Accueil
Sommaire
Édition courante
Autres éditions
Projet éditorial
Partenaires
Éditions et formats
Contacts
Première série
depuis 1996
Seconde série
depuis 2018
Comité éditorial
Comité de lecture
Dossiers thématiques
Appel permanent
Conditions
Proposer...
Un article de recherche
Un point de vue
Une réponse
Une recension
Un dossier
Normes et instructions
Commander
Reproduire
Traduire
Comment ne pas
citer les Cahiers

Parutions et AAC

Nouvelle série, n°7

2nd semestre 2021

DÉBATS

TÉLÉCHARGER
LA REVUE

TÉLÉCHARGER
CET ARTICLE







POINT DE VUE

Cinquante nuances de transparence : quand l’accès à l’information sert l’opacité

À l’instar de nombreux États occidentaux, le Québec rencontre un sérieux problème d’accès à l’information. Il s’était pourtant doté en 1982 d’une législation pionnière dans ce domaine, mais celle-ci n’a pas vaincu les réticences administratives et les pouvoirs publics ne se pressent pas pour la mettre à jour.

Par Marie-Ève Martel




Illustration CdJ (d’après photos sources Pixabay)


I

l y a quarante ans, le Québec faisait figure de proue en adoptant une loi d’accès aux documents produits par ses organismes publics, qui donnait naissance à un mécanisme d’accès à l’information à l’époque fort ambitieux. Malheureusement, comme c’est le cas dans plusieurs autres États occidentaux, la Belle Province fait aujourd’hui les frais de la désuétude de cette loi, dont les zones grises offrent une trop grande latitude aux administrations en place en leur permettant d’en esquiver l’esprit. Et si tous s’entendent pour dire qu’il est impératif de rafraîchir la législation, la volonté politique n’est, hélas, toujours pas au rendez-vous.

L’information gouvernementale circule mal à l’intérieur même de l’administration. Les ministères et les organismes paragouvernementaux, de plus en plus nombreux, surestiment parfois des problèmes à incidence interne au détriment d’un véritable service au public. […] Il serait abusif de prétendre que l’échec est total ; mais il faut bien constater que l’information ne passe pas facilement la rampe de l’administration.

Comme ils semblent refléter la réalité actuelle en matière d’accès à l’information, on pourrait croire que ces passages ont été écrits tout récemment ; ils sont plutôt tirés du Livre blanc sur la politique culturelle de 1978 du gouvernement de René Lévesque, qui cherchait à encourager l’émancipation du Québec au sein d’un Canada qui ne reconnaissait pas sa spécificité identitaire, notamment issue de son héritage français.

Parmi ses préoccupations, on retrouve le désir, à l’instar de nombreux autres États occidentaux, de « dynamiser les institutions démocratiques en libéralisant l’accès à l’information gouvernementale. » Dans cette optique, le tout premier gouvernement du Parti québécois avait mis sur pied, en septembre 1982, la Commission d’étude pour une éventuelle loi d’accessibilité à l’information gouvernementale incluant les renseignements personnels que détient le gouvernement sur les citoyens (commission Paré). En a découlé la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, adoptée en juin de la même année. Cette législation, avant-gardiste et innovante à l’époque, est encore celle qui encadre l’accès à l’information au Québec.

L’adoption de la loi entraînait la création de la Commission d’accès à l’information du Québec (CAI), la toute première instance en Amérique du Nord chargée d’encadrer l’accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements personnels au sein de ces organisations, puis, quelques années plus tard, au sein des organisations privées. Chez nous, c’est cette loi qui est au cœur du processus de transmission d’informations entre les organismes publics ou privés et les demandeurs, qu’il s’agisse d’une personne à la tête d’un autre organisme, d’un journaliste ou d’un simple citoyen.

L’esprit de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels telle qu’on la connaît aujourd’hui reste somme toute le même qui a mené à sa création, il y aura bientôt 40 ans. « Toute législation en matière d’accès aux documents doit assurer un équilibre entre le droit à l’information et d’autres intérêts légitimes qui se justifient dans le cadre d’une société libre et démocratique », soulignait la CAI, en 2016.

Une loi imparfaite et trop floue

La loi est cependant imparfaite. Elle n’a pas évolué au même rythme que les technologies de l’information et des communications. Surtout, les révisions de la loi semblent n’avoir porté que sur le volet de la protection des renseignements personnels ; très peu a été fait pour faciliter et améliorer la publication d’informations d’intérêt public. Selon Claude Robillard, qui a été secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, « la loi sur l’accès à l’information est gravement malade. Elle sert souvent à retenir l’information plutôt qu’à la diffuser ».

En 2001, déjà, la FPJQ dénonçait le désintéressement graduel face à l’accès à l’information par la Commission d’accès à l’information au profit de la protection de la vie privée :

La totalité du rapport annuel 1999-2000 de la Commission est consacrée à rendre compte de ses démarches pour assurer une meilleure protection des renseignements personnels. Les fonctions d’avis, de conseil, d’enquête, et de surveillance qui sont dévolues à la CAI sont entièrement mobilisées par la protection des renseignements personnels.

Même l’actuelle présidente de la CAI, Me Diane Poitras, me confiait qu’« il fut un temps où on parlait trop peu de la protection des renseignements personnels ; maintenant, c’est de l’accès à l’information dont on ne parle plus assez ».

L’un des plus gros problèmes du mécanisme d’accès à l’information actuel est l’hétérogénéité de son application d’une instance à l’autre en raison des limites extrêmement floues entre ce qui constitue une exception ou non et entre ce qui est considéré comme sensible ou non1. Ce caractère imprécis laisse, comme le mentionnait avec justesse l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec, une grande marge d’interprétation au gestionnaire chargé d’appliquer la loi. L’association soulignait aussi, dans son mémoire, « que la collaboration est souvent inversement proportionnelle à la sensibilité des dossiers : si des demandes anodines pour la réputation de l’État sont souvent traitées avec diligence, par contre, on aura une nette tendance à mettre les dossiers chauds à l’abri derrière le mur d’exceptions au droit d’accès ».

La Commission d’accès à l’information elle-même dressait ce constat dans son rapport quinquennal de 2016 : « certaines restrictions actuelles au droit d’accès sont rédigées en des termes très généraux : avis, recommandations, analyses, renseignements obtenus d’un gouvernement autre que celui du Québec. Elles appellent donc une interprétation et une application beaucoup plus larges et englobantes. »

Dans le doute, mieux vaut s’abstenir, dit l’adage. Ainsi, il semble que pour certains, par excès de prudence, il sera toujours plus avisé de ne pas diffuser une information ou un document quand on n’est pas certain qu’il corresponde aux critères de la loi. Ce manque de précision, à l’époque de la rédaction de la loi, était-il voulu par les auteurs du texte, car ils croyaient que les administrateurs de l’accès à l’information au sein des organismes seraient d’emblée en faveur d’une plus grande transparence ? En 2016, toujours, la CAI déplorait que le Québec soit la seule province où les organismes publics peuvent refuser un document ou un renseignement, quelles que soient sa valeur ou sa nature, uniquement parce qu’il correspond à une catégorie qui peut faire l’objet d’exceptions.

Ce faisant, c’est la transparence de l’État qui en souffre, et donc l’intérêt public.

Il en va de même pour la divulgation automatique des informations publiques par les organisations qui les détiennent, une pratique imposée il y a une dizaine d’années afin de rendre l’accès à l’information plus proactif au Québec. Dans le Règlement sur la diffusion de l’information et sur la protection des renseignements personnels, enchâssé dans la loi du même nom, il est indiqué que les organismes sont tenus de diffuser en ligne « les études, les rapports de recherches ou de statistiques, produits par l’organisme public ou pour son compte dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public ». Les responsables de l’accès à l’information ont ainsi encore une grande marge de manœuvre : c’est eux qui décident si lesdits documents sont d’intérêt public ou non. Qu’en est-il de ce que les citoyens définissent comme étant d’intérêt public ?

Une refonte qui se fait toujours attendre

Le besoin de revoir la loi de fond en comble est reconnu unanimement, y compris à l’Assemblée nationale. Mais malgré cette volonté généralisée de moderniser la loi, la refonte maintes fois réclamée se fait encore attendre aujourd’hui. En effet, même si des pistes de solution pour rendre le Québec plus transparent sont écrites noir sur blanc depuis quelques années, il faudra attendre qu’un gouvernement élabore un projet de loi qui sera ensuite étudié, puis adopté par les parlementaires. Au terme de ce processus, la Loi sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels sera modifiée.

Malheureusement, l’atteinte d’une meilleure transparence ne semble jamais être une priorité pour les gouvernements qui se succèdent. Si pratiquement tous, au cours des dernières années, se sont engagés à revoir la loi pour améliorer l’accès à l’information, aucun d’entre eux n’a eu le temps (ou ne s’est donné le temps) pour remplir ses promesses.

Maintenant qu’elle forme un gouvernement majoritaire depuis octobre 2018, la CAQ ne semble pas plus pressée que ses prédécesseurs de rectifier le tir. En novembre 2019, la ministre chargée de l’Accès à l’information, Sonia Lebel, a déclaré ne pas envisager de plancher sur une refonte à court terme ou au cours du mandat actuel, et ce, même si elle reconnaissait que « l’esprit de la loi n’est plus respecté [et que] de nombreux ministères et organismes qui y sont soumis utilis[ent] tous les échappatoires à leur disposition pour retarder indûment ou même carrément bloquer la divulgation d’informations. » Madame Lebel a depuis été remplacée par son collègue Simon Jolin-Barrette, puis par Éric Caire en janvier 2021. En mai de la même année, celui-ci a reconnu que la refonte du volet accès à l’information de la loi constitue « un chantier qu’il faut ouvrir aussi rapidement que possible », mais a ajouté qu’il n’avait pas l’intention de se pencher sur la question au cours du présent mandat, qui prendra fin à l’automne 2022.

À moins que je ne me trompe, et je l’espère sincèrement, il nous faudra donc prendre notre mal en patience encore un peu.  

Marie-Ève Martel est journaliste à La Voix de l’Est et essayiste.
Son plus récent ouvrage, Privé de sens – Plaidoyer pour un meilleur
accès à l’information au Québec, est paru aux Éditions Somme Toute en 2021.



1

On trouvera plus de détails sur cette situation dans mon dernier essai, consacré au problème de l’accès à l’information au Québec (Éditions Somme Toute, 2021).






Référence de publication (ISO 690) : MARTEL, Marie-Ève. Cinquante nuances de transparence : quand l'accès à l'information sert l'opacité. Les Cahiers du journalisme - Débats, 2021, vol. 2, n°7, p. D19-D22.
DOI:10.31188/CaJsm.2(7).2021.D019


Proposer un commentaire