Nouvelle série, n°5
Été 2020 |
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La diversification des groupes
de presse quotidienne payante dans
le petit marché belge francophone
Rémy Bersipont, Université catholique de Louvain
Résumé
En mobilisant la théorie de la dépendance aux ressources (TDR), l’article analyse la diversification de trois groupes de presse écrite quotidienne payante (IPM, Rossel, Tecteo/Nethys) situés dans le petit marché belge francophone entre 2000 et 2019. À partir d’une analyse quantitative réalisée sur une base de données de 301 activités, la recherche montre que, contraints par les ressources limitées et par la concentration élevée de leur petit marché originel, les groupes de presse écrite étendent leurs activités dans des secteurs spécifiques. Alors que Rossel et Tecteo/Nethys se diversifient principalement dans la presse, IPM cherche davantage de nouvelles ressources dans des domaines faiblement liés à son cœur initial d’affaires. Les groupes de presse écrite sortent également, selon des intensités variables du cadre restreint, du petit marché belge pour acquérir de nouvelles ressources à l’étranger.
Abstract
Using the resource dependency theory (RDT), this paper analyses the diversification of three groups of daily paid print media (IPM, Rossel, Tecteo/Nethys) in the small French-speaking Belgian market between 2000 and 2019. Based on a quantitative analysis of a database comprising some 301 activities, the research shows that the limited resources and high concentration of their small original market forced these print media groups to expand their activities to specific sectors. While Rossel and Tecteo/Nethys are mainly diversifying within the press industry, IPM is looking for new resources in areas only loosely related to its original core business. The print media groups are also moving out of the small restricted Belgian market to acquire new resources abroad.
DOI:10.31188/CaJsm.2(5).2020.R019
L
’évolution rapide de l’environnement socio-économique dans lequel les entreprises de presse écrite sont actives remet en question la viabilité de leur modèle d’affaires et plus fondamentalement leur survie (Le Floch et Sonnac, 2013 ; Van der Burg, 2017). Constatant la diminution de leurs chiffres d’affaires issus de la vente de leurs éditions papier (Charon, 2010 ; Doyle, 2013), les éditeurs de presse écrite quotidienne ont tout d’abord mis en œuvre une stratégie de libre accès de l’information sur leur site Internet afin de construire les audiences les plus larges possible, susceptibles d’être monétisées auprès des annonceurs (Arrese, 2016). La transposition des revenus du papier par ceux du média numérique ne se concrétisant pas, ils introduisent des murs payants dans le but d’instaurer un modèle économique plus équilibré, articulé entre les revenus des lecteurs et ceux des annonceurs (Küng, Newman et al., 2016 ; Sjøvaag, 2016). Cette stratégie se heurte toutefois à de sérieux obstacles. La liberté de l’information ancrée dans les idéaux pionniers d’Internet ainsi que la disponibilité de substituts (notamment les offres des médias audiovisuels et des pure players), contribuent à ce que les internautes considèrent le média web comme gratuit et in extenso l’information en ligne comme un bien collectif (Bassoni et Joux, 2014). Sur le versant de la publicité numérique, les acteurs internationaux comme Google et Facebook accaparent la majorité des parts de marché (Guibert, Rebillard et al., 2016) grâce à l’audience large de leur plateforme et à leur maîtrise des technologies de publicité personnalisée. Les revenus issus de leurs activités dans la presse écrite quotidienne payante déclinant, les journaux quotidiens cherchent de nouvelles ressources en développant des stratégies de diversification (Küng, 2017). L’objectif de cette contribution est de déterminer si le petit marché de la Belgique francophone affecte la réalisation de cette stratégie pour les trois groupes de presse écrite quotidienne payante (IPM, Rossel, Tecteo/Nethys) entre le début des années 2000 et 2019.
Petit marché et diversification
Prenant pour objet la libéralisation du secteur de la télévision en Europe à la fin des années 1980, les études scientifiques sur les médias dans un contexte d’étroitesse assimilent dans un premier temps le terme de marché à celui de pays dans un contexte d’étroitesse. Dans cette perspective, les petits pays sont situés entre les grandes nations (France, Allemagne, Grande-Bretagne) et les micro-États (Andorre, Lichtenstein ou le Luxembourg) (Trappel, 1991). Au cours des vingt dernières années, de nombreuses définitions ont été proposées en se basant sur des indicateurs liés à la population (Puppis, 2009) (Niessen et Ferrell Lowe, 2011), à la superficie géographique ou encore à la notion de ressources disponibles (Picard, 2011). En prenant la taille de la population comme indicateur, les chercheurs s’accordent généralement à situer les petits marchés européens dans une fourchette allant de 100 000 à 20 millions d’habitants (Puppis, 2009). Des recherches plus récentes portant sur la presse écrite régionale américaine estiment qu’un journal se trouve sur un petit marché à partir du moment où sa diffusion payante se situe en dessous de 50 000 exemplaires (Radcliffe et Ali, 2017 ; Ali, Schmidt, et al., 2018). Avec une population estimée à un peu moins de cinq millions d’habitants en 20171 et au vu de la diffusion payante limitée des quotidiens payants qui y sont actifs2, la Belgique francophone peut donc être assimilée à un petit marché (Van der Burg et Van den Bulck, 2017).
Le concept de diversification ne fait pas l’objet de consensus au sein de la littérature scientifique (Ramanujam et Varadajaran, 1989). Les chercheurs insèrent cette stratégie au sein d’un triptyque composé des intégrations horizontale et verticale. L’intégration horizontale se produit lorsqu’une entreprise acquiert un concurrent actif au même échelon d’un secteur d’activité (Doyle, 2013 ; Hardy, 2010). L’intégration verticale se définit comme l’acquisition par une entreprise d’une organisation se situant en aval ou en amont au sein de la filière (Antoine, 2002). La diversification est considérée comme le développement d’une entreprise dans des secteurs éloignés de son activité originelle. Dans le cadre de cette recherche, la diversification a plutôt été définie comme le processus par lequel une entreprise élargit le spectre de ses activités économiques (Pitts et Hopkins, 1982). Igor Ansoff a réalisé une matrice établissant les produits et les marchés sur lesquels une entreprise a la possibilité de croître (Ansoff, 1989). L’application de cet outil conceptuel au cas de la presse quotidienne payante aboutit au schéma ci-dessous (voir table 1). Les groupes de presse écrite quotidienne payante peuvent ainsi développer leurs activités dans de nouveaux produits médiatiques (II) : presse en ligne, presse magazine, presse quotidienne gratuite, presse d’annonces, télévision et radio. Ils ont également la possibilité d’étendre leurs activités vers de nouveaux marchés géographiques (III). La dernière option (IV) est la diversification conglomérée, c’est-à-dire l’expansion vers de nouveaux services et produits non liés aux activités initiales du groupe (paris sportifs, assurances, sites de rencontres, etc.).
Table 1 : La matrice d’Ansoff sur la diversification adaptée au monde des média, et plus particulièrement aux entreprises de presse quotidienne payante (d’après Ansoff, 1989)
Décentrer la littérature focalisée sur les grands groupes internationaux
Les recherches sur la diversification des groupes médias montrent que si les synergies constituent la principale motivation de leur réalisation, leur mise en place concrète se révèle compliquée et débouche plutôt sur des échecs (Hardy, 2010 ; Peltier, 2001, 2004 ; Küng, 2017). En analysant les stratégies plurimédias des groupes internationaux de presse magazine, Jean-Marie Charon met en évidence l’existence d’« entreprises réseaux » entretenant peu de liens structurels les unes avec les autres (Charon, 2009). Selon Philippe Bouquillion, le positionnement international des groupes médiatiques s’explique davantage par des logiques financières que par des logiques industrielles. Dans certains cas, l’acquisition d’une entreprise média se réalise par la nécessité d’obtenir un avantage concurrentiel sur le secteur initial d’activité de l’entreprise acquéreuse. Il prend le cas des fournisseurs d’accès Iinternet qui s’emparent de sociétés de production afin de disposer de contenus exclusifs qui les distinguent de leurs concurrents (Bouquillion, 2002). Les chercheurs en management et en économie des médias ont identifié plusieurs déterminants économiques sous-jacents à la réalisation de la diversification par les groupes médiatiques. La diversification permet à l’entreprise d’être moins dépendante de fluctuations économiques liées au marché d’un produit (I). Elle offre la possibilité de dégager de nouvelles capacités d’investissements issus des nouvelles activités (II). Elle améliore les performances économiques des entreprises nouvellement intégrées (III) ainsi que leur efficience organisationnelle (IV) par la mise en place de synergies (V) et l’augmentation de leur pouvoir de marché vis-à-vis des fournisseurs et des clients (VI) (Chan-Olmsted, 2006 ; Muehlfeld, Rao Sahib et al., 2007). La diversification peut toutefois nuire à l’efficience de l’organisation médiatique en créant des structures organisationnelles rigides, en accentuant la bureaucratie et en restreignant leur propension à l’innovation (Picard et Rimmel, 1999).
Les recherches exposées ci-dessus se focalisent sur les groupes internationaux (Bouquillion, 2008 ; Oba et Chan-Olmsted, 2007 ; Schulze, Thielmann et al., 2005). Or, le monde des médias n’étant pas un tout uniforme, leurs résultats ne s’appliquent pas nécessairement aux entreprises actives sur des petits marchés généralement protégés des tendances internationales et bénéficiant à un certain degré de la protection d’une langue particulière et d’une politique médiatique active des pouvoirs publics (Donders, Enli et al., 2018). Par ailleurs les études concernent des groupes médiatiques internationaux dont les revenus proviennent de la télévision, des activités de distribution ou de secteurs situés en dehors des médias, délaissant les groupes de presse écrite qui – même s’ils sont diversifiés dans d’autres secteurs – dépendent encore majoritairement des ressources issues de leurs activités d’information de presse écrite. L’une des seules études portant sur des groupes médiatiques d’ampleur plus modeste a été réalisée par deux chercheurs espagnols Miguel Carvajal et José García Avilés. Vocento et Prensa Ibérica mettent en place des synergies poussées entre leurs activités. Leur diversification dans le secteur audiovisuel offre l’opportunité de réaliser des synergies sur le contenu rédactionnel : les informations produites pour la télévision sont aussi diffusées sur leur site Internet respectif (Carvajal et García Avilés, 2008). Les synergies s’observent également d’une part, dans le domaine de la publicité par la création de produits publicitaires bundle entre la presse, l’audiovisuel et le média en ligne et d’autre part dans le domaine du marketing. Finalement, les deux groupes sont partenaires au sein de plusieurs coentreprises dans des secteurs comme celui de l’imprimerie. En analysant la diversification du groupe canadien Québecor, Marc Edge remarque lui aussi la mise en place de synergies entre les chaînes de télévision et les journaux du groupe. La promotion de l’émission Star Académie est effectuée sur l’ensemble des titres de Québecor (Edge, 2015). Le chercheur relate également le plan de réorganisation prévoyant de transformer la rédaction du quotidien Sun en une agence de presse fournissant des informations pour l’ensemble des médias du groupe.
La dépendance aux ressources
Selon la théorie de la dépendance aux ressources (TDR), les organisations puisent dans leur environnement les ressources dont elles ont besoin pour assurer la pérennité de leur existence (Pfeffer et Salancik, 2003). Pour les acquérir, l’organisation entre en contact avec d’autres entités qui possèdent ces ressources, s’insérant de cette manière dans une relation qualifiée d’interdépendante. Il en existe de deux types : d’une part, l’interdépendance symbiotique qui concerne une organisation et ses fournisseurs ou ses clients dans le cadre d’une filière de production et d’autre part l’interdépendance commensalistique entre l’organisation et ses concurrents (Pfeffer, 1972 ; Davis et Cobb, 2010). Le degré de dépendance d’une organisation par rapport à une autre se détermine par les caractéristiques de la ressource en question (disponibilités et caractère inimitable) ainsi que par la concentration du marché.
La TDR postule que les entreprises disposent de stratégies pour gérer l’incertitude provenant de leur degré d’interdépendance à leur environnement. Elles peuvent intégrer au sein de leur conseil d’administration des patrons d’entreprises liés à leur filière ou encore mener des actions (lobbying) auprès des pouvoirs publics (Dress et Heugens, 2013). Les entreprises peuvent également réduire leur interdépendance en réalisant des intégrations horizontale et verticale avec les entreprises en amont et en aval de leur filière ou avec des concurrents. Le cas échéant, les entreprises peuvent chercher des ressources supplémentaires dans de nouveaux secteurs d’activités afin de diminuer leur dépendance à des ressources provenant d’un secteur où elles se trouvent dans une position d’asymétrie (Hillman, Withers et al., 2009).
En prenant en considération la concentration élevée du petit marché belge francophone, sa vulnérabilité vis-à-vis des acteurs internationaux ainsi que les ressources limitées qui y sont disponibles (Antoine et Heinderyckx, 2011 ; Van der Burg, 2017), l’exposition de ces éléments théoriques fait émerger plusieurs hypothèses :
1. Les groupes de presse écrite quotidienne payante pratiquent-ils une diversification de leurs activités à l’intérieur de l’industrie des médias pour augmenter leur pouvoir sur les entreprises concurrentes ou cherchent-ils des ressources dans de nouveaux secteurs ?
2. Sont-ils amenés à diversifier leurs activités à l’étranger afin de pallier les ressources limitées du petit marché dans lequel ils sont actifs ?
3. Déploient-ils des modes opératoires spécifiques (croissance organique, alliance ou fusion) pour gérer leur interdépendance organisationnelle ?
Une étude de cas longitudinale
L’article propose de tester ces hypothèses sur trois groupes de presse quotidienne payante : Rossel IPM et Tecteo/Nethys. Articulées dans un premier temps autour du quotidien bruxellois Le Soir (1887) et du magazine hebdomadaire Le Soir Illustré (1928), les activités de Rossel s’élargissent après la Seconde Guerre mondiale dans la presse d’annonces Vlan ainsi que dans la presse quotidienne régionale belge (La Meuse, La Capitale, La Nouvelle Gazette, La Province et Nord Éclair). Le groupe possède aussi des actifs dans le secteur de la radio par le biais d’une participation dans la structure Radio H, actionnaire majoritaire (99,8 %) des sociétés Cobelfra (Radio Contact) et Inadi (Bel-Rtl). Alors qu’à ses débuts, La Libre Belgique n’est qu’une simple feuille volante distribuée clandestinement lors de la Première Guerre mondiale, elle devient au cours du XXe siècle un des quotidiens de référence de la partie francophone du pays. Au début des années 1970, la société éditrice du titre se rapproche de l’entreprise publiant La Dernière Heure/Les Sports (créé en 1906) par le biais de participations croisées (Lentzen, 1996). À la suite de difficultés financières récurrentes, le groupe est finalement repris en main en 1986 par deux familles d’industriels belges (le Hodey et Velge3). Initialement actif dans la gestion d’électricité dans la province de Liège, Tecteo/Nethys tire profit de la proximité de ses activités initiales de gestionnaire de réseau avec le câble belge pour devenir en 2008, à la suite de sa fusion avec d’autres câblodistributeurs wallons, l’un des principaux acteurs du secteur en Belgique. En 2014, il achète le deuxième quotidien régional belge francophone Vers L’Avenir au groupe flamand Corelio.
Plus précisément, l’approche longitudinale a été appliquée en prenant en considération la spécificité de notre objet de recherche (Pettigrew, 1990, 1997). Celle-ci s’est concrétisée par le repérage des activités de diversification des groupes dans la revue Media Marketing, spécialisée dans le monde des médias et de la communication entre le début des années 2000 et 2019. Cette phase a été suivie par la consultation des sites Internet corporatifs, des états financiers et des rapports de gestion des groupes de presse écrite. Le corpus de l’étude se compose donc principalement de trois sources :
– Un peu moins de 120 numéros de la revue Media Marketing (mensuelle entre 2005 et 2012 et ensuite trimestrielle entre 2013 et 2019).
– Près de 200 articles récoltés à la suite de trois démarches sur Internet : la consultation des sites corporatifs des groupes de presse, la recherche sur des moteurs de recherche généralistes ainsi que l’examen des archives disponibles sur les services en ligne des éditeurs de presse (principalement celui du Soir et du kiosque numérique Gopress rassemblant l’ensemble des contenus des principaux journaux et magazines en Belgique).
– Les états financiers consolidés (et les rapports de gestion annexés) des groupes de presse ainsi que de leurs principales filiales (2007-2019) dépouillés systématiquement sur le site de la Banque Nationale de Belgique.
Cette enquête documentaire a débouché sur la constitution d’une base de données de 301 activités. Chaque item a été caractérisé par plusieurs variables élaborées à partir des travaux de Sylvia Chan-Olmsted (2006). La méthode employée comporte plusieurs limites. D’une part, elle tend à mettre sur le même pied d’égalité des activités impliquant des investissements d’ampleur inégale. La prise de participation de Tecteo/Nethys dans la start-up Let’s Go City (un item) dispose d’autant de poids que l’acquisition du journal quotidien régional L’Avenir (un item). L’insertion de plusieurs items au sein de notre base de données pour représenter les diversifications complexes, c’est-à-dire la diversification d’un groupe dans une entreprise active dans différentes activités, atténue certes ce problème méthodologique sans pour autant le gommer complètement. Une solution consisterait à récolter l’ensemble des capitaux investis par les groupes dans leur stratégie de diversification, mais cette option se révèlerait compliquée à mettre en œuvre dans la mesure où, même si les diversifications sont annoncées dans les médias, les montants impliqués sont rarement communiqués.
D’autre part, l’étude ne permet pas de prendre conscience de l’échec ou de la réussite des diversifications ainsi que la proportion de ses nouvelles activités dans le chiffre d’affaires consolidé des groupes. Même si le souci d’exhaustivité a guidé la réalisation de la base de données, certaines diversifications sont probablement passées sous notre radar, en raison de leur déficit de médiatisation.
Une diversification d’intensité variable entre les groupes
Les groupes de presse écrite quotidienne payante pratiquent des stratégies de diversification d’intensité variable (voir table 2). Depuis le début des années 2000, Rossel a réalisé 173 diversifications, c’est-à-dire respectivement quatre et deux fois plus qu’IPM et que Tecteo/Nethys. Si on replace les items chronologiquement, plusieurs tendances s’observent. La diversification de Rossel se caractérise par quatre pics d’activités (voir figure 1). Dès 2003, le groupe étend ses affaires dans le secteur de la publicité écrite en signant des accords de régie avec une petite dizaine de titres magazines (Ambiance, Mine, Coiffeurs et Coiffures ou La Redoute, etc.) et avec la déclinaison sur le sol belge du quotidien britannique The Daily Telegraph4. Il se diversifie également dans la presse économique L’Écho et De Tijd (2005) en créant une coentreprise avec un groupe flamand Persgroep ainsi que dans la presse gratuite d’information avec le quotidien Metro (2003) et l’hebdomadaire 7Dimanche (2005).
En 2005, suite aux difficultés économiques de La Voix du Nord, Rossel devient actionnaire majoritaire du groupe possédant le titre quotidien régional éponyme, mais aussi de nombreux journaux hebdomadaires régionaux appartenant à Nord Littoral (La Semaine dans le Boulonnais, L’Avenir de l’Artois, L’Écho de la Lys, L’Indicateur des Flandres, Le Journal des Flandres, Le Phare Dunkerquois, Les Échos du Touquet, Le Journal de Montreuil et Le Réveil de Berck) ainsi que de leurs sites Internet respectifs5. Il convient de mentionner que le groupe avait déjà pris une participation minoritaire dans La Voix du Nord en 1998 (Martin, 2002), mais que celle-ci s’était progressivement diluée au sein de la structure actionnariale du groupe français au profit de la Socpresse. Il semble pertinent de prendre la date de 2005 comme véritable point de départ de la diversification de Rossel en France afin d’acter cette prise de participation majoritaire et d’incorporer cette diversification stratégique dans notre analyse. Le troisième pic se produit en 2013 lorsque le géant français de la presse écrite Hersant Média se trouve en déliquescence économique. En parallèle à des cessions effectuées dans le Sud de la France (Nice-Matin et La Provence), le groupe se sépare de ses activités situées au sein de son pôle Champagne-Ardenne (Le Floch et Sonnac, 2013) qui comprend des quotidiens régionaux (L’Union, L’Ardennais, L’Est éclair et Libération Champagne), mais aussi des titres de presse gratuite (Instant Rémois, Instant Troyen ou Instant Carolo) ainsi qu’une radio (Champagne FM). Finalement, en 2017, la régie IP qui s’occupe de la commercialisation des chaînes du groupe RTL Belgique ainsi que des radios Bel-RTL et Radio Contact notamment, souhaite se défaire de ses marques magazines (Ciné Télé Revue, Télé Star, Télépro, Primo, Touring magazine pour ne citer que les plus importants). En collaboration avec le groupe Tecteo/Nethys, Rossel fonde une société NecNet (détenue à 49 % par Rossel et à 51 % par Les Éditions L’Avenir) dont l’objectif est de commercialiser les espaces publicitaires de l’ensemble de ces titres6.
La diversification des deux autres groupes de presse est moins volumineuse. Initialement actif dans le secteur de l’énergie et de la câblodistribution, Tecteo/Nethys se diversifie dans un premier temps dans des domaines proches de ses activités traditionnelles. En 2009, il acquiert un fournisseur d’accès à Internet pour entreprises (Win) et fusionne avec des acteurs wallons de câblodistribution pour former la marque Voo. Le groupe lance aussi un nouveau produit de téléphonie fixe en 2006 avant de se positionner avec une entreprise de câblodistribution flamande Telenet pour acquérir une licence 3G afin de lancer une offre de téléphonie mobile en 2013. La première incursion dans les médias s’observe en 2008 lorsque le groupe achète la chaîne de télévision payante Be tv. En 2010, il prend une participation dans la radio belge Twizz en partenariat avec IPM7. Mais l’inflexion majeure dans la stratégie de diversification se remarque à partir de la seconde moitié des années 2010. En 2013, les groupes flamands Corelio et Concentra créent une structure Mediahuis au sein de laquelle ils placent leurs principaux titres de presse écrite quotidienne, c’est-à-dire De Standaard et Het Nieuwsblad d’un côté pour Corelio et de l’autre côté, Het Belang van Limburg et Gazet van Antwerpen pour Concentra8. N’étant plus considérées comme stratégiques, les activités de presse écrite de Corelio dans le sud de la Belgique sont mises en vente. Plusieurs offres sont proposées, mais c’est celle de Tecteo qui est privilégiée. Le groupe devient alors le propriétaire du deuxième quotidien régional francophone L’Avenir, mais aussi de la presse gratuite Proximag et de l’hebdomadaire destiné à la jeunesse Le Journal des Enfants (2014). Entre 2014 et 2017, une stratégie de diversification intensive est menée au cours de laquelle Tecteo/Nethys prend des participations dans le newsmagazine M. Belgique (2014), le magazine spécialisé dans le monde de la communication The Pub (2015), et acquiert deux titres Moustique et Télé Pocket (2015) appartenant au groupe Sanoma Belgique9. Tecteo/Nethys étend également ses activités au-delà des frontières belges par le biais d’une filiale L’Avenir Développement en prenant en 2015 une participation de 11 % dans La Provence et en 2016 dans le groupe Nice-Matin avec la perspective de devenir actionnaire majoritaire. L’éclatement du scandale Publifin à la fin de l’année 2016, c’est-à-dire la révélation de l’existence de comités sectoriels pour lesquels des hommes politiques wallons touchaient des rémunérations sans y participer, a engendré une réflexion globale sur le périmètre d’activité de l’intercommunale Publifin et in extenso une diminution, un arrêt et finalement une cession des titres de presse écrite acquis par le groupe au fils des années. Les participations en France sont cédées au fondateur de Free, Xavier Niel, en 200910 et les activités dans la presse écrite belge francophone sont officiellement mises en vente à la fin du mois de janvier 202011.
IPM pratique une diversification plus limitée en volume (48 items identifiés). Les années 2000 se caractérisent par la faible propension du groupe à l’expansion dans de nouveaux secteurs. En 2004 et 2005, il ne se développe dans aucune autre activité. Même lors des années plus fournies, le groupe réalise seulement quelques diversifications (en 2000, en 2006 avec trois items et en 2009 avec quatre items) mais elles sont bien plus restreintes en comparaison avec les deux autres cas analysés. La charnière des années 2000 et 2010 constitue une légère inflexion dans la stratégie d’IPM sur laquelle la contribution y reviendra.
Table 2 : Le nombre de diversifications réalisées par les groupes de presse (IPM, Rossel, Tecteo/Nethys) entre le début des années 2000 et 2019
Figure 1 : Le nombre de diversifications d’IPM, de Rossel et de Tecteo/Nethys réparties chronologiquement (entre 2000 et 201912) (N = 284)
L’essor vers l’étranger pour acquérir de nouvelles ressources
Les groupes de presse pratiquent des diversifications contrastées d’un point de vue géographique (voir table 3). IPM s’est ainsi peu développé en dehors des frontières belges francophones : 91 % de ses nouvelles activités sont situées en Belgique. Le groupe possède seulement deux items dans l’Hexagone : Axemedia, une société basée à Paris spécialisée dans la fusion et la vente d’actifs de presse écrite, et, depuis 2006, une participation dans la structure Refondation13 au sein de laquelle ont été comptabilisés le quotidien Libération (un item), le site Internet Libération.fr (un item) ainsi que l’agence active dans le secteur événementiel Les forums de Libération (un item).
La diversification de Rossel et de Tecteo/Nethys se caractérise par leur dimension internationale. 49 % des nouvelles activités du groupe dirigé par Bernard Marchand ont été réalisées en France et près de 3 % dans d’autres pays. Outre la prise de participation dans La Voix du Nord en 2005 et l’acquisition du pôle Champagne-Ardenne en 2013, Rossel acquiert deux titres dans la presse magazine en collaboration avec d’autres acteurs du secteur : Première, magazine consacré au cinéma (2014) et Psychologie (2014). Il investit également dans la presse gratuite d’information 20 minutes (en collaboration avec Ouest-France en 2016). La croissance du groupe dans d’autres pays s’est principalement réalisée par le biais de sa filiale Vlan. Rossel a ainsi lancé en Chine, avec un partenaire local, une version chinoise de sa presse gratuite d’annonces du nom de Fu Lai14. Le groupe possédait aussi plusieurs call centers à l’étranger, au Luxembourg ainsi qu’en Bulgarie15. Dans le cas de Tecteo/Nethys, 51 % des diversifications ont été réalisées en France et 6,25 % dans d’autres pays. Les activités françaises concernent les prises de participations dans Nice-Matin et La Provence. Il convient de mentionner ici que comme dans le cas de La Voix du Nord, ces groupes possèdent non seulement un quotidien, mais aussi une multitude de titres et d’activités expliquant le pourcentage élevé des activités situées dans l’Hexagone au sein de la stratégie de diversification de Tecteo/Nethys. Nice-Matin possède ainsi non seulement le quotidien éponyme, mais aussi des activités dans la presse quotidienne gratuite (Cnews), l’édition (Éditions Albiana et Gilletta), les voyages (Nice-Matin Voyage), quelques magazines (Story, Golf Azur, Art & Enchères) et dans l’immobilier (Surface privée). Les autres activités situées à l’étranger notamment en Roumanie, en Serbie et en Afrique touchent le secteur initial d’activités du groupe, c’est-à-dire l’électricité et s’éloignent du spectre de notre analyse.
Table 3 : Les activités de diversification des groupes IPM, Rossel et Tecteo/Nethys entre 2000 et 2019 (en pourcentage, N = 301)
Le degré de liaison avec le cœur initial d’activités
Les groupes de presse écrite quotidienne payante choisissent des secteurs d’affaires variées pour étendre leurs activités (voir tables 4 et 5). 33 % des diversifications d’IPM sont réalisés dans des secteurs faiblement liés à son cœur initial d’affaires. Le groupe a d’abord lancé plusieurs nouveaux titres papier dans les années 2000, mais la plupart ont été des échecs commerciaux. Surfant sur la vague du lancement des quotidiens gratuits dans les années 2000, IPM publie un hebdomadaire gratuit La Tribune de Bruxelles pour concurrencer Metro (propriété conjointe de Concentra et de Rossel)16. Le groupe prend également en charge la réalisation de la version belge du magazine Paris-Match (2001)17 ainsi que celle du Courrier International (2009)18. À partir de 2010, la diversification d’IPM se réalise principalement dans des secteurs faiblement liés à son activité initiale. À la suite de la légalisation, au niveau européen, des jeux d’argent en ligne, le groupe développe par le biais de la société Sagevas19, un site de paris sportifs Befirst (2012) sur lequel se greffent ensuite d’autres services de jeux d’argent : paris hippiques (Société Vincennes en 2013) et jeux de casino (B&M en 2014). IPM achète ensuite deux agences spécialisées dans l’organisation de voyages haut de gamme : Wantotravel (2017) et Continents Insolites (2018)20. Après avoir lancé un site de rencontres en 2009, le groupe crée un site d’e-commerce (2011) et un site consacré aux cadeaux de mariage Fleur de Lyst (2013). Plus récemment, il a pénétré le secteur des plateformes de services. Le groupe possédé par la famille le Hodey prend une participation dans une start-up belge Séraphin rassemblant sur un site internet des offres d’assurance. C’est le même principe qui a présidé à la création des deux sites, Nomades et Votreconciergerie.be. Il s’agit dans les deux cas de plateformes rassemblant des services proposés par des partenaires externes : des offres de tickets pour assister à des spectacles et de théâtres pour le premier et pour le second des offres de petits boulots comme des travaux de plomberie et d’entretien de jardins. Au cours de l’année 2019, IPM continue sa diversification dans des secteurs non liés à la presse écrite en collaborant avec une société Securex active dans le coworking (2019)21.
Depuis 2010, la pénétration du groupe dans les rares activités liées à ses métiers historiques s’observe dans le secteur de la publicité classifiée et plus spécifiquement les annonces immobilières. IPM procède à une série d’acquisitions dans le secteur : d’abord Logic Immo en 2012 à qui appartient le portail éponyme, mais aussi la version hebdomadaire papier gratuite distribuée près des kiosques et des marchands de journaux en Belgique, puis Immo Transit en 201922.
Le pourcentage d’activités faiblement liées est peu élevé dans le cas de Rossel : à peine 5,2 %. Parmi ces quelques items, on peut notamment pointer la prise de participation (2008) et ensuite l’acquisition (2011) du premier site belge de rencontres Rendez-vous.be. Comme son concurrent IPM, Rossel a lancé un site d’e-commerce en créant une entreprise commune R-Shop Channel (2011). L’intégration du reste de ses activités entretenant peu de liens avec le secteur de la presse quotidienne payante au sein du groupe s’est réalisée lors de la prise de participation d’entreprises plus larges. S’insèrent ici les cas de La Voix Éditions, une maison d’édition et de La Voix – L’Étudiant éditant un magazine, mais organisant surtout des évènements ciblant les jeunes aux études. Ces deux activités sont entrées dans le patrimoine du groupe par le biais de sa participation dans La Voix du Nord. En 2015, le groupe prend une participation minoritaire dans l’entreprise Zelos organisant des évènements sportifs en Belgique et gérant la carrière d’athlètes belges de haut niveau (2015).
Tecteo/Nethys se diversifie en grande majorité (85 %) dans des secteurs éloignés de ses domaines historiques d’activités. Ce résultat doit toutefois être interprété à la lueur de nos choix méthodologiques. Les secteurs initialement considérés pour établir le degré de liaison avec les nouvelles sont ceux de l’électricité et de la câblodistribution. Dans cette perspective, les nombreuses acquisitions réalisées par le groupe dans le secteur des médias (Be tv ou Twizz, L’Avenir, La Provence et Nice-Matin, etc.) ont été insérées au sein de notre base de données comme étant faiblement liées au cœur initial d’affaires du groupe.
Les activités moyennement liées aux métiers initiaux de presse constituent la catégorie la moins récurrente au sein des diversifications menées par les groupes de presse. Elles s’élèvent respectivement à 12,50 % et à 16,76 % pour Rossel et IPM. Au sein de ces activités, on retrouve la diversification de Rossel dans la presse radiophonique et audiovisuelle comme Mooviz (2014), la chaîne câblée C9 (2005), Production Cercle Bleu (2005), Contact FM (2012), Happy FM (2015), la radio RDL (2018), l’agence Ouest Info (2019), les agences de communication comme Bepublic (2012), Confi and publishing (2015) et finalement Content Republic (2018)23. Rossel a aussi commercialisé un logiciel dpi24/7 se chargeant de gérer les publications sur les sites internet (2012) et a investi dans les plateformes d’hébergement comme My Video Place (2015) et Digiteka en collaboration avec Ouest France (2017). Ces tendances s’observent aussi au sein d’IPM avec la reprise de la radio Ciel Fm, renommée dans un premier temps Twizz avec Tecteo/Nethys (2010) et finalement DH Radio (2015) lorsque le groupe de télécommunications se retire de l’actionnariat.
Si le degré de liaison entre les anciennes et les nouvelles activités constitue un indicateur pertinent pour caractériser une diversification des groupes, il ne permet pas de prendre conscience des secteurs concrets dans lesquels ceux-ci investissent. Une catégorie « secteur concerné » a donc été ajoutée à notre base de données pour nuancer les résultats. Le traitement quantitatif met une fois de plus en évidence que les groupes de presse n’investissent pas dans les mêmes domaines. Alors que 46 % des diversifications de Rossel se réalisent au sein de l’industrie de la presse écrite, ce pourcentage est moins élevé chez IPM (près de 23 %). Par ailleurs l’analyse met en évidence la faible proportion des diversifications dans le secteur de la radio et de la télévision : respectivement 2,08 % et 0 % pour IPM, 2,31 % et 2,89 % pour Rossel, et 1,25 %24 pour Tecteo/Nethys. Finalement, le pourcentage des diversifications dans la presse et la publicité en ligne est élevé : 18,75 % pour IPM, 19,1 % pour Rossel et 17,5 % pour Tecteo/Nethys.
Table 4 : Les activités de diversification selon leur degré de liaison par rapport au secteur initial et aux métiers de base des groupes IPM, Rossel, et Tecteo/Nethys (en pourcentage, N = 301)
Table 5 : La diversification des groupes IPM, Rossel et Tecteo/Nethys selon le secteur d’activité entre 2000 et 2019 (en pourcentage, N = 301)
La pratique de l’alliance : mode opératoire le plus pratiqué
Si nos résultats font émerger des différences majeures entre les groupes de presse au niveau des modalités géographiques, du degré de liaison ainsi que des secteurs visés par leur diversification, ils mettent également en évidence certains éléments communs. Si on analyse le mode opératoire par lequel les diversifications se réalisent (voir tables 6 et 7), on remarque que les alliances (c’est-à-dire la coentreprise, le partenariat ainsi que les prises de participations minoritaires ou majoritaires) (Wirtz, 2011) constituent le mode le plus souvent employé : 39,5 % des diversifications d’IPM ont été réalisées par ce biais. Ce pourcentage devient plus important pour Rossel (58,38 %) et surtout pour Tecteo/Nethys (65 %). Les fusions et les acquisitions sont régulièrement pratiquées : près de 23 % des diversifications d’IPM s’effectuent par ce mode. Les résultats sont similaires pour les deux autres groupes : 22,54 % pour Rossel et 22,50 % pour Tecteo/Nethys. Finalement, la croissance organique est proportionnellement plus utilisée par IPM (37,50 % des activités recensées se réalisent par ce mode) que chez les autres groupes de presse écrite quotidienne payante : respectivement 19,1 % pour Rossel et 12,5 % pour IPM.
Table 6 : La diversification des groupes IPM, Rossel et Tecteo/Nethys selon le mode opératoire en pourcentage (N = 301)
Table 7 : Les activités de diversification selon le mode opératoire des groupes IPM, Rossel et Tecteo/Nethys en pourcentage (N = 301)
Conclusion
En mobilisant la théorie de la dépendance aux ressources, la contribution questionne l’impact des structures du petit marché belge francophone dans la réalisation de la diversification des groupes de presse écrite qui y sont actifs. Contraints par les ressources limitées de leur environnement, IPM, Rossel et Tecteo/Nethys se sont d’abord diversifiés par le biais de modes opératoires variés dans le monde des médias belges francophones au gré des opportunités qui s’y présentaient. Une fois que ces pans de marché, qui étaient restés jusque-là indépendants ou aux mains d’acteurs étrangers ont été conquis, les structures du marché belge se sont rigidifiées. Œuvrant dans un marché médiatique saturé au sein duquel les diversifications étaient certes possibles mais limitées dans leur ampleur, les groupes, poussés par le déclin du chiffre d’affaires de la presse écrite, se sont alors tournés pour survivre vers les marchés médiatiques étrangers ou dans des secteurs éloignés de leur cœur d’affaires. D’un côté, Rossel étend ses activités dans des domaines proches de la presse écrite en prenant des participations ou en rachetant des groupes français comme La Voix du Nord (2005), Le Courrier Picard (2011) ou encore le pôle Champagne-Ardenne (2013). C’est le même souci logique qui préside l’expansion des activités dans la presse écrite de Tecteo/Nethys dans le sud de la France au sein des groupes Nice-Matin (en 2016 avec une augmentation de la participation à 33 % en 2017) et La Provence (2015). De l’autre côté, restreint par ses capacités limitées d’investissements et sa position d’asymétrie avec son concurrent Rossel sur le marché belge francophone, IPM s’est d’abord diversifié dans des métiers proches de la presse écrite avant de pénétrer à partir de 2010 dans des secteurs éloignés de son cœur d’affaires comme les paris sportifs, les plateformes de services numériques ou encore la gestion des espaces de coworking.
Dans cette perspective, la recherche renouvelle modestement les études menées sur les petits marchés médiatiques. La littérature montre en effet que les petits pays partageant un langage similaire à un grand pays (la Belgique francophone en rapport à la France, par exemple) sont plus vulnérables à la pénétration d’acteurs étrangers (Grisold, 1998 ; Antoine et Puissant Baeyens, 2015). Elle souligne aussi que le fait de posséder un langage exclusif, c’est-à-dire qui n’est pas partagé par un voisin limitrophe, constitue une barrière protectrice pour le petit pays concerné (Puppis, 2009). En prenant comme niveau d’analyse les groupes de presse et en mettant en évidence que leur diversification internationale se réalise essentiellement en France, notre recherche montre que le langage constitue un élément orientant la réalisation de ce type de stratégie pour les acteurs médiatiques belges. Il serait intéressant de confirmer ou d’infirmer les résultats obtenus dans cette étude avec des groupes de presse actifs sur des petits marchés similaires à celui que nous avons étudié (l’Autriche en rapport à l’Allemagne) sur des petits marchés au langage exclusif (le Portugal ou le Danemark) ou encore sur des petits marchés intégrés dans des espaces nationaux plus larges (la Catalogne dans l’Espagne ou l’Écosse dans la Grande-Bretagne).
En se focalisant sur les positionnements stratégiques des trois groupes de presse écrite quotidienne payante, cette étude n’aborde pas la manière dont la réalisation de ces stratégies affecte leur fonctionnement interne. Outre le fait que la croissance dans des activités éloignées de la presse écrite pose des questions essentielles sur l’indépendance des journalistes dans l’exercice de leur métier, il serait intéressant de déterminer si la diversification de ces groupes actifs sur un petit marché s’accompagne de la mise en place de synergies industrielles (mutualisation de contenus, offres cross-média, cross-promotion publicitaires entre les marques ou encore le partage de connaissances entre les départements des entreprises, etc.), ou se rapproche du modèle suivi par les médias internationaux caractérisé par des synergies limitées. Finalement, une piste future de recherche consisterait à évaluer l’efficacité économique des diversifications. Les études montrent en effet que les groupes médias qui étendent leurs activités dans des domaines liés ont de meilleures performances économiques que les médias étendant leurs activités dans des secteurs éloignés de leur cœur de métier. L’utilisation des ratios économiques (Ozanich, 2006 ; Picard, 2011) appliquée aux états financiers consolidés des groupes de presse écrite constituerait une méthode adéquate pour confirmer ou infirmer les recherches ayant déjà été menées sur cette thématique.
Rémy Bersipont est doctorant au Pôle de recherche en communication
de l’Université catholique de Louvain.
Notes
1En 2017, la Belgique francophone est composée de 3,6 millions de Wallons et 1,2 million de Bruxellois : Fédération Wallonie-Bruxelles (2018). La Fédération Wallonie-Bruxelles en chiffres. Bruxelles, p. 15.
2
En 2018, selon le Centre d’information sur les médias (CIM), les diffusions payantes print moyennes par jour (hors ventes à tiers et actions promotionnelles) des quotidiens étaient les suivantes : Le Soir (40 838), La Libre (26 414), La DH/Les Sports (30 849), L’Écho (7 524), les journaux Sudpresse (65 583), et L’Avenir (67 640) CIM. Brand reports. [En ligne] Cim.be, 19.11.2019.
3
En 1991, la famille le Hodey porte sa participation dans la société IPM à 99,2 %. Les familles fondatrices des journaux (Jourdain, Zeegers, Brébart) conservent alors une participation de 0,6 % dans la société (Lentzen, 1996).
4
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5
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6
Belga (2017). Rossel et L’Avenir s’allient commercialement pour affronter les géants du web. [En ligne] L’Avenir.be, 17.03.2020.
7
Belga (2015). Nethys (ex-Tecteo) est sortie du capital de DH Radio, la station du groupe IPM. [En ligne] L’Echo.be, 17.03.2020.
8
Munster, Jean-François (2013). Corelio et Concentra fusionnent leurs journaux. [En ligne] Le Soir.be, 26.06.2013.
9
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10
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11
Degré, Michaël (2020). Nethys met ses titres, dont L’Avenir, en vente. [En ligne] L’Avenir.be, 17.03.2020.
12
17 activités n’ont pas été replacées dans la chronologie. Liées exclusivement à Rossel, elles concernent la diversification des hebdomadaires de presse régionale française sur Internet.
13
Mediascap SA (2011). Rapport de gestion pour l’année comptable 2010, p. 1. [En ligne] cri.nbb.be, 24.11. 2019.
14
Media Marketing, septembre-octobre 2006, p. 26.
15
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16
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17
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18
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19
IPM. (2012). Rapport de gestion de l’année 2011, p. 5. [En ligne] cri.nbb.be, 20. 03. 2020.
20
Sacré, Jean-François. (2018). Le groupe IPM se renforce dans les voyages. [En ligne] L’Echo (sur Gopress.be), 17.03.2020.
21
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22
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23
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24
Les activités acquises par Tecteo/Nethys dans la radio et dans la télévision occupent la même proportion au sein de notre corpus : respectivement 1,25 % pour la radio et 1,25 % pour la télévision. C’est pour cette raison qu’il n’y a qu’un seul chiffre qui apparaît dans le corps du texte. La table 5 fournit des précisions à ce propos.
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Référence de publication (ISO 690) : BERSIPONT, Rémy. La diversification des groupes de presse quotidienne payante dans le petit marché belge francophone. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2020, vol. 2, n°5, p. R19-R36.
DOI:10.31188/CaJsm.2(5).2020.R019