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Nouvelle série, n°6

1er semestre 2021

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INTRODUCTION

Le journalisme face à l’enjeu du mobile

Nathalie Pignard-Cheynel, Université de Neuchâtel
Lara van Dievoet, Université catholique de Louvain
Pascal Ricaud, Université de Tours

DOI:10.31188/CaJsm.2(6).2021.R003





D

ès 2016, le mobile est devenu le mode d’accès privilégié à l’information pour les Occidentaux (Newman, Fletcher et al., 2016). Cette évolution massive et continue des pratiques informationnelles des publics pèse sur les médias, tant en termes de stratégies de diffusion et éditoriales que de production de l’information. Le journalisme mobile serait ainsi devenu l’une des pratiques journalistiques ayant connu la croissance la plus rapide (Hill et Bradshaw, 2019 ; Perreault et Stanfield, 2019), dans un contexte de technologisation croissante.

Le mobile peut dès lors être saisi comme un objet sociotechnique, s’insérant dans des pratiques, des organisations et des interdépendances, voire des influences réciproques entre acteurs (de la production, de la diffusion et de la consommation d’information). Il reconfigure les pratiques des journalistes et des acteurs impliqués dans la fabrique de l’information, tant à travers l’analyse des organisations et des collectifs qui les portent (notamment les rédactions), que des formats et des narrations auxquels ils donnent forme, qu’à travers le rapport renouvelé au terrain, aux sources et aux publics, avec lesquels ils entretiennent de nouvelles relations marquées par une plus grande interactivité (registres consultatif, discursif, collaboratif) (Pignard-Cheynel et van Dievoet, 2019).

Pour rendre compte des nouvelles pratiques de production d’information avec un mobile, le néologisme « mojo » (pour mobile journalism) est créé. Il recouvre le plus souvent la production de contenus en mobilité, et souvent en autonomie (solo journalism), de reportages multimédia. Le smartphone devient dès lors un outil de production complet permettant à la fois la captation et la collecte des informations, mais également leur édition (ou montage) et leur diffusion, le tout depuis un smartphone (Burum et Quinn, 2016). Le mojo s’est développé ces dernières années partout dans le monde (Westlund, 2013), et en particulier dans les médias télévisuels (Vaz Álvarez, 2017) qui voient une opportunité de réduire leur coût d’équipement (Blankenship, 2016), un argument non négligeable pour des entreprises qui font face à des difficultés engendrées par le « virage numérique ».

Sur un autre plan, le rapport du journaliste au terrain qu’il investigue se voit modifié. Il ouvre de nouvelles perspectives en termes de couverture d’événements, en particulier pour les terrains sensibles ou peu accessibles (Burum et Quinn, 2016). Il permet également des pratiques plus immersives et une proximité avec les sources, facilitées par l’usage d’un outil léger et familier. Il offre en outre des possibilités plus grandes d’interaction avec les audiences (Sacco, Gorin et al., 2018).

Le mobile bouleverse enfin le rapport aux temporalités de production et diffusion de l’information. Les modes de diffusion et de partage « en temps réel », portés par la plateformisation croissante de l’information, ont popularisé le format du live video, qui s’est fortement développé à la faveur d’actualités particulièrement adaptées à ce mode de traitement journalistique (mouvements sociaux, révoltes, catastrophes naturelles, etc.). Le live apparaît comme une forme de couverture des événements dont la pratique est enrichie et renouvelée par les réseaux sociaux, et singulièrement la possibilité d’interagir avec les publics ou au moins de répondre en direct à leurs commentaires, questions et interpellations (Pignard-Cheynel et Sebbah, 2015).

Si la technologie mobile semble donc présenter quelques avantages dont les appropriations voire détournements par les journalistes rendent compte, elle ne va pas sans poser des questions quant à ces gains en termes d’autonomie, de souplesse et de temps de travail, pour le journaliste. Jusqu’où la logique de « couteau suisse », caractérisée par une polyvalence fonctionnelle, peut-elle être poussée ? Dans quelle mesure se heurte-t-elle à la tradition d’un journalisme plus spécialisé ? Ce que les journalistes mobiles gagnent d’un côté grâce à l’apport des technologies numériques, le perdent-ils par ailleurs avec la multiplication des tâches qui leur sont demandées ? Ces questions sont fréquemment l’objet de débats au sein des rédactions concernées, génèrent des résistances mais également des clivages, notamment en raison de la crainte d’une « déprofessionnalisation » des journalistes qui l’exercent (Blankenship, 2015). Salzmann, Guribye et Gynnild y voient une des raisons pour lesquelles les journalistes mobiles cherchent à se fédérer, au-delà de leurs médias respectifs, dans une communauté de pratiques transnationales, qui leur permet à la fois de partager leurs pratiques mais aussi ces difficultés liées aux réticences au sein de leurs organisations, en particulier celles relevant de l’audiovisuel public (Salzmann, Guribye et al., 2020).

Outre les productions en mode « mojo », le smartphone est devenu central pour nombre de médias, de par la place prépondérante qu’il occupe dans les pratiques informationnelles des publics. Il conduit à des évolutions des organisations et des cadres de travail, en phase avec de nouvelles temporalités de production et de diffusion de l’information avec l’implémentation de modèles – encore peu stabilisés – tels que le mobile/social networks first. L’enjeu est alors celui d’une adaptation des formats et des rythmes de publication aux usages mobiles, alors même qu’il faut déjà tenir compte des logiques propres au web (et notamment aux consommations sur le lieu de travail – Boczkowski, 2010). Si des médias font le choix d’une édition pour le mobile automatisée (Westlund, 2013), d’autres la confient à de nouveaux profils, comme les content managers ou mobile news editors, qui doivent trouver leur équilibre vis-à-vis des acteurs qui leur préexistaient. Dans d’autres cas, ce sont même des équipes dédiées qui sont chargées de la production de formats spécifiquement pensés pour le mobile (par exemple au Monde avec l’édition de « La Matinale », accessible uniquement sur mobile, ou de l’édition Discover pour Snapchat, évoquée dans ce numéro par Arnaud Mercier). On peut également souligner les cellules de Recherche & Développement qui sont apparues dans les plus gros médias (le Guardian a ainsi maintenu, pendant plusieurs années, un Guardian Mobile Innovation Lab). Des logiques entrepreneuriales (Holton, 2016) sont également à l’oeuvre en intégrant au sein des rédactions des startups ou des « labs » censés favoriser l’innovation – à l’image du RAD de Radio-Canada (Ricaud, 2019) – ou le développement de pratiques plus collaboratives, de communautés de pratiques (Hutchins et Boyle, 2017) voire d’un journalisme en réseau (Heinrich, 2012) à travers la collaboration avec des acteurs extérieurs aux rédactions (freelances, agences spécialisées…)

Ces structures deviennent des laboratoires d’expérimentation des médias en matière de production et de diffusion. En effet, formats et modes de diffusion sont testés par les rédactions et une attention particulière est portée à l’expérience utilisateur (UX), notamment à travers une réflexion ergonomique et centrée sur le design d’interface (UI).

Comme le rappellent Salzmann, Guribye et Gynnild, le smartphone favorise une « forme holistique de récit multimédia » (Busrum et Quinn, 2016, p. 153), « par laquelle un journaliste professionnel écrit, filme, édite et publie des nouvelles entièrement sur un appareil multimédia mobile, en réseau, de poche » (Salzmann, Guribye et al., 2020).

La généralisation des pratiques d’information mobile conduit les rédactions à imaginer des formats pensés pour ces usages spécifiques, en lien avec les préconisations des plateformes qui les diffusent (infomédiaires). Ces contenus sont dits « natifs » dans la mesure où ils sont produits sur mesure pour ces espaces de diffusion particuliers, le plus souvent pour un usage exclusivement mobile. Ils font émerger des grammaires spécifiques et une adaptation aux codes des plateformes et aux usages des publics (Bradshaw, 2016).

On peut citer les vidéos avec des surtitrages adaptés à une consommation sans le son, et en format vertical, qui se sont multipliées, à la faveur du (contesté) pivot to video (Kalogeropoulos, Cherubini et al., 2016). Mais également les stories, aujourd’hui généralisées sur la plupart des plateformes ou encore les efforts déployés par des médias pour investir l’application TikTok (Vázquez-Herrero, Negreira-Rey et al., 2020). Ces formats s’inscrivent dans la culture du snacking ou grignotage d’information (Molyneux, 2018), c’est-à-dire d’une consommation d’information fragmentée, individualisée, qui se glisse dans les interstices du quotidien (Thorson, Schoenberger et al., 2015). Sont dès lors imaginées des entités de contenus courts et rapidement « consommables ». L’alerte push en est une bonne illustration (Newman, Fletcher et al., 2016), devenue au fil du temps un enjeu important pour les médias, qui tentent de se faire une place sur les écrans des mobinautes, devenus un espace d’éditorialisation. À l’inverse, les formats longs font également l’objet de réflexions et d’expérimentations, comme celles conduites à la BBC sur les formats de plus de 800 mots (Ferne, 2017).

La production de formats pour le mobile, diffusés par l’entremise des infomédiaires, pose évidemment la question des contraintes techniques et éditoriales que font peser ces acteurs sur les médias et les journalistes. Plusieurs travaux ont souligné le risque de sujétion aux impératifs des plateformes et les risques d’une dépendance croissante à leur égard, notamment en termes d’audience (Bell et Owen, 2017 ; Nielsen et Ganter, 2017, etc.), avec le risque d’une fragmentation de la présence en ligne des marques médias (que Kalogeropoulos et Newman, 2017) traduisent par le syndrome du « I saw the news on Facebook ». Face à l’altération de leur autonomie, les médias courent le risque d’une dilution éditoriale, et d’une uniformisation des productions, phénomène particulièrement visible dans les contenus natifs formatés pour le mobile (Rebillard et Smyrnaios, 2019).

Ce dernier point est développé en ouverture de ce dossier par Virginie Sonet qui propose un texte qui se positionne comme un regard transversal sur l’ensemble des recherches qu’elle mène depuis 2009 sur les usages informationnels du smartphone, les stratégies mises en place par les plateformes et les adaptations des médias au développement du mobile. À la lumière de ces différentes recherches et des corpus qui les fondent, l’article retrace l’évolution des formats de l’information mobile : formats adaptés aux applications natives ou répondant aux spécificités des réseaux socionumériques, formats conversationnels développées pour Messenger, WhatsApp et Telegram, alertes push, contenus adaptés aux applications d’information d’Apple et de Google et enfin formats vocaux pour enceintes connectées. À travers l’analyse de ces évolutions et des contraintes qu’elles entraînent pour les médias, l’auteure met en évidence une relation déséquilibrée entre plateformes et éditeurs. Son analyse montre qu’en les amenant à uniformiser leurs contenus à destination du mobile, les plateformes rendent les éditeurs dépendants et interchangeables, d’une part et les dépossède de leur fonction de prescription de l’information, d’autre part.

La contribution de Marie Rumignani se focalise sur l’analyse d’un cas spécifique (mais emblématique des logiques à l’œuvre au sein de ce média de service public), celui du Short, une pastille sonore quotidienne diffusée via WhatsApp et produite au sein de la Radio Télévision Suisse. L’intérêt de ce format est qu’il est « pensé pour » les consommations mobiles (et singulièrement pour une diffusion sur une app de messagerie), en se fondant (dans le processus de conception) sur une analyse des pratiques informationnelles des publics visés (les moins de 35 ans) et « produit avec » le mobile, dans une approche héritée du mojo, conduisant le journaliste responsable de cette édition à créer de A à Z, et en solo, chaque épisode quotidien. À travers cet exemple, l’auteure souligne l’émergence d’une forme d’ultra-verticalisation de la production de l’information, en marge de la rédaction, dans un espace et une temporalité à part propre au développement de ce type de contenu. Le concept de journalisme liquide, proposé par Deuze puis largement discuté et enrichi par la recherche en journalism studies, permet de mettre en évidence l’ambiguïté d’une pratique journalistique qui concentre très fortement les processus et les compétences entre les mains d’une personne, tout en se reposant, de manière plus labile et diffuse, sur un partage de connaissances et d’expertises perpétuellement négocié au sein de la rédaction. L’étude de ce cas, observé au plus près de son déroulement grâce à une observation participante au long cours, fournit une analyse approfondie des tensions à l’oeuvre dans l’émergence de formats innovants au sein de rédactions, à travers d’un côté la réaffirmation de cadres et de valeurs journalistiques, et de l’autre une mobilité et une fluidité des pratiques et des organisations propice au développement de ce type de projet.

Dans son article, Arnaud Mercier propose d’étudier l’application Snapchat et en particulier le dispositif Discover, créé spécifiquement pour les médias. À travers une étude par entretiens auprès des principaux médias français participant à cette section de Snapchat, il croise deux axes d’analyse : l’un s’attarde sur les motivations des médias à rejoindre cet espace qui leur est dédié, le deuxième offre une caractérisation des codes (narratifs, graphiques et thématiques) qui y sont développés. L’auteur souligne les espoirs nourris par les médias d’un rajeunissement de l’audience, certes sur toutes les lèvres, mais difficile à concrétiser pour des médias installés et dont l’audience est vieillissante. Si Snapchat apparaît comme un eldorado pour toucher les jeunes publics « là où ils sont » (sur leur mobile), il s’accompagne d’investissements non négligeables (la mise en place d’équipes dédiées, avec des compétences jusqu’alors peu développées au sein des rédactions, comme celles du motion design), mais également de la nécessité de se couler dans les codes de la plateforme. Arnaud Mercier met toutefois en évidence qu’il s’agit plus d’appropriation que de soumission pour les médias (à la différence de ce qui s’observe sur d’autres plateformes qui génèrent un formatage fort des contenus), qui ont l’opportunité de faire valoir leur créativité, mais également de tester de nouvelles modalités de narration de l’information, en s’adaptant davantage au public ciblé. Si Snapchat apparaît dès lors comme un laboratoire d’expérimentations médiatiques, l’auteur y voit davantage la réactivation du modèle de la presse magazine, à travers la tension entre impératifs économiques/marketing et logiques informationnelles, mais également la survalorisation de l’esthétique de l’information.

Quel usage les médias font-ils d’Instagram ? Quelles sont leurs intentions sur un RSN qui à la base n’était pas forcément envisagé comme un moyen d’information journalistique, mais auquel de plus en plus de médias trouvent des vertus complémentaires à celles de Facebook ou de Snapchat Discover ? C’est dans ces termes qu’on pourrait résumer l’ambition de Jean-Hugues Roy dans un article dont le titre astucieux et faussement simplificateur – « Instagram : la une de l’ère mobile » – renvoie en même temps à la fonction traditionnelle de la « une » d’un journal – en tant qu’annonce de contenus et promesse éditoriale – mais aussi à un agencement visuel qui offre une représentation de l’information censée pouvoir être partagée par les abonnés. Instagram offre un dispositif multicanal – avec également les stories et les IGTV – qui permet non seulement de décliner l’information à travers divers formats, mais aussi de jouer sur les effets d’annonce, des horizons d’attente particuliers et renouvelés. Ce sont ces usages journalistiques que Jean-Hugues Roy cherche à saisir, remarquant d’ailleurs que peu d’études portent sur cette question, en particulier dans l’univers francophone. L’ambition affichée par l’auteur consiste à voir comment les médias francophones ont « mobilisé Instagram depuis sa création ». Le panel de médias d’information quotidienne étudiés et les corpus constitués sont d’une telle ampleur que l’utilisation d’un outil d’analyse et de recherche de contenu comme CrowdTangle semble s’imposer – permettant de saisir l’ensemble des contenus produits par les professionnels de l’information et les abonnés – même s’il s’agit d’en identifier également les limites, donc d’amener Jean-Hugues Roy à une posture de chercheur critique quant aux incertitudes méthodologiques liées à ces outils (ici appartenant à Facebook) et plus largement aux API (Application Programming Interface). Dans un article très richement illustré et étayé, à partir de 82 902 publications répertoriées, il parvient à saisir les orientations, les intentions de ces médias, mais aussi les réactions (et leurs variations) des abonnés. Il met aussi en exergue des tendances fortes (autopromotion, forte présence des soft news) dont on peut se demander si elles ne sont pas une réalité exacerbée de l’évolution des médias en général.

C’est sur un terrain absent de l’article précédent, celui des médias africains, que nous amène Étienne Damome, avec les exemples du Bénin, du Burkina Faso, du Togo et de la République Démocratique du Congo. Le journalisme mobile est en plein essor sur un continent où la fracture numérique reste préoccupante mais où l’usage du téléphone mobile est important, en particulier chez les jeunes pour lesquels il est un moyen privilégié d’information. La téléphonie mobile représentait 720 millions d’utilisateurs et un taux de pénétration de 57 % il y a un an sur l’ensemble du continent (PwC, 2020), avec une grande disparité entre les milieux urbains et la campagne où la radio demeure le principal moyen d’information. L’auteur se concentre justement sur ce média majeur en Afrique qu’est la radio, en revenant sur trois séries d’enquêtes réalisées entre 2009 et 2013 auprès de 42 journalistes de stations publiques et privées. Avec ces entretiens, Étienne Damome cherche à distinguer les usages « ordinaires » et professionnels du téléphone mobile, et à amener les journalistes à parler de leurs pratiques pour saisir en quoi le mobile les fait évoluer et affecte la vision qu’ils ont de leur métier. Si les gains sont évidents (rapidité, autonomie, couverture des directs sportifs, diffusion de témoignages en temps réel lors de reportages…), c’est avant tout dans la couverture d’événements – marquant la fin de l’ère du Nagra – que le bond qualitatif apparaît le plus évident (captation du son, transmission en direct). Le journaliste gagne en polyvalence et doit en partie réinventer son métier, devenant un véritable « couteau suisse » s’occupant « […] d’organiser à la fois l’interview, la prise de son, la capture de l’image et le montage du reportage ». Des effets pervers sont aussi soulignés à propos de l’usage exclusif du smartphone, en tant que technologie panoptique permettant de capter les données et surveiller les journalistes dans des pays où la liberté de la presse n’est pas ou trop peu garantie, mais aussi parce qu’il « renforce la dictature de la vitesse », la difficulté à se déconnecter, bouleversant les frontières entre sphères privée et publique.

Loin d’une approche techniciste ou technophile, en filigrane, ce dossier esquisse un paysage informationnel en pleine mutation à travers de nombreuses expérimentations, l’émergence de nouvelles compétences, mais aussi des dépendances, des négociations, des renoncements de la part des éditeurs d’informations, des médias face aux plateformes, face aux RSN, correspondant à une accélération du processus d’infomédiation (Rebillard et Smyrnaios, 2019). La consultation de l’information sur terminaux mobiles étant devenue particulièrement importante, il devient impossible pour un média d’exister en dehors des applications mobiles et des RSN.

Un acteur est plus ou moins absent de ce dossier : c’est le public. Bien qu’évoqué par le biais des représentations et intentions de ceux qui produisent l’information (notamment à travers les articles de Virginie Sonet et Arnaud Mercier), et saisi à travers un registre expressif particulier (les « j’aime », les commentaires parfois limités à des émoticônes…) par Jean-Hugues Roy, la question du public et de ses pratiques pourrait, à elle seule, faire l’objet d’un dossier.

Il apparaît notamment que l’accélération de la diffusion de l’information dans le cadre de la technologie mobile repose aussi sur la possibilité pour le journaliste de privilégier un crowdsourcing mobile auprès d’utilisateurs (réseau d’informateurs, témoins directs) produisant du contenu (photos, vidéo) sur des informations dont ils ont la primauté. Il serait intéressant de voir en quoi les pratiques traditionnelles, voire l’identité d’une profession sont affectées par ce nouveau rapport aux publics, sachant qu’émergent de nouveaux acteurs de l’information qu’on désigne comme des amateurs semi-professionnels, voire des auxiliaires d’information. L’information issue des publics des médias, dont l’engagement peut aller de la « recommandation » à une production participative, parfois rémunérée, pose aussi la question du statut de ces « produsers » à travers des contributions plus ou moins spontanées ou assimilables à un digital labor.  

Nathalie Pignard-Cheynel est professeure à l’Université de Neuchâtel,
Lara van Dievoet est chargée de cours invitée à l’Université catholique de Louvain,
et Pascal Ricaud est maître de conférences à l’Université de Tours.




Références

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Référence de publication (ISO 690) : PIGNARD-CHEYNEL, Nathalie, VAN DIEVOET, Lara, et RICAUD, Pascal. Introduction : Le journalisme face à l’enjeu du mobile. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2021, vol. 2, n°6, p. R3-R10.
DOI:10.31188/CaJsm.2(6).2021.R003


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