entre Israël et la bande de Gaza en novembre 2012, la plupart des 22 chambres de l’hôtel Al-Deira étaient occupées par des femmes journalistes. Parmi elles : Phoebe Greenwood du Telegraph de Londres, Jodi Rudoren (The New York Times), Ruth Pollard (The Sydney Morning Herald), Harriet Sherwood (The Guardian), et Ana Carbajosa (El País).

Cependant, la parité hommes-femmes est loin d’être atteinte. « Impossible d’avoir des statistiques à ce sujet, personne n’en tient, mais le nombre de reporters de guerre hommes dépasse encore de beaucoup celui des femmes pour plusieurs raisons, y compris dans certains cas pour des raisons culturelles », précise Jeremy Dear, de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), organisation basée à Bruxelles et qui rassemble plus de 600 000 professionnels des médias.

Dans l’ensemble, la part des femmes est croissante dans la profession journalistique en général. Au Québec, « il nous est très difficile de déterminer le pourcentage des femmes journalistes pour l’ensemble d la profession, mais je peux vous dire que 759 femmes sont membres de la FPJQ, soit 45,37 %. Nous avons 914 hommes membres de la FPJQ », note Leslie Humblot de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

En Occident, la féminisation des rédactions, tous supports médiatiques confondus, est indéniable depuis une vingtaine d’années. Cette féminisation, qui n’est synonyme ni d’égalité ni de parité, se fait sentir dans la correspondance de guerre, milieu longtemps hostile envers les femmes… comme d’ailleurs dans l’exercice du journalisme sportif. Dans les deux domaines, les journalistes femmes doivent souvent (à différents degrés) justifier de leurs compétences professionnelles vis-à-vis de leurs confrères masculins et de leurs sources.

« Regard féminin » ?

Être correspondant c’est être au plus près d’un conflit afin de mieux saisir ce qui se passe à différentes échelles. Cela va de soi. Mais, y a-t-il un « regard féminin » dans la couverture des guerres ?

C’est là une ancienne question qui se posait déjà lors du premier conflit mondial. Stephanie Seul, professeure à l’Université de Brême, le rappelle dans son étude sur les correspondantes pendant la Grande Guerre2 :

Many newspapers and magazines explicitly sent out their female journalists to write about the war from a female perspective, called the « woman angle » […] The purpose was often commercial; it attracted more female readers and offered new possibilities for advertising […] However, many female journalists resented their war writing being reduced to the « woman’s angle » as they felt degraded to reporting the war’s periphery. When women « dared » to report about men’s warfare, they were often criticised and ridiculed.

Les choses ont bien sûr beaucoup changé. Il n’y a plus d’assignations genrées. Mais… Toutes les journalistes interviewées dans le cadre de cette recherche sont formelles : si observer la guerre au féminin ne diffère aucunement de celui des hommes, (« Il n’y a absolument pas de regard féminin », dira catégoriquement Borri), les femmes parce qu’elles peuvent plus facilement accéder aux univers féminins du monde arabo-musulman par exemple, rapportent des réalités échappant à un regard masculin. Elles développent des sujets spécifiques, car elles bénéficient de sources d’information par la voix de femmes ne s’exprimant pas publiquement.

Il y aurait, selon Doucet, Gebeily et Saoud notamment des « avantages » à couvrir les guerres au féminin.

In traditional cultures where access to women is controlled by men, it is easier for women journalists to spend time with women to hear their stories. In some cultures, women also feel more confident sharing their intimate stories with other women. I was just in Afghanistan where we wanted to report on shelters for abused women and we were told men could not visit the shelter which meant my male camera person was not allowed. But arrangements could be made to meet women in a family centre or in offices of NGOs working with the women. In some societies, women journalists can appear to be less threatening, more in need of protection, which can help get through checkpoints, travel through sensitive areas, obtain information, etc. (Doucet)

In my experience, female reporters often have a broader range of access than their male counterparts in conflict areas because it’s easier for them to interview women and children. As a woman, I’ve been able to toggle between interviewing frontline commanders and vulnerable women, while sometimes male reporters have not been allowed to speak to women in conservative areas. I have sometimes heard male colleagues say that it’s easier to be a female correspondent than a man. They say that officials, analysts, and other sources give women special treatment and therefore are more likely to pick up our phone calls or answer our questions than they would be if it was a male reporter calling. I want this to be extremely clear: none of the female journalists I know, myself included, seek special treatment. We want our sources to answer us because they respect us as journalists, not because we’re women. We seek recognition based on merit, not gender. (Gebeily)

Although women and men journalists face the same dangers: losing their lives/being kidnapped in war zones, female journalists could have better access to stories while reporting from the Arab world, where men, militiamen and fighters could somehow treat them in a protective way and are less rude to them probably because of their culture […] (Saoud)

En résumé, diront-elles : « Les femmes se confient davantage à nous ! » Ce sont des « mines de renseignements ». C’est là un atout pour les « reportages humains », avec une approche psychologisante, adoptant une forme de mise en récit (storytelling) qui « se vendent bien » dans la couverture de guerres qui, par ailleurs, intéressent peu le grand public. Mais, elles insistent toutes pour rappeler ceci : pas question de faire du reportage de guerre « au féminin ». Elles sont d’abord et avant tout journalistes et c’est là un mot neutre. Nous pouvons ajouter ceci : aborder la question de l’existence ou non d’un « regard féminin » est problématique en soi car s’intéresser aux incidences de la présence des femmes dans la couverture des conflits n’est pas sans risque épistémologique.

Reste que la direction des médias a bien compris que se priver du travail des femmes dans le monde arabo-musulman c’est se priver de 50 % des informations. Il y a là une plus-value pour les médias en pleine crise identitaire et financière.

Agressions sexuelles

Mais, à mesure que la profession se féminise, les femmes reporters deviennent des cibles spécifiques. En 2011, pendant le « printemps égyptien », sur la place Tahrir, au Caire, plusieurs journalistes occidentales – notamment Lara Logan, de CBS, Caroline Sinz, de France 3, et Sophie Rosenzweig, d’Arte – furent victimes d’agressions sexuelles. Résultat : Reporters Sans Frontières (RSF) demanda aux rédactions de « cesser momentanément d’envoyer des femmes journalistes en reportage en Égypte », ce qui provoqua un tollé.

Cesser d’envoyer des femmes journalistes en Égypte ce serait donner raison à tous ceux qui cherchent à « nous faire peur », devaient-elles déclarer. L’ONG française de défense de la liberté de la presse dans le monde se rétracta. De manière générale, bon nombre de reporters féminins sont réticentes à signaler une agression à leur rédaction de crainte d’être perçues comme vulnérables et se voir refuser des missions futures. Alors qu’il existe toutes sortes de données sur les journalistes emprisonnés, torturés et tués, aucune statistique ne recense les agressions sexuelles contre les reporters. Pour le Committee to Protect Journalists, « rendre publique ce type de témoignage reste une affaire personnelle ». Le CPJ a fait le point sur cette problématique souvent occultée, dans un rapport élaboré par Lauren Wolfe3. Dans la plupart des cas, les femmes journalistes couvrant les guerres dans le monde arabo-musulman sont respectées et bien traitées. Comme des « mères » ou des « sœurs »…

« Une manière de mec »

Exercer le métier quand l’odeur de la mort n’est pas loin, a longtemps été une « manière de mec », qu’il soit occidental ou arabe, explique Roch. L’image du macho intrépide, buveur, fumeur, caracolant d’un conflit à un autre a peut-être disparu, mais « les hommes doivent toujours se prouver qu’ils sont courageux. Ils prennent des risques insensés. Ils veulent montrer leur bravoure. Certains hommes croient être dans la Légion étrangère. Ils semblent être là pour l’odeur de la poudre ».

Et d’ajouter Samy Ketz, l’ancien directeur des bureaux de l’AFP à Bagdad et à Beyrouth et vétéran de toutes les guerres du Moyen-Orient : « On a l’impression que ce sont des chiens de guerre ! Le courage des femmes au front est absolu, c’est presque de la témérité, elles veulent prouver… alors nous, en bons machistes on les suit sinon on passe pour des lâches ! » Et d’ajouter Tabbara : « Les journalistes hommes jouent aux ‘‘durs’’ même s’ils sont tout aussi paniqués… Je crois que les femmes sont plus raisonnables et jouent moins aux grands reporters, et qu’elles sont en même temps plus sensibles aux souffrances des gens, ce qui est la qualité numéro un je crois pour les journalistes. »

Incompatible avec une vie de famille ?

Alex Crawford, l’une des trois journalistes femmes à être entrée dans Tripoli « libérée » en août 2011, est mère de quatre enfants. Si personne ne demande aux correspondants de guerre comment ils concilient la vie familiale et la vie professionnelle, la question lui a souvent été posée au cours de sa carrière. Nous la lui avons posée. Sa réponse : « I wouldn’t say it’s EXACTLY family-friendly but it is better. Yes I hope it does just that: I hope it shows it’s not only possible but despite being a woman, and a mother of you are good at your job, anything is possible and entrenched hurdles can be scaled. »

Acil Tabbara estime que dans le monde arabe « peut-être que parce que nos sociétés sont traditionnelles, on reproche plus à une femme de quitter ses enfants pour couvrir une guerre qu’à un homme. Je suis moi-même mariée à un journaliste, et le fait d’avoir eu des enfants m’a poussée à refuser des missions dangereuses, alors que mon mari ne l’a jamais fait ».

Lyse Doucet croit ceci : « Being a foreign correspondent can sometimes be a difficult balancing act between an unpredictable profession and a stable personal life. Everyone – male and female – makes their choices. Women with children can face discriminatory attitudes, even in western newsrooms. This is slowly changing. And with men taking more responsibility for childcare it is an issue confronting male correspondents too. But the issue is still more of an issue for women. »

Il n’est pas inutile de rappeler que la plupart des correspondantes de guerre interviewées pour cette contribution n’ont pas d’enfants.

Un premier état des lieux

Si le milieu journalistique a longtemps été relativement fermé aux femmes, le constat de la féminisation du métier est désormais bien établi. Notre contribution, loin d’être exhaustive, proposait un état des lieux de la féminisation du reportage de guerre qui n’est plus une chasse gardée masculine. Nous avons misé sur des mécanismes explicatifs basés essentiellement sur des interviews à Beyrouth, ou par courriel, de journalistes couvrant ou ayant couvert les conflits déchirant le Moyen-Orient. Presque tous les États de la région ont connu la guerre depuis leur accession à l’indépendance. Certains conflits ont durablement marqué la géopolitique de cette poudrière, telles les guerres israélo-arabes et la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-1988). C’est la raison pour laquelle nous avons braqué nos phares sur les « baroudeuses de l’info » dans cette région névralgique du monde.

De manière générale, la montée des femmes dans la couverture des conflits armés s’accentue année après année au moment même où le journalisme traverse une crise à la fois existentielle et financière. La restructuration du journalisme fragilise l’emploi et se traduit par une précarisation d’une profession dont la cote de popularité est en constante baisse en Occident. Le métier se paupérise et la féminisation du « journalisme de guerre » est-elle liée à ce déclassement du « quatrième pouvoir » ? Voilà une question prégnante et elle mérite d’être interrogée plus avant dans le cadre d’une enquête qualitative. Dans cet article, nous n’avions pas la prétention d’embrasser toutes les dimensions de la féminisation du « journalisme de guerre ».

Antoine Char est professeur associé
à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal.



1

Journalists in danger: Recent russian wars, Freedom Forum, 1998.



2

« Women war reporters », International Encyclopedia of the First World War, 2019, p. 14-­15.



3

L’agression sexuelle contre les journalistes : le crime qui musèle, 2001.






Référence de publication (ISO 690) :
CHAR, Antoine. La montée des correspondantes de guerre. Les Cahiers du journalisme - Débats, 2020, vol. 2, n°5, p. D21-D29.
DOI:10.31188/CaJsm.2(5).2020.D021


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