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Nouvelle série, n°7

2nd semestre 2021

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POINT DE VUE

Trois infox sur les infox

La diffusion des fausses nouvelles en ligne est devenue l’une des grandes frayeurs de notre époque, mais les études scientifiques disponibles sur ce phénomène indiquent que bien des craintes qu’alimentent les médias sont inexactes ou exagérées.

Par Maanon Berriche et Sacha Yesilaltay




Illustration CdJ (composants Pixabay)


F

ake news par-ci, fake news par-là. Du Brexit à l’élection de Donald Trump, en passant par la montée des mouvements anti-vaccins, et maintenant par la pandémie du Covid-19, les fake news, si l’on en croit les médias, semblent être à l’origine de tous les maux de notre société.

Nombreux sont en effet les titres d’actualité qui prêtent à nos concitoyens une crédulité débridée et attribuent aux fake news un pouvoir démesuré, mais la réalité est plus nuancée, et l’importante attention médiatique qu’elles reçoivent n’égale pas le peu d’attention que les internautes leur prêtent.

Si ces craintes traduisent une vigilance légitime et saine, il est crucial de ne pas les exagérer afin d’éviter d’instaurer un climat de défiance généralisé qui éroderait la confiance de nos concitoyens, tout particulièrement en temps de crise. Nuance et contexte sont ainsi nécessaires pour remettre en perspective les récentes couvertures médiatiques sur les infox, afin d’éviter qu’elles ne deviennent elles-mêmes l’objet d’infox.

1. Sur les réseaux sociaux, les fake news sont abondantes [à remettre en perspective]

Si l’émergence des réseaux sociaux a profondément bouleversé la manière dont l’information est mise en circulation, cela ne traduit pas nécessairement une dérégulation du marché informationnel, où les internautes pataugeraient tant bien que mal au milieu d’un flot d’infox. En fait, pour estimer correctement la prévalence des fake news et le nombre réel d’informations peu fiables auxquelles les individus sont susceptibles d’être exposées, il est nécessaire de les mettre en perspective avec tous les contenus qui sont diffusés sur les réseaux sociaux – memes de chats et gifs de Trump compris. Les fake news ne représentent qu’une infime proportion de la consommation médiatique totale des individus : tout juste 0,15 %1.

Et ce chiffre ne semble pas être beaucoup plus important pour le coronavirus : en analysant 116 994 posts, une étude allemande2 a montré que les publications conspirationnistes ou erronées ne représentaient que 1,1 % du volume global de contenus et du total d’interactions générées. Cela suggère que peu d’internautes y ont été exposés, mais ne permet néanmoins pas de quantifier leur impact. Une limite importante à laquelle sont confrontées la majorité des études sur les fake news.

Et, plus encore, comme le démontre remarquablement une étude tout juste publiée dans la revue Science Advances1, il ne faut pas scotcher notre regard uniquement sur les plates-formes numériques pour étudier la consommation médiatique des individus ; au contraire, il faut largement dézoomer le microscope pour tenir également compte des informations que consulte le grand public via d’autres supports comme la télévision ou la radio.

Avec ces remises en perspective, il ressort alors d’une part que 86 % de la consultation quotidienne de médias n’est pas liée à l’actualité et d’autre part que la télévision reste le support le plus utilisé par la majorité de la population et particulièrement chez les personnes plus âgées et/ou ayant des opinions populistes. Ainsi en France 71 % de la population française déclare consulter la télévision pour suivre l’actualité contre seulement 42 % les réseaux sociaux.

2. Une fake news se répand six fois plus vite qu’une vraie information [à réinterpréter]

L’irruption de la notion de post-vérité dans le discours public s’est vue accompagnée d’une idée largement infondée, celle que le faux l’emporterait sur le vrai, comme si la réalité se résumait à un grossier combat de coqs opposants des mensonges à des faits avérés.

En effet, un article scientifique3 publié en 2018 dans Science par des chercheurs affiliés au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), rapidement repris par nombreux médias, a probablement contribué à diffuser cette conception incorrecte de la réalité.

Or, les chercheurs eux-mêmes ont pointé une limite méthodologique de leur étude qui n’a pas été mentionnée dans la grande majorité des articles de presse l’ayant vulgarisée : leur recherche a comparé la propagation de fake news avec celle d’informations issues de rubriques de fact-checking.

Or ces dernières sont loin de représenter à elles seules le concept de vérité. Si les chercheurs s’étaient à la place tournés vers des magazines people ou des rubriques de faits divers, peuplés d’informations « incroyables mais vraies ! », auraient-ils trouvé les mêmes résultats ?

Il suffit de penser à la rapidité avec laquelle les résultats de certains matchs de foot ou les divorces et mariages de célébrités font le tour du monde, pour avancer l’idée que la viralité d’une information ne tient pas seulement à sa fausseté, mais aussi et surtout à sa propension à susciter de la conversation.

3. Les gens partagent beaucoup de fake news [à nuancer]

S’il est vrai que les fake news peuvent plus facilement arborer des propriétés séduisantes pour notre cerveau car elles ne sont pas contraintes par la réalité, cela ne se traduit pas systématiquement par un potentiel épidémique plus important. En effet, une myriade de résultats4 fraîchement sortis des fourneaux académiques suggère que la majorité des fake news (~ 80 %) est partagée par une minorité d’utilisateurs hyperactifs (~ 0,1 %), qui ont tendance à être plus vieux et plus politisés que le reste de la population.

La majorité des individus fait attention à ne pas partager des infox, probablement par peur de désinformer leurs proches, mais aussi par souci pour leur réputation : personne ne veut passer pour un imbécile ! Une étude récente5 a montré que le partage d’une fake news nuit gravement à la réputation du média ou de la personne qui l’a partagée, et qu’il faudrait payer la majorité d’entre nous (74 %) pour partager une fake news sur les réseaux sociaux à partir de notre compte personnel.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les fake news politiques sont partagées et consommées principalement au sein de petits réseaux d’individus portant la même casquette politique. Et que les questionnaires demandant aux gens s’ils croient à certaines fausses informations politiques peuvent être exploités par les individus les plus partisans pour exprimer leur opinion politique, ces résultats ne traduisent donc pas forcément une crédulité vis-à-vis des fake news, mais plutôt une volonté de signaler son appartenance idéologique.

Une étude6 a par exemple demandé à des gens d’indiquer quelle photo d’inauguration présidentielle comportait la plus grande foule. Bien que la réponse à cette question soit probante – à moins de souffrir de sérieux problème de déficience visuelle – les chercheurs ont trouvé que 26 % des partisans de Donald Trump, ayant un diplôme (et des yeux), sélectionnaient malgré tout la photo de droite représentant l’inauguration de Donald Trump.

Enfin, il faut souligner que les individus ne prennent pas toutes les informations auxquelles ils sont exposés pour argent comptant. Ceux-ci peuvent se tourner vers des sources fiables ou réaliser des recherches par eux-mêmes afin de vérifier et mieux comprendre certaines informations, particulièrement dans un contexte aussi incertain que celui que nous traversons aujourd’hui. Une analyse du New York Times a en effet montré que le besoin de se tenir à jour sur le coronavirus a largement boosté la consultation de médias locaux et traditionnels mais pas des sites partisans.

Au final, loin de nous l’intention de faire passer les infox pour un phénomène dont il ne faut pas se soucier, que l’on peut prendre à la légère, et qui ne mérite pas d’être sérieusement étudié. Nous souhaitons plutôt apporter de la nuance. Nuance qui permettra, on l’espère, d’apaiser les peurs sans affaiblir la vigilance, de rejeter les explications simplistes mono causales d’événements complexes, et d’identifier avec plus de précision les enjeux de la société de demain.  

Manon Berriche est doctorante à
l’Institut d’études politiques de Paris,
Sacha Yesilaltay est doctorant à l’École
normale supérieure de Paris7.



1

Jennifer Allen, Baird Howland et al., « Evaluating the fake news problem at the scale of the information ecosystem », Science Advances, vol. 6, n° 14, 2020, p. 1-6.



2

Svenja Boberg, Thorsten Quandt et al., « Pandemic populism: Facebook pages of alternative news media and the corona crisis – A computational content analysis », Muenster online research (MOR), working paper 1/2020, 2021 [en ligne] arxiv.org.



3

Soroush Vosoughi, Deb Roy et al., « The spread of true and false news online », Science, vol. 359, n° 6380, 2018, p. 1146-1151.



4

Nir Grinberg, Kenneth Joseph et al., « Fake news on Twitter during the 2016 US presidential election », Science, vol. 363, n° 6425, 2019, p. 374-378 ; Andrew Guess, Jonathan Nagler et al., « Less than you think: Prevalence and predictors of fake news dissemination on Facebook », Science Advances, vol. 5, n° 1, 2019, p. 1-8.



5

Sacha Altay, Anne-Sophie Hacquin et al., « Why do so few people share fake news? It hurts their reputation », New Media & Society, 2019 [en ligne] journals.sagepub.com.



6

Brian F. Schaffner et Samantha Luks, « Misinformation or expressive responding? What an inauguration crowd can tell us about the source of political misinformation in surveys », Public Opinion Quarterly, Vol. 82, n° 1, 2018, p. 135-147.



7

Cet article a été publié originellement sur le site de The Conversation (theconversation.com).






Référence de publication (ISO 690) : BERRICHE, Manon, et YESILALTAY, Sacha. Trois infox sur les infox. Les Cahiers du journalisme - Débats, 2021, vol. 2, n°7, p. D43-D46.
DOI:10.31188/CaJsm.2(7).2021.D043


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