Accueil
Sommaire
Édition courante
Autres éditions
Projet éditorial
Partenaires
Éditions et formats
Contacts
Première série
depuis 1996
Seconde série
depuis 2018
Comité éditorial
Comité de lecture
Dossiers thématiques
Appel permanent
Conditions
Proposer...
Un article de recherche
Un point de vue
Une réponse
Une recension
Un dossier
Normes et instructions
Commander
Reproduire
Traduire
Comment ne pas
citer les Cahiers

Parutions et AAC
Nouvelle série, n°8-9

2nd semestre 2022

RECHERCHES

TÉLÉCHARGER
LA SECTION

SOMMAIRE

TÉLÉCHARGER
CET ARTICLE






NOTE DE LECTURE

Michel Lemay – Intox : Journalisme d’enquête, désinformation et « cover-up »

Julie Gramaccia, Université d’Ottawa

A

lors que l’on parle surtout de la responsabilité des réseaux sociaux dans l’essor de la désinformation et dans la prolifération des fake news, Michel Lemay investigue la responsabilité des médias quant à la diffusion de reportages « d’intox », aux informations erronées ou manipulées. L’ouvrage se concentre sur les défis – professionnels et éthiques – auxquels le journalisme fait face à l’heure de la montée des théories du complot, de la remise en question de la science, et plus généralement de celle des institutions.

Son raisonnement global s’inscrit dans une question préliminaire d’importance : peut-on faire confiance à la presse ? L’auteur compte apporter des réponses à cette question en « explorant ce qui se passe lorsque les médias constatent qu’ils ont commis une erreur » (p.17).

Pour ce faire, il plonge dans les enquêtes les plus critiquées pour leurs manquements à la pratique journalistique, notamment l’article consacré au Gardasil publié en 2015 par le Toronto Star. Parallèlement, il examine les véritables valeurs du journalisme, qu’il distingue des « valeurs officielles, professées à coup de messages publicitaires » (p. 17)

Dans cet exercice, Michel Lemay rend ses lettres de noblesse au journalisme d’investigation comme producteur de l’actualité, tout en passant au peigne fin les enquêtes les plus fautives dans la manipulation de l’information.

Scoop

En premier lieu, l’auteur revient sur les fondamentaux du journalisme d’investigation. Ce faisant, il met en exergue son importance dans une période où la crise économique que traversent les médias lui est peu propice. Remettant sur le devant de la scène le rôle fondamental des journalistes pour le bon fonctionnement des démocraties, il revient sur l’importance de ne pas succomber à la tentation du scoop, de ne pas perdre les réflexes inhérents à la bonne pratique journalistique. S’inscrivant dans le genre de l’essai – ou de la démonstration – plus que de l’étude à proprement parler, Michel Lemay écarte la dimension théorique des concepts et ancre sa réflexion dans l’essence de la pratique journalistique. Au fil des pages, on perçoit sans peine le ton incisif de l’auteur qui ironise sur le « star system » journalistique dans lequel les scandales semblent, selon lui, bien faciles à trouver (p.38). Il revient didactiquement sur les éléments nécessaires à la réalisation d’une bonne enquête journalistique avant de mettre en exergue les errances dont souffrent certains médias traditionnels pourtant considérés comme crédibles.

Mystification

Dans la seconde partie de son ouvrage, l’auteur s’attaque aux effets potentiellement néfastes des cadrages et des artifices discursifs sur l’opinion publique. Il souligne en creux la responsabilité des journalistes dans la manière d’énoncer l’information : de quelle façon doit-on raconter une histoire sans pour autant jeter de l’huile sur le feu ? Faisant état des différents cadrages – ou partis pris – de la presse québécoise dans l’histoire, par exemple, de la compagnie Bruce Power et les générateurs de vapeur « radioactifs », Michel Lemay rappelle le risque qui existe quand, au lieu « d’élever la discussion, la presse exploite la situation » (p.151).

En effet, si un cadrage de l’information est un processus naturel dans toute forme de communication (et particulièrement dans le journalisme), celui-ci doit être complet et réfléchi et ne pas s’inscrire dans une surenchère informationnelle, au risque de faire basculer le débat public dans la polémique. Dans cette perspective, l’auteur vilipende les choix discursifs, les verbes et les figures de style et autres expressions qui « chargés, lourds de sens […] disent sans dire et laissent des traces » (p.168). Il dénonce ainsi les jeux de langage et les appels à l’émotion utilisés par certains journalistes qui peuvent parfois conduire à des formes de manipulation de l’information, voire à de la mésinformation. Il rappelle enfin la nécessité de considérer scrupuleusement la mise en énonciation discursive visuelle de l’information et ses effets sur les lecteurs. Celle-ci est en effet lourde de sens et participe, si utilisée à mauvais escient, à valider ou crédibiliser des propos pourtant peu scrupuleux.

Cover-up

Dans cette troisième partie, Michel Lemay aborde le concept de « cover-up » comme il peut advenir au sein de la profession et ses potentielles implications dans la diffusion d’informations erronées. L’auteur souhaite mettre en lumière ce qu’il se passe « lorsqu’un média commet une erreur manifeste, une bourde, et que tous les yeux se tournent vers lui parce qu’il est évident que la situation demande à être redressée » (p.235). Pour ce faire, il revient sur un reportage factuellement erroné diffusé par TVA en 2017 à propos de prétendues pressions faites à l’endroit d’un entrepreneur pour que des femmes ne soient pas présentes sur des chantiers situés à proximité d’une mosquée durant les jours de culte. Face à ces situations critiques aussi bien sur le plan de l’éthique journalistique qu’en terme de répercussions sociales, Lemay éclaire la figure du cinquième pouvoir, celle des expert.e.s qui passent au crible les mauvais reportages et apportent une voix essentielle dans le rétablissement des faits. Il tacle au passage certains chroniqueurs et autres expert.e.s allégué.e.s qui profitent de la tribune que peuvent constituer les médias pour publier des lettres ouvertes truffées d’inexactitudes, d’omissions, quand il ne s’agit pas purement de mensonges. Il rappelle alors que de « publier ses idées dans un journal n’a rien d’un droit, et tout d’un privilège » (p.281).

Big Media

Dans ce dernier chapitre, l’auteur s’interroge : « la presse serait-elle un pouvoir – le seul pouvoir – sans contre-pouvoir ? » (p.301). Les tentatives de scientifiques, reconnu.e.s dans leur domaine, de réfuter les propos fallacieux du Toronto Star à propos du vaccin Gardasil ont eu un succès en demi-teinte. Pourtant, ils et elles faisaient face à un « média isolé, sans preuve, équipé d’arguments moins démagogiques que risibles, qui défendait une démarche et un texte qui présentaient des lacunes évidentes » (p. 301). À partir de ce constat, Lemay articule sa réflexion en mettant en perspective les notions de diffamation et de désinformation et les conséquences potentielles qu’elles entraîneraient pour les médias qui diffuseraient des publications s’y rapportant. Selon l’auteur, « si les médias prennent à la légère, voire ignorent, le ‘‘risque de désinformation’’, ils sont très alertes devant le ‘‘risque de diffamation’’ » (p.304). Afin d’illustrer son propos, il revient d’abord sur des procès en diffamation auxquels certains médias ont fait face dans les dernières décennies. Dans un second temps, il se concentre sur les démarches mises en œuvre par certaines entreprises médiatiques afin de rectifier une information qui, sans diffamer, n’en demeure pas moins fausse. Dans cette réflexion, les notions de responsabilité et de déontologie journalistiques sont centrales, notamment en ce qui concerne le procédé de citation de sources anonymes. « La déontologie, avance l’auteur, est nettement plus exigeante que la loi. Cette dernière ne met de l’avant que le minimum vital. En plaçant la barre beaucoup plus haut, l’éthique balise, mais aussi ouvre le vaste espace de la liberté responsable de la presse. C’est la déontologie, et le cadre éthique dont elle découle, qui assure ‘‘une information de qualité’’ » (p. 357).

La démarche de Michel Lemay, en s’ancrant dans une empirie minutieuse mais sélective, apporte un éclairage puissant – et sans concession – sur les dérives de certains médias traditionnels. L’auteur mentionne en ce sens que si son ouvrage est basé sur des histoires pouvant être qualifiées « d’extrêmes, ou du moins atypiques » (p. 407), ces reportages, parce qu’ils sont issus de « la même chaîne de montage que l’ensemble de l’information […] ont donc quelque chose de symptomatique » (ibid.).

Dans une réflexion mélangeant pédagogie, observations et critiques, il exhorte les journalistes à se départir de leur fausse naïveté et à se souvenir du poids de leurs responsabilités vis-à-vis des sociétés démocratiques. Celles-ci, conclut-il « ont les électeurs que leurs médias fabriquent. Il serait grand temps que les journalistes s’en mêlent » (p.421). 

Michel Lemay (2022). Intox. Journalisme d’enquête, désinformation et « cover-up ». Montréal : Éditions Québec Amérique, 432 p.

Julie Gramaccia est professeure adjointe au département
de communication de l’Université d’Ottawa.




Référence de publication (ISO 690) : GRAMACCIA, Julie. Michel Lemay – Intox : Journalisme d’enquête, désinformation et « cover-up ». Les Cahiers du journalisme - Recherches, 2022, vol. 2, n°8-9, p. R189-R191.
DOI:10.31188/CaJsm.2(8-9).2022.R189


Proposer un commentaire