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Nouvelle série, n°7

2nd semestre 2021

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NOTE DE LECTURE

Béatrice Damian-Gaillard, Sandy Montañola et Eugénie Saitta – Genre et journalisme

Amélie Daoust-Boisvert, Université Concordia

A

vec l’affaire de la « Ligue du LOL » en 2019, le milieu journalistique français ne grattait finalement que la surface de son moment #metoo. Les accusations – médiatiques et maintenant judiciaires – portées en 2021 contre l’ex-journaliste vedette Patrick Poivre d’Arvor le prouvent une fois de plus. Sexisme, harcèlement et agressions sexuelles au travail ne sont que quelques-uns des nombreux révélateurs des barrières et inégalités qui freinent les femmes dans la carrière au sein du 4e pouvoir. Un sexisme systémique qui impacte, de l’autre côté de l’écran, les contenus servis aux publics, dont la sous-représentation et le cadrage stéréotypé des femmes dans les productions médiatiques.

Paru aux éditions De Boeck Supérieur, l’ouvrage Genre et journalism ; Des salles de rédaction aux discours médiatiques s’inspire des récents débats pour « penser la relation entre genre et journalisme », et il adopte une perspective francophone rafraichissante. Ses auteurs s’appuient bien sûr sur la tradition des études de genre et des Women’s studies, mais elles ont le mérite de mettre en lumière les travaux de la francophonie et leurs propres travaux pour jeter un nouvel éclairage sur la question.

On doit aux trois chercheuses qui signent cet ouvrage, toutes rattachées à l’Université de Rennes 1, des travaux innovants. La professeure Béatrice Damien-Gaillard a notamment étudié la presse pornographique et les processus de féminisation du journalisme politique en France. Elle récidive donc aux côtés de la professeure Eugénie Saitta, puisqu’elles publiaient en co-direction, en 2010, Le journalisme au féminin : assignations, inventions et stratégies1. Genre et journalisme s’avère une suite féconde. Pour sa part maître de conférence, Sandy Montañola s’intéresse aux intersections entre journalisme sportif et études de genre.

L’essai aborde d’abord la composition des salles de rédaction et les inégalités de genre qui se cachent derrière une parité quasi atteinte, puisqu’en France comme au Québec, près de la moitié des journalistes sont femmes. La féminisation de la profession est aussi une féminisation des emplois instables, les journalistes femmes étant plus nombreuses dans des assignations précaires ou de pigistes, quittant plus tôt le métier que leurs collègues masculins et se voyant plus fréquemment cantonnées à des titres ou des secteurs de couvertures perçus comme moins prestigieux. En plus des entraves à l’entrée, des processus d’éviction du métier participent aux inégalités, des phénomènes tels que ce que l’essayiste Martine Delvaux2 nomme « le boys club », le harcèlement sexuel, le sexisme, les stéréotypes de genre et l’homosocialité.

Est expliquée ensuite la sous-représentation des femmes dans la production médiatique elle-même, laquelle atteint selon les études 20 à 30 % des sources citées, « médiatisation différenciée qui ne se compense ni dans le temps ni avec l’émergence des nouvelles technologies ». Les chercheuses pointent les nombreuses études qui confirment la médiatisation « essentialisée » subie par les femmes, cantonnées dans certains rôles stéréotypés ou cadrées selon les angles privilégiés qui « invisibilisent » leurs actes, leurs performances et leurs engagements.

L’ouvrage débute et clôt sur une note au diapason et particulièrement intéressante en abordant l’agentivité des journalistes femmes qui, loin d’être des « victimes dociles » devant le sexisme systémique et les inégalités, « font de nécessité, invention ». « Les lignes bougent, souligne-t-on d’ailleurs en introduction, #meetoo et Time’s up rappellent que si les situations de domination perdurent, elles sont désormais dénoncées, et dans les médias, l’affaire de la Ligue du LOL, par exemple, révèle tout à la fois des pratiques d’oppression de catégories "minorisées" (femmes, homosexuels, personnes racisées) et la capacité d’"agency" de ces mêmes individus, leur aptitude à "faire quelque chose avec ce qu’on a fait de moi" pour reprendre les termes de Judith Butler. »

Voilà une excellente lecture pour quiconque entame des études supérieures, alors que nombre d’objets d’étude en journalisme n’ont pas le luxe de pouvoir faire abstraction de l’impact du genre sur la sociologie des médias, les scientifiques de la communication qui souhaitent un tour d’horizon complet, à jour et en français de la question et oserons-nous dire, les personnes en position d’autorité dans les salles de rédaction qui peuvent et doivent, avec les faits pour alliés, participer au changement.

Avançant écrire non pas pour dénoncer, mais pour « analyser les mécanismes de discrimination à l’œuvre dans le journalisme », les auteurs parent les coups que pourraient être tentés de leur porter les critiques. Elles sentent le besoin de réitérer la scientificité de leur démarche, ce qui trahit les préjugés subsistants, eux, dans certains milieux académiques. Pourtant, les études de genre en communication et en journalisme sont des disciplines bien établies, et on espérait que leurs savoirs, aussi « situés » que les autres, ne soient plus assimilés à l’idéologie.  

Béatrice Damian-Gaillard, Sandy Montañola et Eugénie Saitta (2021). Genre et journalisme. Des salles de rédaction aux discours médiatiques : De Boeck Supérieur, 256 p.

Amélie Daoust-Boisvert est professeure adjointe au Département
de journalisme de l’Université Concordia.




Notes

1

Damian-Gaillard, Béatrice, Cégolène Frisque, and Eugénie Saitta (2010). Le journalisme au féminin. Assignations, inventions et stratégies. Presses universitaires de Rennes.



2

Delvaux, Martine (2019). Le boys club. Les éditions du Remue-Ménage.






Référence de publication (ISO 690) : DAOUST-BOISVERT, Amélie. Béatrice Damian-Gaillard, Sandy Montañola et Eugénie Saitta – Genre et journalisme. Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2021, vol. 2, n°7, p. R167-R169.
DOI:10.31188/CaJsm.2(7).2021.R167


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